Tribunal administratif de Rouen, Juge unique, 30 décembre 2022, n° 2205084

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Sur la décision

Référence :
TA Rouen, juge unique, 30 déc. 2022, n° 2205084
Juridiction : Tribunal administratif de Rouen
Numéro : 2205084
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu les procédures suivantes :

I. Par une requête enregistrée le 19 décembre 2022, sous le n°2205083, Mme E C, représentée par Me Elatrassi-Diome, demande au tribunal :

1°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) d’annuler l’arrêté du 1er décembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l’examen de sa demande de protection internationale ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d’asile, dans un délai de 15 jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’alinéa 2 de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu’il renonce à percevoir la part contributive de l’Etat versée au titre de l’aide juridictionnelle, à titre subsidiaire, à verser la somme de 1 500 euros à Mme C.

Mme C soutient que :

— l’arrêté contesté est insuffisamment motivé ;

— il a été pris au terme d’une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

— il a été pris au terme d’une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l’article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que l’entretien n’a été mené ni dans des conditions en garantissant la confidentialité, ni par une personne qualifiée en vertu du droit national ;

— il a été pris au terme d’une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l’article 5.6 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu’aucune copie de l’entretien ne lui a été remise ;

— il est entaché d’un défaut d’examen sérieux et approfondi de sa situation ;

— il méconnait les dispositions de l’article de l’article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et les dispositions de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dès lors que les défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Italie entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant, et que ces circonstances justifient que sa demande de protection internationale soit examinée par la France ;

— il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de la clause discrétionnaire mentionnée à l’article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et méconnait les dispositions de l’article 3-1 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et ;

— il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de la clause discrétionnaire mentionnée à l’article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et méconnait les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ainsi que les dispositions de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 53-1 de la Constitution ;

— il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation des conséquences de la décision attaquée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2022, le préfet de la

Seine-Maritime, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme C ne sont pas fondés.

II. Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2022, sous le n°2205084, M. B C, représenté par Me Elatrassi-Diome, demande au tribunal :

1°) de l’admettre au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) d’annuler l’arrêté du 1er décembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l’examen de sa demande de protection internationale ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d’asile, dans un délai de 15 jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’alinéa 2 de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu’il renonce à percevoir la part contributive de l’Etat versée au titre de l’aide juridictionnelle, à titre subsidiaire, à verser la somme de 1 500 euros à M. C.

M. C soutient que :

— l’arrêté contesté est insuffisamment motivé ;

— il a été pris au terme d’une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

— il a été pris au terme d’une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l’article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que l’entretien n’a été mené ni dans des conditions en garantissant la confidentialité, ni par une personne qualifiée en vertu du droit national ;

—  il a été pris au terme d’une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l’article 5.6 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu’aucune copie de l’entretien ne lui a été remise ;

— il est entaché d’un défaut d’examen sérieux et approfondi de sa situation ;

— il méconnait les dispositions de l’article de l’article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et les dispositions de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dès lors que les défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs en Italie entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant, et que ces circonstances justifient que sa demande de protection internationale soit examinée par la France ;

— il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de la clause discrétionnaire mentionnée à l’article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et méconnait les dispositions de l’article 3-1 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et ;

— il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de la clause discrétionnaire mentionnée à l’article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et méconnait les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ainsi que les dispositions de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 53-1 de la Constitution ;

— il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation des conséquences de la décision attaquée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2022, le préfet de la

Seine-Maritime, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

— la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la convention relative aux droits de l’enfant ;

— la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

— le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié ;

— le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

— le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

— la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

— le code de justice administrative.

Le président du Tribunal administratif de Rouen a désigné Mme A comme juge du contentieux des mesures d’éloignement des étrangers visées aux chapitres VI, VII, VII bis, VII ter et VII quater du titre VII du livre VII de la partie réglementaire du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir, au cours de l’audience publique du 26 décembre 2022, présenté son rapport et entendu les observations orales :

— de Me Elatrassi-Diome, représentant M. et Mme C, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens que dans ses écritures et que fait valoir en outre que leurs enfants ont tous deux des problèmes respiratoires, que M. C fait l’objet d’un dépistage antituberculeux, qu’ils n’ont eu accès à aucun traitement en Italie où ils n’ont pas eu accès à un logement.

— et de M. et Mme C, assistés de Mme D qui font état des problèmes de santé de l’ensemble des membres de leur famille.

Le préfet n’étant ni présent ni représenté.

La clôture de l’instruction est intervenue à l’issue de l’audience, en application de l’article R. 776-26 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E C , ressortissante nigériane, est, selon ses dires, entrée sur le territoire français en 9 octobre 2022 avec son époux et leur deux enfants. Elle s’est présentée à la préfecture de la Seine-Maritime afin d’y déposer une demande d’asile le 27 octobre 2022. Les contrôles effectués sur la borne Eurodac ont révélé qu’elle a été identifiée comme demandeur d’asile en Italie le 2 octobre 2017. Par arrêté du 1er décembre 2022, dont Mme C demande l’annulation dans le cadre de la requête n°2205083, le préfet de la Seine-Maritime a pris à son encontre une décision portant transfert aux autorités italiennes.

2. M. B C, ressortissant nigérian, est, selon ses dires, entré sur le territoire français en 9 octobre 2022, avec son épouse, Mme C et leurs deux enfants. Il s’est présenté à la préfecture de la Seine-Maritime afin d’y déposer une demande d’asile le 27 octobre 2022. Les contrôles effectués sur la borne Eurodac ont révélé qu’il a été identifié comme demandeur d’asile en Italie le 2 octobre 2017. Par arrêté du 1er décembre 2022, dont M. C demande l’annulation dans le cadre de la requête n°2205084, le préfet de la Seine-Maritime a pris à son encontre une décision portant transfert aux autorités italiennes.

Sur la jonction :

3. Les requêtes n° 2205083 et n° 2205084, qui concernent la situation administrative d’un couple de ressortissants étrangers, présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un même jugement.

Sur l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle :

4. Aux termes de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : « Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’application des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ».

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’admettre les requérants au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire, dans les instances n° 2205083 et n° 2205084, en application des dispositions mentionnées au point précédent.

6. Aux termes de l’article 38 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée : « La contribution versée par l’Etat est réduite, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat, lorsqu’un avocat ou un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation est chargé d’une série d’affaires présentant à juger des questions semblables ». Aux termes de l’article 92 du décret du 28 décembre 2020 susvisé : « La part contributive versée par l’Etat à l’avocat, ou à l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, choisi ou désigné pour assister plusieurs personnes dans une procédure reposant sur les mêmes faits en matière pénale ou dans un litige reposant sur les mêmes faits et comportant des prétentions ayant un objet similaire dans les autres matières est réduite par le juge de 30 % pour la deuxième affaire, de 40 % pour la troisième, de 50 % pour la quatrième et de 60 % pour la cinquième et s’il y a lieu pour les affaires supplémentaires ».

7. Dès lors que, ainsi qu’il a été dit aux points 1 à 3, les requêtes n° 2205083 et n° 2205084 concernent la situation administrative d’un couple de ressortissants étrangers qui, assistés d’un même avocat, conduisent à trancher des questions semblables, la part contributive de l’Etat sera réduite de 30 % dans l’instance n° 2205084 en application des dispositions précitées.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne les moyens communs aux deux arrêtés attaqués :

8. En premier lieu, en application de l’article L. 572-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la décision de transfert dont fait l’objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d’asile dont l’examen relève d’un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c’est-à-dire qu’elle doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

9. Pour l’application de ces dispositions, et de celles des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l’administration, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l’indication des éléments de fait sur lesquels l’autorité administrative se fonde pour estimer que l’examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d’un autre État membre, une telle motivation permettant d’identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

10. Les arrêtés litigieux visent les textes dont ils font application, en particulier le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces arrêtés font état des conditions d’entrée sur le territoire français et des demandes de protection internationale de M. et Mme C, ainsi que des éléments pris en compte par le préfet de la Seine-Maritime pour établir que les intéressés avaient antérieurement présenté deux demandes de protection internationale en Italie. En outre, chaque arrêté précise les conditions dans lesquelles les autorités italiennes ont accepté les requêtes des autorités françaises aux fins de reprise en charge de M. et Mme C. Enfin, il ressort des termes des arrêtés que le préfet de la Seine-Maritime a pris sa décision après avoir examiné les demandes de M. et Mme C au regard des dispositions du paragraphe 2 de l’article 3 du règlement (UE) n° 604/2013, de celles de l’article 17 du même règlement et de celles des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

11. Dès lors, les arrêtés litigieux mentionnent les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions attaquées et permettent ainsi aux intéressés d’en contester utilement le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisante motivation ne peut qu’être écarté dans les deux requêtes.

12. En deuxième lieu, il résulte de l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d’asile auquel l’administration entend faire application des dispositions du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu’il est susceptible d’entrer dans le champ d’application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l’autorité administrative décide de le remettre aux autorités responsables de l’examen de sa demande d’asile, une information complète sur ses droits et les modalités d’application du règlement, par écrit et dans une langue qu’il comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend. Cette information doit comporter l’ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de ce même article 4 et constitue une garantie pour le demandeur d’asile.

13. Un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé l’intéressé d’une garantie. La délivrance par l’autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d’asile une garantie, il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l’omission ou de l’insuffisance d’une telle information à l’appui de conclusions dirigées contre un refus d’admission au séjour ou une décision de reprise, d’apprécier si l’intéressé a été, en l’espèce, privé de cette garantie.

14. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l’une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l’abstention de l’une des parties à produire les éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter et qui ne sauraient être réclamés qu’à elle-même, d’apprécier si l’administration a satisfait à l’obligation qui lui incombe en application des dispositions précitées. Dans un premier temps, seul le préfet est en mesure d’apporter des éléments relatifs à la délivrance d’une information écrite au demandeur.

15. Il ressort des pièces des dossiers que M. et Mme C, ressortissants nigérians, se sont vus remettre le 27 octobre 2022, les brochures A et B relatives à la détermination de l’État responsable de sa demande d’asile et à l’organisation de la « procédure Dublin » rédigées en langue anglaise, à leurs demandes, contenant les éléments d’information exigés par les dispositions de l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les documents d’information évoqués ayant par ailleurs été remis aux requérants le jour de leurs entretiens prévus par l’article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, soit en temps utile pour leur permettre de faire valoir ses observations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 4 de ce règlement doit être écarté dans les deux requêtes.

16. En troisième lieu, aux termes de l’article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : « 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l’article 4. () 4. L’entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d’assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l’entretien individuel. 5. L’entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L’État membre qui mène l’entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l’entretien. Ce résumé peut prendre la forme d’un rapport ou d’un formulaire type. L’État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ».

17. Il ressort des pièces des dossiers que M. et Mme C ont bénéficié chacun le 27 octobre 2022 d’un entretien individuel et confidentiel qui se sont tenus par le biais d’un interprète en langue anglaise. Il n’est pas sérieusement contesté que les intéressés ont bien été reçus, lors de ces entretiens, par un agent de la préfecture, lequel doit être regardé, en l’absence notamment de tout élément permettant de supposer un défaut de formation ou d’accès à une information suffisante, comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener ces entretiens. M. et Mme C ont déclaré, à cette occasion, avoir compris la procédure engagée à leur encontre. Enfin, si les requérants soutiennent que les résumés de ces entretiens ne leur ont pas été remis, il n’est ni établi ni même allégué que les intéressés ou leur conseil aient sollicité la communication de ces résumés, aucune disposition du règlement (UE) n° 604/2013 n’imposant que ces documents, qui, en l’espèce, ont été communiqués par le préfet à l’appui de ses mémoires en défense, soient remis spontanément par l’administration au demandeur d’asile. Les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 5 du règlement européen n° 604/2013 doivent donc être écartés pour les deux requêtes.

18. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces des dossier, ni des termes des décisions attaquées qui font état de la situation administrative et familiale des requérants, que les situations personnelles de M. et Mme C n’auraient pas fait l’objet d’un examen attentif avant l’édiction des arrêtés attaqués.

19. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l’article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : « () Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. ». Aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » et aux termes de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ».

20. L’Italie étant membre de l’Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu’à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l’administration d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.

21. D’une part, si M. et Mme C soutiennent qu’il existe une incapacité des institutions italiennes à traiter les demandeurs d’asile dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le droit d’asile, ils n’établissent pas, par les seules pièces qu’ils produisent, que la situation générale qui y règne, ni que l’organisation mise en place par les autorités ne permettraient pas d’assurer, à la date à laquelle les arrêtés en litige ont été pris, un niveau de protection suffisant aux demandeurs d’asile. Il ne ressort pas davantage des seules pièces des dossiers que les demandes d’asile de M. et Mme C ne seraient pas traitées par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Enfin, il ne ressort pas des pièces des dossiers que les intéressées et leurs deux enfants dont ils ont la charge, ne seraient pas prises en charge par les autorités italiennes.

22. D’autre part, M. et Mme C évoquent des craintes en cas de retour au Nigéria, notamment du fait que leur fille risque d’y subir une excision. Toutefois, les décisions attaquées n’ont ni pour objet ni pour effet d’éloigner M. et Mme C vers le Nigéria, mais seulement de prononcer son transfert aux autorités italiennes chargées de l’examen de sa demande de protection internationale. Si, comme le soutiennent M. et Mme C, leur demande d’asile a été définitivement rejetée par les autorités italiennes, il ne ressort d’aucune des pièces des dossiers que les intéressés ne seraient pas en mesure de faire valoir devant ces mêmes autorités, responsables de l’examen de sa demande d’asile, tout élément nouveau relatif aux risques auquel il serait exposé en cas de retour dans son pays d’origine et résultant de l’évolution de sa situation personnelle ou de la situation qui prévaut dans son pays d’origine.

23. Par suite, les moyens tirés de ce que les arrêtés en litige auraient été pris en violation des dispositions du paragraphe du 2 de l’article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doivent être écartés dans les deux requêtes.

24. En sixième lieu, d’une part, aux termes de l’article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement () ; 2. L’État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l’Etat membre responsable, ou l’Etat membre responsable peut à tout moment, avant qu’une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. () « . La mise en œuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l’article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l’article 53-1 de la Constitution, selon lequel : » les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Il en résulte que la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d’asile.

25. D’autre part, Aux termes de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant : « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. () ». Aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » et aux termes de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ».

26. Il ressort des pièces des dossiers que les demandes de prise en charge adressées aux autorités italiennes le 15 novembre 2022 font expressément mention des deux enfants mineurs de M. et Mme C, de sorte que l’information relative à ceux-ci a été portée à la connaissance de l’Etat requis, lequel a accepté explicitement la reprise en charge des intéressées. De plus, les arrêtés attaqués font expressément mention de ce que M. et Mme C sont accompagnées de leurs deux enfants mineurs. Enfin, les requérants seraient entrés en France le 9 octobre 2022, soit très récemment, accompagnée de leurs deux enfants, âgés de 4 ans et 19 mois.

27. Pour contester la décision attaquée, les requérants font valoir que leurs deux enfants souffrent de problèmes respiratoires, ayant nécessité, pour la plus jeune, une consultation en urgence dont les requérants ont produit la preuve à l’audience, que M. C souffre d’une hernie et est cours de dépistage antituberculeux, et enfin, que Mme C souffre d’une infection dentaire, ayant déjà fait l’objet d’un suivi pour une opération au cou en Italie. Les requérants versent à l’appui de leurs allégations des ordonnances de prescriptions ainsi que les relevés de différents rendez-vous auprès de la permanence des soins de santé du centre hospitalier universitaire de Rouen ainsi qu’une prescription pour une échographie des parties molles concernant M. C. Toutefois, ces seuls éléments, sans que ne soit remise en cause la circonstance que les intéressés souffrent de divers problèmes de santé, ne permettent toutefois pas de regarder comme établie la circonstance que M. et Mme C ainsi que leurs enfants souffriraient de pathologies nécessitant un traitement médical à bref délai en France. Il ne ressort en tout état de cause d’aucune des pièces du dossier que les intéressés ne pourraient effectivement bénéficier d’une prise en charge médicale adaptée à leur état de santé en Italie, où, au demeurant, Mme C a été opérée du cou. Dans ces conditions, les requérants n’établissent pas que l’exécution des décisions de transfert contestées comporteraient un risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de leurs états de santé et ou celui de leurs enfants, constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant. Par ailleurs, la seule circonstance que l’aîné des enfants soient scolarisés en France depuis le mois de novembre 2022 n’est pas suffisante à elle seule pour établir un lien stable avec la France, sa scolarité pouvant être poursuivie en Italie. Dans ces conditions, nonobstant l’accumulation des problèmes de santé dont la famille des requérants fait l’objet, ces derniers n’établissent pas la réalité et la gravité des risques qu’ils allèguent en Italie. Par suite, les éléments propres aux situations personnelles de M. et Mme C, qui ne justifient en outre d’aucun élément de nature à considérer que les conditions de voyage et d’accueil de leur enfants seraient de nature à entraîner une méconnaissance des textes précités, ne sont pas tels qu’en n’ayant pas fait usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions précitées à l’article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet aurait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation, aurait méconnu l’article 53-1 de la Constitution, les articles 3 et 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’ article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant. Ces moyens doivent, dès lors, être écartés en toutes leurs branches, dans le cadre des deux requêtes.

28. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 21, 22 et 27, M. et Mme C ne sont pas fondés à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime a commis une erreur manifeste d’appréciation quant aux conséquences des décisions attaquées sur chacune de leur situation personnelle.

29. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C ne sont pas fondés à demander l’annulation des arrêtés du 1er décembre 2022 par lesquels le préfet de la Seine-Maritime a prononcé, chacun les concernant, leurs transferts vers l’Italie.

30. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation présentées par Mme C, dans le cadre de la requête n°2205083 et par M. C dans le cadre de la requête n°2205084 doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fins d’injonction et d’astreinte et celles présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dans le cadre de ces deux instances.

D E C I D E :

Article 1er : M. et Mme C sont admis, à titre provisoire, au bénéfice de l’aide juridictionnelle dans les conditions fixées au point 7.

Article 2 : Les requêtes de M. et Mme C sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B C, à Mme E C, à Me Elatrassi-Diome, et au préfet de la Seine-Maritime.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2022.

La magistrate désignée,

Signé :

B. A La greffière,

Signé :

M. F

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

N°s 2205083-2205084

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Textes cités dans la décision

  1. Dublin III - Règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte)
  2. Règlement (CE) 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers
  3. Directive Procédure d'asile - Directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte)
  4. Eurodac - Règlement (UE) 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n ° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives
  5. Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991
  6. Constitution du 4 octobre 1958
  7. Décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020
  8. Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
  9. Code de justice administrative
  10. Code des relations entre le public et l'administration
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Tribunal administratif de Rouen, Juge unique, 30 décembre 2022, n° 2205084