Tribunal civil de Seine, 21 mai 1957, n° 9999

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
T. civ. Seine, 21 mai 1957, n° 9999
Numéro(s) : 9999

Texte intégral

Tribunal civil de la Seine (3e Ch.). —- 21 mai 1957. Marques de fabrique. — UNION DE PARIS DE 1883. — 10 MARQUE NON NOTOIRE. – USAGE ANTÉRIEUR EN FRANCE. -- INEFFICACITÉ DU DÉPÔT. -- 20 PROTECTION DE LA MARQUE EN TANT QUE NOM COMMERCIAL. – APPLICATION DE LA LOI FRANÇAISE. -- RÉSULTAT IDENTIQUE.

1° En matière de marques, il est de principe que les antériorités étrangères ne font pas obstacle à leur appropriation. Cette règle n’est restreinte, hors le cas de fraude, que par la protection accordée aux marques ayant fait l’objet d’un dépôt international, en vertu de l’article 6 bis de la Convention d’Union de Paris de 1883. Mais le dépôt international à Berne d’une marque non notoirement connue en France ne met pas obstacle à l’usage antérieurement établi en France d’une marque française (2)

2° En matière de nom commercial et en vertu de la même Convention, les ressortisants unionistes bénéficient en France aussi bien du traitement unioniste que du traitement national. Mais la Convention n’assure par rapport au traitement national aucun bénéfice nouveau. La protection du nom commercial relevant ainsi de la loi française et cette protection étant en droit français moins large que celle de la marque, si on ne peut opposer à une marque française une antériorité tirée d’une marque étrangère non notoire en France, on ne peut le faire davantage en considérant cette marque en tant que nom commercial (2). (Sté Sopegros c. Sté Végé-France).

LE TRIBUNAL ; – Attendu que depuis 1933, la dénomination Végé est employée aux Pays-Bas pour désigner une « chaîne volontaire » groupant, en vue de développer leur activité respective, des grossistes et des détaillants en épicerie; -- Attendu que l’organisme « Mazongroep », qui l’a fondée et en fait partie, a déposé le mot Végé, combiné avec d’autres éléments, comme marque destinée à désigner divers produits, notamment ceux de ce commerce, à l’Office hollandais de la propriété industrielle, les 17-31 août 1950, sous le n° 106.004 ; -- Attendu qu’il a fait, conformément à l’arrangement de Madrid, enregistrer leur ensemble comme marque internationale au Bureau de Berne, le 25 septembre suivant, sous le n° 149.353; -- Attendu que postérieurement il a déposé et fait enregistrer à Berne des marques voisines; -- Attendu que le n° 195 du «Nederlandsche Staatscourant », daté du 8 octobre 1953, a publié, sous le n° 821, les statuts de la « Verkoopgemeenschap (communauté d’achats) Végé », établie à Amsterdam et fondée, d’après leur texte, en 1938 ; -- Attendu que le succès des chaînes volontaires s’étant affirmé et étendu, ce type d’organisme est apparu en France; – Attendu qu’en 1944 fut fondée, en vue d’en créer une, la Société anonyme Coopegros, devenue Sopegros – Attendu que, le 23 septembre 1955, fut formée la Société anonyme « Végé-France », immatriculée au registre du commerce de la Seine le 28 novembre 1955, dont l’objet est semblable ; --- Attendu que préalablement ses fondateurs étaient entrés en rapport avec la Verkoop gemeenschap Végé et qu’ils en avaient obtenu pour elle autorisation d’utiliser le mot Végé comme nom commercial, enseigne et marque; – Attendu que la Société Végé-France a déposé, le 25 novembre 1955, au greffe du Tribunal de commerce de la Seine, deux marques comportant le mot Végé et destinées aux produits des classes 1 à 34 ; – Attendu cependant que, depuis 1948 au moins, un épicier en gros d’Orléans, le sieur Y Z, marquait les produits de son commerce du mot « Végé », traduction phonétique de ses initiales ou des consonnes V. G. diversement disposées ; -- Attendu que la Société Sopegros entra en rapports avec lui et projeta d’acquérir sa marque et que, dès janvier 1956, elle eut d’autre part des entretiens avec la Société Végé-France au sujet de l’appropriation de ce signe distinctif; -- Attendu que, le 18 janvier 1956, Z déposa au greffe du Tribunal de commerce d’Orléans, sous le n° 2227, les marques dont il usait précédemment et les déclara destinées aux produits des classes 29 à 33 inclus, 5, 3 et 16; Attendu qu’il les céda à la Société Sopegros par acte du même jour, enregistré au registre spécial tenu par l’Institut de la propriété industrielle, le 4 février 1956, non sans s’être fait accorder par son cessionnaire une licence exclusive pour la région d’Orléans par acte du 19 janvier 1956; – Attendu que les pourparlers entamés entre les deux sociétés ayant échoué, la Société Sopegros forma devant ce tribunal, par exploit du 16 mai 1956, une action en contrefaçon contre la Société Végé-France; – Attendu que celle-ci, par exploit du lendemain, assigna la Société Sopegros devant le Tribunal de commerce de la Seine, en reconnaissance de son droit au nom commercial Végé et en concurrence déloyale ; -- Attendu que la Société Sopegros se prétend propriétaire des marques Végé, en tant qu’ayant cause de Z; -- Attendu qu’elle impute à la Société Végé-France de les avoir contrefaites par l’usage qu’elle en a fait, en contravention à l’article 7, 1er alinéa de la loi


du 23 juin 1857; – Attendu qu’elle conclut à la reconnaissance de son droit à ces marques pour les produits visés au dépôt du 18 janvier 1956, à la radiation de ceux de son adversaire, avec mention du jugement sous astreinte, à l’interdiction de l’utilisation desdites marques pour lesdits produits, à la publication du jugement; à l’allocation d’un franc à titre de dommages-intérêts; -- Attendu que la Société VégéFrance soutient qu’elle-même peut, en vertu de l’autorisation qu’elle a reçue de la Verkoopgemeenschap Végé, se prévaloir des droits qui appartiennent à celle-ci sur la dénomination Végé; que ce groupement étranger en est propriétaire en France aussi bien qu’en Hollande, pays dont il est ressortissant en vertu de l’article 8 de la Convention d’Union de Paris ; que l’utilisation du vocable considéré par Z, postérieure à son appropriation par la Verkoopgemeenschap, a été impuissante à lui faire acquérir des droits à l’encontre de ceux de cette dernière ; – Attendu qu’elle prétend que le dépôt du 18 janvier 1956, la cession de la marque consentie par Z à la Société Sopegros et la concession de licence par celle-ci à celui-là, tous actes faits postérieurement à l’usage du mot Végé par le groupement hollandais et par elle- même, alors que la Société Sopegros connaissait leurs droits, constituent avec d’autres agissements dont le tribunal de commerce est saisi, des maneuvres frauduleuses insusceptibles d’en créer; -- Attendu qu’elle fait valoir que la procédure dirigée contre elle est abusive et dommageable ; -- Attendu qu’elle conclut au débouté de l’action principale et qu’elle forme une demande reconventionnelle aux fins de reconnaissance de son droit de propriété sur la marque Végé, d’interdiction de l’usage de ce vocable et de l’abréviation V. G., de radiation sous astreinte des dépôts et actes accessoires, de publicité et de l’allocation d’une somme de 3.000.000 de francs à titre de dommages-intérêts ; --- Attendu que la Société Sopegros réplique que la Société Végé-France n’établit pas avoir reçu de la Verkoopgemeen-schap Végé l’autorisation dont elle se prévaut, ni être l’ayant cause de ce groupement quant à la dénomination Végé; – Attendu qu’elle met en doute que ledit groupement ait acquis, même en Hollande, antérieurement à son appropriation par Z, des droits sur elle à titre de nom commercial ou de marque; – Attendu qu’elle ajoute que comme il ne l’a, avant 1948, ni utilisée pour une activité commerciale ni fait connaître en France, elle n’était pas alors protégée dans ce pays même en vertu des dispositions de la Convention d’Union ; --- Attendu qu’elle conclut au débouté de la demande reconventionnelle ; – Attendu, en cet état, que l’usage en France de la dénomination Végé à titre de marque pas Z dès 1948, c’est-à-dire antérieurement au dépôt fait par la Société Végé- France, est constant; – Attendu que la cession intervenue entre Z et la Société Sopegros a été publiée conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 26 juin 1920 ; qu’elle est donc apparemment opposable aux tiers et notamment à la Société Végé-France; -- Attendu que de ces circonstances résultent des présomptions de fait favorables à la Société Sopegros; -- Attendu que pour les renverser son adversaire a la charge d’établir : 1° qu’elle a acquis le droit à la marque de la Verkoopgemeenschap Végé valablement à l’égard des tiers ; 2° qu’antérieurement à son usage par Z, le droit à la dénomination Végé de la Verkoopgemeenschap Végé s’étendant dans l’espace au territoire français; Sur la cession faite à Végé-France et son opposabilité aux tiers : Attendu que la Société Végé-France établit, par une correspondance échangée entre ses fondateurs et la Verkoopgemeenschap Végé s’échelonnant du 6 juillet au 7 septembre 1955, qu’a été passé un accord aux termes duquel le second groupement a autorisé le premier à utiliser le mot « Végé » comme nom commercial, enseigne et marque; ---- Attendu qu’il faut noter que le texte de l’accord dont il s’agit, visé notamment dans la lettre adressée à la Verkoopgemeenschap Végé par Lambollez le 2 août 1955, n’est pas produit et qu’on ne peut dire d’une façon certaine si c’est la cession limitée dans l’espace de la propriété de la marque ou seulement l’octroi d’une licence qui a été consenti; — Attendu que l’acte en question n’a pas été enregistré au registre spécial; – Attendu que, sur le terrain de la marque, en vertu de l’article 2 de la loi du 26 juin 1920, il n’est pas opposable aux tiers et en particulier à Z et à son ayant cause, la Société Sopegros Sur les droits de la Verkoopgemeenschap Végé en territoire français : Attendu que, sur le terrain de la marque, il est de principe que les antériorités étrangères ne font pas obstacle à son appropriation et que cette règle n’est restreinte, hors le cas de fraude, que par la protection accordée aux marques ayant fait l’objet d’un dépôt international ou aux marques notoirement connues, ce en vertu de l’article 6 bis de la Convention d’Union; -- Attendu que la marque hollandaise Végé n’a fait l’objet d’un dépôt international qu’en 1950 ; qu’il n’est pas allégué qu’elle ait été notoire en France ou même ait existé en 1948 ; --- Attendu qu’à l’égard du nom commercial, le groupement hollandais, ressortissant unioniste, bénéficie en France, aussi bien du traitement unioniste que du traitement national, en vertu des articles 8 et 2, al. 1er de la convention; -Attendu que le droit unioniste a la prépondérance sur le droit national et qu’on ne
conçoit plus l’existence d’une différence de traitement entre ressortissants nationaux et ressortissants unionistes ; — Mais attendu que pour que joue cette primauté, encore faut-il qu’il y ait une divergence entre les deux droits;

- Attendu que l’article 8 susvisé se borne à décider que le nom commercial sera protégé, sans obligation de dépôt ni d’enregistrement, et qu’il fasse ou non partie d’une marque; – Attendu qu’ainsi, il pose le principe de la protection et supprime des entraves susceptibles d’en rendre l’obtention difficile; — Attendu qu’en vertu de la règle qui vient d’être rappelée, il se substitue aux lois nationales qui n’accordent pas la première ou qui connaissent les secondes ; --- Attendu que la loi française ignore celle-ci et assure celles-là ; – Attendu que par rapport à son régime, celui de l’article 8 ne comporte aucun bénéfice nouveau; – Attendu que les autres limites qu’elle apporte dans son texte ou dans l’application raisonnée qu’en fait la jurisprudence nationale ne peuvent être méconnues en l’absence d’aucune disposition expresse du droit unioniste qui leur soit relative; – Attendu que la Verkoopgemeenschap Végé y est donc soumise ; – Attendu que la loi française ne protège le droit de son premier possesseur sur le nom commercial que dans la mesure où l’usage de ce nom par un tiers est susceptible d’entraîner entre les deux établissements qui le portent une confusion dans l’esprit du public; -- Attendu que s’il n’y a pas risque de confusion entre deux noms dont la notoriété ne s’étend pas aux mêmes lieux, ce risque existe, au moins théoriquement, entre une enseigne et une marque de même consonnance appliquée sur des produits qui circulent dans l’étendue d’un vaste territoire ; -- Attendu cependant que c’est principalement sur celle du territoire national que le font les produits marqués; -- Attendu, d’autre part et surtout, que le droit de la marque est beaucoup plus complet que celui du nom commercial; -- Attendu, notamment, que la loi a prévu seulement pour la première un dépôt et une publicité qui en firent les caractéristiques et qui garantissent les droits des tiers en les informant et en facilitant leurs recherches ; que seule elle est protégée par l’action en contrefaçon; -- Attendu qu’il serait absolument illogique d’accorder à un vocable employé comme nom commercial une protection plus large que celle dont il bénéficierait s’il était utilisé comme marque; --- Attendu donc que, de même qu’on ne peut opposer à une marque française une antériorité tirée d’une marque étrangère non notoire en France, on ne peut le faire davantage d’une antériorité tirée d’un nom commercial étranger; — Attendu, qu’il n’est pas contesté que le nom commercial Verkoopgemeenschap Végé était ignoré du public français en 1948 et qu’il n’est pas établi que Z l’ait connu lorsqu’il a commencé à faire usage des marques analogues ; – Attendu ainsi que le mot Végé se trouvait alors en France dans le domaine public; Sur l’imputation que la Société Végé-France fait à ses adversaires d’un concert frauduleux: Attendu que la cession conclue entre eux n’a méconnu aucun droit de la Société Végé-France, puisque l’appropriation antérieure de la marque Z a privé son dépôt de toute efficacité; -- Attendu que la Société Sopegros n’a fait qu’acquérir un droit appartenant à Z et dont celui- ci pouvait disposer librement; -- Attendu qu’elle a ainsi exercé son activité concurrentielle sans s’écarter des usages loyaux de la lutte commerciale;

- Attendu qu’au terme de ces considérations, il apparaît que c’est à la Société Sopegros que doit être reconnue la propriété de la marque Végé et de ses dérivés, et que la Société Végé-France l’a contrefaite; – Attendu que la demande reconventionnelle n’est donc pas fondée; – Attendu qu’en vertu du principe de la séparation des pouvoirs il n’appartient pas au tribunal, en l’absence d’un texte, de donner des injonctions à l’Institut national de la propriété industrielle, organisme administratif ; -- Attendu qu’il ne peut donc ordonner directement les radiations demandées; – Attendu que, pour le surplus, les conclusions de la Société Sopegros sont justifiées, et que notamment un dommage lui a été causé par la contrefaçon de la marque dont elle est devenue titulaire; Par ces motifs : – Déclare que la Société anonyme Sopegros est propriétaire de la marque Végé (V. G.) pour tous produits des classes 29 à 33 inclus, 5, 3 et 16; – Enjoint à la Société anonyme Végé-France de faire procéder, dans le mois de la signification du présent jugement, à la radiation partielle de ses dépôts, tant au greffe du Tribunal de commerce de la Seine, qu’au registre des marques de l’Institut national de la propriété industrielle, à peine d’une astreinte de 5.000 francs par jour de retard pendant un mois, passé lequel délai il sera fait droit; -- Interdit à la Société Végé-France d’utiliser la marque Végé (V. G.) pour tous produits des classes susvisées ; – Ordonne l’insertion du présent jugement dans trois journaux corporatifs au choix de la demanderesse et aux frais de la Société Végé-France, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 30.000 francs ; -- Condamne la Société Végé-France à payer à la Société Sopegros la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts; – Dit la demande reconventionnelle de la Société Végé-France mal fondée ; l’en déboute; --- Déboute les parties de toutes leurs conclusions contraires ou non comprises au présent dispositif.



Du 21 mai 1957. – Tribunal civil de la Seine (3e Ch.). – M. X, prés. ; -- MMes Demousseaux et Floriot, av.

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