Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, 18 décembre 2015, n° 14/08230

  • Application de la loi dans le temps·
  • Invention hors mission attribuable·
  • Action en paiement du juste prix·
  • Prescription quinquennale·
  • Point de départ du délai·
  • Invention de salarié·
  • Régime applicable·
  • Prescription·
  • Recevabilité·
  • Juste prix

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

L’action en paiement du juste prix ne peut être assimilée à une action en paiement d’une créance salariale. S’agissant d’une action de nature personnelle et mobilière, née à l’occasion du commerce entre un commerçant et un non-commerçant, elle était soumise, avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, à la prescription décennale de l’article L. 110-4 du Code de commerce, ce délai ayant été réduit à 5 ans à l’issue de la réforme. Le point de départ du délai de prescription doit, concernant une action en paiement du juste prix, être fixé au jour où le salarié est informé de la décision de son employeur de s’attribuer la propriété des droits attachés au brevet, et non à compter du jour où il a été informé de l’exploitation commerciale de ce brevet, ce point de départ n’étant applicable qu’aux actions en paiement de la rémunération supplémentaire due au salarié dans le cadre des inventions de mission. L’OEB ayant informé le salarié de sa désignation en qualité d’inventeur des demandes de brevets européens, en janvier et mars 2006, ce dernier ne pouvait donc ignorer, à compter de ces dates, son droit d’agir en paiement d’un juste prix. Ainsi, le délai de prescription décennale qui avait commencé à courir à compter du 7 mars 2006, a été réduit à 5 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle du 17 juin 2008. Le salarié ayant introduit son action en 2014, celle-ci est prescrite.

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 2e sect., 18 déc. 2015, n° 14/08230
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 14/08230
Publication : Propriété industrielle, 5, mai 2016, p. 34-35, note de Jacques Raynard, Inventions de salariés : prescription de l'action en paiment de juste prix
Domaine propriété intellectuelle : BREVET
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : EP1795068 ; EP1806050
Titre du brevet : Agencement de gobelet trayeur comportant une valve ; gobelet trayeur
Classification internationale des brevets : A01J
Référence INPI : B20150175
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Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 18 décembre 2015

3e chambre 2e section N° RG : 14/08230

Assignation du 29 avril 2014

DEMANDEUR Monsieur Marcel F représenté par Me Anne-Lise SALMON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0624 et Me BAYLAC S E AVOCATS

DÉFENDERESSE Société BOU MATIC EUROPE SARL […] Parc du Moulin de Massy- Bâtiment .1 91300 MASSY représentée par Maître Emmanuel LARERE de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #T03

COMPOSITION DU TRIBUNAL François ANCEL Ie’ Vice-Président Adjoint Françoise B, Vice-Président Julien S, Vice-Président assistés de Jeanine R, FF Greffier

DEBATS À l’audience du 13 novembre 2015 tenue en audience publique

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

FAITS. PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES La société BOU MATIC EUROPE a pour activité « le développement, l’importation, l’exportation et la commercialisation tant en France qu’à l’étranger d’équipements pour laiteries et tous services liés à cette activité ». Monsieur Marcel F a été salarié de plusieurs sociétés du groupe BOU MATIC entre 2000 et 2011 et en dernier lieu de la société BOU MATIC EUROPE entre 2006 et mai 2011 au sein de laquelle il a exercé en qualité de « manager expert team ». Au cours de l’année 2005, il a réalisé une invention en lien avec l’activité de l’entreprise portant sur un appareil de traite pour chèvres « 2 gobelets », ayant fait l’objet de deux demandes de brevet européen dans lesquelles il a été désigné comme inventeur par son employeur :

• une première demande portant sur un « agencement de gobelet frayeur comportant une valve » (désigné sous l’appellation « valved teatcup assembly ») a été déposée le 6 décembre 2005 sous le n°05111759.6, puis publiée le 13 juin 2007 par l’OEB sous le n° EP 1795068 et finalement retirée dès le 14 décembre 2007 avant toute délivrance d’un titre (ci-après « brevet 068 ») ; • une seconde demande portant également sur un « gobelet trayeur » (désigné sous l’appellation « teatcup assembly ») a été déposée le 6 janvier 2006 sous le n°06000233.4, puis publiée le 11 juillet 2007 par l’OEB sous le n° EP 1806050, pour donner lieu à la délivrance d’un brevet le 17 décembre 2008, toujours en vigueur en France (ci-après « brevet 050 »). Indiquant avoir découvert à l’occasion d’une campagne publicitaire réalisée par la société BOU MATIC EUROPE, que le brevet précité avait été mis en exploitation et commercialisé par cette même société sous la forme d’un produit dénommé « CAPRISTAR », Monsieur F a assigné par exploit du 29 avril 2014 son ancien employeur devant le tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir un juste prix de son invention, les parties convenant qu’il s’agit d’une invention hors mission attribuable.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 15 décembre 2014, au visa des articles L. 611-7 2° et R. 611-1 à R. 611-10 du code de la propriété intellectuelle, Monsieur FERNANDE/ demande au tribunal de :
- Dire Monsieur Marcel F recevable et bien fondé à obtenir le juste prix de son invention hors mission :

- Condamner à ce titre la société BOU MATIC EUROPE à payer à Monsieur Marcel F, la somme de 200 000 euros :

- Débouter la société BOU MATIC EUROPE de toutes demandes contraires et dire son offre non satisfactoire ;

- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- Condamner la société BOU MATIC EUROPE à verser à Monsieur Marcel F la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens qui seront recouvrés par Avocat aux offres de droit ;

- Dire que pour le cas où Monsieur Marcel F, serait contraint d’avoir à procéder à l’exécution forcée des condamnations prononcées à défaut de règlement spontané. le montant des sommes retenues par l’huissier de justice, agissant en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001. portant modification du décret n°96-1080 du 12 décembre 1996 relatif au tarif des huissiers, sera intégralement supporté par la société BOU MATIC EUROPE, en sus des sommes éventuellement mises à sa charge au titre des frais irrépétibles. Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 13 avril 2015, au visa des articles L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle, L. 110-4 du code de commerce et

2222 du code civil, la société BOU MATIC EUROPE demande au tribunal de :
- Dire et juger la société BOU MATIC EUROPE recevable et bien fondée dans ses demandes :

À titre principal :

- Dire et juger que l’action en paiement d’un juste prix de Monsieur Marcel F est prescrite:

- Dire et juger en conséquence Monsieur Marcel F irrecevable en ses demandes ; À titre subsidiaire :

- Dire et juger que le juste prix réclame par Monsieur Marcel F ne saurait être supérieur à 2 000 euros : En tout état de cause :

- Condamner Monsieur Marcel F, à verser à la société BOU MATIC EUROPE la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du CPC ;

- Condamner Monsieur Marcel F au paiement de l’intégralité des dépens qui seront recouvrés par Maître Emmanuel LARERE en application de l’article 699 du CPC.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 avril 2015.

MOTIFS Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de Monsieur F ; La société BOU MATIC EUROPE l’ait valoir que l’action de Monsieur F est prescrite, le délai de prescription applicable à une demande de paiement d’un juste prix étant le délai quinquennal de l’article L. 110- 4 du code commerce, s’agissant d’un acte mixte. Elle précise que compte tenu de la réduction du délai de prescription (auparavant de 10 ans) résultant de loi du 17 juin 2008, il convient de faire application de l’article 2222 du code civil selon lequel le nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Elle ajoute qu’en matière de juste prix, il y a lieu de retenir comme point de départ du délai, le jour du dépôt de la demande de brevet portant sur l’invention attribuée. En l’espèce, elle considère ainsi que le délai de prescription, qui était de dix ans au jour de l’attribution de l’invention, a commencé à courir le 6 décembre 2005, date de dépôt de la première demande de brevet ou, au plus tard, le 6 janvier 2006, date de dépôt de la seconde et que le nouveau délai de cinq ans ayant commencé à courir le jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle soit le 19 juin 2008, pour s’achever le 19 juin 2013, l’action de Monsieur F

était prescrite au jour de l’assignation, à savoir le 29 avril 2014. Elle ajoute que Monsieur F. ne peut feindre avoir découvert la commercialisation du CAPRISTAR en 2014, alors qu’il a non seulement été tenu au courant du dépôt des brevets en 2006. mais encore de la commercialisation du produit dès 2007 et réfute l’argument de Monsieur F selon lequel le délai de prescription court à partir du moment où l’intéressé a été informé de l’exploitation commerciale de son invention puisque seule cette exploitation ouvre droit à gratification, dès lors qu’il s’agit, selon elle, du point de départ applicable aux actions en paiement d’une rémunération supplémentaire relevant du régime des inventions de mission, qui n’est pas applicable pour les inventions hors mission attribuable.

En réponse. Monsieur F fait valoir que le délai applicable en la matière est le délai quinquennal de droit commun et que la prescription de l’action en paiement de l’inventeur court à partir du moment où l’intéressé a été informé de l’exploitation commerciale de son invention puisque seule cette exploitation ouvre droit à gratification. Il en conclut que le moyen tiré de la prescription invoqué par la société BOL MAT1C EUROPE pour s’opposer à sa demande de paiement d’un juste prix est irrecevable et mal fondé. Sur ce.

En l’espèce, les parties ne contestent pas que l’invention dont se prévaut M. F relève du régime des inventions hors mission attribuables de telle sorte qu’en application des dispositions de l’article L. 611-7 du code de la propriété intellectuelle « lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle, l’employeur a le droit, dans des conditions et délais fixés par décret en Conseil d’État, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié. Le salarié doit en obtenir un juste prix qui, à défaut d’accord entre les parties, est fixé par la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 ou par le tribunal de grande instance : ceux-ci prendront en considération tous éléments qui pourront leur être fournis notamment par l’employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l’un et de l’autre que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention. » Sur la prescription applicable ; L’action en paiement du juste prix ne peut être assimilée à une action en paiement d’une créance salariale dès lors que précisément le juste prix n’est pas destiné à rémunérer une prestation en contrepartie du travail accompli par le salarié pour le compte de son employeur, mais au contraire à payer au salarié le prix de l’attribution à l’employeur de

la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention du salarié. Cette action, de nature personnelle et mobilière, qui peut être considérée comme étant née à l’occasion de leur commerce entre un commerçant et un non-commerçant, était soumise, avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, à un délai de 10 ans en application de l’article L. 110-4 du code de commerce, ce délai ayant été réduit à 5 ans à l’issue de celte réforme.

Sur le point de départ de la prescription ; Le fait générateur ouvrant droit au paiement d’un juste prix résulte de la décision de l’employeur de s’attribuer la propriété des droits attachés au brevet protégeant l’invention dont le salarié a été à l’origine. Il découle nécessairement de la date à laquelle le salarié a été informé du dépôt par l’employeur d’une demande de brevet portant sur son invention. En effet, à compter de cette date, le salarié est en mesure d’agir en justice pour obtenir le paiement du juste prix, dont le versement n’est nullement subordonné à une exploitation commerciale du brevet. Le point de départ du délai de prescription doit donc être fixé, s’agissant de l’action en paiement du juste prix, au jour où le salarié est informé de la décision de son employeur de s’attribuer la propriété des droits attachés au brevet protégeant son invention, et non à compter du jour où il a été informé de l’exploitation commerciale de ce brevet, ce point de départ n’étant applicable qu’aux actions en paiement de la rémunération supplémentaire due au salarié dans le cadre des inventions de mission. En l’espèce, il ressort des pièces versées que l’office européen des brevets a informé Monsieur F par deux lettres respectivement du 27 janvier 2006 et du 7 mars 2006 de sa désignation comme inventeur des demandes de brevets européen déposées les 6 décembre 2005 et 6 janvier 2006 par la société BOU MATIC sous les numéros 05 111759.6 et 06 000233.4. À compter de cette date, Monsieur F ne pouvait ignorer, en application de l’article L. 611-7 précité, son droit d’agir en paiement d’un juste prix de telle sorte que le point du départ du délai de prescription de son action doit être fixé à ces deux dates, selon la demande de brevet prise en compte, soit au plus tard à compter du 7 mars 2006. Le délai de prescription de l’action en paiement du juste prix engagée par Monsieur F, n’ayant pas expiré au jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, cette action est désormais soumise à un délai de 5 ans conformément à l’article 26 II de la loi du 17 juin 2008 précitée selon lequel « les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de

l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».

Ainsi, le délai de prescription décennale applicable à l’action en paiement du juste prix exercée par M. F qui avait commencé à courir à compter du 7 mars 2006, a été réduit à 5 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit le 19 juin 2008, et a donc expiré le 19 juin 2013, conformément à l’article 26 II précité. Monsieur F ayant engagé son action en justice en paiement par assignation du 29 avril 2014, cette action est atteinte par la prescription.

Sur les autres demandes ; Il y a lieu de condamner Monsieur F, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. En outre, il doit être condamné à verser à la société BOU MATIC EUROPE, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 5 000 euros. PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort. DECLARE prescrite l’action en paiement du juste prix engagée par Monsieur Marcel F :

CONDAMNE Monsieur Marcel F à payer à la société BOU MATIC EUROPE la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile :

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes :

CONDAMNE Monsieur Marcel F aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

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