Tribunal administratif de Pau, 3ème chambre, 8 novembre 2023, n° 2101692

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Pau, 3e ch., 8 nov. 2023, n° 2101692
Juridiction : Tribunal administratif de Pau
Numéro : 2101692
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Bordeaux, 12 décembre 2022
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 21 décembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 juin 2021 et 18 septembre 2023, M. B, représenté par Me Mendiboure, doit être regardé comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’enjoindre à la direction générale des finances publiques de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

2°) de condamner l’État à lui verser la somme de 7 452 euros en réparation du préjudice financier qu’il a subi en raison des frais d’avocat engagés dans le cadre de la procédure pénale déposée à l’encontre de son ancien supérieur hiérarchique pour dénoncer des faits de harcèlement moral et la somme de 6 348, 32 euros en réparation du préjudice résultant des frais engagés pour la plainte déposée en 2019 ;

3°) et de mettre à la charge de l’État une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— il avait droit au bénéfice de la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral qu’il a subi et qui a été reconnu par la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 9 mai 2017 ;

— dans le cadre de cette protection fonctionnelle, il a droit au remboursement des frais de procédure qu’il a engagés postérieurement au jugement du tribunal du 19 décembre 2019.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2022, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut, à titre principal, à l’irrecevabilité de la requête et, à titre subsidiaire, à son rejet au fond.

Il fait valoir que :

— à titre principal, les conclusions tendant à ce qu’il soit ordonné à la direction générale des finances publiques qu’elle mette en œuvre la protection fonctionnelle sont irrecevables dès lors qu’il n’appartient pas au juge de se substituer à l’administration et que les conclusions tendant au remboursement des frais relatifs à la procédure judiciaire engagée ont le même objet que l’instance n° 20BX00888 jugée par un arrêt du 13 décembre 2022 de la cour administrative d’appel de Bordeaux ;

— à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 20 septembre 2023, la clôture de l’instruction a été fixée au 9 octobre 2023 à 12 heures.

Un mémoire, présenté pour M. B, a été enregistré le 10 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code général de la fonction publique ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Portès,

— les conclusions de Mme Duchesne, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A B, né en 1954, qui a été admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité au 1er avril 2019, était contrôleur de l’administration fiscale depuis 1973, puis titularisé dans le grade d’inspecteur des impôts à compter du 1er septembre 1981. Il a été affecté en dernier lieu, à compter de 2006, au sein de la brigade de contrôle et de recherches de Bayonne en qualité d’enquêteur. Par une première requête n° 1301395, il a demandé la condamnation de l’État à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation des préjudices subis en raison d’agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique direct et, par un jugement du 21 avril 2015, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Toutefois, par un arrêt n° 15BX02175 du 9 mai 2017, la cour a annulé ce jugement et a condamné l’État à verser à M. B la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi en raison des faits de harcèlement moral dont il a été reconnu victime.

2. M. B a en outre sollicité à plusieurs reprises, entre le 23 août 2017 et le 19 janvier 2018, le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès de son employeur, en raison de faits de harcèlement moral dont il s’estimait victime. L’administration a gardé le silence sur ces demandes. Par un courrier du 25 juillet 2018, l’intéressé a demandé au directeur départemental des finances publiques (DDFIP) des Pyrénées-Atlantiques la réparation de la faute commise par l’administration consistant à lui avoir refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle sollicitée en vain et l’administration n’a pas répondu à ce courrier. Par des requêtes distinctes, n° 1801747 et 1901406, M. B a demandé au présent tribunal la condamnation de l’État à lui verser la somme de 77 526,36 euros en réparation de son préjudice lié à des pertes de rémunération, la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant des conditions d’accès et de l’incomplétude de son dossier administratif et enfin, la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi du fait des refus implicites opposés à ses demandes de protection fonctionnelle. Par un jugement n° 1801747 – 1901406 du 19 janvier 2019, le présent tribunal, après avoir considéré que l’État avait commis une faute en refusant de lui accorder la protection fonctionnelle, a condamné l’État à prendre à sa charge la somme de 7 571 euros au titre des frais de procédure contentieuse, tant dans son volet administratif que dans son volet pénal. La cour administrative d’appel de Bordeaux, dans un arrêt n° 20BX00888 du 13 décembre 2022 a porté cette somme à 9 231 euros.

3. M. B a adressé à l’administration, le 1er mars 2021, une nouvelle demande de protection fonctionnelle en raison des faits de harcèlement moral et des dénonciations mensongères dont il a été victime en 2010 et 2011, a rappelé l’ensemble des recours et décisions juridictionnelles rendues, et a fait état de nouveaux frais supplémentaires intervenus « après le recours formé » devant le présent tribunal, à savoir des procédures pénales engagées notamment en 2019. Cette nouvelle demande est également restée sans réponse. Par la présente requête, M. B doit être regardé comme demandant au tribunal d’enjoindre à la DDFIP de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de condamner l’État, en réparation de son préjudice résultant du refus illégal de l’administration de prendre en charge l’engagement de ses frais, au titre de la protection fonctionnelle, à lui verser la somme de 7 452 euros au titre des frais d’avocat dans le cadre de la procédure pénale engagée à l’encontre de son ancien supérieur hiérarchique et celle de 6 348,32 euros au titre de l’assistance pour la plainte déposée dans ce cadre.

Sur les fins de non-recevoir :

4. En premier lieu, les conclusions de la présente requête de M. B doivent être regardées comme tendant à la condamnation de l’État à réparer la faute ayant consisté, selon lui, à lui avoir illégalement refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de l’irrecevabilité des conclusions ayant pour objet d’adresser, à titre principal, des injonctions à l’administration, doit être écartée.

5. En second lieu, le principe selon lequel l’administration ne peut être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas, ne constitue pas, contrairement à ce que soutient le ministre, une condition de recevabilité de la requête, mais une condition d’appréciation du fond de l’instance. Par suite, la fin de non-recevoir opposée à ce titre ne peut qu’être écartée.

Sur la responsabilité de l’État :

6. Aux termes de l’article L. 134-1 du code général de la fonction publique : « L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre. ». Selon l’article L. 134-4 du même code : « Lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. / L’agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. / La collectivité publique est également tenue de protéger l’agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ». Aux termes de l’article L. 134-5 du même code : « La collectivité publique est tenue de protéger l’agent public contre les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. / Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ».

7. Les dispositions précitées du code général de la fonction publique établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des agents publics, lorsqu’ils ont été victimes d’attaques à raison de leurs fonctions, sans qu’une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles le fonctionnaire ou l’agent public est exposé, mais aussi de lui assurer une réparation adéquate des torts qu’il a subis.

8. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l’administration à assister son agent dans l’exercice des poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l’autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances, notamment de la question posée au juge et du caractère éventuellement manifestement dépourvu de chances de succès des poursuites entreprises, les modalités appropriées à l’objectif poursuivi.

9. Il résulte de l’instruction que l’existence d’un harcèlement moral subi par M. B entre 2009 et 2011 a été reconnue par l’arrêt n° 15BX02175 de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 9 mai 2017. Par suite, M. B est fondé à soutenir que l’administration était tenue de le protéger contre ces agissements constitutifs de harcèlement et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il s’ensuit que M. B est fondé à soutenir que l’État doit voir sa responsabilité engagée à son égard.

10. En premier lieu, si le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait valoir qu’il pouvait refuser la demande de protection fonctionnelle présentée par le requérant dès lors que la procédure pénale intentée par ce dernier est manifestement dépourvue de fondement, il résulte toutefois de l’instruction que, par un arrêt du 31 mai 2022, la cour de cassation a annulé, pour défaut de motivation, la décision rendue le 23 mars 2021 par la cour d’appel de Pau. Dans ces conditions, le souci de bonne gestion des deniers publics de l’administration, pour ne pas prendre à sa charge des frais de procédure dans le cadre de poursuites pénales considérées comme « vouées à l’échec », ne peut constituer, dans les circonstances de l’espèce, un motif d’intérêt général permettant légalement à l’administration de refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. B.

11. En second lieu, il ne ressort ni des visas ni de la motivation retenue dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux n° 20BX00888 du 13 décembre 2022 que M. B avait présenté une demande d’indemnisation pour les frais engagés à raison des factures produites dans le cadre de la présente instance, à savoir, les frais de procédure contentieuse pénale d’un montant de 480 euros correspondant à la facture du 17 février 2021 mise à sa charge en raison de la présentation par son avocate d’un mémoire devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Pau, d’un montant de 600 euros figurant dans la facture du 23 février 2021 relative à la plaidoirie et aux frais de déplacement de cette avocate pour l’audience du 23 mars 2021 devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Pau, de 372 euros concernant la facture du 25 mars 2021 relative au pourvoi en cassation intenté à l’encontre de cet arrêt, de 3 000 euros concernant la facture du 26 mars 2021 émise au titre des honoraires d’avocat à la cour de cassation, de 3 000 euros concernant la facture du 2 septembre 2021 au titre de ces mêmes honoraires d’avocat à la cour de cassation, de 600 euros concernant la facture du 14 octobre 2021 relative à la rédaction d’une lettre au juge d’instruction, de 480 euros correspondant à la facture du 15 mars 2022 relative à la rédaction d’un mémoire devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Pau, de 480 euros concernant la facture du 30 mars 2022 relative à la rédaction d’un mémoire et l’audience de plaidoirie du 1er avril 2022 et enfin, d’un montant de 96 euros concernant la facture du 4 avril 2022 relative à cette audience devant la chambre d’instruction. Ainsi, quand bien même le ministre fait valoir en défense que ces factures avaient été produites en appel, et dès lors qu’il ressort clairement de la décision des juges d’appel qu’aucune somme n’a été accordée à M. B au titre de ces factures, ce dernier est fondé à soutenir que c’est à tort que l’administration a refusé de prendre en charge les frais précités qui sont en lien direct avec ces procédures engagées en raison des faits de harcèlement dont il a été victime.

12. En revanche, il résulte de l’instruction que la demande de M. B tendant à ce que l’État prenne en charge une somme de 360 euros correspondant à des frais d’assistance de son avocat dans le cadre de son audition ayant eu lieu le 5 novembre 2019 a d’ores et déjà été prise en compte dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux, n° 20BX00888 précité, du 13 décembre 2022. Enfin, la demande du requérant tendant à la prise en charge par l’État d’une somme « d’un montant à définir » au titre des honoraires d’avocat « à venir », qui pourraient être nécessaires pour la poursuite de ses actions contentieuses, ne correspond qu’à un préjudice hypothétique et ne repose sur aucun élément probant au jour du présent jugement.

13. Il résulte de ce qui précède qu’il y a seulement lieu de condamner l’État à verser à M. B la somme de 13 440,32 euros.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L’État est condamné à payer à M. B la somme de 13 440,32 euros (treize mille quatre-cent-quarante euros et trente-deux centimes).

Article 2 : L’État versera à M. B la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A B et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l’audience du 18 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Perdu, présidente,

M. Rousseau, premier conseiller.

Mme Portès, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2023.

La rapporteure,

Signé

E. PORTES

La présidente,

Signé

S. PERDU La greffière,

Signé

P. SANTERRE

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition :

La greffière,

D. LECUIX

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