Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse - civile, 27 octobre 2008, n° 07/06528

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 17e ch. presse - civ., 27 oct. 2008, n° 07/06528
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 07/06528

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

Minute n°

17e Ch. Presse-civile

N° RG :

07/06528

NB

Assignation du :

27 Avril 2007

(footnote: 1)

République française

Au nom du Peuple français

JUGEMENT

rendu le 27 Octobre 2008

DEMANDEURS

Madame B H épouse X

[…]

[…]

Monsieur AE AP X

[…]

[…]

représentés par Me Anne BOISSARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P.153

DEFENDEURS

Monsieur P Q

[…]

[…]

Monsieur AE-AV AW

domicilié : chez […]

[…]

[…]

Société DES […]

[…]

[…]

représentée par SCP TEISSONNIERE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P229

MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS, auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée.

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant assisté aux débats et au délibéré:

M. BONNAL, Vice-Président

Président de la formation

Mme SAUTERAUD, Vice-Présidente

M. AE-DRAEHER, Vice-Président

Assesseurs

assistés de Mme VAIL, Greffier

DEBATS

A l’audience du 15 Septembre 2008

tenue publiquement

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe

Contradictoire

En premier ressort

[…]

Vu l’assignation que, par actes en date des 27 et 30 avril 2007, B H épouse X et AE-AP X ont fait délivrer à P Q, AE-AV AX et à la société des éditions ELISE, par laquelle il était demandé au tribunal :

— à la suite de la publication, au mois de février 2007, par les éditions ELISE, dirigées par AE-AV AX, d’un livre signé de P Q et intitulé L’AFFAIRE Z La justice a-t-elle dit son dernier mot ?, dont les demandeurs estiment certains passages diffamatoires à leur égard,

— au visa des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse,

— la condamnation in solidum des défendeurs à payer à titre de dommages et intérêts les sommes de 50 000 euros à AE-AP X et de 100 000 euros à B X,

— l’interdiction de toute réimpression de l’ouvrage sans occultation des extraits incriminés ou, à défaut, l’impression sous astreinte du dispositif de la décision à intervenir dans tous futurs tirages et éditions du livre,

— le bénéfice de l’exécution provisoire, au moins du chef de l’interdiction,

— la condamnation in solidum des défendeurs au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions régulièrement interruptives de prescription signifiées en demande les 5 juillet, 26 septembre et 21 décembre 2007 et les 17 mars, 16 juin et 28 août 2008 ;

Vu les dernières conclusions régulièrement signifiées :

— le 29 juillet 2008 par les défendeurs qui sollicitent qu’il leur soit donné acte de la production par les demandeurs d’une pièce annulée judiciairement, en violation des dispositions de l’article 172 du code de procédure pénale, et de leurs protestations et réserves, qu’il soit statué ce que de droit sur l’utilisation de cette pièce dans la présente instance, que soit ordonnée la comparution personnelle des demandeurs, que soient entendus quatre témoins (demande figurant en page 33 des écritures mais non reprise dans leur dispositif) et, estimant les délits de diffamation publique envers particulier non constitués et faisant valoir leur bonne foi, que les demandeurs soient déboutés de toutes leurs réclamations et qu’ils soient condamnés au paiement à P Q et à AE-AV AX, à chacun, de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre la somme de 5 000 euros à chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— le 28 août 2008 par les époux X qui concluent au rejet des demandes formées avant dire droit, répliquent aux arguments de fond avancés en défense et maintiennent l’intégralité des réclamations figurant dans leur acte introductif d’instance, portant toutefois à la somme de 8 000 euros le montant sollicité au titre de leurs frais irrépétibles ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 8 septembre 2008 ;

MOTIFS

Sur les demandes avant dire droit

Sur la demande tendant à voir une pièce écartée des débats

Les défendeurs se plaignent de la production par les demandeurs de leur pièce 16, à savoir un rapport du 18 décembre 1984 déposé à la section de recherches de la gendarmerie de NANCY par AP-BC AQ-BD, expert en écritures près la cour d’appel de PARIS, au motif qu’ayant été judiciairement annulée, cette pièce serait versée aux débats en violation des dispositions de l’article 172 du code de procédure pénale. Ils sollicitent, dans le dispositif de leurs écritures, d’une part, qu’il leur soit donné acte de la nature de cette production, des conditions dans lesquelles ce rapport aurait été rédigé et de leurs protestations et réserves et, d’autre part, qu’il soit statué “conformément au droit concernant l’utilisation dans la présente procédure par les époux X d’une pièce produite en infraction avec le code de procédure pénale, cette pièce tendant ni plus ni moins qu’à établir la culpabilité posthume de R E”. Il sera considéré qu’ils demandent que ce document soit écarté des débats.

Les demandeurs soutiennent que cette pièce n’a pas été annulée, que les dispositions de l’article 174 du code de procédure pénale -les défendeurs visant par erreur l’article 472 de ce code- ne trouvent pas à s’appliquer et que ce document n’est produit par eux que parce qu’il contredit l’affirmation selon laquelle le timbre de la lettre du 16 octobre 1984 aurait disparu (passage poursuivi en pages 109 et 110).

Il sera constaté que les défendeurs eux-mêmes admettent que le rapport litigieux ne figure pas parmi les pièces annulées par l’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de NANCY en date du 19 décembre 1984, dès lors qu’il est daté de la veille de cette décision et n’était pas concerné par les demandes d’annulation de pièces dont avait débattu cette juridiction une semaine avant de statuer ; que, cette pièce aurait-elle été annulée postérieurement -ce qui n’est pas soutenu- ou devrait-elle être tenue comme entrant dans le champ des annulations prononcées le 19 décembre 1984 -dans lequel entrait notamment la réquisition à laquelle le rapport litigieux faisait suite-, les dispositions de l’article 174 susvisé qui prohibent de tirer des pièces annulées aucun renseignement contre les parties ne concernent que la procédure pénale dans le cours de laquelle l’annulation a été prononcée, et ne sauraient s’appliquer à la présente action ; que, de surcroît, les demandeurs ne s’appuient nullement sur cette pièce pour “établir la culpabilité posthume de R E”, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs.

La production litigieuse n’étant ni illégale, ni déloyale, la pièce 16 des demandeurs ne sera, en conséquence, pas écartée des débats.

Sur la demande de comparution personnelle des demandeurs

Cette demande est formulée aux fins de voir déterminer comment les demandeurs auraient eu connaissance de la pièce 16 et quand -spécialement entre les 13 février et 29 mars 1985-. Ces questions étant sans rapport avec l’objet du présent litige, la comparution personnelle des demandeurs ne sera pas ordonnée.

Sur les auditions de témoins

Cette demande, qui figure dans les motifs mais non dans le dispositif des dernières conclusions des défendeurs, ne saurait être admise.

Il n’appartient pas, en effet, au tribunal saisi d’une action en diffamation de se substituer aux parties, qui choisissent seules les preuves dont elles entendent user dans le cadre du débat portant sur les moyens de défense prévus par la loi, qu’il s’agisse de la vérité des faits diffamatoires -qui n’est pas soutenue au cas présent- ou de la bonne foi. Dès lors, le juge ne saurait décider des témoins qui devraient être entendus, qu’il revient aux seules parties de faire citer, sans qu’il y ait lieu de respecter les dispositions -d’ailleurs non expressément invoquées au cas présent- des articles 204 et suivants du code de procédure civile, incompatibles avec le caractère accusatoire du procès de presse, notamment en ce qu’elles donnent le pouvoir au juge de “convoquer toute personne dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité”.

Au fond

Sur les propos poursuivis et leur caractère diffamatoire

L’ouvrage litigieux porte sur sa première page de couverture le commentaire “Pour la première fois l’avocat de E parle”. En quatrième page de couverture, son projet est ainsi explicité :

Depuis vingt-deux ans, l’affaire Z demeure un des plus grands mystères de l’histoire judiciaire. Les faits sont bien connus : après la disparition du petit Z, R E, d’abord arrêté puis relâché, fut tué d’un coup de fusil par le père de l’enfant, AE-AP X.

Ni l’analyse des lettres et des appels téléphoniques du corbeau, ni les témoignages recueillis par les enquêteurs et les magistrats n’ont permis d’identifier le ou les coupables, en raison des erreurs commises lors de l’autopsie.

AE-AP X a été condamné pour l’assassinat de son D ; l’Etat a été condamné à deux reprises, pour sa responsabilité dans ce meurtre et pour la conduite déficiente de l’instruction, suspecte de partialité.

P Q, qui fut dès le début l’avocat de E et de sa famille, analyse les raisons d’une telle faillite judiciaire et policière, et montre comment ce fait divers s’est transformé en affaire d’Etat.

Il soulève surtout la question d’une réouverture de l’instruction (la prescription n’interviendra qu’en avril 2011), à la lumière des faits nouveaux révélés dans ce livre.

Dans cet ouvrage divisé en dix chapitres, l’auteur raconte d’abord “comment [il est] devenu l’avocat de R E” (ch. 1er, pages 7 à 30), évoquant son intervention dans l’affaire, le 5 novembre 1984, alors que celui-ci vient d’être interpellé, inculpé de l’assassinat du jeune Z X, retrouvé mort dans une rivière des Vosges le 16 octobre précédent, et incarcéré, décrivant rapidement la personnalité de son client, son propre passé professionnel, puis rappelant à grands traits le déroulement de l’affaire criminelle hors du commun (marquée dès avant le crime, à partir du printemps 1981, par l’intervention d’un “corbeau”) et notamment l’assassinat de son client -qui avait été remis en liberté- par le père de l’enfant, AE-AP X, l’inculpation puis la mise hors de cause, en 1993, de l’épouse de ce dernier, B H, le procès aux assises de la Côte d’Or de AE-AP X pour l’assassinat de R E qui se tient après cette décision de non-lieu dans l’affaire de l’assassinat de l’enfant, et les multiples décisions de justice auxquelles cette affaire a donné lieu, et concluant sur son espoir d’une réouverture du dossier qui permettrait à son défunt client d’obtenir une mise hors de cause judiciaire dont son assassinat l’a privé.

Il relate ensuite (ch. 2, pages 31 à 60) “la disparition de Z” et les 20 premiers jours de l’enquête, vite centrée autour de la découverte d’une lettre anonyme de revendication du crime, postée le jour de celui-ci, et qui fait l’objet de nombreuses analyses graphologiques dont celle réalisée par Mme AQ-AR, qui oriente les investigations vers R E, un D de AE-AP X. Vient ensuite un bref chapitre intitulé “l’arrestation de E” (ch. 3, pages 61 à 71), laquelle intervient sur la base du témoignage de L T, jeune soeur de son épouse, qui l’a accusé, avant de se rétracter.

Dans les deux chapitres qui suivent (ch. 4, pages 73 à 100, “L T, témoin capital ?” et ch. 5, pages 101 à 128, “Un climat de lynchage”), l’auteur relate comment les charges pesant sur son client s’effondrent au fur et à mesure que se révèlent les contradictions affectant le témoignage de sa jeune belle-soeur et les pressions que les gendarmes auraient exercées sur elle, et que de nouvelles expertises en écritures contredisent les conclusions des premiers experts, dont la désignation a été annulée par arrêt de la chambre d’accusation de NANCY du 19 décembre 1984. Il raconte la mise en liberté de R E, le 4 février 1985, par décision du juge d’instruction, et ses propres inquiétudes sur la sécurité de son client.

Le chapitre suivant (ch. 6, pages 129 à 149, “Chronique d’une mort annoncée”) est consacré à l’assassinat de son client par AE-AP X, le 29 mars 1985 ; y est stigmatisée l’inertie des autorités alors que ce crime était prévisible, d’autant plus que, parallèlement, l’enquête sur la mort de l’enfant, confiée au service régional de police judiciaire (SRPJ) de NANCY depuis le mois de février 1985, s’orientait vers une mise en cause de sa mère, désignée par les experts en écritures et par certains éléments de l’enquête.

L’auteur développe ensuite le lien existant selon lui entre les deux assassinats dans un chapitre (ch. 7, pages 151 à 179) intitulé “Z X et R E : deux crimes qui n’en font qu’un ?”, où il décrit l’évolution de l’enquête sur la mort de l’enfant, les conclusions des experts en écritures et l’analyse qu’en livre la chambre d’accusation de K (désignée par la Cour de cassation par l’arrêt cassant l’arrêt de mise en accusation de B X rendu par la chambre d’accusation de NANCY le 9 décembre 1986) dans sa décision de non-lieu du 3 février 1993.

Le chapitre suivant (ch. 8, pages 181 à 223, “Les époux X devant la cour d’assises”) est consacré au procès de l’assassinat de R E qui s’est tenu à K en novembre et décembre 1993, au cours duquel est largement évoquée l’enquête sur la mort de l’enfant et qui voit AE-AP X condamné à cinq ans de prison, dont un assorti du sursis.

L’auteur relate alors (ch. 9, pages 225 à 246, “L’Etat condamné”) les procédures civiles engagées par la famille de R E contre l’Etat, notamment l’arrêt rendu le 15 mai 2002 par la cour d’appel de VERSAILLES sur le fondement de l’article 781-1 du code de l’organisation judiciaire, dont il cite de larges extraits, et qui selon lui condamne explicitement les développements de l’arrêt de non-lieu du 3 février 1993 insistant sur les charges pesant sur R E et sa famille, développements qu’il cite pour les critiquer.

Dans son dernier chapitre (ch. 10, pages 247 à 281, “La justice a-t-elle dit son dernier mot ?”), dont le titre reprend celui du livre, P Q analyse les nombreux ouvrages publiés par des journalistes ou des protagonistes de l’affaire et énumère les questions qui demeurent sans réponses et les divers points sur lesquels il pourrait être possible d’en savoir plus, mentionnant à cet égard la réouverture infructueuse de l’instruction en avril 2001 pour permettre l’analyse, finalement impossible, de l’éventuel ADN figurant sur le timbre “de l’une des lettres anonymes reçues par les grands-parents de Z” et rappelant que la prescription ne sera acquise qu’en avril 2011.

Il résulte de la lecture de l’entier ouvrage, ainsi résumé, que P Q y épouse donc le point de vue de la défense de ses clients successifs, R E puis, après le décès de celui-ci, les membres de sa famille, estime certaine l’absence totale de responsabilité du premier nommé dans la mort de Z X et entend dénoncer les négligences qui ont, selon lui, rendu possible le geste criminel de AE-AP X contre son client. Il expose également les charges qui ont conduit, après la mise en liberté de ce dernier, à l’inculpation de B X et critique vivement la décision de non-lieu qui a mis fin aux investigations, mais essentiellement en ce qu’elle contiendrait des accusations implicites contre R E et sa famille, accusations non seulement infondées, selon lui, mais injustes dès lors que le principal intéressé est mort et que son épouse comme sa belle-soeur n’ont jamais été judiciairement mises en cause, de sorte qu’aucun n’a la possibilité de s’en défendre. Enfin, il milite également en faveur d’une reprise des investigations. Pour autant, ce faisant, il n’affirme pas que celle-ci devrait aboutir à démontrer la responsabilité de B X dans la mort de son enfant, et ne prétend nullement connaître la vérité sur l’affaire, ni ne suggère qu’il la connaîtrait.

Les extraits incriminés sont ci-après reproduits selon la typographie et l’ordre retenus dans l’acte introductif d’instance, qui en souligne des extraits, rassemble les propos évoquant des sujets proches et susceptibles de contenir la même imputation et distingue les passages selon qu’ils visent AE-AP X, B X et les deux ensemble.

Il convient à ce stade de rappeler que l’article 29, alinéa 1er, de la loi sur la liberté de la presse définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé”, le dit fait devant être suffisamment précis pour pouvoir faire l’objet du débat sur la preuve de sa vérité organisé par les articles 35, 55 et 56 de la loi, quand bien même les défendeurs ne seraient pas autorisés par la loi à rapporter cette preuve ; ce délit, qui est caractérisé même si l’imputation est formulée sous forme déguisée ou dubitative ou par voie d’insinuation, se distingue ainsi aussi bien de l’injure, que l’alinéa 2 du même article 29 définit comme “toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait”, que de l’expression subjective d’une opinion, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées, mais dont la vérité ne saurait être prouvée.

Sur les passages poursuivis par AE-AP X seul

AE-AP X incrimine d’abord :

— en pages 38/39 :

“Deux estafettes de gendarmes se trouveront à Granges-sur-Vologne à proximité de la maison de W lorsque vers 18 heures, AE-AP X se présentera chez lui, pour l’abattre. Il fera demi tour.

[…]

W sera entendu pendant plusieurs heures et placé en AJ à vue par les gendarmes de Corcieux. Cela le mettra à l’abri de la folie meurtrière de AE-AP X et permettra aussi (et surtout) aux gendarmes de vérifier son alibi et celui de sa famille pendant la journée du 16 octobre.” ;

- en pages 48/49 :

“[…] le résultat de l’expertise Argoud […] désignera comme suspect celui que AE-AP X avait choisi et voulu tuer dès le 16 octobre à 18 heures, V W.

Dans ces deux premiers passages, l’auteur impute à AE-AP X d’avoir voulu tuer V W dont, dans les premiers jours de l’enquête, il aurait pensé qu’il était l’auteur du crime. Loin de prêter seulement à ce demandeur une intention qui pourrait difficilement faire l’objet d’un débat sur la preuve et ne présenterait, en tout état de cause, pas un caractère diffamatoire, chacun restant libre de ses pensées, fussent-elles des envies de meurtre, il décrit un commencement d’exécution, en suggérant pour quelles raisons le projet n’aurait pas été mené à son terme (la présence de gendarmes sur place), étant relevé que même à supposer que ce serait de lui-même que l’intéressé aurait renoncé à son acte, cette circonstance ne retirerait pas son caractère diffamatoire au fait ainsi allégué.

AE-AP X incrimine ensuite les deux passages suivants, ainsi rédigés :

— en pages 130/131 :

“A, âgé de 5 ans, est là, qui assiste en direct à l’assassinat de son père, se jette désespérément sur sa poitrine en criant “Papa, papa !” Il est éclaboussé par le sang qui jaillit des poumons.” ;

— en page 201 :

L’horreur de l’assassinat de E à son domicile, sous les yeux […] de son fils A […]”.

AE-AP X, qui n’incrimine pas comme diffamatoire le rappel du fait non contesté et établi par une décision de justice définitive qu’il a BE R E, soutient en revanche à juste titre que la circonstance, précise et qui peut être aisément prouvée, qu’il aurait commis ce geste criminel sous les yeux du fils de la victime présente, en soi, un caractère diffamatoire, dès lors qu’elle ajoute au crime l’insensibilité qui consiste à n’avoir pas été retenu dans sa commission par la présence d’un jeune enfant de sa victime.

AE-AP X poursuit, en troisième lieu, une série de cinq passages :

— en page 27 :

Est-il encore temps pour l’institution judiciaire de donner une fin à l’affaire Z qui ne soit pas ressentie par l’opinion publique comme une démission et une renonciation à faire la vérité sur le double crime, les morts de Z et E ?” ;

— en page 29 :

“[…] il appartient au procureur général de K, en accord bien sûr avec le ministre de la Justice, de décider la réouverture de l’instruction.

Une telle décision aurait pour avantage de soumettre à un examen, contradictoire cette fois, l’ensemble des données concernant les circonstances de la mort de Z X et ses liens réels avec l’assassinat de E.” ;

— en pages 137/138 :

Le chagrin et la colère du père de Z sont, depuis le 4 février, surmultipliés. Pourquoi ? C’est que dans la recherche du meurtrier de Z, l’enquête s’oriente désormais vers sa femme, après la remise en liberté de R E. C’est en tout cas ce qu’il déclarera à la cour d’assises huit années après. Mais avons-nous eu droit à une confession et sans réticence ? N’y avait-il pas un autre mobile qui reliait les deux meurtres, celui de Z et celui de R E ?” ;

— en pages 143/144 :

Le 29 mars 1985, AE-AP X BE R E. Sans doute cet acte résulte-t-il d’un cumul de mobiles : son chagrin devant la mort de son enfant, sa volonté de vengeance contre un homme qu’il tient pour le coupable de cette mort. Mais il y a un nouveau mobile. AE-AP X, qui pouvait s’accommoder indifféremment de la culpabilité éventuelle de W ou de E, se trouve directement menacé par les nouvelles expertises d’écriture qui à la fois mettent hors de cause E et désignent B X, son épouse, comme le corbeau persécuteur de la famille X et de AE-AP X lui-même, et le meurtrier de son propre fils Z.” ;

— en pages 147/149 :

On peut aussi imaginer que AE-AP X s’est convaincu ou a été convaincu que tuer R E, c’était tuer les soupçons sur B. Car enfin, AE-AP, qui connaît R E depuis sa plus tendre enfance, ayant été élevé avec lui, sous le même toit familial, peut-il réellement croire à la culpabilité de son D ? Il sait qu’en tout cas il ne sera pas en mesure de le faire condamner. C’est ce qu’il reconnaîtra lui-même. Mais accepter l’innocence de R E, c’est aussi admettre le soupçon sur B X, compte tenu des conclusions des expertises en écriture. Il faut donc tuer R E, afin de garder une dose d’incertitude, pour tuer le soupçon sur sa femme. N’est-ce pas l’essentiel, le plus important et le plus urgent pour lui ? Si l’auteur de la mort de Z meurt, l’action publique s’éteint automatiquement. B est sauvée.

C’est cette démarche qui ressort clairement du mémoire déposé par les époux X, le mari en tant que partie civile, la femme en tant qu’inculpée, devant la chambre d’accusation de Nancy en octobre 1986 et qui aboutira à un arrêt de renvoi de B X devant la cour d’assises des Vosges pour homicide sur la personne de son fils Z le 9 décembre 1986. Puisque E est mort, l’affaire Z est terminée.

Ils oublient que l’information avait été ouverte le 16 octobre contre X, et non pas contre R E, inculpé seulement le 5 novembre. La mort de R E ne ferme pas l’enquête.”

Dans ces différents extraits du livre, l’auteur formule l’hypothèse que AE-AP X, en tuant R E, aurait également cherché à tuer les soupçons qui s’étaient détournés de celui-ci pour se concentrer sur son épouse. Il envisage ainsi un second mobile possible à l’acte criminel de AE-AP X, qui n’aurait pas seulement cherché à venger la mort de son fils, mais aussi à protéger son épouse. Ce faisant, il n’impute pas à l’intéressé un fait précis, dont la vérité pourrait être prouvée, mais une éventuelle motivation -dont il ne précise d’ailleurs jamais si elle aurait été consciente ou non- qui échappe à tout débat probatoire utile.

C’est donc à tort que le demandeur estime ces passages diffamatoires à son encontre.

Sur les passages poursuivis par B X seule

B X poursuit, pour sa part, d’abord ce premier passage, situé en pages 40/41, selon lequel, lors de l’arrivée des gendarmes prévenus de la disparition de Z, le 16 octobre au soir à son domicile, elle :

les a envoyés immédiatement rejoindre les voisins et pompiers qui longent la Vologne et recherchent Z, leur indiquant qu’elle avait déjà cherché partout dans la maison et autour.

Les gendarmes n’ont donc effectué aucune perquisition, demandant seulement à la mère de s’assurer que Z n’était pas caché dans un placard, ou sous un lit, ou dans la cave de la maison pour faire une farce à ses parents. C, ils sont repartis :J’ai déjà cherché, allez vite, ne perdez pas votre temps”.

Contrairement à ce qu’elle soutient, ce passage, qui décrit la réaction normale d’une mère qui a constaté la disparition de son enfant, ne contient nullement l’insinuation que celle-ci aurait volontairement cherché à éviter qu’une perquisition fût diligentée à son domicile, le lecteur comprenant aisément qu’aucune mesure de cette nature n’a vocation à être effectuée dans le cadre de la recherche d’un enfant dont les parents signalent la disparition de leur domicile.

La demanderesse regroupe ensuite les deux passages suivants :

— en page 54 :

“[…] deux journalistes d’Europe 1, AE-AY AZ et AB AC, conseillent aux époux X de se constituer partie civile. La station, qui cherche par tous les moyens à concurrencer RTL, se chargera elle-même de demander à Me Garaud, choisi en qualité d’avocat de Légitime Défense et vice-président de cette association de s’occuper du dossier. Très vite Me Garaud, qui accepte, constitue comme correspondant à Epinal le bâtonnier en exercice, Me D, l’un des dirigeants départementaux du RPR. Pourquoi cette hâte ?

Il est vrai que ce 23 octobre B X, dont la présence a été remarquée par trois de ses camarades de travail au bureau de poste de Lépanges vers 17 heures, le 16 octobre, apparaît susceptible d’avoir posté la lettre anonyme. Elle vient d’être entendue par les gendarmes. Mais après avoir nié sa présence à la poste, répondant aux questions des gendarmes qui reprennent des ragots recueillis hors procès-verbal, elle a fait état, spontanément, “d’attitudes interprétées par elle comme des avances amoureuses de R E lors d’une réunion de famille chez les X, remontant il est vrai à plusieurs années et antérieures à son mariage avec AE-AP”.” ;

— en page 153 :

Les époux X se sont constitués partie civile le 27 octobre 1984, c’est-à-dire quatre jours après que les époux E ont été mis pour la première fois en AJ à vue, suite à l’audition de B X par la gendarmerie, au cours de laquelle elle avait fait état de prétendues avances amoureuses de R E lors d’une fête de famille remontant à plusieurs années. Mais également après le témoignage de trois collègues de travail de B, venues témoigner spontanément à la gendarmerie de sa présence devant le bureau de poste de Lépanges le 16 octobre, un peu avant 17 heures.

Dans ces passages, qui tous deux s’inscrivent dans des récits factuels de l’évolution de l’instruction, P Q se contente de relever la coïncidence chronologique entre des déclarations faites tant par B X – très indirectement susceptibles d’orienter les investigations sur R E (si l’on admet que la circonstance que la jeune femme aurait, plusieurs années avant son mariage, repoussé les avances de celui-ci pourrait avoir un lien avec la mort de son enfant)- que par trois collègues de travail de cette dernière -et la mettant plus directement en cause, en ce qu’elle pourrait être celle qui a posté la lettre anonyme- avec la décision éminemment naturelle des époux X de se constituer partie civile dans l’instruction ouverte à la suite de la mort de leur enfant. Il ne tire pour autant de cette observation, à aucun moment de son livre, ainsi qu’il résulte de la lecture de l’intégralité de celui-ci et de l’analyse qui en a été faite ci-dessus, de conclusion qui serait susceptible de la transformer en l’insinuation que B X aurait tué son enfant et essayé d’orienter faussement les soupçons sur R E, tout en se posant en victime.

Il convient, à cet égard, ainsi que le font observer de façon pertinente les défendeurs, de relever que l’affirmation que R E n’a pas tué Z X, qui est le présupposé constant de l’ouvrage litigieux, ne constitue pas, ipso facto, une accusation contre B X d’être coupable du meurtre de son enfant, le fait qu’ils aient tous deux successivement concentré les soupçons sur leurs personnes et qu’ils aient tous deux, et eux seuls, été inculpés d’avoir commis ce crime, ne signifiant pas qu’innocenter l’un reviendrait inévitablement à incriminer l’autre.

B X poursuit ensuite deux autres passages :

— en page 99 :

“La lettre de revendication du 16 octobre n’est toujours pas au dossier du juge d’instruction et restera en possession des gendarmes. Son enveloppe restera, elle, chez les parents de Z et y perdra son timbre postal.” ;

— en pages 109/110 :

Le juge BB récupère, le 23 décembre, les éléments du dossier dispersés entre la gendarmerie et les experts désignés par elle ou lui-même, comme la lettre anonyme s’accusant du meurtre le 16 octobre, restée chez les parents de Z […].

Il récupère aussi l’original de la lettre anonyme du 16 octobre 1984, ainsi que son enveloppe, indûment conservée jusque-là par les époux X. Mais son timbre a disparu.

Contrairement à ce que soutient B X -étant précisé que l’époux de celle-ci n’agit pas du chef de ce passage qui mentionne pourtant le couple ensemble-, ces deux passages, dans lesquels l’auteur stigmatise les insuffisances et les approximations de l’enquête, n’imputent nullement à la demanderesse d’avoir fait disparaître un timbre susceptible de l’accuser, étant précisé de surcroît que le lecteur comprendra, en poursuivant sa lecture du livre, que ce n’est qu’en 2001 qu’au vu des progrès de la science en matière de recherche et d’identification de traces d’ADN, on se préoccupera d’analyser un autre timbre d’une lettre susceptible d’avoir été expédiée par le “corbeau”.

Le passage ensuite incriminé par B X se situe :

— en pages 164/165 :

Lors du supplément d’information, il n’y eut pas de nouvelles expertises d’écriture portant sur les lettres anonymes déjà examinées. Il y en eut plusieurs confiées au gendarme Denis F de la section de recherches de la gendarmerie de Metz, depuis peu inscrit sur la liste des experts judiciaires. Ces expertises portaient sur une lettre postée le 23 juillet 1985 à Dameuilles, située à vingt kilomètres au sud-ouest d’Epinal, adressée au grand-père paternel de Z, AD X. Après une première attribution ubuesque à R E , décédé trois mois avant l’expédition de la lettre, le gendarme F avait émis l’hypothèse d’un faussaire très habile ayant imité à l’aide d’un calque l’écriture de B X. Hypothèse reprise devant la cour d’assises de K en décembre 1993 par l’avocat général Kohn.

Contrairement à ce que soutient la demanderesse, ce propos ne lui impute pas d’avoir été le “corbeau”, puisqu’il évoque au contraire la possibilité que ce dénonciateur anonyme aurait imité son écriture, afin que la paternité d’une lettre du 23 juillet 1985 dont il était l’auteur lui soit attribuée à tort.

Est ensuite visé, toujours par B X, le passage suivant :

— en pages 176/178 :

Cela n’empêche pas la chambre d’accusation de poursuivre que “Le 12 septembre 1988, au cours du supplément d’information, Monsieur F a remis au magistrat instructeur une pellicule qu’il avait conservée, trois photographies contrastées du foulage et un double de la fiche de gendarmerie n° 815/2 du 12 novembre 1984 qui ont été annexés au procès-verbal de son audition […] Les experts Buquet et de G d’Arnoux ont eux aussi constaté la présence de foulage sur la trace du 16 octobre 1984, mais en raison des nombreuses manipulations que ce document avait subies, ils n’ont pas pu les déchiffrer.”

C’est une véritable altération de la vérité, un détournement du sens des mots.

Les experts Buquet et de G se sont expliqués au contraire sur ce qu’ils ont vu et sur l’interprétation qui pouvait en être faite ; ils ont écarté absolument une lecture de la signature de R E.

Les pièces de comparaison mises à leur disposition leur ont suggéré sept paraphes de signatures choisies parmi les suspects retenus par les gendarmes. Parmi ces paraphes pouvant être évoqués, s’il n’y avait pas celui de R E, par contre, il y avait celui de B X, dont on oublie que son nom de jeune fille est H. Avec un B, comme R. Mais ils ont exprimé leurs doutes sur la possibilité d’aboutir à une identification suffisamment précise et sérieuse, tout en tenant à souligner l’état défectueux du document suite aux traitements subis par celui-ci à la gendarmerie de Nancy qui empêchaient toute identification plus poussée.”

Dans ce passage, P Q critique l’arrêt de non-lieu rendu en 1993. Il relève que des experts en écriture ont envisagé qu’une trace de foulage retrouvée sur la lettre anonyme de revendication du crime postée le jour de celui-ci puisse comporter des similitudes avec l’écriture de sept suspects potentiels, dont B X, tout en précisant que ces mêmes experts se déclaraient dans l’incapacité d’aboutir à une identification, compte tenu du mauvais état du document. Dès lors qu’ainsi qu’il a déjà été relevé, ce fait ténu, quoiqu’interprété à charge contre la demanderesse, n’a pas été repris dans le livre au soutien d’une allégation générale, par affirmation ou par insinuation, que celle-ci serait coupable du meurtre, il ne présente pas à lui seul un caractère diffamatoire.

B X poursuit encore les deux passages qui suivent :

— en page 190 :

Et encore ignoraient-ils, tout comme moi, ce que devait révéler dix ans après, dans son livre mémoire, le commissaire Corazzi.

Les policiers du SRPJ avaient – paraît-il – sonorisé la chambre de la Roseraie à Epinal, où B s’était fait hospitaliser la veille du meurtre de E, et les écoutes téléphoniques réalisées leur avaient permis de renforcer leurs doutes sur sa sincérité dans l’affaire de la disparition et de la mort de Z et les véritables raisons de son hospitalisation. C’est du moins ce que j’ai compris à la lecture du livre du commissaire Corazzi publié en septembre 2003.”  ;

— en page 259 :

Dans le même style d’insinuation, et sans en apporter la preuve, Corazzi dit avoir sonorisé la chambre occupée par B X à la clinique de la Roseraie, du 24 au 31 mars 1985. Mais il ne donne aucune indication concrète sur le résultat de ses écoutes, sauf qu’il mentionne que “les propos entre elle et AB AC et entre B X et ses amis et Mme I [la nourrice de Z] vont tout à fait à l’encontre de ce qu’elle avait déclaré dans les procès-verbaux officiels”.

Il est dommage que les procès-verbaux d’écoutes, s’ils ont été établis, ne figurent pas au dossier officiel de l’instruction.

Dans ces deux passages, P Q fait état d’extraits d’un livre publié sur l’affaire par un ancien responsable du SRPJ. Là encore, ces propos qui évoquent en termes vagues les “doutes” des enquêteurs sur la “sincérité” de la demanderesse, et le décalage qui existerait entre les déclarations faites sur procès-verbal et les conversations enregistrées, dès lors qu’ils ne viennent pas conforter une imputation plus générale que ne contient pas le livre, ne présentent pas en eux-mêmes un caractère diffamatoire.

Le passage poursuivi suivant est ainsi rédigé :

— en pages 204/205 :

La cour d’assises et le public eurent la confirmation, par les époux X eux-mêmes, qu’ils avaient passé leurs propres coups de téléphone anonymes sur les conseils des gendarmes pour tenter d’identifier les auteurs des coups de fil anonymes qui les importunaient !

Parmi ceux qui avaient reçu ces appels, figuraient trois membre de la famille Magron.

Le fait ainsi évoqué ne présente aucun caractère diffamatoire, dès lors qu’il est spécifié que c’était pour collaborer à l’enquête que les époux X -étant relevé que seule B X agit de ce chef- avaient donné des appels téléphoniques anonymes. La diffamation ne saurait, dans ces conditions, advenir du seul fait contesté en demande, à savoir que, contrairement à ce qu’écrit P Q, aucun membre de la famille MAGRON n’aurait été destinataire de ces appels, alors qu’il n’est nullement suggéré dans l’ouvrage ni davantage dans l’acte introductif d’instance en quoi cette circonstance particulière et sur laquelle les parties ne s’accordent pas serait de nature à rendre le fait ainsi évoqué contraire à l’honneur ou à la considération.

B X incrimine ensuite les deux propos qui suivent :

— en pages 216/218 :

Enfin, le juge BB n’a-t-il pas aussi fait preuve de faiblesse en refusant d’inculper B X, en même temps que son mari AE-AP, de complicité d’assassinat sur la personne de E après leurs déclarations devant la police judiciaire les 29 et 30 mars 1985 ?

Il a apparemment suivi docilement l’avis oral du procureur Lecomte alors que les éléments recueillis par la police impliquaient incontestablement B X dans la préparation de l’assassinat. Il s’est limité au seul AE-AP X et aux seuls faits du 29 mars 1985 alors qu’il n’était pas tenu de rester dans ces seules limites par le réquisitoire dont il était saisi.

Sur ce point, le commissaire Corazzi a apporté dans son livre, en septembre 2003, un élément nouveau qui aurait mérité d’être révélé à la cour d’assises de K lors de sa comparution comme témoin. Selon lui, des instructions seraient venues du parquet général au procureur d’Epinal, pour lui demander de convaincre le juge d’instruction de ne pas inculper B X. Il se fonde pour cela sur une note manuscrite au crayon lue dans la nuit du 29 au 30 mars dans le bureau du procureur, auquel il avait eu accès pour téléphoner discrètement à ses chefs.

Quoi qu’il en soit, le juge BB savait que B X avait signé le chèque pour l’achat du fusil le 9 novembre 1984 ! Il y avait aussi les écoutes téléphoniques pratiquées par le SRPJ, que rappelle le commissaire Corazzi, à moins que celui-ci ne les lui ait cachées. Mais pourquoi ?

Il savait également depuis le 10 avril et l’article de AE AF dans Paris Match, que B X avait accompagné son mari dans sa première tentative d’assassinat de E, le 28 février. Elle était au volant de la voiture, prête à bloquer celle de E […] ;

- en page 258 :

La possibilité légale d’une inculpation de complicité [de B X] pour fourniture de moyens existait. Si le juge BB s’y est refusé, c’est sans doute […] pour une erreur d’hypothèse sur le vrai mobile de AE-AP X que j’ai avancé dans les pages précédentes.

Quoique ces propos se présentent comme une critique de l’action du juge d’instruction et du procureur de la République, ils comportent aussi l’imputation, faite à B X, qu’existaient contre elle des indices graves et concordants qui auraient dû conduire à son inculpation pour complicité d’assassinat contre R E. Cette imputation d’un fait qui n’est évoqué qu’à ces deux endroits du livre, n’est ni atténuée, ni supprimée ultérieurement et présente un caractère diffamatoire, s’agissant de la participation à un crime de sang.

Deux passages sont ensuite ensemble poursuivis :

— en page 246 :

Mais comme le rappelait très justement sur le plan procédural la cour d’appel de Versailles, le 15 mai 2002 :

“Il n’est pas actuellement possible de modifier légalement les décisions rendues même si elles apparaissent aujourd’hui, à la lumière des débats devant la cour d’assises, comme totalement contraires aux faits”.” ;

— en page 247 :

Toutefois, l’arrêt de la chambre d’accusation de K est un arrêt provisoire qui a déjà donné lieu à deux ébranlements successifs de son autorité.

Ainsi qu’il a déjà été relevé, en critiquant l’arrêt de non-lieu du 3 février 1993, P Q vise essentiellement les développements de celui-ci mettant en cause, de façon posthume, R E. Dans ces conditions, et peu important que la phrase présentée dans le premier passage comme extraite d’un arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES en date du 15 mai 2002 constitue une citation exacte ou une analyse tendancieuse de cette décision, ces deux propos qui ne contiennent en eux-mêmes l’imputation d’aucun fait précis à B X et ne s’inscrivent pas dans une allégation plus générale qui la viserait, ne présentent aucun caractère diffamatoire.

B X poursuit encore le passage suivant :

— en pages 260/261 :

Enfin, Corazzi décrit la façon curieuse dont s’est passée la perquisition au chalet des X au cours de laquelle a été découverte la cordelette sur les chaussures abandonnées par AE-AP et celle dépassant d’une tuile ayant servi à boucher une fuite sur le toit. Cordelette semblable à celles entourant Z au moment où son corps est retrouvé.

Découvertes par deux inspecteurs du commissaire Corazzi, sans prendre la précaution de respecter les règles du Code de procédure pénale, semble-t-il, les cordelettes ont été placées dans leur voiture, et présentées au commissaire qui leur a dit : “remettez-les là où vous les avez trouvées”, pour ensuite les découvrir au cours “d’une perquisition régulière”. Procéder ainsi c’était évidemment aller au devant d’une nullité de la perquisition, donc de la disparition du dossier de cette pièce à conviction, ce qui n’a pas manqué de se produire.”

Dans ce passage, P Q donne certes crédit, ainsi qu’il lui en est fait le grief en demande, à une version controversée de la découverte au domicile des époux X d’un indice qui semble avoir joué un rôle dans la décision du juge d’instruction de procéder à l’inculpation de B X. Dès lors, cependant, que ce propos qui ne contient en lui-même l’imputation d’aucun fait précis ne peut être replacé dans une imputation générale portant sur la culpabilité de la demanderesse dans le meurtre de son enfant, il ne saurait présenter un caractère diffamatoire.

B X poursuit enfin ce dernier passage :

— en pages 277/278 :

Le gendarme F avait alors cru y déceler les initiales Lb, une thèse infirmée par les experts Buquet et de G qui évoquaient un paraphe de signature, en aucun cas lisible comme “Lb” mais pouvant s’apparenter avec le paraphe de six autres personnes dont l’écriture avait été relevée par les gendarmes, notamment B X.

Or, celle-ci avait déclaré au cours d’un très long interrogatoire en présence du procureur général Estrangin par le président Simon, le 15 septembre 1987, qu’il était possible que son paraphe se soit inscrit sur son papier à lettres lorsqu’elle avait écrit un message à l’intention de son mari en quittant précipitamment le domicile avec son fils en pleine nuit pour se réfugier chez ses voisins, M. et Mme J, lors d’une visite nocturne bruyante du corbeau venu glisser sous les volets la première lettre de menaces.

L’avocat général avait fait état de cette hypothèse dans son réquisitoire, parlant d’un faussaire anonyme. Mais alors comment un tel faussaire aurait-il pu travailler ? Il faudrait admettre qu’il avait accès au dossier de l’instruction et qu’il était en relation avec l’un des enquêteurs de la gendarmerie ou de la police. L’avocat général a glissé d’ailleurs sur ce point, qu’il n’a fait qu’effleurer.

Aujourd’hui, cette lettre, avec son enveloppe et son timbre, figure au dossier. Sa comparaison par des experts en écriture extérieurs à la région et prenant connaissance de l’ensemble des expertises pourrait peut-être donner un avis utile, et l’examen du timbre figurant sur l’enveloppe pourrait peut-être conduire à des conclusions intéressantes et exploitables. Simple question.”

Ce passage, peu clair et que le lecteur non particulièrement averti ne saurait comprendre, au contraire de ce que le soutiennent les demandeurs, comme tendant à insinuer que le paraphe de B X se serait trouvé, sous forme de foulage, dans la lettre anonyme de revendication du 16 octobre 1984, -lettre dont il ne saurait être fait mention in fine, ainsi que le lecteur qui sait (pages 99 et 109 et 110) que son timbre a disparu ne peut manquer de le relever-, ne comporte l’imputation d’aucun fait diffamatoire à B X.

Sur les passages poursuivis ensemble par les époux X

Les demandeurs incriminent ensemble d’abord l’extrait qui suit :

— en pages 229/230 :

“[La situation de AP-AS E était d’autant plus difficile que] les époux X, très bien conseillés, avaient organisé leur insolvabilité et réalisé tous leurs biens. Ce n’est que le 1er avril 1995, après que le procureur de la République d’Evry M. AG AH eut notifié aux époux X, venus résider en Essonne après la libération de AE-AP X, le 24 décembre 1987, par la chambre d’accusation de K, que les époux X s’inclinèrent et exécutèrent les condamnations aux dommages-intérêts infligés à AE-AP X par la cour d’assises de la Côte-d’Or. Jusque-là, malgré un jugement du TGI de Nancy exécutoire par provision contre AE-AP X, ce dernier s’était abrité derrière son impossibilité apparente de faire face à cette condamnation pour ne payer que la partie saisissable sur son salaire mensuel. B X avait demandé et obtenu la séparation de biens et avait pu profiter tranquillement de l’argent que lui avait versé son éditeur, Carrere Editions 13, pour son livre Laissez moi vous dire paru en mai 1986, livre pour lequel elle avait été condamnée pour diffamation envers la mémoire de R E, AP-AS et L.”

C’est à juste titre que les demandeurs lisent dans ce passage l’imputation d’un fait précis contraire à leur honneur et à leur considération, celui de s’être dérobé à l’exécution des condamnations civiles pesant sur AE-AP X à la suite de la mort de R E, par le biais d’une organisation d’insolvabilité, dont il sera rappelé qu’elle est prohibée par la loi pénale (article 314-7 du code pénal).

Ils visent ensuite ce propos :

— en page 244 :

L’arrêt examine ensuite les charges pesant sur AP-AS E (deux alinéas de la page 82, toute la page 83 et trois alinéas de la page 84). Après avoir fouillé dans les ragots rapportés sur la vie du couple, par les époux X, et les avoir repris à son compte, la chambre d’accusation de K doit admettre que :

“Aucune des considérations développées à son encontre par les époux X ne constitue une présomption de culpabilité […]”.

En mentionnant que les époux X ont colporté des ragots, c’est-à-dire des propos malveillants, sur le couple E, P Q ne se contente pas d’évoquer un comportement certes peu louable, mais répandu et véniel : on comprend, au contraire, que les déclarations évoquées ont été faites dans le cadre d’un dossier criminel et pour nuire au couple qu’elles concernent, et spécialement à AP-AS E contre laquelle la juridiction les retient à charge, au moins le temps de leur examen.

Ce fait, qui peut être l’objet d’un débat probatoire utile, doit donc être considéré comme contraire à l’honneur et à la considération des demandeurs à qui il est imputé.

Ceux-ci poursuivent enfin ce passage :

— en pages 252/253 (et non 246 comme indiqué par erreur dans l’assignation) :

Le troisième ouvrage, d’une tout autre tonalité, est celui de AI AJ, paru en mars 1990, préfacé par l’un des plus grands chroniqueurs judiciaires de l’époque, AK AL. C’est un ouvrage documenté, honnête, bien rédigé, qui vaudra quelques ennuis à AI AJ car il comporte, en annexes, copie de certains documents couverts par le secret de l’instruction, pour la publication desquels il n’avait pas sollicité mon avis ni obtenu la copie.”

Ce passage ne contient aucune imputation de fait précis contre les demandeurs, le lecteur n’ayant aucune information sur le contenu du livre de AI AJ qui serait de nature à éventuellement transformer en allégation diffamatoire le jugement de valeur positif que porte sur lui P Q.

Sur la bonne foi

Si les imputations diffamatoires sont réputées faites dans l’intention de nuire, les défendeurs peuvent cependant justifier de leur bonne foi, laquelle s’apprécie en la personne de l’auteur des propos, et doivent, à cette fin, établir que celui-ci poursuivait, en écrivant les passages incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il s’est appuyé sur une enquête sérieuse.

P Q, qui a assuré la défense de R E, inculpé du meurtre du jeune Z X, puis, après le décès de son client, de la famille de celui-ci dans de nombreuses instances, pouvait légitimement faire valoir publiquement le point de vue de ses clients et leur souhait de voir reprendre les investigations sur un crime toujours non élucidé, qui a particulièrement ému l’opinion et a déjà donné lieu notamment à la publication de nombreux livres, signés en particulier de plusieurs protagonistes de l’affaire.

Si tout oppose ses clients aux demandeurs, dès lors que R E puis B X ont été successivement inculpés du meurtre de l’enfant et que AE-AP X a BE R E, ces circonstances ne sauraient suffire à caractériser une animosité de nature personnelle de P Q à l’égard des époux X, qui ne peut se déduire des seuls combats judiciaires qui les ont opposés.

Les deux derniers critères ci-dessus exposés seront examinés imputation par imputation, étant toutefois précisé à ce stade que si P Q n’est pas un journaliste, tenu à conduire une enquête complète et empreinte d’un effort d’objectivité, mais un particulier qui s’exprimait sur un dossier le concernant personnellement, il n’était pas pour autant dispensé d’avoir en mains des éléments lui permettant de tenir les propos litigieux, et qu’en sa qualité d’avocat, poursuivant sur le terrain médiatique la défense de ses clients, s’impose à lui une exigence de sérieux dans la présentation de ces éléments, mais qu’en même temps une particulière liberté de ton doit lui être reconnue.

S’agissant des imputations visant AE-AP X seul

Au soutien de l’allégation (pages 38/39 et 48/49) selon laquelle AE-AP X aurait cherché à tuer V W, P Q invoque ses pièces 1 à 4. Seule la pièce 1 (extraits du livre du colonel Etienne SESMAT, Les deux affaires Z, pages 43 et 44), étant relevé qu’il n’existe pas de pièce 2, rapporte que, “persuadé que V W était le corbeau assassin”, AE-AP X, “en apprenant la disparition de son fils, […] était retourné chez lui prendre un fusil pour aller le tuer”, mais “avait renoncé à son réflexe de vengeance” en voyant un véhicule garé près de chez celui qui devait en être la victime, qu’il avait pris pour un véhicule de gendarmerie.

Les demandeurs font observer pour leur part que l’auteur précise lui-même que c’est à 18h00 le 16 octobre 1984 que AE-AP X aurait voulu tuer V W, soit à une heure où la disparition de l’enfant avait certes été constatée, mais bien avant que son corps ne soit retrouvé, vers 21h15 (arrêt du 22 juillet 1986 de la chambre d’accusation de NANCY, pièce 4). Ils admettent que AE-AP X s’est rendu en fin d’après-midi chez V W, mais “afin de l’interroger et, le cas échéant, lui reprendre Z”.

Le tribunal constate que P Q, comme d’ailleurs l’ancien commandant de la compagnie de gendarmerie qui a conduit l’enquête sur le meurtre de Z X, donne à ses lecteurs à comprendre que ce serait pour venger l’assassinat de son fils que AE-AP X aurait souhaité tuer V W, à une heure où, en réalité, il ignorait la mort de son enfant. S’il résulte des pièces produites que l’enquête, dans un premier temps, s’est orientée vers V W (demi-frère de AE-AP X, soupçonné par lui d’être le “corbeau”), ce n’est, ainsi qu’il résulte clairement du livre du colonel SESMAT, que lorsqu’elle a effectivement commencé, à savoir le 17 au matin.

Tout en affirmant sans l’établir que B X aurait appelé les gendarmes pour leur signaler que son mari était parti avec une arme chez V W, le défendeur, qui a cependant eu accès à l’entier dossier judiciaire, ne produit aucun élément fiable sur les circonstances du déplacement litigieux de AE-AP X et se fonde seulement sur un livre écrit par un ex-enquêteur et publié en septembre 2006, soit de nombreuses années après les faits, pour livrer un récit qui induit en erreur le lecteur sur un point essentiel, qui ne pouvait échapper à P Q, avocat ayant un parfaite connaissance de l’affaire.

Le bénéfice de la bonne foi ne pourra donc être reconnu aux défendeurs de ce chef.

Au soutien de l’allégation (pages 130/131 et 201) selon laquelle ce serait sous les yeux du jeune fils de sa victime que AE-AP X a tué R E, P Q invoque dans ses conclusions seulement une lettre de la veuve et du frère du défunt qui n’est cependant pas versée aux débats.

Trois autres pièces produites au titre de la bonne foi évoquent les circonstances du coup de feu tiré par AE-AP X et qui a tué R E. Ni l’arrêt de renvoi rendu par la chambre d’accusation de NANCY le 22 juillet 1986 (pièce 4), ni le procès-verbal de confrontation du 20 juin 1985 (pièce 132) ne mentionnent la présence du jeune A, pas davantage que l’article de l’hebdomadaire PARIS-MATCH du 12 avril 1985 qui présente pourtant ses reporters comme ayant “vécu le drame en direct” (pièce 25). Seule AP-AS E, dans son audition par le SRPJ de NANCY en date du jour de l’assassinat, le 29 mars 1985 (pièce 120), décrit comment son mari était au niveau de la porte de leur garage, lorsque AE-AP X, qui lui-même se trouvait à deux mètres environ, à l’extérieur, a tiré sur lui et l’a tué, et mentionne, sur interpellation, qu'“au moment du coup de feu A mon fils se trouvait dans une autre partie du sous-sol” et “a accouru”.

Cette seule déclaration neutre de la mère de l’enfant n’autorisait pas P Q à affirmer d’une façon dramatique que l’enfant avait assisté “en direct à l’assassinat de son père” et à suggérer ainsi que même la présence de l’enfant -dont rien dans la déposition de sa mère ne permet de retenir que AE-AP X aurait pu savoir qu’il se trouvait à l’intérieur de la maison, “dans une autre partie du sous-sol”- n’aurait pas retenu l’assassin dans son geste criminel.

Le bénéfice de la bonne foi ne saurait davantage lui être reconnu du chef de cette imputation.

S’agissant de l’imputation visant B X seule

Au soutien de ses propos (pages 216/218 et 258) aux termes desquels B X aurait dû être inculpée pour l’assassinat de R E, P Q produit des éléments (pièces 23, 24, 25) lui permettant d’affirmer que l’intéressée était présente lorsque son mari a acheté à dessein un fusil à pompe, qu’elle avait signé le chèque réglant cette acquisition et qu’elle avait participé, avec son mari et en compagnie d’un journaliste de PARIS-MATCH, à une précédente tentative, à laquelle ils avaient renoncé, compte tenu du nombre de personnes présentes autour de R E.

Les demandeurs, qui ne contestent aucun de ces éléments factuels, font grief à P Q de n’avoir pas mentionné que le choix du juge d’instruction de ne pas inculper B X avait été confirmé par la chambre d’accusation, ce qui, compte tenu des reproches qu’a encourus l’action du magistrat instructeur, AE-BA BB, serait de nature à donner à penser aux lecteurs que cette abstention était particulièrement injustifiée.

Dans les passages litigieux, P Q, s’il n’évoque pas les recours qui ont été exercés contre le choix du juge d’instruction, insiste cependant sur le fait que ce magistrat -dont il ne critique par ailleurs pas aussi sévèrement que d’autres ont pu le faire les qualités professionnelles- pourrait avoir été influencé par le parquet, lui-même relayant les instructions reçues du parquet général (page 217), voire de la chancellerie (page 258). Dès lors, AE-BA BB n’est nullement présenté comme ayant imposé seul que B X ne soit pas inculpée et l’argumentation des demandeurs manque en fait.

C’est en tout état de cause l’imputation qu’existaient contre elle des indices graves et concordants d’avoir participé à l’assassinat de R E dont le caractère diffamatoire a été retenu. Il n’est pas contesté que cette thèse a été avec persévérance soutenue par la famille du défunt, qui avait déposé une plainte avec constitution de partie civile contre l’intéressée, laquelle avait été jointe au dossier ouvert contre son mari et clôturé par le seul renvoi de ce dernier devant la cour d’assises ; le défendeur verse également à cet égard aux débats un jugement du tribunal correctionnel d’EPINAL du 28 janvier 1987 (pièce 28) et un arrêt confirmatif de la cour d’appel de NANCY en date du 4 novembre 1988 (pièce 29) par lesquels les époux X ont été déboutés d’une action engagée sur le fondement des dispositions de l’article 91 du code de procédure pénale contre AP-AS E à la suite du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile susvisée, et condamnés à payer à celle-ci diverses sommes au titre de ses frais irrépétibles.

Il produit enfin un protocole transactionnel conclu le 1er avril 1995 relativement au règlement des sommes dues à la famille de R E à la suite du décès de celui-ci, dans lequel est évoquée une procédure engagée devant le tribunal d’EVRY afin de voir reconnaître la responsabilité civile de B X dans le décès, et par lequel cette dernière, quoique séparée de biens de son mari, s’engage à verser une part importante des sommes encore dues.

Dans ces conditions, dès lors qu’il était bien clair pour le lecteur que toute responsabilité pénale de B X dans la mort de R E avait été judiciairement écartée, P Q, qui avait tenté en vain au nom de la famille du défunt d’obtenir un résultat contraire, pouvait critiquer le choix de mettre la jeune femme hors de cause en rappelant des éléments de fait -non dénués de toute pertinence et dont la matérialité n’est pas contestée- qui selon lui militaient en sens contraire.

Le bénéfice de la bonne foi lui sera donc reconnu de ce chef.

S’agissant des imputations visant les époux X ensemble

Au soutien de ses propos (pages 229/230) imputant aux demandeurs d’avoir organisé leur insolvabilité, le défendeur produit aux débats :

— des extraits du récit publié par les époux X sous le titre Le seize octobre (pièces 51 et 52) où ceux-ci évoquent le changement de régime matrimonial homologué le 12 décembre 1989 par lequel ils avaient opté pour la séparation de biens, les sommes déjà réglées à AP-AS E et celles encore dues, et dressent un inventaire des fonds obtenus par le biais de diverses actions judiciaires visant des organes de presse, ou de transactions,

— des décisions judiciaires (un arrêt de la cour d’assises du département de la Côte d’Or en date du 17 décembre 1993 -pièce 6-, une ordonnance de référé en date du 24 avril 1986 -pièce 53-) condamnant AE-AP X à payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts à la suite de l’assassinat de R E, – un accord transactionnel conclu le 1er avril 1995 entre les époux X et la famille du défunt, faisant état des nombreuses procédures engagées de part et d’autre relativement à l’exécution de ces décisions ainsi que d’un arrêt de la cour d’assises en date du 24 février 1995, et réglant les modalités d’un complet paiement des sommes encore dues (pièce 26),

— une lettre adressée à P Q par AT AU, avocat honoraire, le 16 juin 2007, et évoquant une démarche faite auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance d’EVRY -dans le ressort duquel les époux X étaient venus résider- qui avait abouti à une “prise de position énergique” de ce magistrat, grâce à laquelle les demandeurs avaient “accepté ensemble, solidairement, de solder les comptes de l’assassinat de E pour éviter des poursuites correctionnelles pour organisation frauduleuse d’insolvabilité”.

Il n’est pas contesté, ainsi que les époux X l’ont écrit dans le livre susvisé, qu’ils ont été mis en examen “pour organisation d’insolvabilité” mais qu’ils ont bénéficié d’un non-lieu.

Au vu de ces éléments, P Q, qui ne suggère nullement qu’ils auraient été condamnés de ce chef, et compte tenu des difficultés rencontrées par ses clients pour obtenir le paiement de sommes importantes, se verra reconnaître le bénéfice de la bonne foi.

Enfin, relativement à l’imputation (page 244) liée aux “ragots” que les époux X auraient répandus pour obtenir la mise en cause de AP-AS E dans le meurtre de leur fils, P Q ne verse aucune autre pièce que l’arrêt de non-lieu du 3 février 1993 qu’il analyse dans le passage litigieux.

Dans cette décision, la chambre d’accusation de la cour d’appel de K, qui examine les “charges pesant sur AP-AS E”, relève que les époux X “ont également porté leurs soupçons” sur celle-ci, “en faisant observer, ce qui est vrai”, divers points, notamment “qu’elle a veillé le corps de Z X avant ses obsèques plus, semble-t-il, par curiosité qu’en raison de la sympathie que lui inspiraient cet enfant et ses parents”, ou “que le 4 mai 1986, elle a demandé la mise sous tutelle de sa tante par alliance AN AO, peut-être afin d’empêcher que les déclarations de celles-ci ne fussent prises en considération” et -seul élément qui concerne le couple à proprement parler- “que les époux E formaient un couple chancelant”. La juridiction évoque par ailleurs quelques lignes plus loin “la médiocre entente des époux E”.

Dans ces conditions, compte tenu du caractère ténu des suppositions que l’arrêt impute aux époux X et pour tenir compte de la liberté de parole reconnue à l’avocat, le bénéfice de la bonne foi sera reconnu également à P Q du chef de cette imputation.

Sur les demandes

Les défendeurs devront donc répondre de deux diffamations visant AE-AP X, contenues dans les passages incriminés situés en pages 38/39 et 48/49, d’une part, et 130/131 et 201, d’autre part. Celui-ci sera débouté de ses demandes en tant qu’elles visent les autres passages qu’il poursuit seul ou avec son épouse. B X sera, pour ce qui la concerne, déboutée de toutes ses demandes.

Les défendeurs seront condamnés in solidum à payer à AE-AP X la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts. Par ailleurs, à titre de réparation complémentaire, il sera ordonné, dans toute réimpression ou réédition de l’ouvrage litigieux, que soit inséré, avant le début du livre, un avertissement selon les modalités figurant au dispositif de la présente décision.

L’exécution provisoire, compatible avec la nature de l’affaire et opportune, en l’espèce, sera ordonnée.

Les défendeurs seront enfin condamnés à payer à AE-AP X une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Les autres demandes formées à ce titre seront rejetées.

Le droit d’agir en justice ne dégénérant en faute qu’en cas d’abus manifeste ou d’intention de nuire, lesquels ne sont pas caractérisés au cas présent, la demande formée par les défendeurs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Dit n’y avoir lieu à écarter des débats la pièce 16 des demandeurs ;

Dit n’y avoir lieu à ordonner la comparution personnelle des demandeurs ni les auditions de témoins sollicitées en défense ;

Dit que AE-AV AX, P Q et la société des éditions ELISE ont, en qualité d’éditeur, d’auteur et de société éditrice, de l’ouvrage intitulé L’AFFAIRE Z La justice a-t-elle dit son dernier mot ?, publiquement diffamé AE-AP X en lui imputant d’avoir voulu tuer V W et d’avoir tué R E sous les yeux de son fils A ;

Condamne in solidum AE-AV AX, P Q et la société des éditions ELISE à payer à AE-AP X les sommes de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne, à titre de réparation complémentaire, l’insertion, dans toute nouvelle impression ou édition de l’ouvrage, sur la page précédant le début de celui-ci, en caractères de même police que le corps du texte, et sous le titre, en caractères de même police que les titres des différents chapitres, “Avertissement judiciaire à la demande de AE-AP X”, du communiqué judiciaire suivant :

Par jugement en date du 27 octobre 2008, le tribunal de grande instance de PARIS, chambre civile de la presse, a condamné AE-AV AX, P Q et la société des éditions ELISE, pour avoir publiquement diffamé AE-AP X en publiant et écrivant le présent ouvrage, en lui imputant d’avoir voulu tuer V W et d’avoir BE R E sous les yeux de son fils A” ;

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision ;

Déboute AE-AP X de ses demandes du chef des autres passages par lui incriminés ;

Déboute B H épouse X de toutes ses demandes ;

Déboute AE-AV AX et P Q de leurs demandes en dommages et intérêts pour procédure abusive et au titre de leurs frais irrépétibles ;

Condamne AE-AV AX, P Q et la société des éditions ELISE aux dépens ;

Accorde à Me Anne BOISSARD de la SCP ZYLBERSTEIN & ASSOCIÉS le droit de recouvrer directement les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 27 Octobre 2008

Le Greffier Le Président

vingt-cinquième & dernière page

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Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse - civile, 27 octobre 2008, n° 07/06528