Tribunal judiciaire de Créteil, 21 septembre 2021, n° 21/00778

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TJ Créteil, 21 sept. 2021, n° 21/00778
Numéro(s) : 21/00778

Sur les parties

Texte intégral

MINUTE N° : JUGEMENT DU : 21 Septembre 2021 DOSSIER N° : N° RG 21/00778 – N° Portalis DB3T-W-B7F-STFF CODE NAC : 82C – 0A AFFAIRE : S.A.S. RICOH FRANCE C/ COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ RICOH FR ANCE

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRETEIL

Section des Référés

JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND

LE PRESIDENT : Madame Claire ALLAIN-FEYDY, Première vice-présidente

LE GREFFIER : Madame Stéphanie GEULIN, Greffier

PARTIES :

DEMANDERESSE

S.A.S. RICOH FRANCE, dont le siège social est sis […]

représentée par Maître Virginie DEVOS de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : P0438

DEFENDEUR

COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE (CSE) DE LA SOCIÉTÉ RICOH FR ANCE , dont le siège social est sis […]

représenté par Me Maëlle AUCHÉ, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : P0028

Débats tenus à l’audience du : 02 Septembre 2021 Date de délibéré indiquée par le Président : 21 Septembre 2021 Jugement rendu par mise à disposition au greffe le 21 Septembre 2021

Vu l’assignation selon la procédure accélérée au fond, en date du 31 MAI 2021, délivrée au Conseil social et économique (CSE) de la société RICOH FRANCE à la requête de la société RICOH FRANCE aux fins de voir :

A titre principal,

- annuler la délibération du 20 mai 2021 du Conseil social et économique (CSE) de recourir à une mesure d’expertise pour risque grave ;

A titre subsidiaire,

- constater que l’expertise est prématurée et en conséquence annuler la délibération du CSE ;

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A titre infiniment subsidiaire,

-constater que le CSE entend déléguer la mission qui lui incombe au Cabinet TECHNOLOGIA et annuler en conséquence la résolution du CSE du 20 mai 2021 ;

En tout état de cause,

- condamner le CSE à lui payer la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

L’affaire a été entendue à l’audience du 2 septembre 2021.

Vu les conclusions de la société RICOH FRANCE, soutenues oralement à l’audience du 2 septembre 2021, tendant aux mêmes fins ;

La société RICOH FRANCE expose :

- que le litige s’inscrit dans le contexte inédit de la crise sanitaire liée à la COVID-19 à l’occasion de laquelle la société RICOH FRANCE a connu une forte baisse de son activité la contraignant de recourir à du chômage partiel et notamment pour les techniciens ainsi qu’à recourir au télétravail ; que le suicide d’un de ses salariés, Monsieur X, à son domicile est survenu le 27 février 2021 et il a fait état d’une situation de harcèlement de la part de deux de ses collègues.

- que dès le 4 mars 2021 elle a informé les membres du CSE de ce suicide et a mis en oeuvre plusieurs actions : une procédure d’enquête et des groupes de paroles menés par le cabinet Axis Mundi; une communication adressée à la famille de la victime et aux collaborateurs de la société, un dispositif d’accompagnement pour les salariés et plus particulièrement l’équipe de Monsieur X, les mesures envisagées à plus long terme notamment pour la prévention des risques psycho-sociaux; que le CSE a exprimé son accord pour que l’enquête soit menée par Axis Mundi ;

- qu’un point sur l’avancement de l’enquête a eu lieu le 18 mars 2021 au cours duquel il a été rappelé aux membres du CSE qu’ils pouvaient contacter Axis Mundi; que la commission santé sécurité et des conditions de travail s’est réunie le 26 mars 2021 et le CSE le 7 avril 2021 ; qu’au cours de ces réunions un point d’étape sur l’enquête est intervenu ;

- que le rapport d’enquête de Axis Mundi a été restitué le 15 avril 2021 qu’il préconisait notamment une analyse globale des risques psychosociaux auprès des techniciens voire des autres métiers sensibles,

- que dès le 12 mars 2021 l’inspection du travail de Lille est entrée en contact avec la direction de la société RICOH FRANCE pour diligenter une enquête sur les circonstances du décès de Monsieur X.

La société RICOH FRANCE fait valoir :

- qu’il n’existe aucun danger grave justifiant la nécessité d’une expertise; que la charge de la preuve de l’existence d’un risque grave pèse sur le CSE ; que le décès d’un salarié n’entraine pas ipso facto la reconnaissance d’un risque grave ; que dans sa résolution du 20 mai 2021, le CSE reconnaît l’absence de risque grave actuel puisqu’il demande à l’expert de mettre en évidence ce risque ; que l’expertise est inutile puisqu’une enquête conjointe a déjà été menée à laquelle les membres du CSE pouvaient participer; que le rapport d’enquête de l’inspection du travail de Lille du 20 mai 2021 conclut à l’absence

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de situation de harcèlement, de comportements individuels ou d’organisation du travail pénalement répréhensibles ; que les conclusions de l’enquête du cabinet Axis Mundi ne laissent pas apparaître un risque grave actuel, identifié et généralisé car il s’agissait d’une situation individuelle, isolée; qu’elle n’a pas non plus constaté une augmentation de la charge de travail des techniciens; que la société RICOH FRANCE a présenté au CSE le 15 avril 2021 le programme d’accompagnement des salariés qui n’a pas constaté de problématique généralisée de RPS au sein de la société ;

- qu’une expertise serait en toute hypothèse prématurée au regard des actions mises en place par l’entreprise qui a confié au cabinet d’expertise USIDE un diagnostic RPS et présenté ses projets aux CSE lors des réunions des 23 et 24 juin 2021 ; qu’elle n’a pas souhaité que la mission de ce cabinet d’expertise ait un focus sur le service technique et commercial mais porte sur toute l’entreprise; qu’en l’absence de consensus au sein du CSE sur le cadrage de la mission, la démarche a été lancée sans participation des membres du CSE; que le diagnostic a été initié le 30 août 2021 ;

- que le recours à l’expertise doit être l’ultime recours et n’a pas pour objet de suppléer les pouvoirs d’analyse des risques professionnels d’inspection ou d’enquête dont dispose le CSE ;

Vu les conclusions du Conseil social et économique (CSE) de la société RICOH FRANCE, soutenues oralement à l’audience du 2 septembre 2021, tendant au débouté de la demande et à la condamnation de la société RICOH FRANCE à payer à leur conseil la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

Le CSE expose qu’il a été informé par la direction de la société RICOH FRANCE de la mise en place d’une enquête confiée au cabinet Axis Mundi à la suite du suicide de Monsieur X mais n’a pas été associé ni à l’identification des personnes interrogées, ni à l’élaboration du guide d’entretien, ni aux entretiens réalisés, qu’il n’a pu être observateur et n’a eu connaissance du mail adressé par la soeur du salarié décédé que le 8 avril 2021 ; que lors de la réunion du CSE du 6 mai 2021 il a constaté l’insuffisance de l’enquête et l’inconsistance des mesures préconisées et c’est dans ces conditions qu’il a voté à l’unanimité l’ouverture d’une enquête du CSE et la constitution d’une délégation d’enquête paritaire, ainsi que la désignation d’un expert en application des dispositions de l’article L 2315-94 du code du travail.

Le CSE soutient :

- qu’il ressort du rapport du cabinet Axis Mundi le constat d’un risque grave, identifié et actuel concernant les techniciens nécessitant une analyse de leur charge de travail, leur niveau de stress, l’exercice du pouvoir de direction à leur égard, la cohérence de l’organisation du travail, les méthodes de management, les moyens mis à disposition des techniciens; que les techniciens ont fait remonter aux élus du CSE les graves risques psychosociaux auxquels ils sont exposés ; qu’est ressentie une souffrance morale aboutissant à des situations de désespérance extrêmes concrétisée par le suicide d’un salarié; que d’ailleurs, la société a décidé de faire appel à un cabinet d’experts pour travailler sur les risques psychosociaux et a demandé aux élus du CSE de renoncer à l’expertise qu’ils ont voté s’ils voulaient participer à cet audit ;

- que les mesures prises par l’employeur par rapport aux risques litigieux ne privent pas l’expertise de son utilité.

SUR CE :

Sur la demande principale en annulation de la délibération :

Au termes de l’article L 2315-94 du code du travail : « Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat :

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1° Lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ;

2° En cas d’introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° de l’article L. 2312-8 ;

3° Dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle. »

Conformément aux dispositions des articles L 2315-86 et R 2315-49 du code du travail, l’employeur peut saisir dans un délai de dix jours le président du tribunal judiciaire, dans les cas suivants :

« 1° La délibération du comité social et économique décidant le recours à l’expertise s’il entend contester la nécessité de l’expertise ;

2° La désignation de l’expert par le comité social et économique s’il entend contester le choix de l’expert ;

3° La notification à l’employeur du cahier des charges et des informations prévues à l’article L. 2315-81-1 s’il entend contester le coût prévisionnel, l’étendue ou la durée de l’expertise ;

4° La notification à l’employeur du coût final de l’expertise s’il entend contester ce coût ; Le juge statue, dans les cas 1° à 3°, suivant la procédure accélérée au fond dans les dix jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l’exécution de la décision du comité, ainsi que les délais dans lesquels il est consulté en application de l’article L. 2312-15, jusqu’à la notification du jugement. Cette décision n’est pas susceptible d’appel.

En cas d’annulation définitive par le juge de la délibération du comité social et économique, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité social et économique peut, à tout moment, décider de les prendre en charge. »

En l’espèce, lors de la réunion ordinaire du CSE du 20 mai 2021 ayant notamment pour ordre du jour un « point sur le rapport d’Axis Mundi et décision du CSE de la suite à donner » une délibération a décidé en application des dispositions de l’article L 2315-94 du code du travail la réalisation d’une étude relative à l’exposition des salariés aux risques psychosociaux avec pour objectif : « – de mettre en évidence les facteurs de risques psychosociaux qui ont pu conduire Monsieur X à exprimer une situation de harcèlement au travail puis à son suicide. L’expert devra recueillir les témoignages des collègues de Monsieur X, consulter ses courriels et échanger avec d’autres salariés exposés aux mêmes conditions de travail.

- d’identifier des mesures de protection et de prévention des risques identifiés. »

Il appartient au CSE de rapporter la preuve de l’existence d’un risque grave, identifié et non simplement hypothétique, et existant au moment où la délibération est prise.

A cet égard, il ressort de la délibération du 20 mai 2021 que les élus du CSE ont fait état des éléments suivants :

- le suicide en février 2021 de Monsieur X, salarié de l’entreprise, laissant un courrier à sa famille dénonçant une situation de harcèlement au travail,

- l’information donnée le 4 mars 2021 au CSE par la société RICOH FRANCE de sa décision de faire appel à un expert pour procéder à une enquête paritaire; principe accepté par les membres du CSE,

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- le choix, par la société RICOH FRANCE seule, du cabinet d’experts lequel a ensuite diligenté son enquête sans impliquer les membres du CSE qui n’ont participé ni à l’identification des personnes interrogées, ni à l’élaboration du guide d’entretien, ni aux entretiens réalisés ;

- la lecture du rapport du cabinet d’expert n’a pas sérieusement envisagé l’étude de la situation de harcèlement dénoncée par Monsieur Z X; que le rapport “se contente de conclure que “les éléments recueillis ne relevant pas des catégories sus citées, ne peuvent être constitutifs d’un harcèlement.” sans préciser la nature et l’étendue des éléments recueillis”;

- n’ayant pas été associés à l’enquête, les élus ne sont pas en mesure de s’assurer qu’une analyse précise des facteurs de harcèlement a été réalisée par le cabinet Axis Mundi, les mesures préconisées par l’expert ne sont pas à la hauteur de la gravité des faits qu’elles sont supposées prévenir.

Il ressort des éléments produits aux débats qu’au jour où le CSE a pris sa délibération de recourir à une mesure d’expertise :

- le CSE avait été avisé du suicide à son domicile d’un des salariés de l’entreprise, technicien de Lezennes, lequel mettait en cause dans une lettre, dont le contenu avait été communiqué à l’employeur par un mail de sa soeur du 1er mars 2021 communiqué aux membres du CSE le 8 avril 2021, une situation de harcèlement par deux salariés de la société,

- le rapport du cabinet Axis Mundi avait été établi et porté à la connaissance de la direction et et des membres du CSE lors de la réunion ordinaire du CSE du 20 mai 2021,

- le rapport avait pour « objectif global de comprendre les motivations professionnelles de l’acte et de permettre la mise en place d’une démarche de prévention adaptée »; que les techniciens entendus sont les collègues de l’agence de Lezennes; que le rapport relève notamment :

- que la charge de travail n’est pas décrite comme grandissante mais différente puisqu’elle oblige à se déplacer davantage; qu’à ces évolutions d’organisation s’ajoutent les conséquences organisationnelles de la crise COVID : le recours au chômage partiel a modifié la répartition de la charge de travail qui a pu être vécue comme plus importante par les techniciens; que les objectifs journaliers fixée et évalués statistiquement peuvent concourir à « un sentiment de charge augmentée. En effet, les objectifs individuels non atteints, étant rebasculés sur les collègues représentent une charge supplémentaire pour ces derniers et cela peut être vécu comme un stress, dû à ce surcroit d’activité » (page 8 du rapport) ;

- que selon les sites/régions les techniciens s’accordent pour développer un mécanisme et une organisation en système D; que néanmoins, ce sentiment d’autonomie est contre balancé par l’impression d’être contrôlés, surveillés par la Direction; que pour ceux qui n’ont pas ou moins de soutien social cela génère un fort sentiment de pression; qu’on retrouve cette notion et ce vécu de stress dans le processus de comparaison via les comptes rendus statistiques reçus régulièrement par les équipes, et leur faisant part, de manière comparée des résultats et de l’efficience de chaque technicien (page 9 du rapport) ;

- que les techniciens souffrent d’un manque de visibilité sur leurs perspectives d’évolution au sein de la société; que cette absence de perspective est amplifiée par un programme de formation perçu comme inadapté voire inconséquent et une pédagogie inadaptée (pages 9 et 10 du rapport) ;

- que les techniciens déplorent un manque global de reconnaissance à la fois symbolique et financière et remontent un véritable besoin de reconnaissance (pages 10 et 11 du rapport) ;

- que les dernières modifications structurelles dans la société ont modifié les méthodologies de travail et la répartition des territoires avec un impact sur les temps de partages formels ou informels pouvant être partagés entre collègues; qu’en outre la crise COVID est un catalyseur de ce sentiment d’isolement ; que les techniciens itinérants ont de moins en moins l’occasion de se retrouver et certains peuvent souffrir d’un véritable

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sentiment de solitude, d’une absence de soutien ; que cela est renforcé par l’absence de relation avec les différents niveaux hiérarchiques (N + 1/ N + 2); page 11 du rapport

- que les entretiens ont mis en avant un sentiment de qualité de travail empêchée;

- que l’enquête et les éléments recueillis lors des entretiens ont permis de mettre en évidences des facteurs de risques psychosociaux; qu’une donnée clé est le caractère solitaire du métier de technicien itinérant; que cette activité solitaire est habituellement contre balancée par des moments de partages conviviaux formels et informels que les techniciens peuvent mettre en place spontanément et avec l’appui de leur hiérarchie, même si ces moments tendent à se raréfier compte tenu des nouvelles organisations ; – que le contexte conjoncturel de la crise sanitaire a modifié ces moments conviviaux et de soutien entre pairs (fermeture des agences, arrêts des repas collectifs..). De ce fait les difficultés personnelles et professionnelles sont majorées car elles ne peuvent plus être partagées et relativisées; que le vécu de solitude est évoqué comme étant augmenté par le manque de présence de la direction (pages 12 et 13 du rapport) ;

- que les personnes interviewées ont pu énoncer concernant le décès du salarié : « on est déjà passé à autre chose, c’est malheureux, mais çà y est c’est passé… »

- qu’en conclusion, le rapport a retenu trois éléments qui ont pu globalement s’associer dans le contexte du décès du salarié : la personnalité de ce dernier ; l’organisation du travail contrainte par l’évolution du secteur d’activité et la conjoncture imprévisible, inédite et complexe liée à la crise COVID ; qu’il relève que la conjoncture de ces trois éléments a impacté l’ensemble des techniciens mais surtout plus profondément ceux qui ne pouvaient pas bénéficier d’une majorité de facteurs de protection et notamment d’un équilibre vie personnelle/ vie professionnelle grâce à un environnement personnel suffisamment présent et stable. (Pages 16 et 17 du rapport)

- L’inspection du travail de Lille a établi un rapport d’enquête relative au suicide du salarié survenu le 27 février 2021 le 20 mai 2021 après avoir entendu au cours de l’enquête les 14 techniciens composant l’équipe de Monsieur Y, ainsi que ce dernier et visité l’établissement de Lezennes, duquel il ressort notamment :

- que Monsieur X exerçait son métier de technicien dans un collectif de travail dispersé et dont l’isolement a été accentué par la crise sanitaire et la suppression des occasions de rencontres informelles renforcés par la fermeture de l’établissement de Lezennes en raison de la crise sanitaire; qu’il était relevé qu’aucune réunion d’équipe n’avait été programmée au cours des douze derniers mois précédant le décès du salarié; que celui-ci appelait peu Monsieur X qui l’appelait de temps en temps sans pouvoir préciser la fréquence des interactions (page 3) ;

- que dans son plan d’actions sur les risques psychosociaux de la société ont été évalués les risques psychosociaux et en particulier le risque d’isolement et des mesures de prévention ont été définies mais dans le cadre de la pandémie de COVID-19 aucune mesure concrète n’a été prise pour réduire l’isolement des salariés et en particulier des techniciens tant au niveau national qu’au niveau local, si ce n’est par la possibilité de faire appel à la cellule d’écoute (page 4) ;

- qu’il n’a pas été relevé de comportements pénalement répréhensibles de la part des deux salariés mis en cause pour des faits de harcèlement ; que toutefois « la pratique consistant à comparer les salariés entre eux, explicitement mentionnée par Monsieur X à ses proches, a pu impacter son état de santé mentale. En effet, si le collectif de travail devient un cadre de rivalité et de concurrence, il peut devenir un facteur de RPS, d’autant plus dans le contexte de travail de Monsieur X, où les interventions non réalisées sont reportées d’un technicien sur un autre. » (page 8) ;

- qu’il a conclu que « d 'un point de vue collectif, la situation de Monsieur X a mis en lumière les difficultés liées à l’isolement qui du fait de la pandémie de COVID-19 a été renforcé pour les techniciens et a été étendu aux autres salariés habituellement sédentaires, placés en télétravail, sans que des mesures compensatoires suffisantes n’aient été prises » et relevé qu’au « cours de l’enquête des corrections ont été apportées par la mise en place de réunions par groupe de cinq personnes. Une étude autour des pratiques de management au sein de la société intitulée « People First » est également en cours ; que l’inspectrice du travail invitait la société RICOH FRANCE à poursuivre et mettre à jour son évaluation des risques psychosociaux, notamment en lien avec la problématique de l’isolement et du télétravail

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et celle du classement et de la comparaison des salariés entre eux.

Il ressort de ces éléments qu’au moment où le CSE a pris sa délibération avait été identifié tant par le rapport du cabinet Axis Mundi que par l’inspection du travail un risque grave, touchant plus spécifiquement les techniciens de la société en lien, avec l’organisation du travail du fait notamment des dernières modifications structurelles dans la société ayant modifié les méthodologies de travail et la répartition des territoires avec un impact sur l’isolement des salariés et la conjoncture imprévisible, inédite et complexe liée à la crise COVID ayant renforcé cet isolement en rendant plus difficile voire en supprimant les moments de convilialité et de soutien entre pairs non compensés par un renforcement de l’accompagnement managérial ; que le lien entre l’organisation du travail et le suicide de Monsieur X n’était pas entièrement exclu par les éléments recueillis ; que ce risque était encore actuel au moment où le CSE a pris sa décision puisque si certaines mesures avaient été prises par la société RICOH FRANCE, ainsi que le souligne l’inspection du travail, il apparaît que la société RICOH FRANCE n’avait pas encore mis en oeuvre l’évaluation des risques psychosociaux, ses projets ayant été présentés à la Commission Santé Sécurité et des Conditions de Travail (CSSCT) les 25 mai et 16 juin 2021 et évoqué avec les membres du CSE lors de la réunion du 17 juin 2021.

Il apparaît en conséquence que la délibération prise par le CSE de faire appel à un expert pour mettre en évidence les facteurs de risques psychosociaux qui ont pu conduire Monsieur X à exprimer une situation de harcèlement au travail puis à son suicide ; recueillir les témoignages des collègues de Monsieur X, consulter ses courriels et échanger avec d’autres salariés exposés aux mêmes conditions de travail et identifier des mesures de protection et de prévention des risques identifiés était justifiée au moment où elle a été prise, moment où le juge doit se placer pour se prononcer sur le bien fondé de la décision, sans par ailleurs qu’il puisse être sérieusement soutenu par la société RICOH FRANCE qui a elle-même fait appel à des intervenants extérieurs, que les membres du CSE seraient à même, sans recours à un professionnel agréé et extérieur à la société, de procéder à cette analyse.

Il y a lieu en conséquence de débouter la société RICOH FRANCE de sa demande d’annulation de la délibération prise par le CSE.

Sur les demandes accessoires :

La société RICOH FRANCE succombant à l’instance conservera à sa charge ses entiers frais irrépétibles et il convient de la condamner outre aux dépens à payer au CSE de la société RICOH FRANCE la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, selon la procédure accélérée au greffe, par jugement contradictoire insusceptible d’appel,

Déboute la société RICOH FRANCE de sa demande d’annulation de la délibération des représentants du Conseil social et économique (CSE) de la société RICOH FRANCE du 20 mai 2021 ayant désigné le Cabinet Technologia pour mener l’expertise prévue à l’article L 2315-94 du code du travail ;

Condamne la société RICOH FRANCE à payer au Conseil social et économique (CSE) de la société RICOH FRANCE la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

FAIT AU PALAIS DE JUSTICE DE CRETEIL, LE 21 SEPTEMBRE 2021.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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