Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 15 octobre 2020, n° 19/06993

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 3e ch., 15 oct. 2020, n° 19/06993
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/06993
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Versailles, 26 mars 2018, N° 14/09555
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 16 octobre 2022
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Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 57B

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 OCTOBRE 2020

N° RG 19/06993

N° Portalis DBV3-V-B7D-TPNJ

AFFAIRE :

[M] [X]

C/

Société JP MORGAN CHASE BANK NATIONAL ASSOCIATION

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Mars 2018 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 2

N° RG : 14/09555

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Christophe DEBRAY

Me Claire RICARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

1/ Monsieur [M] [X]

né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 5]

2/ Madame [I] [N]-[X]

née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 8] (59)

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 18201

Représentant : Me Etienne GOUESSE de l’AARPI VIGUIE SCHMIDT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R145

APPELANTS

****************

Société JP MORGAN CHASE BANK NATIONAL ASSOCIATION

Société de droit étranger, ayant son siège social à [Localité 7] OHIO (USA) et son établissement principal en France

N° SIRET : 712 041 334

[Adresse 1]

[Localité 4]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622

Représentant : Me Dimitri LECAT du LLP FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J007

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Septembre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-José BOU, Président, et Madame Françoise BAZET, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

FAITS ET PROCEDURE

La société JP Morgan Chase Bank National Association (la société JP Morgan Chase) a présenté en mars 2007 une proposition d’investissement à M. [M] [X] qui était engagé dans la négociation de la cession de ses parts dans la société Persee Medica (dont il était l’actionnaire principal et majoritaire), cession qui devait intervenir pour la somme de 11,3 millions d’euros versée en trois échéances.

Une convention de compte au nom de M.et Mme [X] a été conclue pour accueillir en plusieurs versements la totalité du prix de la cession attendue dont le premier était prévu au 3 avril 2007. Trois comptes bancaires ont été ouverts le 29 mars 2007 et un dernier le 25 mai 2007.

Le 3 avril 2007 un compte séquestre a été ouvert par tous les associés pour payer les frais de gestion des différents dossiers mentionnés à la garantie de passif.

La société JP Morgan Chase a présenté le 27 avril 2007 à M. [X] une proposition d’investissement reposant sur : 'le placement de la totalité du prix de la cession sur des contrats d’assurance-vie luxembourgeois investis dans un portefeuille « dynamique », envisagé sur une durée de dix ans, composé d’actions, de fonds alternatifs dits « hedge funds », de produits structurés et d’obligations monétaires, l’ouverture d’une ligne de crédit pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros sur la même durée que celle du placement, permettant notamment de financer le train de vie des époux [X], l’impôt sur la plus-value et les risques liés à la garantie de passif mise en place au titre de la cession, la conclusion d’un contrat de délégation totale des contrats d’assurance-vie, en garantie de la ligne de crédit'.

La proposition d’assurance et les contrats de mandat concernant les contrats d’assurance-vie ont été signés par M. [X] le 27 avril 2007.

Les deux contrats d’assurance-vie de M. [X] pour le premier et de Mme [X] pour le second, ont été conclus courant mai 2007 et abondés de la somme de 900 000 euros chacun.

Un contrat de découvert au nom de M.et Mme [X] d’un montant de 500 000 euros et ayant pour objet de financer 'les besoins de trésorerie personnelle’ a été conclu le 4 juin 2007. M. [X] a signé le même jour un contrat de délégation de son contrat d’assurance-vie au bénéfice de la société JP Morgan Chase.

En août 2007, la deuxième partie du prix de cession de la société (soit 7 965 293 euros) a été versée sur le compte commun de M.et Mme [X]. M. [M] [X] a transféré la somme de 5 700 000 euros sur son contrat d’assurance-vie.

Un premier avenant au contrat de découvert a été conclu le 22 septembre 2008 portant l’encours du prêt à 4,5 millions d’euros et venant réduire la valeur totale de la délégation du contrat d’assurance-vie.

Entre juin 2007 et septembre 2008, M.et Mme [X] ont procédé à diverses opérations réduisant les fonds investis de 11,3 millions d’euros à 7,75 millions d’euros.

Au cours de l’année 2008, la société Lehman Brothers Holding a fait faillite, entraînant une forte dégradation des marchés financiers.

Deux avenants relatifs aux contrats d’assurance-vie ont été conclus les 4 décembre 2008 et 23 novembre 2009 modifiant le contenu du portefeuille desdits contrats.

Par courriel du 12 janvier 2009, M.[X] faisait part à la société JP Morgan Chase de son mécontentement quant à la gestion de son portefeuille dont le montant perdu s’élevait alors à plus de 2,4 millions d’euros.

Les termes du contrat de découvert ont été modifiés à nouveau à trois reprises, le 9 juin 2009, le 26 novembre 2010 et le 5 mai 2011 afin notamment de changer les conditions financières dudit contrat avec la modification du taux EONIA ainsi que les conditions d’exigibilité anticipée et de réduire la valeur totale de la délégation du contrat d’assurance-vie à 135 %.

A la suite d’un échange de courriels en décembre 2011, M. [X] a exprimé son souhait de procéder au rachat de son contrat d’assurance-vie ainsi que de celui de son épouse. M.et Mme [X] ont rempli à cet effet le 19 décembre 2011 des formulaires de demande de rachat de leurs contrats d’assurance-vie respectifs. La société JP Chase Morgan a exposé à M. [X] le déroulement des opérations de rachat total dans un courriel du 22 décembre 2011. Par courrier du 28 décembre 2011, les époux [X] ont confirmé à la société JP Morgan Chase leur souhait de rembourser intégralement leur contrat de découvert grâce à l’affectation des sommes résultant du rachat.

Une lettre de réclamation a été envoyée le 27 janvier 2014 par le conseil de M.et Mme [X] à la société JP Morgan Chase critiquant la structure d’investissement retenue, déclarant que cette dernière avait manqué à ses obligations à l’égard de son client et la mettant en demeure ' d’avoir à procéder à l’indemnisation de [son] client sous huit semaines, à hauteur de [1 500 000 euros] ». La société JP Morgan Chase a contesté cette réclamation par courrier du 6 février 2014.

M.et Mme [X] ont assigné la société JP Morgan Chase par acte du 17 octobre 2014 devant le tribunal de grande instance de Versailles.

Par ordonnance du 9 novembre 2015, le juge de la mise en état de ce tribunal a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la société JP Morgan Chase, dit le tribunal de grande instance de Versailles compétent pour connaître du litige et réservé les dépens.

Par jugement du 27 mars 2018, le tribunal a :

— rejeté l’exception d’irrecevabilité du moyen tiré de la prescription,

— déclaré l’action de M.et Mme [X] irrecevable comme étant prescrite,

— condamné M.et Mme [X] aux dépens,

— dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et débouté les parties de leurs demandes à ce titre,

— dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire.

Par acte du 9 mai 2018, M. et Mme [X] ont interjeté appel.

Par ordonnance du 13 décembre 2018, la cour d’appel de Versailles a ordonné la radiation de l’affaire faute de diligences des parties.

Par dernières conclusions du 22 mai 2020, M. et Mme [X] demandent à la cour de:

A titre liminaire :

— rejeter la demande de la société JP Morgan Chase tendant à écarter des débats la pièce n°57.

Sur la recevabilité de l’action du fait de la prescription :

Sur la renonciation de la banque à se prévaloir de la prescription :

— juger que le comportement de la banque caractérisait sa renonciation au moyen tiré de l’irrecevabilité de l’action du fait de la prescription,

— juger en tout état de cause que le caractère tardif des conclusions aux fins d’irrecevabilité engage la responsabilité de la banque et a causé un préjudice à M. et Mme [X].

Dès lors :

— juger que la banque était irrecevable à soulever l’irrecevabilité de l’action tirée de la prescription,

— réformer le jugement en ce qu’il a jugé l’action prescrite,

— dire recevable l’action en responsabilité de M. et Mme [X] contre la société JP Morgan Chase.

Subsidiairement :

— condamner la société JP Morgan Chase au paiement de la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts en application de l’article 123 du code de procédure civile.

En tout état de cause, sur le caractère non prescrit de l’action :

— juger que, pour caractériser la prescription, le tribunal s’est appuyé sur des moyens de faits qui n’ont pas été soulevés ni a fortiori discutés entre les parties,

— juger que ce faisant, le tribunal n’a pas respecté le principe du contradictoire,

— juger en outre que le critère retenu par le tribunal comme point de départ de la prescription est critiquable dans son principe mais aussi dans l’application qui en a été retenue,

— juger enfin que le tribunal ne pouvait valablement apprécier la novation emportée par tel avenant sans disposer de la convention de services que la banque s’est refusée à communiquer.

Dès lors :

— juger que l’action de M. et Mme [X] n’est pas prescrite,

— réformer le jugement en ce qu’il a jugé l’action prescrite.

Sur le fond :

— juger que M. [X] a consulté la société JP Morgan Chase pour se voir conseiller une structure de placement de ce capital,

— juger que la société JP Morgan Chase a recommandé à M. [X] une structure d’investissement basée sur la souscription de contrats d’assurance-vie et l’ouverture d’une ligne de crédit destinée à financer leur fiscalité et leur train de vie,

— juger que, selon les recommandations de la société JP Morgan Chase, cette structure d’investissement lui a été présentée comme leur permettant de doubler le capital placé à n+10,

— juger que, dans ce cadre, les conventions suivantes ont été conclues :

une convention de compte aux noms de M. et Mme [X] le 27 mars 2007, destinée à recevoir le prix de la cession des parts de la société de M. [X],

une convention conclue le 30 mars 2007, désignant la société JP Morgan Chase comme séquestre au titre d’une garantie de passif, un contrat de découvert de 500 000 euros conclu le 4 juin 2007, porté à 4 500 000 euros par avenant du 22 septembre 2008.

En outre :

— juger que les simulations d’investissement initiales proposées et recommandées en 2007 par la société JP Morgan Chase ont été réalisées sur une hypothèse qui s’est avérée erronée,

— juger que les simulations d’investissement conseillées à M. et Mme [X] n’ont pas tenu compte de leurs situation et besoins réels, en particulier pour payer leurs impôts,

— juger que la société JP Morgan a eu connaissance en temps réel de la situation financière de ses clients, sans leur conseiller une stratégie et une structuration de leurs placements adaptées à leur situation.

En conséquence :

— juger que, ce faisant, la société JP Morgan Chase a manqué à son devoir d’information et de conseil et commis une faute qui engage sa responsabilité,

— juger que la société JP Morgan Chase a commis une faute qui engage sa responsabilité,

— déclarer la société JP Morgan Chase responsable du préjudice subi par M. et Mme [X].

Dès lors :

— juger que ce manquement est directement à l’origine d’un préjudice évalué à 1 206 626 euros, sauf à parfaire, correspondant :

à la perte éprouvée sur la fraction des sommes placées, soit 955 276 euros,

aux frais de gestion des sommes placées qui n’auraient pas dû l’être, soit 51 350 euros,

aux frais des sommes prêtées et qui n’auraient pas dû l’être, soit 200 000 euros.

— condamner la société JP Morgan Chase à leur verser la somme de 1 206 626 euros en réparation de leur préjudice.

En tout état de cause :

— condamner la société JP Morgan Chase à leur communiquer les informations relatives au solde non versé, le cas échéant sous telle astreinte qu’il plaira à la cour de prononcer,

— condamner la société JP Morgan Chase à leur verser le solde de leurs contrats, à savoir, sauf à parfaire, 4 250,70 euros.

Enfin :

— condamner la société JP Morgan à leur verser la somme de 30 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 17 avril 2020, la société JP Morgan Chase Association demande à la cour de :

A titre liminaire :

— écarter des débats la pièce adverse n° 57.

À titre principal :

— constater que l’action des époux [X], visant à obtenir l’octroi de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité de la société JP Morgan Chase est prescrite.

En conséquence :

— confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré les demandes formées par les époux [X] à l’encontre de la société JP Morgan Chase irrecevables.

À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour décidait d’infirmer le jugement et déclarait les demandes des époux [X] recevables :

— juger que la société JP Morgan Chase s’est parfaitement acquittée de ses obligations d’information et de conseil,

— juger que la société JP Morgan Chase n’a commis aucune faute,

— constater que M.et Mme [X] n’ont subi aucun préjudice.

En conséquence :

— débouter M.et Mme [X] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause :

— débouter M.et Mme [X] de leur demande de communication de documents,

— condamner M.et Mme [X] à lui payer la somme de 40 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 juin 2020.

SUR QUOI, LA COUR :

— Sur le rejet de la pièce n° 57

M. et Mme [X] ont signifié des conclusions le 27 juillet 2018 qui contenaient 57 pages et le magistrat de la mise en état les a invités, dans le souci d’un respect effectif du principe de la contradiction, à réduire leurs écritures à 35 pages. Se soumettant à cette injonction – après radiation – les appelants ont signifié de nouvelles conclusions de 35 pages mais en soustrayant de celles-ci le détail de la relation ayant existé entre les parties, qui constitue désormais un écrit de 14 pages, leur pièce n°57.

La société JP Morgan Chase demande que cette pièces soit écartée des débats car elle a, selon elle, pour finalité de contourner l’injonction du juge et est dépourvue de force probante.

* * *

Rien n’interdisait à la société JP Morgan Chase de rédiger à son tour un document retraçant l’historique des relations entretenues avec M.et Mme [X].

La pièce critiquée ne porte donc pas atteinte au principe de loyauté des débats et la seule question qu’elle soulève est sa force probante, qu’il appartient au juge d’apprécier.

Il n’y a donc pas lieu d’écarter des débats la pièce n°57 communiquée par les appelants.

— Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action

Le tribunal a jugé que la société JP Morgan Chase était recevable à opposer à l’action de M.et Mme [X] la fin de non-recevoir tirée de la prescription dés lors que le délai d’un an qui avait couru entre l’incident d’incompétence et le moyen tiré de la prescription soulevé par la banque ne saurait valoir renonciation tacite au sens des dispositions de l’article 2251 du code civil, laquelle doit être dépourvue d’équivoque. Le tribunal a par ailleurs rappelé que la fin de non-recevoir pouvait être soulevée en tout état de cause et que le fait de l’opposer tardivement était sanctionné par l’octroi de dommages et intérêts et non par son irrecevabilité.

M. et Mme [X] font valoir que la société JP Morgan Chase n’est pas recevable à se prévaloir de la prescription car elle y a renoncé, ce que cette dernière conteste fermement.

* * *

Aux termes de l’article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

La fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par la société JP Morgan Chase est donc recevable.

Par application de l’article 2250 du code civil, seule une prescription acquise est susceptible de renonciation. Il appartient donc à la cour de déterminer dans un premier temps si l’action introduite par M.et Mme [X] est ou non prescrite puis si elle devait être jugée prescrite, si la société JP Morgan Chase n’a pas renoncé à s’en prévaloir.

— Sur la prescription

Pour juger que l’action introduite par M.et Mme [X] le 17 octobre 2014 était prescrite, le tribunal a observé qu’il découlait de l’article L110-4 du code de commerce que la prescription quinquennale d’une action en responsabilité pour manquement à l’obligation d’information et de conseil d’une banque, dans le cadre de la structuration d’investissements financiers, courait à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il était révélé à la victime. Le tribunal a noté qu’en l’espèce la révélation du dommage découlait du courriel du 12 janvier 2009 écrit par M. [X] dans lequel il indiquait ne pas être satisfait de la gestion de son portefeuille qui avait perdu plus de 2,4 millions d’euros et a fixé le point de départ du délai de prescription quinquennale à cette date.

Les appelants reprochent au tribunal d’avoir violé le principe de la contradiction en substituant à l’argumentation des parties une construction juridique, le concept des 'premières pertes substantielles’ développée par ses soins et nullement débattue. Ils avancent que le tribunal ne pouvait pas plus utiliser tel élément de fait, soit le constat rétrospectif, à la date des écritures, des pertes ou un mail de mécontentement de l’une des parties pour proposer une application pratique du concept imaginé sans inviter les parties à en débattre.

Les appelants contestent ensuite la prescription de leur action. Ils font valoir que lorsqu’il s’agit d’indemniser les conséquences préjudiciables d’une relation commerciale, la prescription ne court qu’à compter de la connaissance qu’a le demandeur de ses droits et donc de la connaissance définitive de l’étendue de son dommage. Ils soulignent que ces principes sont posés par les dispositions de l’article 2224 et 2226 du code civil et que ce n’est que lorsque le dommage est consolidé que le demandeur connaît les faits lui permettant d’exercer son action.

M. et Mme [X] affirment que de nombreuses décisions ont considéré que, s’agissant de montages financiers complexes, ce n’est qu’au moment du 'débouclage’ du montage ou de la liquidation des comptes que se cristallise ou se consolide le dommage et qu’il va se révéler au client dans toute son ampleur. Ils soutiennent que la relation contractuelle entre les parties s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’année 2017 et qu’il convient donc de faire courir la prescription à compter de la date effective de leur sortie de la relation contractuelle, sinon à la date de la décision de sortie, soit en décembre 2011.

M. et Mme [X] poursuivent en soulignant que le grief exprimé par M. [X] dans le mail du 12 janvier 2019 est relatif non pas aux conseils et à l’information donnés sur la structuration mais aux décisions prises dans la gestion des contrats. Il ne peut donc en être tiré la connaissance du préjudice résultant des manquements qui fondent l’action en responsabilité engagée.

S’agissant du non respect du principe du contradictoire, la société JP Morgan Chase réplique que si elle soutenait que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour de la conclusion du contrat, elle n’en avait pas moins évoqué le mail du 12 janvier 2009 pour affirmer qu’en toute hypothèse le point de départ de la prescription ne pouvait être fixé à une date postérieure à celle-ci.

L’intimée observe que fixer le point de départ de la prescription à la décision prise par M. et Mme [X] de sortir de la relation contractuelle revient à leur donner le pouvoir discrétionnaire de fixer ce point de départ comme ils l’entendent. Elle ajoute que le préjudice dont ceux-ci demandent aujourd’hui réparation est de deux fois inférieur aux pertes alléguées par ces derniers le 12 janvier 2009 et qu’il ne peut donc être sérieusement soutenu qu’en janvier 2009 ils ignoraient 'l’étendue complète’ de leur dommage.

L’intimée fait valoir que la notion de consolidation à laquelle M. et Mme [X] ont recours est propre aux dommages corporels et inopérante en l’espèce. Elle soutient par ailleurs que les décisions invoquées par M. et Mme [X] ne sont pas transposables au cas d’espèce et, qu’au contraire, la manifestation de la connaissance de pertes significatives est régulièrement retenue par les juridictions pour fixer le point de départ de la prescription.

* * *

Il sera tout d’abord observé que M. et Mme [X] soutiennent que le tribunal n’a pas respecté le principe de la contradiction mais n’en tirent pas la conséquence qui, à supposer ce reproche fondé, doit en découler puisqu’ils ne sollicitent pas l’annulation du jugement entrepris.

Il est de principe que le juge n’est pas lié par le choix que font les parties, parmi les faits allégués, de ceux qui appuient leurs prétentions et le juge peut prendre en considération des faits que les parties n’ont pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions dés lors qu’ils appartiennent aux débats.

En tout état de cause, la société JP Morgan Chase avait expressément invoqué dans ses conclusions signifiées le 1er février 2018 le mail du 12 janvier 2009 comme constituant le point de départ ultime de la prescription.

Le reproche fait au tribunal par les appelants n’est donc pas fondé.

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Cette seconde hypothèse permet de retenir que la loi a entendu ne pas laisser le point de départ de la prescription à la disposition de celui qui entend mettre en oeuvre un droit ni de le faire dépendre des seules diligences de ce dernier. M. et Mme [X] ne peuvent être suivis lorsqu’ils soutiennent que le point de départ de la prescription serait la date à laquelle ils ont décidé de sortir de la relation contractuelle les unissant à la société JP Morgan Chase. Le point de départ de la prescription ne peut donc correspondre à la date de consolidation du dommage qui serait selon eux la date de 'débouclage’ de leurs contrats, soit la date à laquelle ils ont décidé de procéder à la liquidation de leurs contrats d’assurance-vie.

La manifestation d’un dommage certain en son principe suffit en effet à faire courir la prescription quand bien même le préjudice ne serait pas encore chiffrable, peu important que l’ampleur exacte des pertes subies soit ignorée dés lors que l’intéressé a pris conscience du caractère préjudiciable pour lui de la situation.

La référence aux décisions rendues par la Cour de Cassation les 16 janvier et 16 mars 2019 n’est pas pertinente, car elles concernent des montages dans lesquels le produit de l’assurance-vie devait permettre le remboursement d’un prêt 'in fine’ de sorte que le défaut d’ajustement des deux opérations ne pouvait être constaté qu’au moment où le montage prenait fin, ce qui ne correspond pas au montage souscrit par M. et Mme [X], lesquels ont d’ailleurs indiqué en 2011 vouloir procéder à la liquidation de leurs assurances-vies.

Le tribunal sera donc approuvé d’avoir jugé que les dommages se sont manifestés lorsque les premières pertes substantielles, au regard des sommes investies, sont apparues.

Les appelants indiquent eux-mêmes dans leur pièce n° 57, que le montant des investissements effectués, constaté au 30 juin 2009, faisait apparaître une perte de 32 %, leurs capitaux étant passés d’un montant de 7,75 millions d’euros investis à la somme de 5,33 millions d’euros (page 7).

Les échanges de courriel entre M. [X] et la société JP Morgan Chase démontrent que celui-ci était très impliqué dans le suivi de l’évolution du montage financier. S’il est certain que les échanges avec la banque ont lieu pour l’essentiel avec M. [X], qui était initialement le détenteur des fonds à placer, les contrats ont été signés également par son épouse laquelle a, tout comme son mari, procédé à la demande de liquidation de son assurance-vie. Il ne peut donc être sérieusement soutenu que la prescription n’aurait pas couru pour ce qui la concerne.

M. et Mme [X] affirment que l’avenant n°4 du mai 2011 a fait courir un nouveau délai en mai 2011 et soulignent que cet avenant, à la différence des précédents qui écartaient expressément le principe d’une novation, ne contient aucune disposition écartant la novation.

C’est à bon droit que le tribunal a jugé que l’avenant n°4 du 5 mai 2011 n’emportait pas novation du contrat.

En effet, la novation ne se présume pas et il faut que la volonté de l’opérer résulte clairement de l’acte. Le fait que cet avenant du 5 mai 2011 n’ait pas écarté expressément le principe d’une novation est donc sans emport. Il sera observé que cet avenant avait pour objet de réduire le taux d’intérêt applicable au contrat de découvert dans un sens plus favorable à M. et Mme [X]. Or, il est de principe qu’un simple aménagement d’une modalité d’exécution du contrat n’emporte pas novation de celui-ci.

Le 12 janvier 2019, M. [X] écrit à la société JP Morgan Chase en ces termes : 'Je ne suis pas non plus satisfait d’autres décisions prises jusqu’à présent sur la gestion de mon portefeuille dont le montant perdu depuis votre prise en main est de plus de 2,4 millions!'.

Le point de départ de la prescription a donc été à bon droit fixé par les premiers juges au 12 janvier 2009 et l’action était prescrite au delà du 12 janvier 2014.

Il y a lieu de rechercher si, alors qu’elle était acquise, la société JP Morgan Chase a renoncé à se prévaloir de la prescription.

Les appelants font valoir qu’à suivre le raisonnement de la banque, la prescription était acquise et qu’elle a fait le choix d’argumenter sur ses prestations puis sur la compétence de la juridiction sans jamais envisager la prescription qui lui aurait permis de mettre un terme aux échanges.

Ils soutiennent que l’article 2251 du code civil se suffit à lui-même en ce que les circonstances et le comportement de la banque établissent sans équivoque qu’elle a renoncé à la prescription laquelle était acquise à ses yeux.

La société JP Morgan Chase réplique qu’elle a invoqué la prescription des demandes formées par M. et Mme [X] à l’occasion de ses premières écritures au fond et n’y a jamais renoncé.

Aux termes des articles 2250 et 2251 du code civil, il est possible de renoncer à une prescription acquise, la renonciation pouvant être expresse ou tacite. La renonciation tacite doit résulter de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.

Il sera observé que dans les échanges entre les parties qui on précédé la délivrance de l’assignation, la société JP Morgan Chase n’était pas tenue de se prévaloir de la prescription et pouvait légitimement centrer ses arguments sur la critique faite de ses prestations. Il ne saurait en être déduit une quelconque volonté de renoncer à l’invoquer ultérieurement.

A la suite de la délivrance de l’assignation le 17 octobre 2014, la société JP Morgan Chase a saisi le juge de la mise en état d’un incident relatif à la compétence du tribunal de grande instance de Nanterre et il a été statué sur cet incident par ordonnance du 9 novembre 2015.

Le juge de la mise en état n’étant alors pas compétent pour statuer sur le mérite d’une fin de non-recevoir, la prescription ne pouvait être opposée que devant les juges du fond et la société JP Morgan Chase n’est pas contredite lorsqu’elle affirme que celle-ci l’a été dés ses premières conclusions au fond.

Il n’est donc fait état par les appelants d’aucun acte qui serait susceptible de s’analyser comme établissant sans équivoque la volonté pour la société JP Morgan Chase de ne pas se prévaloir de la prescription.

Le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

Pour les motifs précédemment développés et dés lors que la société JP Morgan Chase a opposé à M. et Mme [X] la fin de non-recevoir tirée de la prescription dés ses premières conclusions au fond, la demande en dommages-intérêts que forment les appelants sur le fondement de l’article 123 du code de procédure civile ne saurait prospérer.

A la lecture des pièces n°37 et 38 de l’intimée (avenant du 20 juillet 2017 et avis d’opération à la suite du rachat des contrats d’assurance-vie) il apparaît que la société JP Morgan Chase a procédé à un dernier versement de 4157 $, qui a soldé la valeur des contrats d’assurance-vie. Il n’y a donc pas lieu, en l’absence de pièces venant objectivement contredire cette situation, de faire droit à la demande accessoire formée par M. et Mme [X] tendant à la condamnation de l’intimée à leur communiquer les informations relatives au solde non versé et à leur payer celui-ci.

M. et Mme [X], qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens d’appel et à payer à la société JP Morgan Chase une indemnité de 4000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit n’y avoir lieu à écarter des débats la pièce n°57 communiquée par M. et Mme [X].

Confirme le jugement en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Rejette la demande formée par M. et Mme [X] tendant à la condamnation de la société JP Morgan Chase à leur communiquer les informations relatives au solde des contrats d’assurance-vie et à leur payer la somme de 4250,70 euros.

Rejette la demande en dommages-intérêts faite par M. et Mme [X] sur le fondement de l’article 123 du code de procédure civile.

Condamne in solidum M. et Mme [X] à payer à la société JP Morgan Chase la somme de 4000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d’appel.

Condamne in solidum M. et Mme [X] aux dépens d’appel.

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,

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Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 15 octobre 2020, n° 19/06993