Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 20 mai 2021, n° 20/18391

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 13, 20 mai 2021, n° 20/18391
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/18391
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

(Anciennement pôle 2 – chambre 1)

ARRÊT DU 20 MAI 2021

AUDIENCE SOLENNELLE

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/18391 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CC2BV

Décision déférée à la Cour : Décision du 27 Juillet 2020 – Conseil national des barreaux

DEMANDEUR AU RECOURS

Monsieur X Y

[…]

4000 SOUSSE/TUNISIE

Non comparant, représenté par Me E F G H de la SELEURL ORBATA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1194

DÉFENDEUR AU RECOURS

LE CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Service Admissions

[…]

[…]

Représenté par Me Dominique PIAU, avocat au barreau de PARIS, toque : D0324

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 Avril 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

— Mme Z A, Première présidente de chambre

— M. Marc BAILLY, Conseiller

— Mme Corinne JACQUEMIN LAGACHE, Conseillère

— Mme Agnès BISCH, Conseillère

— Mme Claire DAVID, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. B C, Substitut général qui a fait connaître son avis.

DÉBATS : à l’audience tenue le 15 Avril 2021, ont été entendus :

— Mme Z A, en son rapport

— Me E F G H,

— Me PIAU,

— M. B C,

en leurs observations

Me E F G H ayant eu la parole en dernier.

ARRÊT :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Z A, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

M. X Y, avocat inscrit au barreau de Tunisie depuis 2005, a saisi le 16 juin 2020 le Conseil national des barreaux aux fins de se voir autoriser, au bénéfice des dispositions de l’ordonnance 2018-310 du 14 avril 2018 prise en vertu de la loi d’habilitation 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIeme siècle, à exercer en France, à titre permanent, l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé.

Par décision du 27 juillet 2020, notifiée à M. Y le 7 août 2020, sa demande a été rejetée pour ne pas satisfaire aux exigences du texte visé, les conventions internationales invoquées à son soutien ne prévoyant pas la possibilité pour les avocats des parties signataires de fournir des conseils juridiques en droit international ou en droit étranger sur le territoire de l’autre partie.

Par déclaration parvenue en date du 24 août 2020, parvenue 6 septembre 2020 au greffe de la cour d’appel de Paris, M. X Y a formé un recours contre cette décision. Tant dans sa requête que dans les conclusions qu’il produit au soutien de son recours oralement développées à l’audience par son conseil, il demande à la cour

— de recevoir le présent recours et d’annuler la décision du 27 juillet 2020 du Conseil national des barreaux portant refus d’autorisation d’exercer l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui,

— d’ordonner son autorisation de bénéficier des dispositions de l’ordonnance 2018-310 du 14 avril 2018 relative à cet exercice

— de condamner le Conseil national des barreaux à lui payer la somme de 2000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

— d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir. e condamner le Conseil national des barreaux à lui payer la somme de 5000 euros à titre de dommages- intérêts.

A l’appui de sa demande d’annulation de la décision, il expose

— que le refus qui lui a été opposé, pour motif de défaut de réciprocité entre la France et la Tunisie en la matière, détourne le fondement de sa demande, en ce que la décision met en avant l’article 101 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971, quand il invoque lui même l’ordonnance du 27 avril 2018 qui fait référence en premier lieu à l’article 38 de la constitution française ;

— que les dispositions de l’article II de l’accord général sur le commerce et les services – accord Agcs ou Gats – figurant dans la partie II de cet accord relative au traitement de la nation la plus favorisée, dont tant la France que la Tunisie sont signataires, sont applicables aux avocats et consultants et aux services qu’ils fournissent, et valent dispense de cette condition de réciprocité, aucune cause de restriction susceptible d’être invoquée par la France et concernant ces services ne figurant à l’annexe relative aux exemptions des obligations énoncées à l’article II ; que le refus en cause constitue donc une violation de cet accord international ;

— qu’en outre il viole les règlementations internes mises en place par le Conseil national des barreaux lui-même, ainsi que nombre de conventions et jumelages entre la France et la Tunisie, autorisant un libre exercice mutuel des métiers juridiques.

Dans ses conclusions en réponse oralement développées à l’audience, le Conseil national des barreaux conclut

— au rejet des demandes

— à la condamnation de M. Y à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

en précisant que si la demande de M. Y était tenue pour recevable quant à la condition tenant à l’existence d’un traité international conclu par l’Union Européenne, la demande devrait revenir devant le conseil national des barreaux pour qu’il examine les autres conditions visées à l’article 101, en sorte qu’il n’y aurait lieu que d’annuler la décision attaquée et de renvoyer au Conseil pour qu’il prenne une nouvelle décision.

Au soutien de sa demande, il fait valoir les éléments suivants :

— L’article 101 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1970, résultant de l’incorporation à ce texte des dispositions de l’ordonnance 2018-310 du 27 avril 2018, instaure une procédure distincte de celle des articles 11 dernier alinéa de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et 100 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié invoqués par l’appelant.

— Sa mise en oeuvre suppose l’existence d’un traité international conclu entre l’Union européenne et le pays du barreau de l’avocat demandeur, sans lequel l’impétrant n’a aucun droit à solliciter une telle autorisation, et aux termes de l’article 1 l’arrêté du 25 octobre 2019 fixant les modalités de délivrance de l’autorisation en cause, il est tenu de produire la copie du traité international sur la base duquel il peut y prétendre .

— Or il est constant qu’un tel traité n’existe pas à ce jour entre la France et la Tunisie , et que l’accord Agcs ne peut en faire office,

— De l’article II de cet accord qu’invoque M. X Y, conçu pour interdire les arrangements préférentiels entre groupes d’Etats signataires dans des secteurs déterminés, ou les clauses de réciprocité réservant les avantages en matière d’accès aux partenaires qui accordent un traitement similaire, il découle seulement que pour l’application des dispositions de l’article 11 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971, la condition de réciprocité doit être réputée acquise

— Mais il n’en résulte aucun libre accès aux marchés de chaque Etat signataire, celui-ci faisant l’objet de la partie III 'engagements spécifiques’ de l’ Agcs, dans le cadre desquels chaque membre peut prévoir des modalités, conditions et limitations d’accès.

— A ce titre, dans sa liste d’engagements spécifiques, la France a réservé le marché des services juridiques aux membres des professions juridiques et judiciaires réglementées, une personne physique désirant s’y implanter étant tenue au strict respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

— En outre, les Etats membres de l’Agcs gardent toute latitude de négocier avec d’autres pays des accord de reconnaissance mutuelle ou des accords d’intégration économique prévoyant entre eux un traitement dérogatoire plus favorable, et c’est précisément dans ce cadre que certains accords conclus par l’Union européenne peuvent prévoir un certain accès à la fourniture de services juridiques en autorisant les ressortissants de ces Etats à exercer l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes pour autrui en droit international et en droit de son Etat et de ceux dans lesquels il est habilité à exercer l’activité d’avocat.

— C’est exactement cette faculté que met en oeuvre en droit interne français l’article 101 de la loi du 31 décembre 1971, dont M. Y ne peut bénéficier puisqu’il n’en remplit pas les conditions, aucun des autres accords qu’il invoque ne correspondant à 'l’accord international avec l’Union Européenne’ envisagé par ce texte.

Dans ses développements oraux, le ministère public s’associe pleinement à la position soutenue par le Conseil national des barreaux.

SUR CE,

Le grief que fait M. Y au Conseil national des barreaux d’avoir 'détourné le fondement de sa demande’ en faisant appel aux dispositions de l’article 101 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 n’est pas pertinent, cet article n’étant que la transcription, au sein du texte fixant les règles de la profession d’avocat, des dispositions de l’ordonnance 2018-310 du 27 avril 2018 au nom de laquelle il demande à se voir autoriser à fournir des conseils juridiques en droit international ou en droit étranger sur le territoire français.

En outre, contrairement à ce qu’il affirme, la décision du Conseil national des barreaux n’est pas elle même fondée sur un quelconque refus d’une dispense de réciprocité à laquelle il aurait droit, mais sur le constat que les conditions spécifiques de l’application du texte dont il demande à bénéficier ne sont pas réunies sur sa personne, constat dont il incombe à la cour de vérifier la pertinence.

Les engagements internationaux pris par l’intermédiaire de l’Union Européenne dans le domaine du commerce et des services prévoient de permettre aux avocats inscrits aux barreaux d’Etats non membres de l’Union européenne, liés à celle-ci par un traité international le prévoyant, d’exercer l’activité de consultation juridique et de rédactions d’actes sous seing privé pour autrui en droit international et étranger, celui-ci entendu comme le droit de l’Etat dans lequel ils sont inscrits et de celui des Etats dans lesquels ils sont habilités à exercer l’activité d’avocat.

En vue de mettre le droit français en conformité avec ces engagements, la loi 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle a habilité le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures définissant les conditions selon lesquelles de telles autorisations pourraient être accordées, et les modalités selon lesquelles cette activité s’exercerait.

Dans ce contexte, l’ordonnance 2018-310 du 27 avril 2018 a inséré dans la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 en son article 101, un dispositif ad hoc libellé comme suit :

'Tout avocat inscrit au barreau d’un Etat non membre de l’Union européenne est autorisé à exercer en France, dans les conditions prévues au présent titre et dans le cadre des traités internationaux conclus par l’Union européenne, que ce soit à titre temporaire et occasionnel ou à titre permanent, l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui, en droit international et en droit de l’Etat dans lequel il est inscrit et des Etats dans lesquels il est habilité à exercer l’activité d’avocat, à l’exception du droit de l’Union européenne et du droit des Etats membres de l’Union européenne, s’il remplit les conditions suivantes : 1° N’avoir pas été l’auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes m’urs ; 2° N’avoir pas été l’auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d’agrément ou d’autorisation 3° N’avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d’une interdiction de la nature de celle prévue à l’ article l 653-8 du code de commerce. 4° Etre assuré pour les risques et selon les règles prévus à l’article 27. L’intéressé est réputé satisfaire à l’obligation prévue au premier alinéa de l’article 27 s’il justifie avoir souscrit, selon les règles de l’Etat où il est inscrit en tant qu’avocat, des assurances et garanties équivalentes. A défaut d’équivalence dûment constatée par le Conseil national des barreaux, l’intéressé est tenu de souscrire une assurance ou une garantie complémentaire. L’autorisation pour exercer à titre temporaire et occasionnel ou pour exercer à titre permanent est accordée par le Conseil national des barreaux’ .

Il résulte de ce texte que la première des conditions, pour qu’un avocat d’un barreau d’un Etat non membre de l’Union européenne puisse prétendre s’en voir appliquer les dispositions, avant même de vérifier s’il remplit celles posées aux points 1° à 4°, est qu’ait été conclu entre son Etat d’origine et l’Union européenne un accord international comportant des dispositions relatives aux services juridiques.

L’appelant soutient que cette condition serait remplie, dans les rapports entre la France et la Tunisie, du fait de l’adhésion de l’une comme l’autre à l’Accord général sur le commerce et les services, dont l’article II comporte une clause de traitement de la nation la plus favorisée touchant 'immédiatement et sans condition les services et fournisseurs de services' pour leur accorder 'un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde aux services et fournisseurs de services similaires de tout autre pays', règle que Y considère applicable aux services juridiques, qui sont des services, et à l’avocat, qui en est le fournisseur, et d’où résulterait qu’il peut bénéficier des dispositions de l’article 101 précité sans aucune autre restriction qui pourrait résulter de ce texte lui même, compte tenu de la supériorité de la norme internationale sur une législation nationale.

Contrairement cependant à ce que soutient M. Y, si ce texte emporte effectivement l’obligation de faire bénéficier les avocats – en l’espèce les avocats tunisiens souhaitant exercer en France – de la dispense de réciprocité pour la mise en oeuvre des dispositions de l’article 11 de la loi du 31 décembre 1971, il n’ouvre pas pour autant à toutes les activités de service et à ceux qui les exercent dans un Etat membre un accès illimité aux marchés des autres membres, d’autres dispositions de cet accord Agcs, prévoyant des restrictions à cet accès : son article XVI admet en effet que les Etats membres puissent prévoir des 'engagements spécifiques’ dont il leur incombe de donner la liste, apportant des restrictions, limitations et conditions particulières à la fourniture, sur leur marché national, de certains services.

La fourniture de services juridiques fait justement l’objet de ce type d’engagements de la part d’un très grand nombre d’Etats parties, et en ce qui concerne la France, la liste de ses engagements spécifiques prévoit que 'la fourniture de conseils juridiques et la rédaction de documents juridiques en tant qu’activité principale s’adressant au public en général sont réservées aux membres des professions juridiques et judiciaires réglementées' , ce qui implique, pour y accéder, de suivre les règles nationales d’accès à ces professions.

Par ailleurs, l’article V précise que l’accord n’empêche aucun des membres de l’Agcs d’être partie ou de participer, à certaines conditions, à d’autres accords libéralisant le commerce des services avec d’autres parties à l’accord, comme notamment ceux que l’Union européenne négocie régulièrement pour le compte de ses Etats membres, et c’est pour mettre sa législation interne en conformité avec tels accords lorsqu’ils comportent des dispositions relatives à l’accès au marché juridique des prestataires du ou des Etats qui y sont parties que l’article 101 a été introduit dans le texte sur le statut des avocats.

Il n’est pas discuté qu’aucun accord de ce type n’existe entre l’Union Européenne et la Tunisie, la négociation entre elles d’un accord général de libre échange, entreprise en 2015, n’ayant pas abouti à ce jour.

Aucune des conventions bilatérales invoquées par M. Y, qui sont en fait des accords professionnels interbarreaux, ne correspondent non plus, quel que soit par ailleurs leur contenu, à un 'accord international’ au sens de l’article 101.

Il en découle que c’est sans violer la hiérarchie des normes juridiques et sans atteinte aux principes de l’accord Agcs, ni à aucun texte qui lierait la France à la Tunisie, que le conseil national des barreaux a refusé à M. Y l’autorisation d’exercer l’activité prévue par ce texte, au seul motif, pertinent et vérifié, qu’il ne remplit pas la première de ses conditions.

Cette décision justifiée sera en conséquence confirmée.

L’équité justifie la condamnation de M. Y à payer au Conseil national des barreaux la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme la décision dont appel,

Condamne M. Y à payer au Conseil national des barreaux la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Le condamne aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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