Tribunal de grande instance de Paris, 1re chambre responsabilité des professionnels du droit, 6 juillet 2016, n° 15/03122

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 1re ch. responsabilité des professionnels du droit, 6 juill. 2016, n° 15/03122
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 15/03122

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

1/1/2 resp profess du drt

N° RG :

15/03122

N° MINUTE :

Actes du :

10 août 2012

14 février 2013

PAIEMENT

M R

(footnote: 1)

JUGEMENT

rendu le 6 juillet 2016

DEMANDEUR

Monsieur C de D de MONT-REMY

[…]

[…]

représenté par Maître Marie-Odile LARDIN de la SEP LARDIN CABELI PRADIE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0001

DÉFENDERESSE

S.C.P. E F & ASSOCIES

[…]

[…]

représentée par Maître Dominique SCHMITT de la SELARL Cabinet SCHMITT & Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0021

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur B Y, 1er Vice-Président Adjoint

Président de la formation

Monsieur Laurent DUVAL, Vice-Président

Monsieur Z A, Juge

Assesseurs

assistés de Juliette JARRY, Greffière, lors des débats

DÉBATS

A l’audience du 8 juin 2016 tenue en audience publique devant M. B Y et M. Z A, magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.

JUGEMENT

— Contradictoire.

— En premier ressort.

— Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par M. B Y, Président et par Mme Caroline GAUTIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Résumé des faits et de la procédure

- Vu l’acte introductif d’instance signifié le 10 août 2012, à la requête de M. C D de Mont-Rémy,

— Vu le courrier du 16 janvier 2015 émanant du conseil de M. C D de Mont-Rémy concernant la transmission du dossier au tribunal de grande instance de Paris ensuite de l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 14 février 2013, rectifiée le 28 février 2013, portant dessaisissement au profit de ce tribunal,

- Vu les dernières conclusions de M. C D de Mont-Rémy, notifiées par voie électronique le 14 septembre 2015,

- Vu les dernières conclusions de la SCP E F & associés, notifiées par voie électronique le 23 octobre 2015,

- Vu l’ordonnance du 11 février 2016 portant clôture de l’instruction de l’affaire et la renvoyant pour être plaidée à l’audience du 8 juin 2016.

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*

Le 30 avril 2009, M. C D de Mont-Rémy a été rendu destinataire par l’administration fiscale d’une proposition de rectification concernant l’ensemble de son revenu imposable déclaré pour 2007, entraînant un rehaussement des plus-values taxables au taux de 16 % pour un montant de 976.383 €, la perception de la contribution sociale généralisée à 8,2 %, du prélèvement social de 2 % augmenté de la contribution additionnelle de 0,3 % ainsi que de la contribution pour le remboursement de la dette sociale de 0,5 %, outre les intérêts de retard et une majoration de 40 % pour manquement délibéré.

La déclaration ainsi rectifiée avait été établie par Me Fabien Deramond, alors avocat associé au sein du cabinet E F.

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Par ses dernières conclusions susvisées, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. C D de Mont-Rémy a demandé à ce tribunal de :

— condamner la SCP E F & associés à lui payer la somme de 115.994 € avec intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2010,

— condamner la SCP E F & associés à lui payer la somme de 6 000 € au titre de l’article 700 code de procédure civile,

— ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, en ce compris les sommes demandées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la SCP E F & associés aux dépens, qui seront recouvrés par Me Marie-Odile Lardin, avocate.

***

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A l’appui de ses prétentions, M. C D de Mont-Rémy a fait notamment valoir que :

— la déclaration de revenus de 2007 était inexacte à la suite d’une erreur de la SCP E F & associés, laquelle a ensuite suivi la procédure de redressement fiscal sans jamais suggérer à M. C D de Mont-Rémy de former un recours contre la décision de l’administration, s’agissant tant du principal que des pénalités pour “mauvaise foi” ;

— dès lors que la SCP E F & associés avait commis la faute qu’elle reconnaît – l’erreur volontaire ou non dans la déclaration de plus-value – c’est à elle et à elle seule qu’il appartenait de tenter de limiter le dommage consécutif à sa faute, en intervenant auprès de l’Administration, en vertu du mandat dont elle était alors encore investie ;

— il a sollicité un spécialiste en droit fiscal, Me X, pour que celui-ci forme une demande de dégrèvement de la pénalité, ce qui a été fait par lettre recommandée avec avis de réception du 27 décembre 2012, courrier demeuré sans réponse ce qui signifie que la réclamation a été implicitement rejetée ;

— à la date du 10 novembre 2010, la totalité de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée pour 2007 a été soldée en principal, intérêts de retard, pénalités et frais ; son patrimoine s’est appauvri du montant des intérêts de retard appliqués par l’Administration sans que la défenderesse puisse établir qu’il se serait corrélativement enrichi du fait du non-déboursé du principal à bonne date ; quant aux pénalités de mauvaise foi, le préjudice naît à la date de la faute et la victime n’a pas à tenter de limiter dans l’intérêt de l’auteur de la faute, le dommage que celui-ci lui a causé.

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Par ses dernières conclusions susvisées, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la SCP E F & associés a demandé à ce tribunal de :

- à titre principal :

— dire et juger que la demande de M. C D de Mont-Rémy est irrecevable et infondée en raison de son défaut de recours contre la décision arbitraire de l’administration fiscale ;

- à titre subsidiaire :

— dire et juger que la mauvaise foi fiscale imputée à un contribuable lui est personnelle et ne saurait être transférée sur son avocat ;

— dire et juger que les intérêts moratoires de 10.545 € (6.249+ 4.296) ne sont pas indemnisables ;

En conséquence,

— prononcer le débouté de toutes les demandes fins et prétentions de M. C D de Mont-Rémy ;

— le condamner à verser à la SCP E F & associés une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et atteinte à son renom et à sa réputation ;

— le condamner à verser à la SCP E F & associés une somme de 10.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— le condamner aux dépens dont distraction au profit de la société CABINET SCHMITT & associés ;

— prononcer l’exécution provisoire pour le tout.

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*

A l’appui de ses prétentions, La SCP E F & associés a fait valoir que :

— l’erreur commise par Me Fabien Deramond, qui n’est pas contestée, est banale et ne saurait être justiciable de manœuvre de mauvaise foi justifiant une pénalité de 40 % ;

— la demande de M. C D de Mont-Rémy est à ce jour tant irrecevable qu’infondée puisque les voies de recours contre la décision emportant le préjudice allégué n’ont pas été exercées alors qu’il aurait dû contester les conclusions des vérificateurs et s’est limité à effectuer une réclamation datée du 27 décembre 2012, à l’extrême limite du délai de contestation ;

— les intérêts de retard ne constituent pas un véritable préjudice puisqu’ils sont la contrepartie d’une somme conservée par un débiteur qui n’y avait pas droit mais qui a pu lui-même s’en servir et la faire fructifier ; le revenu global après contrôle de M. C D de Mont-Rémy s’est élevé en 2007 à 1.077.875 € augmenté des plus-values sur valeurs mobilières de 4.574.383 €, soit un total de 5.652.258 € ;

— le vérificateur et son supérieur hiérarchique ont estimé que compte tenu des activités financières de M. C D de Mont-Rémy, il n’avait pas pu, de bonne foi, se méprendre sur sa déclaration de plus-value et que c’est à dessein qu’il avait omis de déclarer une assiette de 976.383 €; tout contribuable persuadé de sa bonne foi ne peut, face à une telle accusation, s’abstenir de la contester par un contentieux.

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Analyse de l’espèce et motivations

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir

Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause.

La partie demanderesse soutient que M. C D de Mont-Rémy ne serait pas recevable à agir à son encontre, faute d’avoir, préalablement à l’introduction de la présente instance, contesté le redressement fiscal dont il a fait l’objet.

Selon l’article 31 du code de procédure civile “L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.”.

L’intérêt à agir n’est dès lors pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action et l’existence du préjudice invoqué par le demandeur dans le cadre de l’action en responsabilité professionnelle qu’il a engagée n’est pas une condition de recevabilité de cette action mais de son succès.

Par voie de conséquence, M. C D de Mont-Rémy sera déclaré recevable en son action.

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Sur la responsabilité

La fonction de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu.

La responsabilité du professionnel du droit est une responsabilité de droit commun qui suppose la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre l’une et l’autre. Il en résulte, notamment, que le préjudice invoqué doit être certain, qu’il s’agisse d’ailleurs du préjudice entier ou d’une perte de chance.

En l’espèce, il n’est pas contesté qu’en assistant M. C D de Mont-Rémy dans la rédaction de sa déclaration de revenus pour 2007, la SCP E F & associés a renseigné de façon erronée ce document quant au montant de la plus-value résultant d’une cession de valeurs mobilières du 1er janvier 2007, déclaré à hauteur de 2.839.730 € qui a conduit à un rehaussement de 976.383 €.

Le manquement de la SCP E F & associés a directement eu pour conséquence le redressement fiscal notifié le 30 avril 2009 par l’administration fiscale et a conduit, au terme du processus, au paiement, non contesté, par M. C D de Mont-Rémy, au Trésor public, de 115.994 € le 10 novembre 2010, correspondant aux sommes suivantes :

— au titre de l’impôt sur le revenu :

➔intérêts de retard : 6.249 €

➔pénalité pour mauvaise foi : 62.488 €

— au titre de la CSG-CRDS :

➔intérêts de retard 4.296 €

➔pénalité de mauvaise foi 42.961 €.

La responsabilité du professionnel du droit n’étant pas subsidiaire, la SCP E F & associés ne saurait valablement faire grief à M. C D de Mont-Rémy de ne pas avoir épuisé toutes les voies de droit possibles contre le Fisc avant de solliciter la réparation de son préjudice au titre des incidences fiscales de la cession des actions.

Reste que le paiement d’un impôt mis à la charge d’un contribuable, ne constitue pas, de principe, un préjudice indemnisable, sauf si la faute de l’avocat a fait supporter à son client une charge fiscale à laquelle il aurait pu échapper ou qu’il aurait pu diminuer.

En outre, les intérêts de retard versés à l’administration fiscale ne constituent un préjudice réparable que sous réserve de l’avantage financier procuré par la conservation des sommes dues jusqu’au recouvrement de celles-ci.

Or, en l’espèce, M. C D de Mont-Rémy ne démontre pas que l’avantage financier que lui a procuré la conservation du montant de l’imposition dans son patrimoine serait moindre que le montant des intérêts de retard payés.

Au regard de ce qui précède l’existence d’un préjudice fiscal en lien avec le défaut de manquement à l’obligation d’information et de conseil retenu à l’encontre de la SCP E F & associés apparaît donc certain et justifié à hauteur de 105.449 € (62.488+ 42.961), somme au paiement de laquelle la partie défenderesse sera condamnée, avec intérêts au taux légal à compter de la décision.

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Sur le caractère abusif de la procédure

L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de faute tenant notamment à la malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équivalente au dol.

En l’espèce, la SCP E F & associés sera déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de M. C D de Mont-Rémy.

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Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de condamner la SCP E F & associés, partie perdante, aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

En outre, la SCP E F & associés doit être condamnée à verser à M. C D de Mont-Rémy, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 6.000 €.

Conformément aux dispositions de l’article 515 du code de procédure civile et eu égard aux circonstances de l’espèce, le prononcé de l’exécution provisoire est justifié.

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P A R C E S M O T I F S

Le Tribunal,

— REJETANT toutes prétentions plus amples ou contraires des parties ;

— DÉCLARE RECEVABLE l’action engagée par M. C D de Mont-Rémy à l’encontre de la SCP E F & associés ;

— CONDAMNE la SCP E F & associés à payer à M. C D de Mont-Rémy la somme de cent-cinq mille quatre-cent quarante-neuf euros (105.449 €) à titre de dommages-intérêts ;

— DÉBOUTE la SCP E F & associés de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

— CONDAMNE la SCP E F & associés à payer à M. C D de Mont-Rémy la somme de six mille euros (6.000 €) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— CONDAMNE la SCP E F & associés aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

— ORDONNE l’exécution provisoire de la décision.

Fait et jugé à Paris le 6 juillet 2016

Le Greffier Le Président

C. GAUTIER M. Y

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