Tribunal administratif de Rennes, 6ème chambre, 12 octobre 2023, n° 2101641

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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louislefoyerdecostil.fr · 20 octobre 2023

Un agent public peut il engager la responsabilité de l'administration quand cette dernière n'a pas procédé aux entretiens professionnels? Le tribunal administratif de Rennes répond par l'affirmative. L'affaire portait sur un adjoint technique, affecté au poste chauffeur du président de l'université de Rennes 1, qui n'avait pas été évalué pendant 4 années consécutives. Le juge rappelle l'article 55 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat selon lequel » Par dérogation à l'article 17 du titre Ier du statut général, …

 
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Sur la décision

Référence :
TA Rennes, 6e ch., 12 oct. 2023, n° 2101641
Juridiction : Tribunal administratif de Rennes
Numéro : 2101641
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 13 octobre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un mémoire complémentaire, enregistrés le 29 mars 2021, le 21 mars 2023 et le 18 avril 2023, M. B A, représenté par

Me Lusteau, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le président de l’université de Rennes 1 a implicitement rejeté sa demande du 7 décembre 2020 tendant au paiement d’une somme correspondant à 1 701 heures supplémentaires effectuées et à 54 jours de congé non pris, ainsi qu’à la reconstitution de sa carrière ;

2°) de condamner l’université de Rennes 1 à lui verser une somme de 22 158,93 euros

au titre des heures supplémentaires effectuées pour les années 2014 à 2019, une somme de

4 050 euros au titre des jours de congé non pris, une somme de 805 euros au titre des frais de mission et une somme de 10 000 euros au titre de ses préjudices moral et matériel en raison de la perte de chance de l’évolution de sa carrière, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) d’enjoindre à l’université de Rennes 1 de reconstituer sa carrière par un avancement de grade et d’échelon, sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l’université de Rennes 1 la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— il établit à l’appui d’éléments suffisamment précis avoir effectué des heures supplémentaires pour lesquelles, en méconnaissance des dispositions de l’article 33 de la loi

n° 84-16 du 11 janvier 1984, des articles 1er, 2, 3 et 4 du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 et du décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002, il n’a pas perçu de rémunération ;

— il appartenait à son supérieur hiérarchique direct, qui avait communication de son emploi du temps et ne pouvait ignorer le nombre d’heures effectuées, de prévenir l’apparition d’une surcharge de travail et de réguler son activité, la direction des ressources humaines ne l’ayant pas davantage assisté dans ses démarches afin d’assurer le contrôle des heures effectuées par celui-ci alors qu’il est malentendant et illettré ;

— les congés des années 2014/2015, 2015/2016 et 2017/2018 n’ont pas été inscrits sur le compte épargne-temps de l’agent, en méconnaissance des dispositions des articles 1er, 6 et 6-2 du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 et de l’article 4 de l’arrêté du 28 août 2009 pris pour l’application du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 ;

— il n’a pas reçu d’assistance afin d’alimenter son compte-épargne temps, ni obtenu de rendez-vous avec son supérieur hiérarchique direct à cette fin ;

— aucun ordre de mission ne lui a été notifié pour la période de 2014 à 2018, en méconnaissance du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006, alors que, par ses missions, ce dernier effectuait régulièrement des déplacements professionnels ;

— l’absence de suivi des heures de travail réalisées, l’absence d’entretien professionnel, l’absence de rendez-vous avec sa direction et ses supérieurs hiérarchiques constituent un manquement grave aux obligations en matière de gestion des ressources humaines qui a entraîné l’absence de prise en compte de ses heures supplémentaires, l’impossibilité de poser ses congés sur son compte épargne-temps et l’absence de remboursement de ses frais de mission ;

— il n’a fait l’objet d’aucun entretien professionnel avec son supérieur hiérarchique depuis l’année 2013, nonobstant ses demandes réitérées en ce sens, sa carrière, le paiement de ses heures supplémentaires et les congés non pris à déposer sur son compte épargne-temps n’ayant pu être évoqués à cette occasion, ce qui l’a pénalisé dans le cadre de ses avancements et promotions, l’a ainsi privé des garanties qui sont attachées à cet entretien imposé par le décret n° 2010-888 du

28 juillet 2010 et constitue dès lors une faute dans la gestion de sa carrière ;

— il a engagé une procédure de médiation afin d’obtenir le paiement de ses heures supplémentaires qui, conformément aux dispositions de l’article L. 213-6 du code de justice administrative et indépendamment de son caractère non juridictionnel, a suspendu les délais de prescription, de sorte que la prescription n’est acquise à l’égard d’aucune des créances dont le paiement est demandé, le préjudice subi ne résultant pas par ailleurs de l’absence d’évaluation professionnelle mais étant lié à l’absence de réponse du supérieur hiérarchique aux éléments qui lui ont été communiqués ainsi qu’à l’absence d’échange avec son supérieur hiérarchique pendant plusieurs années ;

— les fautes commises dans la gestion de sa carrière lui ont fait perdre une chance d’obtenir un avancement de grade et d’échelon et un salaire plus élevé, ce qui constitue un préjudice indemnisable et doit en outre être réparé par la reconstitution de sa carrière ;

— il a subi un préjudice moral correspondant à la souffrance résultant de cette situation après une longue carrière au sein de l’université de Rennes 1 ;

— la demande d’injonction de reconstitution de sa carrière est recevable, celle-ci n’ayant pas été formulée à titre principal dès lors qu’elle est accessoire à la demande de réparation du préjudice résultant de la faute commise par l’université de Rennes 1 dans la gestion de sa carrière.

Par un mémoire en défense, un mémoire récapitulatif et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 novembre 2022, 12 avril 2023 et 19 juillet 2023, l’université de Rennes 1, représentée par la société d’avocats Ares, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. A la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

— les carences de M. A dans la transmission de son décompte déclaratif dans les délais prescrits ont empêché l’université d’assurer le contrôle des heures réellement effectuées par l’agent, auquel il a été rappelé que ses congés devaient faire l’objet d’une demande préalable pour être ainsi acceptés ;

— la décision portant reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé n’a été transmise à l’université que le 15 janvier 2021 et les demandes simples formulées à M. A ne constituent pas un langage difficilement compréhensible pour celui-ci, l’université ayant par ailleurs tenu compte des difficultés que M. A en lui versant les sommes correspondant à

100 heures supplémentaires au titre de l’année 2015 et 100 heures supplémentaires au titre de l’année 2016 ainsi que la prise en compte du solde des congés de l’année 2016 pour l’alimentation des congés de l’année 2017 ;

— M. A ne peut solliciter concomitamment le paiement des sommes correspondant aux heures supplémentaires qu’il estime avoir réalisées et l’indemnisation de 54 jours de congés, les heures supplémentaires dont il se prévaut n’ont pas été validées, celui-ci ne démontre pas qu’il n’aurait pas été en mesure de poser ses jours de congés et il n’a pas fait le nécessaire pour alimenter son compte épargne-temps à la fin de chaque année civile alors qu’il lui a été rappelé à plusieurs reprises que cette formalité s’imposait ;

— le requérant n’établit pas qu’il aurait pu prétendre à des indemnités correspondant à des frais de mission ;

— l’ensemble des créances dont M. A sollicite le paiement est prescrit, dès lors que les préjudices allégués doivent être rattachées, dans la mesure où ils s’y rapportent, à chacune des années au cours desquelles ils ont été subis, et que la médiation n’a pas suspendu les délais de prescription, le médiateur de l’université n’ayant été saisi qu’en ce qui concerne les heures supplémentaires et les congés et les dispositions du code de justice administrative ne trouvant pas à s’appliquer à une procédure de médiation non juridictionnelle interne à l’université ;

— les préjudices allégués ne sont pas établis et ne sont pas suffisamment détaillés ;

— M. A ne peut demander simultanément qu’il soit enjoint de reconstituer sa carrière et que soit réparée sa perte de chance d’évolution de sa carrière ;

— la demande de M. A tendant à ce qu’il soit enjoint à l’université de Rennes 1 de reconstituer sa carrière est irrecevable, dès lors qu’elle constitue une demande d’injonction à titre principal ;

— la demande de reconstitution de carrière n’est pas fondée en l’absence de droit acquis à un avancement de grade, M. A ne justifiant pas qu’il remplissait les conditions lui permettant d’être promu à un grade supérieur ;

— l’astreinte n’est pas justifiée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

— la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

— la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

— le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

— le décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002 ;

— le décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 ;

— le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ;

— le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;

— l’arrêté du 28 août 2009 pris pour l’application du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 modifié portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature.

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Descombes,

— les conclusions de M. Moulinier, rapporteur public.

— et les observations de Me Lusteau, représentant M. A et Me Marie pour l’université de Rennes 1.

Considérant ce qui suit :

1. M. B A, placé en position de détachement auprès de l’université de Rennes le 1er septembre 2005, a été nommé adjoint technique de recherche et de formation de

2ème classe à l’université de Rennes 1 le 4 mai 2007 et a été intégré le 1er septembre 2007.

De l’année 2011 à l’année 2020, il a occupé le poste de chauffeur du président de l’université de Rennes 1, puis a été réaffecté à la direction de l’immobilier et de la logistique de cette université à compter du 1er octobre 2020 au poste d’opérateur polyvalent de site. A la suite d’une médiation restée infructueuse, M. A a, par un courrier recommandé du 7 décembre 2020 dont il a été accusé réception le 9 décembre 2020, demandé au président de l’université de Rennes 1 de lui verser les sommes correspondantes aux 1 701 heures supplémentaires effectuées depuis l’année 2014 et aux 54 jours de congés non pris et a en outre sollicité la reconstitution de sa carrière

en raison de l’absence d’entretien professionnel depuis l’entretien réalisé pour l’année 2013.

M. A demande au tribunal d’annuler la décision par laquelle le président de l’université de Rennes 1 a implicitement rejeté cette demande, de condamner l’université Rennes 1 à lui verser une somme de 22 158, 93 euros au titre des heures supplémentaires réellement effectuées pour les années 2014 à 2019, une somme de 4 050 euros au titre des jours de congés non pris, une somme de 805 euros au titre des frais de mission et une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral et de son préjudice matériel en raison de la perte de chance de l’évolution de sa carrière et d’enjoindre à l’université de Rennes 1 de reconstituer sa carrière par un avancement de grade et d’échelon.

Sur le cadre du litige :

2. Lorsque sont présentées dans la même instance des conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision et des conclusions relevant du plein contentieux tendant au versement d’une indemnité pour réparation du préjudice causé par l’illégalité fautive que le requérant estime constituée par cette même décision, cette circonstance n’a pas pour effet de donner à l’ensemble des conclusions le caractère d’une demande de plein contentieux. Toutefois, s’il ressort, d’une part, des pièces du dossier et des motifs de la requête que M. A conteste la décision ayant implicitement rejeté son recours gracieux formé le 7 décembre 2020 notamment en tant qu’elle a refusé de reconstituer sa carrière et, d’autre part, des termes-mêmes du dispositif de la requête qu’il sollicite l’annulation de cette décision, M. A a intitulé le corps de sa requête introductive d’instance « recours de plein contentieux » et ne soulève aucun moyen tenant à un vice propre dont serait entachée la décision qu’il conteste, laquelle a eu pour seul effet de lier le contentieux à l’égard de l’objet de sa demande. Par suite, en formulant les conclusions analysées ci-dessus, M. A a donné à l’ensemble de sa requête le caractère d’un recours de plein contentieux.

Sur les conclusions indemnitaires :

S’agissant de l’exception de prescription :

3. Aux termes de l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics : « Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ». Aux termes de l’article 2 de la même loi : « La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l’administration saisie n’est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. () Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l’interruption () ». L’article 2-1 de la même loi dispose que : « La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou, à défaut d’accord écrit, à compter de la première réunion de médiation. / La suspension de la prescription ne peut excéder une durée de six mois. / Les délais de prescription courent à nouveau, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l’une au moins des parties, soit le médiateur déclare que la médiation est terminée. / Le présent article ne s’applique qu’aux médiations intervenant selon les modalités définies au chapitre III du titre Ier du livre II du code de justice administrative ». L’article 3 de la même loi dispose que : « La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l’intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance ou de la créance de celui qu’il représente légalement ». Aux termes de l’article

D. 222-37 du code de l’éducation : « Un et de l’enseignement supérieur, des médiateurs académiques et leurs correspondants reçoivent les réclamations concernant le fonctionnement du service public de l’éducation dans ses relations avec les usagers et ses agents ».

4. Pour faire échec à l’exception de prescription invoquée par le ministre, M. A n’est pas fondé à soutenir que l’engagement de pourparlers avec l’administration en vue de

parvenir à un accord amiable par le biais du médiateur de l’université aurait suspendu le cours

de la prescription, la suspension de celle-ci étant régie par le seul article 2-1 de la loi du

31 décembre 1968.

5. Il résulte que suite à sa demande indemnitaire préalable en date du 7 décembre 2020, les faits étaient prescrits concernant les demandes de M. A relatives à des faits survenus antérieurement à l’année 2016.

S’agissant de l’absence de paiement d’heures supplémentaires, de frais de transport et d’indemnités de mission :

6. D’une part, aux termes de l’article 2 du décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002 relatif aux indemnités horaires pour travaux supplémentaires : " I. – 1° Les indemnités horaires pour travaux supplémentaires peuvent être versées, dès lors qu’ils exercent des fonctions ou appartiennent à des corps, grades ou emplois dont les missions impliquent la réalisation effective d’heures supplémentaires, aux fonctionnaires de catégorie C et aux fonctionnaires de catégorie B. 2° Le versement des indemnités horaires pour travaux supplémentaires à ces fonctionnaires est subordonné à la mise en œuvre par leur employeur de moyens de contrôle automatisé permettant de comptabiliser de façon exacte les heures supplémentaires qu’ils auront accomplies. S’agissant des personnels exerçant leur activité hors de leurs locaux de rattachement, un décompte déclaratif contrôlable peut remplacer le dispositif de contrôle automatisé [] « . Aux termes de l’article 4 de ce décret : » Pour l’application du présent décret et conformément aux dispositions du décret du 25 août 2000 susvisé, sont considérées comme heures supplémentaires les heures effectuées à la demande du chef de service dès qu’il y a dépassement des bornes horaires définies par le cycle de travail [] ". Il résulte de ces dispositions que les indemnités horaires pour travaux supplémentaires peuvent être versées, dès lors qu’ils exercent des fonctions ou appartiennent

à des corps, grades ou emplois dont les missions impliquent la réalisation effective

d’heures supplémentaires, aux fonctionnaires de catégorie C et aux fonctionnaires de catégorie B. Le versement des indemnités horaires pour travaux supplémentaires à ces fonctionnaires est subordonné, s’agissant des personnels exerçant leur activité hors de leurs locaux de rattachement, à la réalisation d’un décompte déclaratif contrôlable, qui peut remplacer le dispositif de contrôle automatisé.

7. En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient à l’agent d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires qu’il estime avoir réalisés. Sur la base de ces éléments, l’employeur doit répondre en fournissant les informations dont il dispose de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

8. D’autre part, aux termes de l’article 2 du décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’Etat : " Pour l’application du présent décret, sont considérés comme : / 1° Agent en mission : agent en service, muni d’un ordre de mission pour une durée totale qui ne peut excéder douze mois, qui se déplace, pour l’exécution du service, hors de sa résidence administrative et hors de sa résidence familiale [] ". Aux termes de l’article 3 de ce décret :

«  Lorsque l’agent se déplace pour les besoins du service à l’occasion d’une mission, d’une tournée ou d’un intérim, il peut prétendre, sous réserve de pouvoir justifier du paiement auprès du seul ordonnateur : / -à la prise en charge de ses frais de transport ; / -à des indemnités de mission qui ouvrent droit, cumulativement ou séparément, selon les cas, au remboursement forfaitaire des frais supplémentaires de repas, au remboursement forfaitaire des frais et taxes d’hébergement et, pour l’étranger et l’outre-mer, des frais divers directement liés au déplacement temporaire de l’agent ".

9. Il résulte de l’instruction que M. A, fonctionnaire de catégorie C, était affecté sur le poste de chauffeur du président de l’université et exerçait ainsi son activité hors de ses locaux de rattachement, un décompte déclaratif contrôlable pouvant dès lors remplacer le dispositif de contrôle automatisé. Il soutient avoir effectué 1 701 heures supplémentaires impayées de l’année 2014 à l’année 2019 et produit à l’appui de ses allégations ses déclarations mensuelles d’heures supplémentaires ainsi que son planning individuel établi sur le logiciel utilisé par l’université.

Si cette dernière soutient que les carences de M. A dans la transmission de son décompte déclaratif dans les délais prescrits ont empêché l’université d’assurer le contrôle des heures réellement effectuées par l’agent auquel il a été rappelé que ses congés devaient faire l’objet d’une demande préalable pour être ainsi acceptés, il résulte de l’instruction que, malgré les réclamations en ce sens du requérant, l’université n’a pas mis en œuvre de mesure d’accompagnement de cet agent de nature à lui permettre de déclarer utilement ses heures supplémentaires, dont l’université ne conteste pas que certaines ont été effectivement réalisées notamment pour les années antérieures à 2016. Toutefois, en se bornant à produire des relevés d’heures supplémentaires qui n’ont été ni contrôlés ni validés par l’administration, ainsi que des plannings individuels provisionnels, dont il n’est pas justifié que les missions ainsi programmées ont effectivement été réalisées, M. A n’établit pas la réalité des heures supplémentaires qu’il revendique au-delà des 100 heures supplémentaires admisses par l’Université au titre de l’année 2016. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions précitées ne font pas obligation à l’université de délivrer un ordre de mission à l’agent effectuant des déplacements dans le cadre de son activité. Par suite, il n’est pas fondé à soutenir que l’université de Rennes 1 a commis une faute en n’établissant pas un ordre de mission pour les déplacements effectués de 2016 à 2019 et en refusant d’indemniser les frais occasionnés par ces déplacements. Ses demandes à ce titre doivent donc être rejetées.

S’agissant de l’absence de paiement des jours de congé non pris :

10. Aux termes de l’article 1er du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature : « Il est institué dans la fonction publique de l’Etat un compte épargne-temps. / Ce compte est ouvert à la demande de l’agent, qui est informé annuellement des droits épargnés et consommés. / Les droits à congé accumulés sur ce compte sont utilisés conformément aux dispositions des articles 5 et 6 ». Aux termes de l’article 3 de ce décret : « Le compte épargne-temps est alimenté par le report de jours de réduction du temps de travail et par le report de congés annuels, tels que prévus par le décret du 26 octobre 1984 susvisé, sans que le nombre de jours de congés pris dans l’année puisse être inférieur à 20 ». Aux termes de l’article 5 de ce décret : " Lorsque, au terme de chaque année civile, le nombre de jours inscrits sur le compte épargne-temps est inférieur ou égal à un seuil, fixé par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, qui ne saurait être supérieur à vingt jours,

l’agent ne peut utiliser les droits ainsi épargnés que sous forme de congés, pris dans les conditions mentionnées à l’article 3 du décret du 26 octobre 1984 susvisé « . L’article 6 du même décret prévoit que : » Lorsque, au terme de chaque année civile, le nombre de jours inscrits sur le compte épargne-temps est supérieur au seuil mentionné à l’article 5 : / I. – Les jours ainsi épargnés n’excédant pas ce seuil ne peuvent être utilisés par l’agent que sous forme de congés, pris dans les conditions mentionnées à l’article 3 du décret du 26 octobre 1984 susvisé. / II. – Les jours ainsi épargnés excédant ce seuil donnent lieu à une option exercée au plus tard le 31 janvier de l’année suivante : / 1° L’agent titulaire mentionné à l’article 2 ou le magistrat mentionné à l’article 2 bis opte dans les proportions qu’il souhaite : / [] b) Pour une indemnisation dans les conditions définies à l’article 6-2 « . L’article 6-2 de ce décret dispose que : » Chaque jour mentionné au b du 1° et au a du 2° du II de l’article 6 est indemnisé à hauteur d’un montant forfaitaire par catégorie statutaire fixé par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget ". En vertu de l’article 1er de l’arrêté du 28 août 2009 pris pour l’application du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 modifié portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature :

« Le seuil mentionné aux articles 5 et 6 du décret du 29 avril 2002 susvisé est fixé à 15 jours ».

Il résulte de ces dispositions, d’une part, que seuls peuvent être versés sur le compte épargne-temps les jours de congés excédant le seuil des vingt jours de congés payés pris au cours de l’année et, d’autre part, que seuls les jours inscrits sur le compte épargne-temps excédant le seuil minimal de 15 jours peuvent, si l’agent en fait le choix au plus tard le 31 janvier de l’année suivante, être indemnisés, les 15 premiers jours ne pouvant être pris que sous forme de congés.

11. En l’espèce, M. A n’établit pas, d’une part, qu’il a pris les vingt jours de congés payés au cours de chaque année civile, au-delà desquels pouvaient être inscrits des jours de congés sur le compte épargne-temps, ni, d’autre part qu’il a fait le choix d’une indemnisation au plus tard le 31 janvier de l’année suivant les jours de congés non pris, dont il n’établit pas davantage la réalité. Au demeurant, il ne démontre pas que ses jours de congés n’ont pas été déposés dans le compte épargne-temps pour la période contestée, et qu’il était dans l’impossibilité de prendre des jours de congés. De même, en se bornant à produire des relevés de congés non pris qui n’ont été ni contrôlés ni validés par l’administration, M. A n’établit pas la réalité des congés non pris qu’il revendique au-delà de la prise en compte du solde de ses congés de l’année 2016 par l’université au titre de l’année 2016, ainsi que pour l’alimentation des congés de l’année en cours 2017. Par suite, il n’est pas fondé à soutenir que l’université aurait commis une faute en refusant d’alimenter le compte-épargne temps et en refusant d’indemniser les jours de congé non pris.

S’agissant de l’absence d’entretien professionnel :

En ce qui concerne la responsabilité :

12. Aux termes de l’article 17 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au litige : « Les notes et appréciations générales attribuées aux fonctionnaires et exprimant leur valeur professionnelle leur sont communiquées. / Les statuts particuliers peuvent ne pas prévoir de système de notation ». Aux termes de l’article 55 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat : " Par dérogation à l’article 17 du titre Ier du statut général, l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct. / Toutefois, les statuts

particuliers peuvent prévoir le maintien d’un système de notation. / A la demande de l’intéressé, la commission administrative paritaire peut demander la révision du compte rendu de l’entretien professionnel ou de la notation. / Un décret en Conseil d’Etat fixe les modalités d’application du présent article « . L’article 2 du décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’Etat : » Le fonctionnaire bénéficie chaque année d’un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. / Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct [] ". En l’espèce, il est constant que M. A n’a pas fait l’objet d’entretiens professionnels avec son supérieur hiérarchique pour les années 2014 à 2019, alors même qu’il en a fait la demande à plusieurs reprises. Par suite, il est fondé à soutenir que l’université de Rennes 1 a commis une faute dans la gestion de sa carrière de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices :

13. M. A n’établit ni n’allègue avoir sollicité, auprès de sa hiérarchie, un souhait d’avancement, qui ne constitue par ailleurs pas un droit acquis pour un agent public. Alors qu’il est constant qu’il a bénéficié d’un changement d’échelon au cours de cette période, le préjudice matériel allégué par M. A n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier la réalité, le requérant n’établissant pas davantage le caractère sérieux de la perte de chance de l’évolution de sa carrière.

14. En revanche, M A est fondé à demander l’indemnisation de son préjudice moral résultant de la faute qu’a commise l’université en ne procédant pas à des entretiens professionnels annuels pour les années 2016 à 2019. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l’évaluant à 3 000 euros.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

15. Le présent jugement, qui rejette les prétentions du requérant tendant à l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance alléguée de l’évolution de sa carrière, n’implique aucune mesure d’exécution. Par suite, les conclusions à fin d’injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’université de Rennes 1 la somme de

1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L’université de Rennes 1 est condamnée à verser à M. A la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral résultant de la faute qu’a commise l’université en ne procédant pas à des entretiens professionnels annuels pour les années 2016 à 2019.

Article 2 : L’université de Rennes 1 versa la somme de 1 500 euros à M. A au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par l’université de Rennes 1 sur le fondement de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A et à l’université de Rennes 1.

Délibéré après l’audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Descombes, président,

M. Leroux, premier conseiller,

Mme Tourre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé

G. Descombes

L’assesseur le plus ancien

Signé

P. Leroux

Le greffier,

Signé

J.-M. Riaud

La République mande et ordonne à la ministre de l’enseignement et de la recherche, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Tribunal administratif de Rennes, 6ème chambre, 12 octobre 2023, n° 2101641