Tribunal administratif de Strasbourg, Reconduite à la frontière, 29 décembre 2023, n° 2308824

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Strasbourg, reconduite à la frontière, 29 déc. 2023, n° 2308824
Juridiction : Tribunal administratif de Strasbourg
Numéro : 2308824
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Strasbourg, 8 juin 2017
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 30 décembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 et 12 décembre 2023, M. C B, représenté par Me Duss, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 8 décembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin l’a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et l’a interdit de circulation pendant trois ans ;

2°) d’enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de procéder sans délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à l’effacement de son signalement porté au système d’information Schengen ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur l’obligation de quitter le territoire français :

— la consultation de ses antécédents judiciaires en dehors de tout cadre procédural a été effectuée en méconnaissance directe de la règle de droit ;

— en décidant de faire application de l’exception prévue à l’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur manifeste d’appréciation ;

— l’obligation de quitter le territoire français méconnaît l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— cette décision méconnaît l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant ;

— elle méconnaît l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur le refus d’octroi d’un délai de départ volontaire :

— l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français prive de base légale cette décision ;

— cette décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article L. 252-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Sur la désignation du pays de renvoi :

— l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français prive de base légale cette décision ;

Sur l’interdiction de circulation pendant trois ans :

— l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire français prive de base légale cette décision ;

— cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ;

— elle méconnaît l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant ;

Sur le signalement dans le système d’information Schengen :

— en conséquence de l’illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de circulation, ce signalement doit faire l’objet d’un retrait sans délai.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête, en soutenant que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— la convention internationale des droits de l’enfant ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. A pour statuer sur les litiges relevant des dispositions de l’article L. 614-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. A ;

— les observations de Me Duss, avocat de M. B, absent à l’audience, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.

La préfète du Bas-Rhin, régulièrement convoquée, n’était ni présente ni représentée.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. M. B, ressortissant roumain né le 31 janvier 1997, réside selon ses dires en France depuis l’âge de huit ans. Alors qu’il était détenu à la maison d’arrêt de Strasbourg après avoir été condamné en 2016 à des peines de deux mois et trois mois d’emprisonnement respectivement pour des faits de violence dans un établissement d’enseignement ou ses abords et recel de bien provenant d’un vol, le préfet du Bas-Rhin, par un arrêté du 7 juin 2017, l’a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de destination, l’a interdit de circulation sur le territoire français pendant un an et de retour pendant trois ans. Son recours contre cet arrêté a été rejeté par un jugement du 9 juin 2017 du tribunal administratif de Strasbourg et l’intéressé a été éloigné vers la Roumanie le 11 juillet 2017. L’intéressé a également été condamné le 27 juin 2017 à trois mois d’emprisonnement pour dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion et a purgé sa peine sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique en 2023, laquelle a été suspendue le 10 novembre 2023 en raison de l’impossibilité de poursuivre cette mesure dans le lieu partagé avec sa concubine de sorte que son écrou a été réactivé pour subir le reliquat de peine. Par un arrêté du 8 décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin l’a de nouveau obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays à destination duquel il pourrait être reconduit et l’a interdit de circulation sur le territoire français pendant trois ans. M. B a alors été placé en rétention administrative, avant que sa remise en liberté soit ordonnée par une ordonnance du 11 décembre 2023 du juge des libertés et de la détention. Le requérant demande l’annulation des décisions contenues dans l’arrêté du 8 décembre 2023.

Sur la demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique : « Dans les cas d’urgence, sous réserve de l’application des règles relatives aux commissions ou désignations d’office, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président () ».

3. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’admettre, à titre provisoire, M. B au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

4. Aux termes de l’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " L’autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu’elle constate les situations suivantes : / 1° Ils ne justifient plus d’aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 ; / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l’ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société ; / () L’autorité administrative compétente tient compte de l’ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l’intensité des liens avec leur pays d’origine. "

5. Pour obliger M. B à quitter le territoire français, la préfète du Bas-Rhin s’est fondée sur le 2° de l’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et l’unique motif tiré de ce que son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société française en raison de trois condamnations à une peine d’emprisonnement et de ce qu’il est très défavorablement connu des services de police. Il ressort des pièces du dossier que l’intéressé a été condamné en 2016 et en 2017 à deux mois puis deux fois trois mois d’emprisonnement ferme pour des faits respectivement de violence dans un établissement d’enseignement ou ses abords, recel de bien provenant d’un vol et dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en réunion. Nonobstant la gravité des faits et des condamnations prononcées à son encontre, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B aurait, depuis lors, commis d’autres agissements répréhensibles, n’ayant fait l’objet d’aucune nouvelle condamnation non plus même que d’aucun signalement sur le territoire français. Par ailleurs, il a suivi une partie de sa scolarité en France, de 2009 à 2015, il est le père d’une enfant née le 28 novembre 2021 de sa relation avec une ressortissante française et il a signé un contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er décembre 2023 en qualité de mécanicien, dont l’authenticité n’est pas contestée en défense. Dans ces conditions, compte tenu du caractère relativement ancien et limité dans le temps des délits commis par M. B et de l’ensemble des circonstances particulières de l’espèce, la préfète du Bas-Rhin ne pouvait, sans entacher sa décision d’une erreur d’appréciation, l’obliger à quitter le territoire français sur le fondement du 2° de l’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète aurait entendu fonder la décision contestée sur un autre fondement juridique que celui mentionné ci-avant.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que M. B est fondé à demander l’annulation de l’arrêté attaqué dans son ensemble.

Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :

7. Le présent jugement qui emporte annulation de l’interdiction de circulation de M. B sur le territoire français, implique l’effacement à bref délai de son signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen. Il y a lieu d’enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d’y procéder dans le délai maximal d’un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu, en revanche, à ce stade, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais liés à l’instance :

8. Dans les circonstances de l’espèce, M. B étant admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire, il n’y a pas lieu de faire application à son profit des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1 : M. B est admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : L’arrêté du 9 décembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a obligé M. B à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et l’a interdit de circulation pendant trois ans est annulé dans toutes ses dispositions.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de procéder à l’effacement du signalement aux fins de non-admission de M. B dans le système d’information Schengen dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C B, à Me Duss et à la préfète du Bas-Rhin. Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur et des outre-mer et à la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Strasbourg.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.

Le magistrat désigné,

O. ALa greffière,

G. Trinité

La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

G. Trinité

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