Tribunal administratif de Rouen, Juge unique 1, 13 décembre 2023, n° 2304451

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Rouen, juge unique 1, 13 déc. 2023, n° 2304451
Juridiction : Tribunal administratif de Rouen
Numéro : 2304451
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 21 décembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu les procédures suivantes :

I./ Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2023 sous le n° 2304450, M. C F, assisté par la SELARL Mary et Inquimbert, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 12 octobre 2023 par lequel la préfète de l’Ain l’a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de six mois ;

2°) d’enjoindre à la préfète de l’Ain de le munir d’une « attestation de séjour » dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte journalière de cinquante euros ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

M. F soutient que :

* S’agissant de l’obligation de quitter le territoire français :

— la compétence du signataire n’est pas établie ;

— son droit d’être entendu garanti par le principe général découlant de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été méconnu ;

— sa situation particulière n’a pas été examinée ;

— la décision méconnaît l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la décision méconnaît le 1 de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ;

— la décision est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

* S’agissant de la décision fixant le pays de destination :

— la compétence du signataire n’est pas établie ;

— son droit d’être entendu garanti par le principe général découlant de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été méconnu ;

— la décision repose sur une obligation de quitter le territoire français illégale ;

— la décision méconnaît l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la décision est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

* S’agissant de l’interdiction de retour sur le territoire français :

— la compétence du signataire n’est pas établie ;

— son droit d’être entendu garanti par le principe général découlant de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été méconnu ;

— la décision méconnaît les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la décision est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2023, la préfète de l’Ain conclut au rejet de la requête.

La préfète soutient qu’aucun moyen n’est fondé.

II./ Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2023 sous le n° 2304451, Mme A G, épouse F, assistée par la SELARL Mary et Inquimbert, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 12 octobre 2023 par lequel la préfète de l’Ain l’a obligée à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de six mois ;

2°) d’enjoindre à la préfète de l’Ain de la munir d’une « attestation de séjour » dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte journalière de cinquante euros ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

Mme F soutient que :

* S’agissant de l’obligation de quitter le territoire français :

— la compétence du signataire n’est pas établie ;

— son droit d’être entendu garanti par le principe général découlant de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été méconnu ;

— sa situation particulière n’a pas été examinée ;

— la décision méconnaît l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la décision méconnaît le 1 de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant ;

— la décision est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

* S’agissant de la décision fixant le pays de destination :

— la compétence du signataire n’est pas établie ;

— son droit d’être entendu garanti par le principe général découlant de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été méconnu ;

— la décision repose sur une obligation de quitter le territoire français illégale ;

— la décision méconnaît l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la décision est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

* S’agissant de l’interdiction de retour sur le territoire français :

— la compétence du signataire n’est pas établie ;

— son droit d’être entendu garanti par le principe général découlant de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a été méconnu ;

— la décision méconnaît les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la décision est entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2023, la préfète de l’Ain conclut au rejet de la requête.

La préfète soutient qu’aucun moyen n’est fondé.

Vu :

— la décision par laquelle le président du tribunal a désigné M. B comme juge du contentieux des mesures d’éloignement des étrangers visées aux chapitres VI, VII, VII bis, VII ter du titre VII du livre VII de la partie réglementaire du code de justice administrative ;

— les autres pièces des dossiers.

Vu :

— la convention internationale relative aux droits de l’enfant ;

— la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

— l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020, notamment son article 92 ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après la présentation du rapport, au cours de l’audience publique du 8 décembre 2023 à 14 h 14, ont été entendues :

— les observations de Me Vercoustre, pour M. et Mme F, qui reprend les conclusions et moyens des requêtes ;

— et les observations de M. F, assisté par Mme E, interprète en arabe, qui, en réponse à une question, précise qu’il a quitté Miribel, dans le département de l’Ain, pour déménager en Seine-Maritime avant le 12 octobre 2023, date des arrêts de police attaqués.

La clôture de l’instruction est intervenue à l’issue de l’audience, en application de l’article R. 776-26 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme F, ressortissants algériens entrés en France en juin 2022 avec leur premier enfant après avoir séjourné quelques mois aux Emirats Arabes Unis. Ils ont vainement demandé le bénéfice de l’asile. Par deux arrêtés du 12 octobre 2023, la préfète de l’Ain les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, a fixé le pays de leur destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français de six mois. Ces mesures d’éloignement édictées le même jour concernent des époux et présentent des questions de légalité identiques à l’origine de requêtes ayant fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de joindre les instances enregistrées sous les nos 2304450 et 2304451 pour statuer par un seul jugement.

Sur l’aide juridictionnelle :

2. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, d’admettre les requérants provisoirement à l’aide juridictionnelle.

3. En vertu de l’article 92 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles, la part contributive versée par l’Etat à l’avocat choisi ou désigné pour assister plusieurs personnes dans un litige reposant sur les mêmes faits et comportant des prétentions ayant un objet similaire est réduite par le juge de 30 % pour la deuxième affaire. La réduction de la part contributive de l’Etat à la rétribution des missions d’aide juridictionnelle assurées par l’avocat devant la juridiction administrative s’applique lorsque celui-ci assiste plusieurs bénéficiaires de l’aide juridictionnelle présentant des conclusions similaires et que le juge est conduit à trancher des questions semblables, soit dans le cadre d’une même instance, soit dans le cadre d’instances distinctes reposant sur les mêmes faits. Tel est le cas en l’espèce ainsi qu’il est dit au point 1. L’instance n° 2204451 donnera ainsi lieu à une réduction de 30 % appliquée à la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle.

Sur la légalité des arrêtés attaqués :

4. En premier lieu, M. H D, directeur de la citoyenneté et de l’intégration par intérim, bénéficiait d’une délégation de signature de la préfète de l’Ain en date du 25 septembre 2023, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 01-2023-215 du même jour, à l’effet notamment de signer l’ensemble des mesures d’éloignement contestées, aucune n’étant une décision d’expulsion exclue du champ de la délégation. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur des arrêtés attaqués doit être écarté.

5. En deuxième lieu, les requérants, auteurs d’une demande d’admission au titre de l’asile, doivent être regardés comme ayant été en mesure d’apporter à l’autorité préfectorale des éléments utiles à l’appréciation de leur situation jusqu’au prononcé des mesures d’éloignement et d’interdiction de retour sur le territoire français qui les concernent. En se bornant à soutenir qu’ils auraient dû être invités à produire des éléments, dont ils ne précisent au demeurant pas la nature, ils ne justifient pas avoir été privés effectivement du droit d’être entendus préalablement à l’édiction de l’obligation de quitter le territoire français et de l’interdiction de retour sur le territoire français.

6. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers que la préfète de l’Ain aurait manqué à son obligation d’examen individuel des situations particulières de chacun des requérants avant d’édicter les obligations de quitter le territoire français attaquées.

7. En quatrième lieu, entrés récemment en France en juin 2022, les intéressés ne jouissaient que d’une autorisation de séjour limitée à la durée de l’examen de leur demande d’asile. La famille, étendue à un second enfant né sur le territoire national en avril 2023, ne sera pas séparée par l’effet de la mesure d’obligation de quitter le territoire français. La circonstance qu’elle ait obtenu un logement autonome dans le département de la Seine-Maritime après qu’elle a libéré le centre d’accueil pour demandeur d’asile où elle était hébergée dans celui de l’Ain ne caractérise pas une insertion sociale particulière. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des stipulations du 1 de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, dirigés contre les obligations de quitter le territoire français, doivent être écartés. L’erreur manifeste d’appréciation invoquée sans aucune précision n’est pas davantage établie.

8. En cinquième lieu, la décision fixant le pays de destination ne repose pas sur une obligation de quitter le territoire français entachée d’illégalité, ainsi qu’il résulte des points 4 à 7.

9. En sixième lieu, le caractère véridique de l’assassinat par guet-apens du frère de M. F n’est pas remis en cause dès lors qu’il apparaît établi que l’auteur des faits a été condamné par deux cours criminelles algériennes à une peine de réclusion finalement réduite à dix années. En revanche, en l’absence de précisions et d’explications quant au comportement menaçant du condamné depuis sa libération en octobre ou novembre 2021 et quant aux démarches ou plaintes que les autorités policières et/ou judiciaires algériennes auraient négligé de prendre en considération alors qu’elles ont de toute évidence assuré l’exécution de la peine criminelle, l’existence d’un risque éprouvé par M. F et sa famille proche d’être livrés à la vengeance du meurtrier n’apparaît nullement établie. En l’absence de menace réelle, personnelle et actuelle pesant sur les requérants, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l’article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales auxquelles renvoient les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de la méconnaissance de l’article 2 de cette convention doivent être écartés.

10. En septième lieu, l’erreur manifeste d’appréciation, en tant qu’elle est dirigée contre la décision fixant le pays de destination, n’est pas assortie de précision permettant d’en apprécier le bien-fondé.

11. En dernier lieu, aucune illégalité dans l’application des dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’est caractérisée du seul fait que la préfète a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée, au demeurant circonscrite à la durée de six mois. L’argument tiré de ce que cette durée a été choisie pour entraver une demande de titre de séjour ne résiste pas à l’analyse dès lors qu’une interdiction de retour sur le territoire français, quelle qu’en soit la durée, peut faire l’objet d’une demande d’abrogation en vue, notamment, de déposer une demande d’admission au séjour. Enfin, l’erreur manifeste d’appréciation n’est, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 7 et 10, pas établie.

12. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme F ne sont pas fondés à demander l’annulation des arrêtés du 12 octobre 2023 par lesquels la préfète de l’Ain les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français de six mois. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d’injonction et celles présentées au titre des frais liés à l’instance doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : M. et Mme F sont admis provisoirement à l’aide juridictionnelle dans les conditions énoncées au point 3 du présent jugement.

Article 2 : Les requêtes de M. et Mme F sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C F, à Mme A G, épouse F, à la SELARL Mary et Inquimbert et à la préfète de l’Ain.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2023.

Le magistrat désigné,

signé

P. BLe greffier,

signé

N. BOULAY

La République mande et ordonne à la préfète de l’Ain en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

N. BOULAY

N°s2304450,2304451

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