Tribunal Judiciaire de Paris, 4 octobre 2022, n° 22/55795

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 4 oct. 2022, n° 22/55795
Numéro(s) : 22/55795

Texte intégral

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS

N° RG 22/55795 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXZ7 W

FMN° : 1

Assignation du : 06 Septembre 2022

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Copies exécutoires délivrées le:

JUGEMENT DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE le 04 octobre 2022

par le tribunal judiciaire de Paris, composé de:

Maïté GRISON-PASCAIL, 1er Vice-président Fabrice Vert, 1er Vice-président Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-président

Assistés de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier.

DEMANDEUR

Société MG FREESITES LTD Block 1, […], […], […]

représentée par Me Elsa RODRIGUES, avocat au barreau de PARIS – #P490

DEFENDERESSES

Monsieur A-B C, es qualité de président de l’ARCOM 39-43 quai André Citroën 75015 PARIS

représenté par Me Nicolas JOUANIN, avocat au barreau de PARIS – #R0191

S.A. ORANGE 111, Quai du Président Roosevelt 92130 ISSY-LES-MOULINEAUX

représentée par Maître Alexandre LIMBOUR de la SELEURL SELARLU Alexandre LIMBOUR, avocats au barreau de PARIS

- #L0064

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S.A. ORANGE CARAIBE […]

représentée par Maître Alexandre LIMBOUR de la SELEURL SELARLU Alexandre LIMBOUR, avocats au barreau de PARIS

- #L0064

S.A.S. FREE 8 rue de la Ville l’Évêque 75008 PARIS

représentée par Maître Yves COURSIN de l’AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – #C2186

S.A. BOUYGUES TELECOM 37/[…]

représentée par Maître François DUPUY de la SCP HADENGUE et Associés, avocats au barreau de PARIS – #B0873

S.A.S. FREE MOBILE […]

représentée par Maître Yves COURSIN de l’AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocats au barreau de PARIS – #C2186

S.A.S. COLT TECHNOLOGY SERVICES […]

représentée par Maître Katia BONEVA-DESMICHT de l’AARPI BAKER & MC KENZIE, avocats au barreau de PARIS – #P0445

S.A. SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR […]

représentée par Maître Pierre-B CHARTIER de l’ASSOCIATION CBR & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #R0139

S.A.S.U. SFR FIBRE 10 Rue Albert Einstein 77420 CHAMPS SUR MARNE

représentée par Maître Pierre-B CHARTIER de l’ASSOCIATION CBR & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #R0139

S . C . S . S O C I E T E R E U N I O N N A I S E D U RADIOTELEPHONE – SRR 21 rue Pierre Aubert 97490 SAINT-DENIS

représentée par Maître Pierre-B CHARTIER de l’ASSOCIATION CBR & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #R0139

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S.A.S. OUTREMER TELECOM – OMT Zone de Gros de la Jambette 97200 FORT DE FRANCE

représentée par Maître Pierre-B CHARTIER de l’ASSOCIATION CBR & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #R0139

En présence de :

Monsieur LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE près le tribunal judiciaire de Paris, représenté par Monsieur Etienne de Survilliers, premier Vice-Procureur

INTERVENANTES VOLONTAIRES

Société WEBGROUP CZECH REPUBLIC A.S. Krakovska 1366/[…]

représentée par Maître Kami HAERI du PARTNERSHIPS QUINN EMANUEL URQUHART & SULLIVAN LLP, avocats au barreau de PARIS – #P0438

Société X Y Z Krakovska 1366/[…]

représentée par Maître Kami HAERI du PARTNERSHIPS QUINN EMANUEL URQUHART & SULLIVAN LLP, avocats au barreau de PARIS – #P0438

Société FEDRAX LDA EDIFICIO Rua Encosta dos Piornais, […], […]

représentée par Me Alexandra NERI, avocat au barreau de PARIS

[…]

DÉBATS

A l’audience du 06 Septembre 2022, tenue publiquement, présidée par Maïté GRISON-PASCAIL, 1er Vice-président, assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Par actes des 13 et 15 juillet 2022, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (l’ARCOM) a fait assigner la SA Orange, la SA Orange Caraïbe, la SAS Free, la SAS Free Mobile, la SA Bouygues Telecom, la SAS Colt Technologies Services, la SA Française du Radiotéléphone, la SASU SFR Fibre, la SCS Réunionnaise du Téléphone et la SASU Outremer Telecom devant le président du tribunal judiciaire de Paris saisi selon la

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procédure accélérée au fond d’un litige relatif au blocage et/ou au déréférencement des services de communication au public en ligne des sites “Pornhub”, “Tukif”, “Xhamster”, Xnxx” et

“Xvideos.com” afin d’empêcher leur accès aux mineurs.

A l’audience du 6 septembre 2022, les sociétés MG Freesites Ltd., […], Webgroup Czech Republic AS et X Y Z sont intervenues volontairement à la procédure.

Dans ses écritures déposées à l’audience, l’ARCOM demande au tribunal de :

- ordonner aux défendeurs de mettre en œuvre, ou de faire mettre en œuvre, à leurs frais, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, toutes mesures appropriées de blocage pour empêcher l’accès notamment en utilisant le protocole de blocage par nom de domaine (DNS), à partir du territoire français et /ou par leurs adresses situées sur le territoire, au service de communication au public en ligne dénommé « Pornhub », édité par la société MG Freesites Ltd. et accessible depuis l’adresse internet https://fr.pornhub.com ; au service de communication public en ligne dénommé « Tukif », édité par la société Fedrax Lda et accessible depuis l’adresse internet https://tukif.com ; au service de communication public en ligne dénommé « Xhamster » édité par la société Hammy Media Ltd et accessible depuis l’adresse internet https///fr.xhamster.com ; au service de communication public en ligne dénommé « Xnxx » édité par la société X Y Z et accessible depuis l’adresse internet https://www.xnxx.xom et au service de communication au public en ligne dénommé « Xvideos », édité par la société WebGroup Czech Republic et accessible depuis l’adresse internet https///www.xvideos.com ;

- ordonner aux défendeurs de justifier dans un délai de 5 jours à compter de leur mise en œuvre de la mesure de blocage, auprès de l’Arcom, ainsi que du président du tribunal judiciaire de Paris, des mesures prises et mises en œuvre pour empêcher l’accès à partir du territoire français, au service de communication au public en ligne dénommé « Pornhub », édité par la société MG Freesites Ltd. et accessible depuis l’adresse internet https://fr.pornhub.com ; au service de communication public en ligne dénommé « Tukif », édité par la société Fedrax Lda et accessible depuis l’adresse internet https://tukif.com ; au service de communication public en ligne dénommé « Xhamster » édité par la société Hammy Media Ltd et accessible depuis l’adresse internet https///fr.xhamster.com ; au service de communication public en ligne dénommé « Xnxx » édité par la société X Y Z. et accessible depuis l’adresse internet https://www.xnxx.xom et au service de communication au public en ligne dénommé « Xvideos », édité par la société WebGroup Czech Republic et accessible depuis l’adresse internet https///www.xvideos.com ;

- ordonner que les défendeurs dirigent les utilisateurs des services de communication au public en ligne auxquels l’accès est empêché vers une page d’information de l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique indiquant les motifs de la mesure de blocage ;

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 – ordonner que les mesures de blocage soient maintenues jusqu’à ce que le contenu accessible sur les noms de domaine « Pornhub », « Tukif », « Xhamster », « Xnxx » et « Xvideos » ne soit plus accessible par des mineurs.

Dans des observations écrites distinctes déposées à l’audience, l’ARCOM demande de dire n’y avoir lieu à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société MG Freesites Ltd.

A cette même audience, la société MG Freesites Ltd., éditeur du site “Pornhub”, a déposé et soutenu un mémoire à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité par lequel elle demande de :

- transmettre à la Cour de cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité libellée comme suit :

« Les dispositions de l’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 et de l’article 227-24 du code pénal tel que modifié par l’article 22 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 (auquel l’article 23 renvoie) sont-elles conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit que sont le principe de légalité des délits et des peines et la liberté d’expression et de communication, respectivement en ce que ces dispositions (i) ne définissent pas en des termes suffisamment clairs et précis une infraction pénale et le comportement pouvant donner lieu à une sanction ayant le caractère d’une punition, et (ii) portent une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur de prévention de l’accès des mineurs aux contenus pornographiques sur Internet ? ».

Les défenderesses ainsi que les sociétés intervenantes volontaires Webgroup Czech Republic AS et X Y Z n’ont pas déposé d’observations écrites sur la question prioritaire de constitutionnalité.

La société […], intervenante volontaire, a présenté de simples observations orales s’associant à la demande de la société MG Freesites Ltd.

Le ministère public, avisé dans les conditions de l’article 23-1 de l’ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958, présent à l’audience, a développé oralement ses observations écrites dans lesquelles il conclut que la question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas de caractère sérieux, de sorte qu’il n’y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.

La décision a été mise en délibéré au 4 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de la société MG Freesites Ltd.

Conformément à l’article 61-1 de la Constitution, seule une partie au litige en cours est recevable à présenter une question prioritaire de constitutionnalité dans un écrit distinct et motivé.

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En l’espèce la société MG Freesites Ltd., éditeur du site pornographique “Pornhub” et qui a déposé un mémoire à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclare intervenir volontairement à la procédure diligentée par l’ARCOM à l’encontre des seuls fournisseurs d’accès à internet, afin de faire valoir des droits qui lui sont propres.

Cette intervention volontaire principale n’a pas été contestée par les autres parties à l’instance, et doit être déclarée recevable, l’intérêt à agir de la société MG Freesites Ltd. n’étant pas contestable en sa qualité d’éditeur d’un site pornographique dont le blocage est en l’espèce sollicité par l’ARCOM.

Partant, la société MG Freesites Ltd. est recevable en sa demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

L’article 61-1 de la Constitution dispose :

Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.”

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

L’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 dispose également : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. […] ».

1- Sur la recevabilité

La question prioritaire de constitutionnalité est déposée dans un mémoire distinct et motivé par la société MG Freesites Ltd, intervenante volontaire. Le Ministère public était présent et a déposé des observations écrites. Elle est donc recevable.

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2- Sur la condition d’applicabilité de la disposition contestée

En l’espèce, la société MG Freesites Ltd invoque l’applicabilité au litige de l’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 et de l’article 227-24 du code pénal modifié par l’article 22 de la loi n°2020-936 du 30 juillet 2020.

L’ARCOM objecte que seul l’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, qui lui confère un pouvoir d’injonction et de saisine du juge judiciaire et non pénal, est applicable et constitue le fondement de l’action qu’elle a engagée à l’égard des fournisseurs d’accès à internet, auxquels il est demandé de couper l’accès aux services proposés, sans aucune demande de condamnation pénale de sorte que les dispositions de l’article 227-24 du code pénal visées au premier alinéa de l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 ne sont pas applicables.

Le ministère public considère qu’en faisant usage des prérogatives conférées par l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 afin d’assurer la conformité des conditions d’accès aux sites pornographiques avec l’article 227-24 du code pénal, ces dispositions contestées sont applicables au litige.

Aux termes de l’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 :

« Lorsqu’il constate qu’une personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227-24 du code pénal, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel adresse à cette personne, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé. La personne destinataire de l’injonction dispose d’un délai de quinze jours pour présenter ses observations.

A l’expiration de ce délai, en cas d’inexécution de l’injonction prévue au premier alinéa du présent article et si le contenu reste accessible aux mineurs, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond, que les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique mettent fin à l’accès à ce service. Le procureur de la République est avisé de la décision du président du tribunal.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir, sur requête, le président du tribunal judiciaire de Paris aux mêmes fins lorsque le service de communication au public en ligne est rendu accessible à partir d’une autre adresse.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut également demander au président du tribunal judiciaire de Paris d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire.

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Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut agir d’office ou sur saisine du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.

Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret. »

L’article 227-24 du code pénal dispose :

« Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.

Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

L’article 22 de la loi du 30 juillet 2020 a ajouté un dernier alinéa à l’article 227-24 du code pénal:

“Les infractions prévues au présent article sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans.”

Il est constant qu’une question prioritaire de constitutionnalité peut porter sur plusieurs dispositions législatives dès lors que chacune de ces dispositions est applicable au litige ou constitue le fondement des poursuites.

En l’espèce, l’ARCOM a fait usage des pouvoirs qui lui sont conférés en vertu des dispositions précitées, en ayant dans un premier temps mis en demeure la société MG Freesites Ltd de prendre “toute mesure de nature à se conformer aux dispositions de l’article 227-24 du code pénal” pour saisir ensuite le président du tribunal judiciaire aux fins de blocage de l’accès au site pornographique.

L’article 227-24 du code pénal visé par l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 détermine l’infraction à l’origine de la procédure de demande de mise en conformité adressée par l’ARCOM aux éditeurs de sites pornographiques, qui constitue le préalable indispensable à la saisine du président du tribunal judiciaire

En conséquence, l’article 23 de la loi du 20 juillet 2020 et l’article 227-24 du code pénal, tel que modifié par l’article 22 de la loi du 20 juillet 2020, constituent bien le fondement de l’action initiée par l’ARCOM.

La condition visée au 1° de l’article 23-2 de l’ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 est donc remplie.

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3- Sur l’absence de déclaration de conformité à la Constitution

La société MG Freesites Ltd soutient que l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 et l’article 227-24 du code pénal tel que modifié par l’article 22 de la loi du 30 juillet 2020, n’ont pas fait l’objet d’une déclaration de conformité à la Constitution et qu’aucune question prioritaire de constitutionnalité concernant ces dispositions n’est en cours d’examen devant la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ou pendante devant le Conseil constitutionnel. Elle précise, en réponse aux moyens soulevés par l’ARCOM, que si une décision a déjà été rendue par le Conseil constitutionnel, s’agissant de l’article 227-24 du code pénal, elle l’a été antérieurement à l’ajout du troisième alinéa, de sorte qu’il n’y a pas d’obstacle à ce qu’une nouvelle question soit posée.

L’ARCOM fait valoir que la question soulevée n’est pas nouvelle et qu’elle doit s’apprécier au regard de la disposition constitutionnelle à laquelle la disposition législative est confrontée et non au regard de la disposition législative contestée. Elle souligne que les dispositions constitutionnelles invoquées par la défenderesse, à savoir le principe de légalité des délits et peine et la liberté d’expression et de communication, ont déjà fait l’objet d’interprétations par le Conseil constitutionnel.

Le ministère public estime que les dispositions contestées, dans leur rédaction issue de la loi du 30 juillet 2020, n’ont pas fait l’objet d’une déclaration de conformité par le Conseil constitutionnel.

Il n’est pas contesté en l’espèce que ni l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020, ni l’article 227-24 du code pénal tel que modifié par l’article 22 de ladite loi n’ont été déclarés conformes à la Constitution.

En effet, aucune de ces dispositions ne figure au fichier des dispositions déclarées conformes à la Constitution disponible sur le site Internet du Conseil constitutionnel et dans la liste des questions prioritaires de constitutionnalité en cours d’examen devant la Cour de cassation.

Par ailleurs, le critère de la nouveauté de la question prévu par l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précité, apprécié effectivement au regard non pas de la loi contestée mais de la norme constitutionnelle invoquée, n’est applicable que devant le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, et en tout état de cause, il ne se confond pas avec les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 et n’est pas cumulatif avec le caractère sérieux de la question posée.

Il s’ensuit que la condition visée au 2° de l’article 23-25 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 est remplie.

4- Sur le caractère sérieux de la question

La société MG Freesites Ltd. prétend que l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 et l’article 227-24 du code pénal, dans sa rédaction issue de l’article 22 de la loi du 30 juillet 2020, portent atteinte :

- au principe de légalité des délits et peines prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

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ayant valeur constitutionnelle qui impose que toute infraction pénale et toute sanction ayant le caractère d’une punition soient définies en termes suffisamment clairs et précis et que le comportement incriminé soit clairement défini,

- à la liberté d’expression et de communication prévue à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’interdiction d’accès à un site dont le contenu est licite en soi étant nécessairement constitutif d’un atteinte à la liberté d’expression et de communication, toute atteinte devant être proportionnée, nécessaire et adaptée à l’objectif poursuivi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

L’ARCOM et le ministère public contestent le caractère sérieux de la question posée.

* sur l’atteinte au principe de légalité des délits et des peines

La société MG Freesites Ltd. rappelle que l’ajout à l’article 227-24 du code pénal, s’il établit désormais que la simple déclaration par une personne qu’elle est majeure ne suffit pas à démontrer que l’opérateur a mis en place les mesures nécessaires pour satisfaire à son obligation de faire obstacle aux mineurs d’accéder aux sites pornographiques, ne donne aucune indication sur les mesures susceptibles de faire cesser l’infraction. Elle considère que cette absence de précision légale est source d’insécurité juridique et présente un risque d’arbitraire. Ce risque d’arbitraire existe également dans le mécanisme instauré par l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 qui n’impose pas au président de l’ARCOM d’exposer de manière précise et circonstanciée les mesures nécessaires susceptibles d’être mises en place par l’éditeur destinataire de l’injonction, tout en lui octroyant le pouvoir d’apprécier si les mesures prises par le site éditeur sont suffisantes, alors que les critères d’appréciation retenus ne sont pas connus.

L’ARCOM rappelle que les dispositions de l’article 227-24 du code pénal ont déjà fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité s’agissant de leur conformité au principe de légalité des délits et des peines, qui n’a pas été transmise par la Cour de cassation. Elle estime que la modification du texte par l’ajout d’un alinéa ne justifie pas un nouvel examen de constitutionnalité. Concernant l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020, elle fait valoir que le comportement réprimé est décrit en des termes suffisamment clairs et précis par l’article 227-24 du code pénal et que le législateur n’est pas tenu d’édicter les comportements permettant d’empêcher la commission d’une infraction.

Le ministère public conclut à l’absence de caractère sérieux de la question au motif que la Cour de cassation a déjà refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité sur l’atteinte alléguée, considérant que les termes de ce texte étaient rédigés en des termes suffisamment clairs et précis. Il ajoute que le troisième alinéa de l’article 227-24 du code pénal ne fait que préciser les contours de l’infraction en codifiant une jurisprudence établie. Enfin, il considère que les mesures instituées par l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 n’ont pas à satisfaire au principe de la légalité des délits et des peines, ces mesures d’injonction, blocage d’accès aux sites ou déférencement ne pouvant être

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assimilées à des sanctions ayant le caractère d’une punition.

Il est constant que la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur les dispositions de l’article 227-24 du code pénal, dans sa version applicable au jour où elle statuait, en considérant qu’elles étaient rédigés en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure tout risque d’arbitraire, et que le législateur ne pouvait a priori énumérer tous les comportements incriminés (Cass. Crim. 12 janvier 2016, n° 15-90020).

Elle a également déjà jugé, dans une espèce similaire qui concernait la réglementation des jeux en ligne, que le droit de solliciter de l’autorité judiciaire à l’encontre des fournisseurs d’accès à internet une injonction d’avoir à interdire l’accès à un site internet, dès lors que l’éditeur de ce site n’a pas déféré à la mise en demeure qui lui a été adressée, ne constitue ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d’une punition (Cass. Comm. 12 juillet 2013, n° 13-11704).

Par ailleurs, le rapport de la commission des lois précise que l’ajout d’un troisième alinéa à l’article 227-24 du code pénal constitue la codification de la jurisprudence criminelle en la matière et que les éditeurs de sites pornographiques sont tenus à une obligation de moyens pour empêcher l’accès à leur site.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation, sur le fondement de la légalité des délits et des peines, en considérant que la mise en demeure adressée à un directeur d’établissement en application de l’article 227-17-1 du code pénal, devait exposer de manière précise et circonstanciée les mesures nécessaires pour que l’enseignement dispensé soit mis en conformité avec l’objet de l’instruction obligatoire tel que défini par l’article L. 131-1-1 et L. 131-10 du code de l’éducation, sous peine d’être puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende (décision n° 2018-710 DC, 1er juin 2018).

Il en résulte que si les dispositions de l’article 227-24 du code pénal, dans sa version antérieure au présent litige, ont été considérées comme claires et précises au regard du principe de légalité des délits et des peines, la question posée n’est pas pour autant dépourvue de caractère sérieux, dès lors que les dispositions de l’article 23 contestées ne prévoient pas que la mise en demeure doit contenir des mesures précises et circonstanciées permettant de se mettre en conformité avec un comportement sanctionné par le code pénal.

* Sur l’atteinte à la liberté d’expression et de communication

La société MG Freesites Ltd. fait valoir que l’injonction contenue dans l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020, qui renvoie à l’infraction définie à l’article 227-24 du code pénal modifié, porte atteinte à la liberté d’expression et de communication en restreignant l’accès à un site internet licite.

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Elle soutient que cette atteinte :

- n’est pas nécessaire dans la mesure où il existe déjà un système de contrôle parental dont l’installation est imposée aux fabricants par l’article L. 34-9-3 du code des postes et télécommunications électroniques et par la loi n° 2022-300 du 2 mars 2022,

- est inadaptée à l’objectif poursuivi, les mesures de blocage et/ou déréférencement des sites pouvant être détournées notamment par l’utilisation d’un VPN,

- disproportionnée, car conduisant invévitablement à interdire les sites pronographiques visés, pourtant licites, à défaut de mesures techniques définies et fiables, sur lesquelles il n’existe à ce jour aucun consensus, la CNIL ayant elle-même considéré, dans son dernier avis du 26 juillet 2022, que les principaux systèmes de vérification de l’âge en ligne étaient contournables et intrusifs, appelant à la mise en place de modèles plus respectueux de la vie privée.

L’ARCOM soutient que l’exercice de la liberté d’expression et de communication peut être limitée par l’intérêt supérieur de l’enfant qui est une exigence constitutionnelle ; que l’atteinte alléguée est en l’espèce nécessaire, le dispositif de contrôle parental mis en place par la loi n°2022-300 du 2 mars 2022 n’étant pas suffisant, s’agissant d’une proposition et non d’une activation par défaut ; qu’elle est adaptée, les allégations de la société MG Freesites Ltd. tenant au détournement des internautes vers d’autres sites ou au contournement par la mise en place d’un VPN n’étant pas justifiées ; qu’enfin, cette atteinte est proportionnée puisqu’elle vise à la seule protection des mineurs, à charge pour l’éditeur du site de mettre en oeuvre les mesures techniques nécessaires.

Le ministère public, comme l’ARCOM, évoque notamment la nécessité d’instaurer des dispositifs complémentaires, contrôle parental et contrôle de l’accès aux sites pornographiques pour répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant, soulignant que le dispositif instauré par la loi du 30 juillet 2020 vise également la consultation accidentelle des mineurs aux sites pornographiques, excluant alors tout détournement par le recours à la technologie VPN. Il estime encore que la société MG Freesites Ltd. ne démontre pas que les dispositifs visant à limiter l’accès des mineurs aux sites pornographiques conduiraient à empêcher tous les internautes d’y accéder et rappelle que le législateur n’est pas tenu de faire une description technique des moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif.

Il est constant que la liberté d’expression et de communication issue de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen doit pouvoir s’exercer sur des services de communication en ligne et implique de pouvoir accéder à ces services et de recevoir les informations qui y sont contenues.

L’article 34 de la Constitution permet cependant d’édicter des restrictions à cette liberté à condition que l’atteinte soit nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi.

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Les dixième et onzièmes alinéas du préambule de la Constitution disposent : « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. – Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

Le respect du principe de proportionnalité au regard de l’objectif poursuivi de protection des mineurs se pose en l’espèce, l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication par les mesures de blocage et/ou déférencement, sollicitées à ce jour pour cinq sites pornographiques, telles que prévues par l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020, pouvant aboutir à interdire tout accès à ces sites tant par les personnes majeures que mineures, alors même que ni l’article 23 de la loi ni l’article 227-24 du code pénal ne prévoient de modalités concrètes d’application de la réglementation restrictive concernée, et que la mise en oeuvre de procédés de vérification d’âge se heurte actuellement à des contraintes techniques incontestables, notamment au vu des risques importants pour la vie privée et de sécurité pour les données personnelles constatés par la CNIL.

A cet égard, la question posée n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Il s’ensuit qu’il y a lieu de saisir la Cour de cassation aux fins de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, réuni en formation collégiale pour exercer les pouvoirs du président du tribunal judiciaire, par jugement contradictoire et insusceptible de recours :

Déclare recevable l’intervention volontaire de la société MG Freesites Ltd. ;

Déclare recevable la question prioritaire de constitutionnalité déposée par la société MG Freesites Ltd. ;

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

« Les dispositions de l’article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 et de l’article 227-24 du code pénal tel que modifié par l’article 22 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 (auquel l’article 23 renvoie) sont-elles conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit que sont le principe de légalité des délits et des peines et la liberté d’expression et de communication, respectivement en ce que ces dispositions (i) ne définissent pas en des termes suffisamment clairs et précis une infraction pénale et le comportement pouvant donner lieu à une sanction ayant le caractère d’une punition, et (ii) portent une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur de prévention de l’accès des mineurs aux contenus pornographiques sur Internet ? » ;

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Dit que la présente décision sera adressée à la diligence du greffe à la Cour de cassation dans un délai de huit jours à compter de son prononcé avec les mémoires et conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Sursoit à statuer sur les demandes des parties jusqu’à ce qu’il soit statué sur la question ainsi transmise à la Cour de cassation ou par le Conseil constitutionnel ;

Réserve les dépens.

Fait à Paris le 04 octobre 2022

Le Greffier, Le Président,

Flore MARIGNY Maïté GRISON-PASCAIL

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Tribunal Judiciaire de Paris, 4 octobre 2022, n° 22/55795