CJUE, n° C-298/22, Conclusions de l'avocat général de la Cour, 5 octobre 2023

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Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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Sur la décision

Référence :
CJUE, 5 oct. 2023, C-298/22
Numéro(s) : C-298/22
Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 5 octobre 2023.###
Précédents jurisprudentiels : 107.
14
14 Arrêt du 16 juillet 2015, ING Pensii ( C-172/14, EU:C:2015:484
17 Arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a. ( C-228/18
23 Voir arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission ( C-591/16 P, EU:C:2021:243
3
30 janvier 2020, Generics ( UK ) e.a. ( C-307/18, EU:C:2020:52
30 Voir arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission ( C-373/14 P, EU:C:2016:26
33 Arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission ( C-883/19
35 Arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission ( C-591/16 P, EU:C:2021:243
39 Arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. ( C-8/08
42 Arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission ( C-286/13
43 Arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission ( C-7/95 P, EU:C:1998:256
45
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47 Arrêt du 26 septembre 2018, Philips et Philips France/Commission ( C-98/17 P, EU:C:2018:774
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79 Voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics ( UK ) e.a. ( C-307/18, EU:C:2020:52
7 Voir arrêts du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a. ( C-377/20, EU:C:2022:379
80.
84.
88.
8 Arrêt du 19 avril 2007, Asemfo ( C-295/05, EU:C:2007:227
92.
93.
96.
9 Voir arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise ( C-306/20
Bank e.a. ( C-228/18, EU:C:2019:678
Budapest Bank, du 30 janvier 2020, Generics ( UK ) e.a. ( C-307/18, EU:C:2020:52
Commission ( C-124/21 P, EU:C:2022:988
Commission ( C-586/16 P, EU:C:2021:241
Commission ( C-591/16 P, EU:C:2021:243
Commission ( C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 117
Commission ( C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 30
Commission ( C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 41
Commission ( C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 44
Commission ( C-883/19 P, EU:C:2022:384
Cour, notamment, dans les arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija ( C-345/14, EU:C:2015:784
e.a. ( C-307/18, EU:C:2020:28
etdu 12 février 2009, Cobelfret ( C-138/07, EU:C:2009:82
Hüls/Commission ( C-199/92 P, EU:C:1999:358
Servizio Elettrico Nazionale e.a.
Identifiant CELEX : 62022CC0298
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2023:738
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Sur les parties

Texte intégral

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 5 octobre 2023 (1)

Affaire C-298/22

Banco BPN/BIC Português SA,

Banco Bilbao Vizcaya Argentaria SA, succursale au Portugal,

Banco Português de Investimento SA (BPI),

Banco Espírito Santo SA, en liquidation,

Banco Santander Totta SA,

Barclays Bank Plc,

Caixa Económica Montepio Geral - Caixa Económica Bancária SA,

Unión de Créditos Inmobiliários SA, Establecimiento Financiero de Crédito, Sucursal em Portugal,

Caixa Geral de Depósitos SA,

Caixa Central de Crédito Agrícola Mútuo CRL,

Banco Comercial Português SA

contre

Autoridade da Concorrência,

en présence de

Ministério Público

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão (tribunal de la concurrence, de la régulation et de la supervision, Portugal)]

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Ententes – Article 101 TFUE – Accords entre entreprises – Restriction de la concurrence par objet – Échanges d’informations entre institutions de crédit – Informations concernant les conditions commerciales et les valeurs de production »

I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et les conditions sous lesquelles un échange d’informations entre entreprises concurrentes peut être qualifié de « restriction de la concurrence par objet ».

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant plusieurs établissements bancaires à l’Autoridade da Concorrência (l’Autorité de la concurrence, Portugal, ci-après l’« AdC »), la partie défenderesse au principal, au sujet de la décision de cette dernière d’infliger à ces établissements une amende pour une infraction aux dispositions nationales du droit de la concurrence et à l’article 101 TFUE, consistant en la participation à une pratique concertée, laquelle a pris la forme d’une coordination informelle entre concurrents au travers de l’échange d’informations sensibles et stratégiques.

3. La particularité de la présente affaire tient au fait que l’AdC a retenu la qualification de restriction de la concurrence par objet pour un échange d’informations « autonome » sans avoir constaté l’existence d’une entente, une qualification juridique contestée par les établissements bancaires qui soutiennent que cet échange d’informations ne présentait pas le degré de nocivité requis pour une telle qualification et qu’il conviendrait donc de tenir compte non seulement de l’objet dudit échange, mais aussi de ses effets. Estimant que la jurisprudence de la Cour ne contient pas de précédents susceptibles de fournir des orientations utiles pour traiter le cas d’espèce, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour à cet égard.

4. Cette affaire fournit à la Cour l’occasion d’approfondir sa jurisprudence en ce qui concerne l’analyse des échanges d’informations entre concurrents au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. La Cour aura ainsi l’opportunité de se pencher, une nouvelle fois, sur la notion de restriction de la concurrence par objet qui, bien que longuement débattue, présente toujours des ambiguïtés conceptuelles importantes et soulève des questions d’interprétation.

II. Le cadre juridique

5. La juridiction de renvoi évoque la Lei n.º 19/2012, que aprova o novo regime da concorrência (loi nº 19/2012 établissant le nouveau régime de la concurrence) du 8 mai 2012 (ci-après la « loi sur la concurrence ») (2) qui a remplacé la Lei n.º 18/2003, établissant le régime juridique de la concurrence, du 11 juin 2003 (3). L’article 9 de la loi sur la concurrence, sous le titre « Accords, pratiques concertées et décisions d’associations d’entreprises » (ainsi que l’ancien article 4 de la loi nº 18/2003, sous le titre « Pratiques interdites »), reprend, en substance, le contenu de l’article 101 TFUE.

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

6. Le 9 septembre 2019, l’AdC a adopté une décision par laquelle elle a infligé une amende aux requérantes au principal pour avoir participé à un échange d’informations autonome (standalone) (4) en violation de l’article 101 TFUE et des dispositions nationales équivalentes.

7. Pour parvenir à cette conclusion, cette autorité a considéré que l’échange d’informations en cause constituait une restriction de la concurrence par objet, ce qui la dispensait de rechercher ses effets éventuels sur le marché. Par ailleurs, ladite autorité n’a pas reproché aux entreprises concernées d’avoir participé à une autre forme de pratique restrictive de la concurrence à laquelle l’échange d’informations aurait pu être lié, comme un accord sur les prix ou sur la répartition des marchés.

8. Les requérantes au principal ont formé un recours contre cette décision devant le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão (tribunal de la concurrence, de la régulation et de la supervision, Portugal), la juridiction de renvoi, au motif que l’échange d’informations en cause ne pourrait pas être considéré comme étant, en soi, suffisamment nocif pour que l’examen de ses effets ne soit pas nécessaire. À cet égard, l’AdC n’aurait, notamment, pas pris en considération le contexte économique, juridique et réglementaire dans lequel cet échange a été mis en œuvre, alors qu’il aurait fallu en tenir compte avant de pouvoir conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par objet.

9. Le 28 avril 2022, la juridiction de renvoi a rendu un jugement interlocutoire de près de 2 000 pages dans lequel elle a indiqué ceux, parmi les faits contenus dans la décision de l’AdC, qui devaient être considérés comme établis. Dans sa demande de décision préjudicielle, cette juridiction a résumé ce jugement en scindant sa description en cinq sous-titres consacrés, respectivement, à la nature des informations échangées, à la forme de la coordination, à l’objectif poursuivi, au contexte juridique et économique, ainsi qu’à l’existence alléguée d’effets favorables à la concurrence.

10. Premièrement, s’agissant de la nature des informations échangées, ces informations auraient concerné le marché des crédits immobiliers, le marché du crédit à la consommation, ainsi que le marché du crédit aux entreprises. Deux types d’informations auraient été échangées au sujet de ces marchés, à savoir :

– les « conditions » commerciales actuelles et futures, à savoir les grilles des écarts de taux (spread), les capacités d’emprunt des clients et les paramètres de risque, qui n’étaient pas, eu égard au niveau d’exhaustivité et de systématisation des informations échangées, dans le domaine public au moment de l’échange ;

– les « volumes de production », c’est-à-dire les chiffres, individualisés par les entités concernées, du montant des crédits accordés au cours du mois précédent. Ces données auraient été communiquées de manière désagrégée et n’auraient pas été disponibles sous cette forme ni à partir d’une autre source au moment de l’échange ni ultérieurement.

11. Deuxièmement, s’agissant de la durée et de la forme de l’échange d’informations, la juridiction de renvoi indique que ce dernier a eu lieu entre les mois de mai 2002 et de mars 2013. Il se serait manifesté par des contacts institutionnalisés bilatéraux ou multilatéraux, effectués au moyen de communications téléphoniques ou d’envois de courriers électroniques, à la pleine connaissance de la hiérarchie.

12. Troisièmement, s’agissant de l’objectif poursuivi par cet échange, étant donné que ce dernier permettait aux banques concernées d’obtenir des données détaillées, systématisées, actualisées et précises sur les offres des concurrents, cette juridiction en déduit que ledit échange avait pour objectif de réduire l’incertitude liée au comportement stratégique des uns et des autres en vue de réduire le risque de pression commerciale.

13. Quatrièmement, s’agissant du contexte juridique et économique dudit échange, au cours de l’année 2013, les six plus grands établissements de crédit au Portugal, qui auraient tous participé à l’échange d’informations, géraient 83 % de tous les actifs bancaires de l’ensemble de ce secteur au niveau national. Par ailleurs, à partir du milieu de l’année 2008, à l’inverse de l’évolution de l’Euribor, l’indice reflétant les taux d’intérêt interbancaires au sein de la zone euro, lequel avait alors fortement baissé, les écarts de taux de crédit appliqués par les institutions financières aux nouveaux crédits immobiliers auraient subi une hausse importante, ce qui aurait atténué la baisse des taux d’intérêt pour les clients finaux (5). Le résumé du jugement interlocutoire précise, également sous le titre « contexte juridique et économique », que les échanges d’informations litigieux ont été réguliers et organisés en circuit fermé. En outre, ils auraient porté sur des informations stratégiques non publiques ou difficilement accessibles ou systématisables. En effet, ces informations auraient été distinctes de celles fournies par les établissements de crédit conformément à leurs obligations d’informations des consommateurs.

14. Cinquièmement, s’agissant de l’existence d’effets potentiellement favorables à la concurrence ou, à tout le moins, ambivalents, ce résumé mentionne que les banques en question ne seraient parvenues ni à démontrer ni à identifier : i) l’existence de gains d’efficacité générés par les échanges d’informations ; ii) que ces gains d’efficacité avaient été distribués au profit des consommateurs ; ni iii) que les restrictions de concurrence étaient indispensables.

15. Enfin, bien que la juridiction de renvoi constate elle-même que l’échange en question est susceptible de contribuer à réduire la pression commerciale et l’incertitude liée au comportement stratégique des concurrents sur le marché, ce qui pourrait aboutir à une coordination informelle restreignant la concurrence, elle estime que le présent renvoi préjudiciel se justifie en raison de l’absence de précédents dans la jurisprudence de la Cour concernant le cas d’espèce.

16. Dans ces conditions, le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão (tribunal de la concurrence, de la régulation et de la supervision) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 101 TFUE […] s’oppose-t-il à ce que soit qualifié de restriction de concurrence un vaste échange d’informations mensuelles entre concurrents, concernant les conditions applicables aux opérations (notamment les écarts de taux et les variables de risque actuelles et futures), ainsi que les chiffres de production (mensuels, individualisés et désagrégés), en matière d’offre de crédits immobiliers aux entreprises et à la consommation, échangés régulièrement et réciproquement, dans le secteur de la banque de détail, dans le cadre d’un marché concentré avec des barrières à l’entrée, ce qui a ainsi artificiellement augmenté la transparence et réduit l’incertitude liée au comportement stratégique des concurrents ?

2) Dans l’affirmative, l’article 101 TFUE s’oppose-t-il à une telle qualification lorsque aucun gain d’efficacité, aucun effet ambivalent ou favorable à la concurrence résultant de cet échange d’informations n’a été constaté ou n’a pu être identifié? »

17. Des observations écrites ont été présentées à la Cour par les parties requérantes, l’AdC et le Ministério Público. Des observations écrites ont également été déposées par les gouvernements portugais, grec, italien et hongrois, par la Commission européenne, ainsi que par l’Autorité de surveillance AELE. Des observations orales ont été formulées, lors de l’audience de plaidoirie qui s’est tenue le 22 juin 2023, par les parties requérantes, l’AdC, les gouvernements portugais et grec ainsi que par l’Autorité de surveillance AELE et la Commission.

IV. Analyse

A. Observations liminaires

18. À titre liminaire, il convient de noter que, à la quasi-unanimité, les parties requérantes ont consacré une partie importante de leurs observations écrites à contester la description faite par la juridiction de renvoi des faits en cause au principal, en allant jusqu’à soutenir que la Cour aurait l’obligation de modifier l’hypothèse factuelle décrite par cette juridiction afin d’apporter une réponse utile à celle-ci (6).

19. À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, laquelle est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient non pas à la Cour, mais à la juridiction nationale d’établir les faits qui ont donné lieu au litige (7). Il s’ensuit que, la Cour étant uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union, elle ne saurait vérifier l’exactitude du cadre factuel exposé par cette juridiction ni statuer sur le bien-fondé des allégations de certaines parties contestant la pertinence de l’hypothèse factuelle décrite par la juridiction de renvoi dans sa demande.

20. Cela étant, l’interprétation que la Cour est appelée à donner d’une disposition du droit de l’Union dans le contexte factuel décrit par la juridiction de renvoi n’emporte aucune présomption de ce que cette hypothèse est bien celle en cause au principal. Il appartient ainsi toujours en dernier lieu à la juridiction de renvoi de vérifier que les éléments factuels qu’elle a transmis à la Cour correspondent bien à la situation en cause au principal.

21. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’obligation, pesant sur les juridictions nationales et à laquelle les parties requérantes se réfèrent, de décrire de manière précise le contexte factuel dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles. En effet, si une telle obligation vise à permettre à la Cour de s’assurer que la demande préjudicielle n’est pas irrecevable, il n’en demeure pas moins que, selon une jurisprudence constante, pour qu’une demande soit irrecevable, l’interprétation sollicitée du droit de l’Union ne doit avoir aucun rapport avec la réalité ou avec l’objet du litige au principal, le problème doit être de nature hypothétique ou la Cour ne doit pas disposer des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (8), ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire.

22. Par conséquent, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les critiques formulées par les parties requérantes s’agissant de la pertinence de l’hypothèse factuelle envisagée par la juridiction de renvoi. Il en va de même pour les demandes de reformulation des questions préjudicielles qui ont été présentées par ces parties, au travers desquelles elles invitent la Cour à (ré)examiner la description des faits effectuée par la juridiction de renvoi et à les requalifier, un rôle qui appartient exclusivement à cette juridiction.

23. Il y a lieu de noter, enfin, que la formulation des questions par la juridiction de renvoi semble suggérer qu’il n’y aurait lieu de répondre à la seconde question préjudicielle que dans l’hypothèse où la réponse à la première question préjudicielle serait affirmative. Je suis d’avis que, dans une affaire telle que celle en cause au principal, dans laquelle la problématique majeure est d’établir si un échange d’informations présentant les caractéristiques constatées en l’espèce constitue une restriction de la concurrence par objet, il convient de traiter conjointement les aspects abordés par ces deux questions préjudicielles. Ainsi, les gains d’efficacité ou les effets proconcurrentiels allégués et qui sont visés par la seconde question préjudicielle seront pertinents pour l’analyse du contexte juridique et économique dans lequel l’échange d’informations doit être apprécié afin de déterminer s’il constitue une restriction de la concurrence par objet.

B. Sur les première et deuxième questions préjudicielles

24. Les deux questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi portent sur la qualification juridique en tant que restriction de la concurrence par objet d’un échange d’informations présentant les caractéristiques décrites aux points 10 à 14 des présentes conclusions.

25. À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, le rôle de la Cour est limité à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union sur lesquelles elle est interrogée, en l’occurrence l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, il appartient non pas à la Cour mais à la juridiction de renvoi d’apprécier en définitive si, compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents caractérisant la situation au principal et du contexte économique et juridique dans lequel celle-ci s’insère, l’accord en cause a pour objet de restreindre la concurrence (9). Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, sur la base des éléments du dossier dont elle dispose, apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son interprétation afin que cette dernière puisse trancher le litige (10).

26. Ainsi, avant de procéder à l’examen de ces questions, il me paraît utile de rappeler les contours de la notion de « restriction par objet » ainsi que d’apporter certaines clarifications sur son application aux échanges d’informations.

1. Sur la notion de restriction de la concurrence par objet

a) Sur les principes généraux énoncés par la jurisprudence de la Cour

27. Pour relever de l’interdiction prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un accord, une décision d’une association d’entreprises ou une pratique concertée doivent avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser de manière sensible la concurrence dans le marché intérieur (11). Il convient de rappeler, à cet égard, que l’objet et l’effet anticoncurrentiel d’un accord sont des conditions non pas cumulatives mais alternatives pour apprécier si un tel accord relève de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction « ou », conduit à la nécessité de considérer d’abord l’objet même de l’accord (12).

28. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour que l’examen de leurs effets ne soit pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (13).

29. Afin d’apprécier si un accord entre des entreprises ou une décision d’une association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de la concurrence par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il faut s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère (14).

30. Il convient de souligner, toutefois, que la notion de restriction de la concurrence par objet doit être interprétée de manière restrictive. Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où l’analyse d’une coordination entre entreprises ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait d’en examiner les effets et, pour l’interdire, d’exiger la réunion des éléments établissant la restriction du jeu de la concurrence (15).

31. Il convient de rappeler, enfin, que d’un point de vue substantiel, il n’y a pas de différence entre les comportements des entreprises selon qu’ils sont qualifiés de restrictifs de la concurrence à l’issue d’un examen de leurs effets ou de leur objet, dès lors que les deux types sont prohibés au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, la dichotomie entre restriction de la concurrence par objet et restriction de la concurrence par effet est avant tout un instrument de nature procédurale destiné à guider l’autorité de concurrence quant à l’analyse qu’il lui incombe d’effectuer en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et aux ressources qu’elle doit utiliser en fonction des circonstances propres à chaque affaire (16).

b) Sur la nécessité de disposer d’une « expérience solide et fiable » afin qu’une pratique soit qualifiée de restriction de la concurrence par objet

32. Parmi les problématiques soulevées par la juridiction de renvoi dans le cadre de sa première question préjudicielle figure celle de la nécessité de disposer d’une expérience solide et fiable, au sens de la jurisprudence de la Cour, pour pouvoir qualifier un échange d’informations « autonome », tel que celui en cause dans l’affaire au principal, de restriction de la concurrence par objet. En d’autres termes, la juridiction de renvoi cherche à savoir s’il doit nécessairement exister un précédent pour constater qu’un certain type de comportement constitue une restriction de la concurrence par objet.

33. Il convient de répondre à cette question par la négative.

34. Il y a lieu de rappeler, en premier lieu, qu’il ressort du libellé même de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et, en particulier, du terme « notamment » que cette disposition ne contient pas une liste exhaustive d’accords ayant pour « objet » ou pour « effet » de restreindre la concurrence. D’autres types d’accords peuvent ainsi se voir reconnaître la qualification de restriction « par objet » lorsqu’une telle qualification peut être effectuée conformément aux exigences découlant de la jurisprudence de la Cour (17).

35. Force est de constater, en deuxième lieu, que si, dans plusieurs de ses arrêts – dont notamment l’arrêt du 11 septembre 2014, CB/Commission (C-67/13 P, ci-après l’« arrêt CB/Commission », EU:C:2014:2204), et l’arrêt Budapest Bank –, la Cour a, en effet, mis l’accent sur la nécessité de disposer d’une expérience suffisamment solide et fiable pour qu’un accord puisse être considéré, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu de la concurrence et, partant, puisse être qualifié de restriction de la concurrence par objet (18), elle a toutefois reconnu de manière claire que le fait que la Commission n’ait pas constaté qu’un accord d’un type donné était, par son objet même, restrictif de la concurrence n’est pas, en soi, de nature à l’empêcher de le faire à l’avenir à la suite d’un examen individuel et circonstancié des pratiques litigieuses (19). Toute autre interprétation reviendrait à empêcher l’application d’une disposition du traité qui est rédigée de manière à couvrir de nouvelles catégories de restrictions de la concurrence qui pourraient apparaître dans le futur.

36. Il convient, dès lors, de rejeter l’argument de certaines des parties requérantes selon lequel l’existence d’une expérience solide et fiable serait une condition préalable pour qu’une pratique puisse être considérée comme une restriction par objet et que, partant, les juridictions ou les autorités nationales de concurrence devraient nécessairement démontrer l’existence d’un précédent afin de qualifier un comportement sur le marché de restriction de la concurrence par objet (20).

37. Il convient de rappeler, en troisième lieu, que le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord ou une pratique concertée implique une restriction de la concurrence par objet, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, réside dans la constatation qu’un tel accord ou une telle pratique présente, en soi, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour considérer qu’il n’y a pas lieu d’en apprécier les effets (21).

38. Des accords ou pratiques qui sont assimilables à des comportements ou catégories de comportement dont la nocivité à l’égard de la concurrence ne soulève pas de doute au regard de l’expérience acquise répondront, en principe, plus facilement à ce critère. En effet, l’existence d’une expérience solide et fiable quant à la nocivité d’une pratique anticoncurrentielle « renforce » la probabilité qu’une pratique comportant les mêmes caractéristiques qu’une autre, qui a été précédemment qualifiée de restriction de la concurrence par objet le soit également (22). Toutefois, ainsi que je l’ai mentionné au point 34 des présentes conclusions, l’absence de précédents n’empêche pas les autorités de la concurrence de retenir la qualification de restriction de la concurrence par objet pour des accords qui s’avèrent, à la suite d’un examen individuel et circonstancié, préjudiciables à la concurrence.

39. Par ailleurs, le fait que toutes les caractéristiques d’un accord poursuivi par une autorité de la concurrence ne sont pas identiques à celles d’une pratique qui a été auparavant qualifiée de restriction de la concurrence par objet ne signifie pas qu’il n’existe pas une expérience suffisamment solide et fiable à son égard. En effet, exiger une concordance absolue de l’ensemble des caractéristiques de tels accords (y compris pour ce qui est des marchés concernés), ainsi que semblent le revendiquer certaines des parties requérantes, limiterait de manière injustifiée le champ d’application de la notion de restriction par objet et la rendrait particulièrement difficile à appliquer pour les autorités de la concurrence.

40. Néanmoins, compte tenu de l’impératif d’interpréter la notion de restriction de la concurrence par objet de manière restrictive, si des pratiques pour lesquelles il n’existe pas de précédents peuvent être considérées comme des restrictions par objet, cette qualification devrait se limiter aux cas où le caractère anticoncurrentiel d’un accord ou d’une pratique ressort de manière manifeste ou lorsque les pratiques en cause n’ont aucune explication crédible autre que la restriction de la concurrence sur le marché (23).

c) Sur la prise en compte du contexte juridique et économique dans l’appréciation d’une restriction de la concurrence par objet et sa démarcation de l’analyse des effets restrictifs de la concurrence

41. Une seconde problématique majeure dans la présente affaire est la prise en compte du contexte juridique et économique dans l’appréciation d’une restriction de la concurrence par objet ainsi que la distinction entre la prise en compte du contexte et l’examen des effets dans l’appréciation d’une restriction de la concurrence.

42. Il convient de rappeler, premièrement, que la prise en compte du contexte juridique et économique dans l’analyse d’une restriction de la concurrence par objet vise principalement à confirmer ou à infirmer la constatation initiale de l’objet anticoncurrentiel d’une pratique donnée qui a été effectuée sur la base d’autres éléments qui sont propres à cette pratique.

43. Il y a lieu de relever, à cet égard, que la Cour s’est référée, dans son arrêt Budapest Bank, aux conclusions de l’avocat général Bobek, selon lesquelles la constatation d’une restriction de la concurrence par objet requiert une analyse en deux temps (24). Il revient ainsi aux autorités de la concurrence de déterminer, dans un premier temps, si, étant donné le contenu et les objectifs de l’accord, celui-ci relève d’une catégorie d’accords qui sont préjudiciables pour la concurrence au vu de l’expérience solide et fiable acquise (ou, à défaut, dont il est manifeste qu’ils le sont) (25). Dans un second temps, ces autorités doivent opérer un « contrôle de base de la réalité » afin de vérifier si des circonstances particulières du contexte juridique et économique de l’accord concerné ne sont pas susceptibles de faire naître un doute sur la nocivité présumée de celui-ci (26).

44. L’examen du contexte juridique et économique vise à éviter le risque de « faux positifs » qui peuvent résulter d’une analyse formelle d’un accord, détachée de la « réalité économique » et du paysage juridique et réglementaire dans lequel celui-ci s’insère. En effet, l’objet d’un accord doit être évalué non pas abstraitement, mais concrètement à la lumière des conditions réelles du fonctionnement du marché, en tenant compte de tout élément pertinent (27). Cette approche reflète, plus précisément, l’évolution de la jurisprudence de la Cour et le passage d’une interprétation large et formaliste de la notion de restriction de la concurrence par objet à une interprétation de cette notion plus restrictive et fondée sur l’économie et l’expérience (28).

45. Deuxièmement, l’analyse du contexte économique dans lequel la pratique s’insère ne devrait pas être confondue avec une analyse des effets, cette dernière impliquant une charge de la preuve supplémentaire et un examen plus détaillé des effets de l’accord sur le marché pour établir l’existence d’une restriction de la concurrence. S’il en était autrement, la dichotomie entre restriction « par objet » et restriction « par effet » n’aurait plus aucun sens.

46. Bien que cette distinction puisse paraître relativement simple en théorie, sa mise en œuvre pratique s’avère néanmoins plus complexe. En effet, la prise en compte du contexte économique et juridique dans lequel un accord s’insère peut, dans certains cas, rendre particulièrement obscur le point de savoir où l’examen de l’accord sous l’angle de son objet prend fin et où l’examen de l’accord au regard de ses effets commence. Par ailleurs, le fait que, dans sa jurisprudence, la Cour considère que l’appréciation des effets des accords ou des pratiques au regard de l’article 101 TFUE implique, tout comme la constatation d’une restriction par objet, la nécessité de prendre en considération le cadre concret dans lequel ils s’insèrent et notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché (29) peut également prêter à confusion.

47. En substance, la différence entre les deux catégories de restrictions de la concurrence tient à l’intensité de leur examen. Ainsi, dans les cas où l’objet anticoncurrentiel est aisément perceptible, l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère devrait se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire pour confirmer ou infirmer la nocivité et l’objet anticoncurrentiel qui ressortent de l’analyse du contenu et des objectifs de la pratique en cause (30). Il s’ensuit qu’une telle analyse ne peut, en principe, nullement pallier l’absence d’identification effective d’un objet anticoncurrentiel par la démonstration des effets potentiels des mesures visées (31).

48. Ainsi que je l’ai rappelé au point 28 des présentes conclusions, pour conclure à l’objet anticoncurrentiel d’un accord, il doit être possible de déterminer que celui-ci est concrètement apte à restreindre la concurrence sans avoir à en examiner les effets. Partant, l’analyse de l’objet anticoncurrentiel d’un accord ne devrait « basculer » vers une analyse des effets anticoncurrentiels dudit accord que lorsqu’il s’avère qu’il est impossible de déterminer, malgré une analyse de l’ensemble des éléments intrinsèques et contextuels pertinents, que cet accord est apte à restreindre la concurrence (32). Tel serait le cas, par exemple, si l’analyse du contexte juridique et économique faisait naître des doutes quant au caractère particulièrement nocif d’un accord constaté (lors de la première étape du test) ou révélait du moins des effets ambigus.

49. Troisièmement, ainsi que la Cour l’a rappelé récemment dans l’arrêt HSBC (33), lorsque les parties à un accord se prévalent d’effets proconcurrentiels attachés à celui-ci, ceux-ci doivent, en tant qu’éléments du contexte de cet accord, être dûment pris en compte aux fins de sa qualification de restriction par objet, dans la mesure où ils seraient susceptibles de remettre en cause l’appréciation globale du degré suffisamment nocif de la pratique collusoire concernée à l’égard de la concurrence et, en conséquence, sa qualification de restriction par objet (34). Toutefois, la simple allégation non étayée d’effets proconcurrentiels d’un accord litigieux ne saurait suffire à écarter la qualification de restriction par objet de celui-ci (35). Ainsi, même à les supposer avérés, pertinents et propres à l’accord concerné, ces effets proconcurrentiels doivent être suffisamment importants, de telle sorte qu’ils permettent de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de l’accord concerné et, partant, de son objet anticoncurrentiel (36).

50. Quatrièmement, si la prise en compte des gains d’efficacité ou des effets proconcurrentiels allégués fait partie du contexte juridique et économique dans lequel l’échange d’informations doit être apprécié, il convient de clarifier que cette étape de l’analyse est différente de celle menée au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, qui vise à examiner, une fois une restriction de la concurrence établie, si les critères d’exemption sont remplis (37). En effet, la prise en compte des effets proconcurrentiels a pour objet non pas d’écarter la qualification de restriction de la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, mais d’appréhender la gravité objective de la pratique concernée et, en conséquence, d’en définir les modalités de preuve (38).

2. Sur l’application de la notion de restriction de la concurrence par objet aux échanges d’informations

51. À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les notions d’« accord », de « décision d’association d’entreprises » et de « pratique concertée » visées à l’article 101, paragraphe 1, TFUE appréhendent, du point de vue subjectif, des formes de collusion qui partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent (39). Il s’ensuit que les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour aux fins d’apprécier si un comportement a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sont applicables qu’il s’agisse d’un accord, d’une décision ou d’une pratique concertée (40).

52. Par ailleurs, s’agissant de la définition d’une pratique concertée, la Cour a jugé qu’une telle pratique vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (41). Il est, par ailleurs, acquis, depuis l’arrêt du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, EU:C:1975:174, point 288), que les échanges d’informations peuvent constituer une infraction autonome relevant de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

53. Il ressort de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises concernées, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments. Toutefois, la Cour a jugé qu’il y avait lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire, qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (42).

54. Sont ainsi considérés comme contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, les échanges d’informations qui atténuent ou suppriment le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (43). En effet, les dispositions du traité FUE relatives à la concurrence impliquent une exigence d’autonomie des opérateurs économiques. Or, si cette exigence n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leur concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet, soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à, ou que l’on envisage de, tenir soi-même sur le marché (44).

55. Néanmoins, si la Cour a été amenée, à plusieurs reprises, à examiner la compatibilité d’échanges d’informations avec l’article 101, paragraphe 1, TFUE, elle n’a pas toujours précisé, de manière claire, si les critères auxquels elle fait référence et notamment celui de la réduction ou la suppression de l’incertitude sur le fonctionnement du marché, concernent la notion de restriction en général, s’ils visent uniquement les restrictions par effet ou s’ils permettent également d’établir un objet anticoncurrentiel (45). Toutefois, le fait que le critère précité soit appliqué tant pour identifier une restriction de la concurrence par objet que par effet n’est pas surprenant. Ainsi que je l’ai mentionné au point 31 des présentes conclusions, l’intérêt de la distinction entre restriction de la concurrence par objet et par effet est avant tout probatoire.

56. Il convient cependant de préciser que, dans certains des arrêts dans lesquels la notion de restriction par objet dans le contexte d’un échange d’informations a été évoquée, la Cour a cherché à clarifier davantage les circonstances dans lesquelles la qualification de restriction de la concurrence par objet devrait être retenue. En particulier, la Cour a jugé qu’il y a lieu de considérer comme ayant un objet anticoncurrentiel un échange d’informations susceptible d’éliminer des incertitudes dans l’esprit des intéressés quant à la date, à l’ampleur et aux modalités de l’adaptation du comportement sur le marché que les entreprises concernées vont mettre en œuvre (46) - et, par conséquent, susceptible d’influer directement sur la stratégie commerciale des concurrents ou d’affecter le jeu normal de la concurrence sur le marché (47). Tel est notamment le cas lorsque l’échange d’informations porte sur des éléments particulièrement sensibles du point de vue de la concurrence, comme les prix futurs ou l’une des composantes de ces prix, comme cela était le cas dans les arrêts T-Mobile et Dole, ou plus récemment dans l’arrêt HSBC.

57. Néanmoins, lorsque l’échange d’informations porte sur des éléments moins sensibles du point de vue du droit de la concurrence ou que l’objet anticoncurrentiel ne ressort pas clairement de l’analyse du contenu, des objectifs et du contexte juridique et économique dans lequel s’insèrent ces échanges, la Cour a estimé qu’il y lieu de procéder à une analyse des effets. Telle a été la solution retenue, par exemple, dans l’affaire ASNEF, dans laquelle la Cour a estimé que, compte tenu de ses caractéristiques, l’échange de certaines données entre établissements bancaires qui visait à la création d’un registre bancaire n’avait pas pour objet de restreindre la concurrence et qu’il conviendrait, par conséquent, d’en analyser les effets (48). Dans cette même affaire, la Cour a, par ailleurs, estimé que, compte tenu de certaines mesures de non-divulgation de données sensibles prises par les banques en questions, les fichiers qui ont été échangés entre elles n’étaient susceptibles de dévoiler ni la position respective sur le marché des entreprises concurrentes ni leur stratégie commerciale (49).

58. Les observations suivantes s’imposent, au vu de ce qui précède.

59. Il convient de souligner, en premier lieu, que tout échange d’informations entre concurrents ne saurait être considéré comme étant restrictif de la concurrence. Les échanges d’informations constituent, en effet, une caractéristique commune de plusieurs marchés concurrentiels. Il ressort, par ailleurs, de la théorie économique que la transparence entre opérateurs économiques peut concourir à l’intensification de la concurrence et permettre de résoudre des problèmes d’asymétrie de l’information et générer divers types de gains d’efficacité, rendant ainsi les marchés plus efficaces (50).

60. Il ressort, en deuxième lieu, de la jurisprudence de la Cour citée au point 54 des présentes conclusions que, en ce qui concerne les échanges d’informations entre concurrents, la réduction ou l’élimination de l’incertitude quant au comportement stratégique d’un concurrent sur le marché est le critère décisif d’appréciation de l’existence d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

61. Or, l’appréciation à l’aune du critère précité dépend étroitement de la nature des informations échangées entre concurrents. En effet, seul l’échange d’informations stratégiques (ou commercialement sensibles) peut réduire l’incertitude sur le marché et avoir un impact sur l’autonomie décisionnelle des parties, réduisant ainsi la concurrence. S’il n’existe pas de définition précise de la notion d’informations stratégiques (ou commercialement sensibles), il est admis, en principe, que les informations relatives aux prix et aux quantités sont celles qui présentent le plus grand intérêt stratégique, suivies des informations sur les coûts et la demande (51). Par ailleurs, l’utilité stratégique des données échangées peut également dépendre d’une série d’autres facteurs tels que le degré de concentration du marché en cause, le caractère agrégé ou désagrégé des informations, leur ancienneté, ainsi que la fréquence des échanges en question (52).

62. En troisième lieu, bien qu’un échange d’informations soit susceptible de relever de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, le fait qu’un tel échange porte sur des données stratégiques qui sont de nature à réduire l’incertitude sur le marché n’entraîne pas automatiquement une qualification de restriction de la concurrence par objet.

63. Compte tenu de l’impératif d’interpréter la notion de restriction de la concurrence par objet de manière restrictive, cette qualification ne peut être retenue que pour les échanges d’informations pour lesquels il ressort de manière claire et sans ambiguïté que, au vu de leurs caractéristiques et sans qu’il soit nécessaire d’en examiner les effets, le critère de la réduction ou de la suppression de l’incertitude sur le marché est rempli, de sorte que ces échanges peuvent influer directement sur la stratégie commerciale des concurrents en leur permettant d’adapter leur comportements sur le marché. Ainsi que je l’ai mentionné au point 56 des présentes conclusions, ce critère est réputé rempli lorsque l’échange d’informations porte sur des éléments cruciaux pour la concurrence, tels que les capacités et les prix futurs.

64. Il y a lieu de constater, au vu de ce qui précède, qu’un échange d’informations peut constituer une pratique restrictive de la concurrence par objet lorsqu’il ressort de l’analyse de son contenu, de ses objectifs et du contexte juridique et économique dans lequel il s’insère que cet échange présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence. Par ailleurs, la circonstance que cet échange soit « autonome », en ce sens qu’il n’est pas associé à la constatation d’une entente, n’est pas de nature à remettre en cause la constatation d’une restriction de la concurrence par objet, à condition que ledit échange présente un degré suffisant de nocivité (53).

3. Sur l’appréciation de la qualification de restriction de la concurrence par objet en l’espèce

a) Observations liminaires

65. Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’il ressort de la décision de renvoi que, au vu de leurs caractéristiques décrites aux points 10 à 14 des présentes conclusions, les échanges en question portaient sur des données actuelles et futures qui étaient stratégiques du point de vue du droit de la concurrence et auraient permis aux parties requérantes d’obtenir des informations précises sur les offres de leur concurrents, leur permettant ainsi de réduire l’incertitude liée au comportement stratégique et de s’aligner grâce à une coordination informelle.

66. Cette description est, toutefois, contestée par les parties requérantes qui considèrent que, contrairement aux constatations opérées par l’AdC et la juridiction de renvoi, les caractéristiques des informations échangées ne permettaient pas une telle coordination sur le marché (54).

67. Il convient toutefois de rappeler, d’une part, qu’il ne revient pas à la Cour de vérifier l’exactitude du cadre factuel exposé par la juridiction de renvoi (55) et, d’autre part, qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier en définitive, compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents caractérisant la situation au principal et du contexte économique et juridique dans lequel celle-ci s’insère, si l’échange d’informations en question avait pour objet de restreindre la concurrence (56).

68. Ces clarifications ayant été apportées, je propose d’examiner, dans un premier temps, la partie de l’échange d’informations concernant les conditions commerciales des emprunts souscrits (notamment, celles portant sur les écarts de taux) avant d’examiner, dans un deuxième temps, les échanges relatifs aux volumes de production et, dans un troisième et dernier temps, les conditions dans lesquelles un seul et même échange portant sur ces deux types d’informations, celles-ci étant analysées conjointement, pourrait être considéré comme ayant un objet anticoncurrentiel.

b) Sur les informations relatives aux « conditions commerciales »

1) Sur le contenu des informations échangées

69. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la décision de renvoi que les « écarts de taux » sur lesquels les banques ont échangé des informations constituent un élément essentiel du prix (57). Par ailleurs, il ressort de cette décision que, en communicant entre concurrents l’une des composantes du prix que celles-ci allaient adopter, les parties requérantes ont contribué à accroître la transparence sur le marché en réduisant l’incertitude liée à leur stratégie actuelle ou future, ce qui permettait à chacune des banques participantes d’exploiter ces informations dans la définition de sa stratégie commerciale et de s’aligner à tout moment grâce à une coordination informelle.

70. Or, il y a lieu de noter d’emblée qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 56 des présentes conclusions qu’un échange présentant de telles caractéristiques est susceptible d’être qualifié de restriction de la concurrence par objet. Ainsi, contrairement à la position défendue par certaines des parties requérantes, il y lieu de constater qu’il existe une expérience suffisamment fiable et solide permettant de considérer que de tels échanges portant sur des prix futurs (ou certains de leurs facteurs) sont intrinsèquement anticoncurrentiels, au vu notamment du risque collusoire particulièrement élevé qu’ils comportent, de sorte qu’ils peuvent être qualifiés de restriction de la concurrence par objet.

71. Il convient également de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’appréciation d’un échange d’informations entre concurrents doit se faire à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché (58). Or, l’échange d’informations entre concurrents sur des facteurs déterminants pour les prix contrevient de manière flagrante à cette exigence d’autonomie, notamment lorsque ces informations portent sur des intentions futures en matière de prix, ce qui permet à des entreprises d’anticiper le mouvement commercial stratégique d’un concurrent et de s’y adapter en réduisant la pression concurrentielle sur le marché.

72. Force est de constater, par ailleurs, que, outre leur caractère confidentiel au moment de l’échange, les informations relatives aux écarts de taux sont particulièrement pertinentes pour la détermination des offres d’emprunts que les banques proposent à leurs clients. Ainsi, nonobstant le fait que le marché bancaire est fortement réglementé, les établissements bancaires disposent d’une marge de liberté décisionnelle en ce qui concerne l’établissement des écarts de taux qui assure une différenciation stratégique de chaque banque et qui constitue, partant, un facteur clé de la concurrence entre ces établissements (59).

73. Le contenu de cet échange présente donc en lui-même un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence et peut être considéré, par sa nature même, comme nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence, ce qui suffirait pour conclure à l’existence d’un comportement relevant de l’altération même du processus concurrentiel sur les marchés pertinents (60).

74. Par ailleurs, contrairement au point de vue défendu par certaines des parties requérantes, il n’est pas nécessaire qu’une pratique concertée porte sur tous les facteurs de concurrence. Une telle pratique peut avoir un objet contraire à la concurrence même si elle ne concerne que des facteurs isolés, comme l’écart de taux (61). Le fait que le prix final comprend d’autres composantes qui n’ont éventuellement pas (toutes) fait l’objet d’un échange d’informations n’est pas de nature à remettre en cause la constatation de l’existence d’une restriction de la concurrence par objet.

75. Le caractère stratégique et commercialement sensible des données échangées ne serait, d’ailleurs, pas remis en cause même s’il était avéré, ainsi que le soutiennent plusieurs des parties requérantes, que certains des échanges en cause ne portaient ni sur les prix finaux pratiqués par les banques ni sur les écarts de crédit effectivement accordés aux clients, mais concernaient plutôt une fourchette de taux indicatifs qui étaient utilisés comme point de départ des négociations individuelles avec chaque client en fonction de son profil de risque particulier. En effet, la divulgation de telles données peut suffire à révéler les intentions stratégiques sur un comportement futur en matière de prix et faciliter ainsi des comportements collusifs entre entreprises concurrentes (62).

2) Sur l’objectif poursuivi par l’échange d’informations

76. Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, pour déterminer si un accord ou un échange d’informations relève de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il y a notamment lieu de s’attacher aux buts objectifs qu’il vise à atteindre (63). Par ailleurs, ces buts objectifs, qui doivent ressortir clairement des pratiques en cause, ne se confondent nullement avec les intentions subjectives de restreindre ou non la concurrence ou encore avec les objectifs légitimes éventuellement poursuivis par les entreprises concernées. Il est, par ailleurs, établi qu’un accord peut être considéré comme ayant un objet restrictif de la concurrence même s’il poursuit d’autres objectifs légitimes (64).

77. À cet égard, il convient de rappeler que l’AdC a estimé que, compte tenu de la nature des informations sur lesquelles portait l’échange, celui-ci ne pouvait avoir aucun autre objectif que la restriction de la concurrence. Cette constatation est contestée par les parties requérantes, qui soutiennent que l’échange d’informations était un moyen informel de faciliter l’activité de benchmarking des banques, en leur permettant de comparer entre elles leurs offres respectives (65), tout en réduisant les coûts associés à un tel exercice de comparaison, ce qui était susceptible d’avoir des effets favorables sur la concurrence (66), de sorte que le but de l’échange n’était pas intrinsèquement anticoncurrentiel.

78. Cet argument paraît peu crédible et devrait dès lors être écarté.

79. Si un échange d’informations peut, en effet, générer des gains d’efficacité et rendre les entreprises plus performantes, en leur permettant notamment de comparer leurs pratiques respectives et d’améliorer ainsi tant leur efficacité interne que leur position sur le marché, il va de soi que des initiatives telles que le benchmarking ne justifient pas le recours à des pratiques qui sont anticoncurrentielles en soi, telles que l’échange d’informations confidentielles et stratégiques du point de vue du droit de la concurrence, comme celles portant sur les actions envisagées par des entreprises en matière de prix.

80. Par ailleurs, j’éprouve des difficultés à suivre le raisonnement des banques quant aux objectifs poursuivis par l’échange d’informations en question. Il y a lieu de s’interroger, en effet, sur l’utilité d’un tel échange dès lors que, d’après les parties requérantes, les informations échangées, d’une part, seraient rendues publiques par les banques dans le même temps que (ou immédiatement après) l’échange en question et, d’autre part, compte tenu des procédures internes applicables au sein des banques, ces informations ne pourraient pas être prises en compte pour la modification des écarts de crédit. Outre le fait que cette constatation est contestée par l’AdC et qu’elle ne ressort pas de la décision de renvoi, un tel échange d’informations serait dépourvu de toute logique commerciale. Il y a donc lieu de s’interroger sur les motivations qui pourraient avoir poussé les parties requérantes à s’exposer à un risque non négligeable du point de vue du droit de la concurrence pour obtenir des informations qui ne présenteraient, selon elles, aucun véritable intérêt commercial.

3) Sur le contexte juridique et économique

81. À titre liminaire, il convient de relever que les parties requérantes reprochent à l’AdC de ne pas avoir tenu compte du contexte économique, juridique et réglementaire du secteur bancaire au cours de la période infractionnelle. Appréciés dans le contexte juridique et économique pertinent, les échanges en question seraient, selon ces parties , effectivement proconcurrentiels ou, à tout le moins, une telle appréciation aurait dû faire naître des doutes quant à leur nocivité, ce qui aurait remis en cause la constatation d’une restriction de la concurrence par objet (67).

82. Par ailleurs, il convient de rappeler, ainsi que je l’ai précisé au point 47 des présentes conclusions, que, lorsque l’objet anticoncurrentiel est aisément perceptible, comme cela semble être le cas s’agissant des échanges relatifs aux écarts de taux, l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère devrait se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire pour vérifier si des circonstances particulières sont susceptibles de faire naître un doute sur la nocivité constatée de cette pratique. Il s’ensuit que seuls les éléments qui sont véritablement pertinents pour l’analyse du contexte juridique et économique doivent être examinés par une autorité de la concurrence et que cette dernière n’est pas tenue d’examiner des arguments purement hypothétiques ou détachés du contexte juridique et économique dans lequel s’inscrit l’échange d’informations ou le comportement en question (68).

83. Les parties requérantes contestent, en premier lieu, les appréciations portées par l’AdC et la juridiction de renvoi sur le degré de concentration (et les parts de marché) des différents participants pendant la période couverte par ledit échange et le fait que ce dernier ait eu lieu en « circuit fermé ».

84. S’il ne revient pas à la Cour de se substituer à la juridiction de renvoi pour apprécier la méthode suivie par l’AdC et le bien-fondé de l’analyse qui a été conduite par celle-ci, il y a lieu de relever, tout d’abord, que le degré de concentration est l’un des éléments qui peuvent s’avérer pertinents dans le cadre de l’analyse d’une restriction de la concurrence (69). Ainsi, la Cour a déjà considéré que, sur un marché fortement concentré, l’échange de certaines informations peut être, selon notamment le type d’informations échangées, de nature à permettre aux entreprises de connaître la position et la stratégie commerciale de leurs concurrents sur le marché, faussant ainsi la rivalité sur ce marché et augmentant la probabilité d’une collusion, voire facilitant celle-ci (70).

85. Outre le potentiel collusoire de cet échange, le fait que celui-ci ait lieu en circuit fermé présente également un risque d’exclusion des banques qui ne participeraient pas audit échange et qui, partant, ne disposeraient pas des mêmes données pour apprécier les conditions existantes et futures sur le marché pertinent. Un tel échange au sein d’un groupe limité de participants serait susceptible de rendre plus difficile l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché (71), notamment lorsque celui-ci présente les caractéristiques relevées par la juridiction de renvoi (72).

86. Par ailleurs, le fait que, contrairement aux échanges d’informations sur les volumes de production qui étaient réguliers, les échanges concernant les tableaux d’écarts de taux auraient été sporadiques, ainsi que le soutiennent les parties requérantes, n’exclut pas, en soi, l’objet anticoncurrentiel d’un échange d’informations. La Cour a, en effet, estimé qu’une seule prise de contact peut, compte tenu de la structure d’un marché, suffire pour que les entreprises concertent leurs comportements (73).

87. Les parties requérantes soutiennent, en deuxième lieu, que, compte tenu des caractéristiques du marché bancaire portugais, le comportement en cause ne pouvait avoir aucun effet sur la concurrence ni, partant, aboutir à un comportement collusoire (74). Plus précisément, eu égard aux procédures internes que devaient suivre les établissements de crédit pour modifier leur offre, ces derniers ne pouvaient pas réagir immédiatement à de telles informations.

88. Il convient de noter, à cet égard, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il y a lieu de présumer, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux parties de rapporter (75), que les entreprises tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur le marché lorsqu’elles y demeurent actives (76) et qu’il en est d’autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d’une longue période (77).

89. Or, il me semble que les parties requérantes essayent de renverser cette présomption en invoquant une « impossibilité factuelle » de prendre en compte ces informations afin d’ajuster et de modifier leur comportement sur le marché. Toutefois, même à le supposer avéré (ce qui ne ressort pas de la décision de renvoi), un tel argument ne suffirait pas à lui seul pour écarter la constatation d’une restriction de la concurrence par objet.

90. En effet, il convient de rappeler, premièrement, que l’article 101 TFUE vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle. Dès lors, la constatation de l’existence de l’objet anticoncurrentiel d’une pratique concertée ne saurait être subordonnée à celle d’un lien direct de celle-ci avec les prix acquittés par les consommateurs finaux (78). Ainsi, même un comportement susceptible d’entraîner une certaine baisse du prix des produits ou des services concernés (ou d’avoir un impact neutre sur la concurrence) peut, dans certaines circonstances, être considéré comme intrinsèquement anticoncurrentiel (79).

91. Deuxièmement, le fait que les écarts de taux seraient rendus publics peu de temps après les échanges en question n’altère en rien le fait que ces informations étaient confidentielles sans être accessibles au public au moment où elles ont effectivement été échangées. Par ailleurs, il ressort de la décision de renvoi que ces informations portaient sur les intentions futures des banques concernées en matière de prix et étaient dès lors stratégiques et particulièrement sensibles du point de vue du droit de la concurrence.

92. À supposer même que l’argument mis en avant par les parties requérantes ait été prouvé, je suis d’avis qu’il ne suffirait pas à remettre en cause la constatation de l’existence de l’infraction consistant en une restriction par objet, mais pourrait être pris en compte dans le calcul de l’amende et conduire, le cas échéant, à une réduction de l’amende imposée.

93. S’agissant, en troisième lieu, des arguments tirés de la spécificité du secteur bancaire, les parties requérantes soutiennent que, en réduisant l’incertitude sur le marché, l’échange d’informations en cause pouvait entraîner des gains d’efficacité et avoir des effets proconcurrentiels qui sont bénéfiques pour les consommateurs.

94. Il convient de noter, à cet égard, ainsi que je l’ai rappelé au point 49 des présentes conclusions, que l’éventuelle existence d’effets proconcurrentiels mis en avant par les parties requérantes ne remet pas en cause la conclusion qu’un accord donné constitue une restriction de la concurrence par objet, à moins que les effets en question soient prouvés, pertinents, spécifiques et tellement significatifs qu’ils soient susceptibles de remettre en cause la conclusion selon laquelle l’échange d’informations est intrinsèquement nocif pour la concurrence.

95. Or, si les parties requérantes identifient de manière générale et plutôt théorique certains aspects prétendument proconcurrentiels qui résulteraient des échanges litigieux, elles ne semblent pas être en mesure d’en rapporter la preuve. Il ne ressort, en effet, d’aucun élément du dossier que lesdits échanges auraient permis d’améliorer le fonctionnement du marché ou de corriger ses défaillances (80). Toutefois, même à supposer que les banques en question auraient transféré certains avantages à leurs clients, ce qui ne ressort d’ailleurs pas de la décision de renvoi, cela n’exclurait pas le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause (81).

96. Par ailleurs, au vu du caractère particulièrement sensible des informations relatives aux écarts de taux, décrit aux points 71 à 74 des présentes conclusions, il est peu probable que les aspects proconcurrentiels invoqués par les parties requérantes permettent de raisonnablement douter du caractère nocif à l’égard de la concurrence des échanges en cause (82).

97. Les parties requérantes soutiennent, en quatrième lieu, que, contrairement aux constatations de la juridiction de renvoi, l’augmentation des taux d’intérêts n’était pas due à l’échange d’informations en cause, mais s’expliquait par d’autres facteurs liés à la crise financière mondiale intervenue au cours de l’année 2008 et aux mesures d’assainissement budgétaire mises en œuvre par le Portugal à la suite de cette crise.

98. Pour des raisons analogues à celles déjà exposées au point 90 des présentes conclusions, je suis d’avis qu’il y a également lieu de rejeter un tel argument (83). Par ailleurs, force est de constater que, s’il ressort de la décision de renvoi que l’échange en question s’est intensifié pendant la période correspondant à la crise économique, il n’en reste pas moins que ledit échange avait commencé au cours de l’année 2002, soit bien avant le début de la crise financière et les interventions ultérieures des instances de régulations associées à cette crise.

99. En ce qui concerne, en cinquième lieu, l’environnement réglementaire dans lequel l’échange d’informations a eu lieu, les parties requérantes reprochent à la juridiction de renvoi de ne pas avoir tenu compte du fait que le cadre législatif applicable au secteur bancaire au Portugal comporte une série de règles visant à garantir un certain niveau de transparence sur le marché afin d’éviter les crises systémiques. Ces règles auraient d’ailleurs, selon les parties requérantes, été introduites par le droit de l’Union relatif à la protection des consommateurs.

100. Cet argument ne saurait prospérer davantage à mes yeux, dès lors qu’il ressort clairement de la décision de renvoi que les informations échangées par les parties requérantes étaient distinctes et allaient au-delà des informations communiquées par celles-ci dans le cadre de leurs obligations réglementaires. Il convient de noter, par ailleurs, que, contrairement à ce que soutiennent certaines des parties requérantes, aucune des règles du droit de l’Union ne pourrait exiger l’échange entre banques d’informations telles que les écarts de taux (84).

c) Sur les informations relatives aux « volumes de production »

101. Sans qu’il soit nécessaire de reproduire la « grille d’analyse classique » d’une restriction de la concurrence par objet, qui comprend l’examen du contenu, des objectifs et du contexte juridique et économique dans lequel un accord s’insère, il me paraît important d’apporter quelques précisions sur les échanges relatifs aux volumes de production, dès lors que certaines des parties au principal semblent considérer que lesdits échanges pourraient à eux seuls (et indépendamment de l’analyse concernant les échanges sur les écarts de taux) avoir un objet anticoncurrentiel.

102. Il convient de noter, premièrement, que les données relatives aux volumes de production peuvent, en principe, constituer des informations stratégiques et sensibles du point de vue du droit de la concurrence, pourvu que les caractéristiques des informations échangées et le contexte entourant cet échange permettent de réduire l’incertitude liée au comportement stratégique d’un concurrent sur le marché (85).

103. Force est de constater, deuxièmement, que, contrairement aux échanges d’informations relatives aux écarts de taux, l’échange en cause ne porte pas sur des pratiques futures mais sur des données du mois précédent. Bien que l’appréciation finale sur les attributs temporels de ces informations revienne à la juridiction de renvoi, compte tenu des circonstances propres au marché bancaire en question, il convient de rappeler que, en principe, l’échange de données passées (ou historiques) est peu susceptible d’aboutir à une collusion et est moins nocif du point de vue du droit de la concurrence, étant donné qu’il est peu probable qu’il fournisse des indications sur le comportement futur des concurrents ou permette une entente sur le marché (86).

104. Il convient de relever, à cet égard, qu’il n’existe pas de seuil prédéterminé quant au moment où des données acquièrent un caractère historique, c’est-à-dire deviennent suffisamment anciennes pour ne pas constituer un risque pour la concurrence. En effet, le caractère réellement historique des données se détermine en fonction des caractéristiques et des spécificités du marché en cause et notamment de la fréquence de renégociation des prix dans le secteur (87). Il s’ensuit que, bien que cela soit improbable, il n’est pas exclu que des échanges relatifs à des événements passés puissent également constituer des restrictions par objet, au sens de l’article 101 TFUE. Tel serait le cas dans l’hypothèse où l’échange d’informations récentes individualisées sur des variables stratégiques révélerait des tendances dont la connaissance serait de nature à réduire ou éliminer l’incertitude des parties quant à leurs intentions futures sur le marché, auquel cas un tel échange pourrait être équivalent à l’échange d’informations portant sur des données futures.

105. Troisièmement, il est admis que les échanges de données réellement agrégées, c’est-à-dire des données dans lesquelles il est suffisamment difficile de distinguer les informations se rapportant à une entreprise donnée, sont nettement moins susceptibles d’avoir des effets restrictifs sur la concurrence que les échanges de données propres à des entreprises précises. Ainsi, le risque que l’échange d’informations stratégiques réduise l’incertitude sur le marché et, partant, restreigne la concurrence est plus élevé lorsque ces informations sont désagrégées (88).

106. Quatrièmement, la circonstance que les informations échangées allaient au-delà des obligations réglementaires des banques concernées et portaient sur des données qui n’étaient pas disponibles pour le public ne suffit pas en soi pour attribuer à ces échanges un caractère anticoncurrentiel. Encore faut-il établir que les informations échangées ont permis d’atténuer ou de supprimer l’incertitude sur le marché (et cela de manière claire et sans ambiguïté pour pouvoir conclure à une restriction de la concurrence par objet).

107. Il s’ensuit que, s’il n’est pas exclu que l’échange de données récentes et désagrégées sur des volumes de productions puisse revêtir un caractère stratégique et être sensible du point de vue du droit de la concurrence, notamment lorsque cet échange a lieu dans un marché fortement concentré et que la fréquence des échanges est élevée, la décision de renvoi ne contient aucun élément permettant d’établir de manière claire, comme l’exige l’interprétation restrictive de la notion de restriction par objet, que cet échange revêtait un caractère particulièrement nocif à l’égard de la concurrence et qui aurait permis (à lui seul) d’atténuer l’incertitude stratégique quant au comportement futur des participants sur le marché (89).

d) Sur l’analyse conjointe des informations échangées

108. Il ressort de l’analyse qui précède que, si la partie de l’échange d’informations décrite par la juridiction de renvoi qui porte sur les écarts de taux est susceptible de relever de l’une des catégories d’accords ou de pratiques concertées couvertes par la notion de restriction par objet, ce constat ne s’impose pas de manière aussi évidente en ce qui concerne les données relatives à la production si ces échanges sont analysés séparément et distinctement.

109. Il ressort, toutefois, tant de la décision initiale de l’AdC que de la décision de renvoi, que, si la juridiction de renvoi a établi une distinction entre les deux types d’informations échangées, elle n’a pas considéré que chacun de ces échanges était en soi restrictif par objet, mais que ceux-ci faisaient partie d’un seul et même échange pour lequel la qualification de restriction de la concurrence par objet a été retenue. Il convient de noter, par ailleurs, que, sur la base des constatations effectuées par la juridiction de renvoi elle-même quant à sa nocivité intrinsèque à l’égard de la concurrence (90), un tel échange est susceptible de constituer une restriction de la concurrence par objet. Néanmoins, pour qu’une telle qualification juridique soit retenue, deux autres conditions, qui ne ressortent pas de manière claire du dossier de la présente affaire, doivent également être remplies.

110. En effet, d’une part, il est important, du point de vue de la sécurité juridique, de s’assurer que la théorie du préjudice, sur la base de laquelle une pratique anticoncurrentielle est condamnée par une autorité de la concurrence, ressorte de manière claire, notamment lorsqu’il s’agit d’établir l’objet anticoncurrentiel d’une telle pratique (91).

111. D’autre part, l’interaction entre les échanges portant sur ces deux types d’informations qui permet de soutenir la théorie du préjudice retenue par une autorité de la concurrence doit ressortir de manière non ambiguë de l’analyse conduite par cette autorité. Cette dernière doit donc établir un lien suffisamment clair entre les échanges portant sur ces deux types d’informations et expliquer en quoi des échanges comportant de telles caractéristiques revêtent un caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence pour justifier la qualification de restriction de la concurrence par objet. En d’autres termes, l’autorité de la concurrence devra montrer en quoi ces échanges, pris ensemble, font partie d’un « plan » manifestement anticoncurrentiel et sont de nature à permettre la convergence de comportement entre les banques concernées (92).

V. Conclusion

112. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão (tribunal de la concurrence, de la régulation et de la supervision, Portugal) de la manière suivante :

1) L’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que soit qualifié de restriction de la concurrence par objet un échange d’informations entre concurrents concernant les conditions commerciales applicables aux opérations (notamment les écarts de crédit et les variables de risque actuelles et futures) ainsi que les chiffres de production, en matière d’offre de crédits immobiliers, aux entreprises et à la consommation, dans le secteur bancaire, lorsqu’une telle pratique a artificiellement augmenté la transparence et réduit l’incertitude sur le fonctionnement du marché.

2) L’article 101 TFUE ne s’oppose pas à une telle qualification lorsque aucun gain d’efficacité, aucun effet ambivalent ou favorable à la concurrence résultant de cet échange d’informations n’a été constaté ou n’a pu être identifié.


1 Langue originale : le français.


2 Diário da República, série I, n.º 89, du 8 mai 2012, p. 2404 à 2427.


3 Diário da República, série I-A, n.º 134, du 11 juin 2003, p. 3450 à 3461.


4 Le terme « autonome » est employé par l’AdC pour indiquer que l’échange en cause constitue l’objet de l’enquête et qu’il n’est pas accessoire à un autre comportement prétendument problématique, tel qu’une entente.


5 Les écarts de taux sont néanmoins revenus à des niveaux plus élevés que lors des périodes antérieures à l’année 2012.


6 Ces parties soutiennent, plus précisément, que les échanges concernant les écarts de taux ne recouvraient pas d’informations pouvant être qualifiées de futures car : i) les décisions en matière de prix en question étaient déjà adoptées et en cours d’exécution ; ii) les informations étaient communiquées un jour ouvrable avant leur entrée en vigueur ; et iii) une telle antériorité par rapport à la date d’entrée en vigueur rendait impossible, compte tenu des procédures internes applicables au sein des banques pour la modification des écarts de crédit, toute forme d’adaptation aux informations reçues. Lesdites parties contestent, par ailleurs, la qualification des informations relatives aux volumes de production en tant qu’« actuelles », ces informations devant, selon elles, être considérées comme « passées » ou « historiques ».


7 Voir arrêts du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a. (C-377/20, EU:C:2022:379, point 35) etdu 12 février 2009, Cobelfret (C-138/07, EU:C:2009:82, point 23).


8 Arrêt du 19 avril 2007, Asemfo (C-295/05, EU:C:2007:227, point 31).


9 Voir arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise (C-306/20, ci-après l’ « arrêt Visma » EU:C:2021:935, point 51 et jurisprudence citée).


10 Voir arrêt Visma (point 52 et jurisprudence citée).


11 Voir arrêt Visma (point 54 et jurisprudence citée).


12 Voir arrêt Visma (point 55 et jurisprudence citée).


13 Voir arrêt Visma (point 57 et jurisprudence citée).


14 Arrêt du 16 juillet 2015, ING Pensii (C-172/14, EU:C:2015:484, point 33 et jurisprudence citée).


15 Voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:52, point 66 et jurisprudence citée).


16 Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 30).


17 Arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a. (C-228/18, ci-après l’« arrêt Budapest Bank », EU:C:2020:265, point 63).


18 Voir arrêt Budapest Bank (point 76) et conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C-228/18, EU:C:2019:678, points 63 à 73).


19 Voir arrêts du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C-586/16 P, EU:C:2021:241, point 86) et du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C-591/16 P, EU:C:2021:243, point 130).


20 Il convient de noter, à cet égard, que, au point 86 de l’arrêt du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C-586/16 P, EU:C:2021:241), la Cour a expressément rejeté l’argument mis en avant par certaines des parties requérantes dans la présente affaire, selon lequel le point 51 de l’arrêt CB/Commission exigeait des juridictions ou des autorités qu’elles démontrent une « expérience » spécifique d’interdiction de pratiques particulières en tant que restrictions « par objet ». Voir, en ce sens, également le point 66 de l’arrêt du 25 mars 2021, Sun Pharmaceutical Industries et Ranbaxy (UK)/Commission (C-586/16 P, EU:C:2021:241).


21 Voir points 28 et 30 des présentes conclusions.


22 À condition qu’aucun autre élément spécifique à cette pratique et, notamment, le contexte économique et juridique dans lequel celle-ci s’insère ne puisse remettre en cause cette constatation. Voir, en ce sens, points 43 et 44 des présentes conclusions.


23 Voir arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C-591/16 P, EU:C:2021:243, point 131).


24 Arrêt Budapest Bank (point 76) et conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C-228/18, EU:C:2019:678, points 41 à 43). Cette approche a également été suivie par l’avocat général Emiliou, en ce qui concerne la qualification d’un échange d’informations commerciales sensibles de restriction de la concurrence par objet [voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Emiliou dans l’affaire HSBC Holdings e.a./Commission (C-883/19 P, EU:C:2022:384, points 83 et 84)].


25 Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C-228/18, EU:C:2019:678, point 42).


26 Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C-228/18, EU:C:2019:678, points 43, 48 et 49).


27 Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:28, point 158), conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 41) et conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C-228/18, EU:C:2019:678, point 46).


28 Jurisprudence consacrée avec l’affaire CB/Commission, confirmée et affinée par la suite dans une série d’arrêts rendus par la Cour, notamment, dans les arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C-345/14, EU:C:2015:784), Budapest Bank, du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:52).


29 Voir arrêt Visma (point 72 et jurisprudence citée).


30 Voir arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission (C-373/14 P, EU:C:2016:26, point 29).


31 Conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 44).


32 Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:28, point 164).


33 Arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission (C-883/19 P, ci-après l’« arrêt HSBC », EU:C:2023:11).


34 Arrêt HSBC (point 139 et jurisprudence citée).


35 Arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C-591/16 P, EU:C:2021:243, point 137).


36 Arrêt HSBC (point 197 et jurisprudence citée).


37 Voir mes conclusions dans l’affaire International Skating Union/Commission (C-124/21 P, EU:C:2022:988, point 93).


38 Voir arrêt HSBC (point 140 et jurisprudence citée).


39 Arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. (C-8/08, ci-après l’« T-Mobile », EU:C:2009:343, point 23 et jurisprudence citée).


40 Arrêt T-Mobile (point 24).


41 Voir arrêt T-Mobile (point 26 et jurisprudence citée).


42 Arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C-286/13 P, ci-après l’« arrêt Dole », EU:C:2015:184, points 126 et 127).


43 Arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission (C-7/95 P, EU:C:1998:256, point 90), du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C-238/05, ci-après l’« arrêt ASNEF », EU:C:2006:734, point 51), T-Mobile (point 35) et Dole (point 121).


44 Arrêt Dole (point 120 et jurisprudence citée).


45 Ce point est d’ailleurs mis en avant par les parties requérantes pour contester la qualification par l’AdC de l’échange d’informations litigieux de restriction de la concurrence par objet, ces parties soutenant que ce critère ne peut être utilisé que pour la constatation d’une restriction par effet.


46 Arrêts T-Mobile (point 41), Dole (point 122) et HSBC (point 116).


47 Arrêt du 26 septembre 2018, Philips et Philips France/Commission (C-98/17 P, EU:C:2018:774, point 37).


48 Arrêt ASNEF (point 48).


49 Arrêt ASNEF (point 59).


50 Voir point 57 des lignes directrices de la Commission sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1) (ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale »).


51 Voir point 86 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale.


52 Voir points 86 et 91 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale.


53 En effet, si la jurisprudence de la Cour a retenu la qualification de restriction de la concurrence par objet principalement pour des échanges d’informations qui ont eu lieu dans le cadre d’une entente, cette jurisprudence n’implique aucunement que seuls ces échanges puissent être qualifiés de restriction de la concurrence par objet.


54 Voir point 18 des présentes conclusions.


55 Voir points 19 à 21 des présentes conclusions.


56 Voir point 25 des présentes conclusions.


57 Les écarts de taux représentent, en effet, une composante du prix qu’un client paiera à la banque pour le financement et la marge que la banque gagnera en accordant le crédit.


58 Voir point 54 des présentes conclusions.


59 En effet, une banque qui a connaissance de l’écart de taux de ses concurrents est dans une position plus favorable pour déterminer plus précisément les prix de l’offre finale ou les prix d’offre de ces concurrents.


60 Il en va de même, à mon avis, des échanges d’informations portant sur les autres conditions commerciales, telles que les capacités d’emprunt des clients et les paramètres de risque, pour autant que celles-ci portent sur des éléments essentiels du contrat et jouent un rôle déterminant dans la formation du prix. En effet, l’échange de telles informations est susceptible de faciliter et d’encourager des comportements collusifs entre les entreprises concernées.


61 Voir arrêt HSBC (point 204).


62 Voir également point 90 des présentes conclusions sur l’objectif de protection de la structure du marché poursuivi par le droit de la concurrence de l’Union.


63 Arrêt T-Mobile (point 27).


64 Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C-67/13 P, EU:C:2014:1958, point 117).


65 Ces parties soutiennent, à cet égard, que les informations obtenues visaient à procéder à des comparaisons des offres et à appuyer les réseaux commerciaux de chacune des banques pour la commercialisation des produits, chaque banque mettant en évidence les avantages de ses produits et les inconvénients de ceux des concurrents.


66 Cet argument sera examiné aux points 93 à 96 des présentes conclusions, consacrés à l’analyse du contexte juridique et économique.


67 Voir, à cet égard, point 25 des présentes conclusions.


68 En conséquence, une autorité de la concurrence ne peut se voir reprocher de ne pas avoir examiné des éléments qui ne présentent aucune utilité pour l’examen dudit contexte.


69 Il convient de préciser que le degré de concentration ne constitue qu’un des éléments à prendre en compte afin d’établir l’existence d’une restriction de la concurrence et ne permet pas, à lui seul, de constater l’objet anticoncurrentiel d’un échange d’informations. Cette précision ayant été apportée, il ne ressort d’aucun élément du dossier que l’AdC ou la juridiction de renvoi se soient fondées exclusivement sur cet élément pour retenir la qualification de restriction de la concurrence par objet en ce qui concerne l’échange en question.


70 Dans la prise en compte du degré de concentration, la jurisprudence de la Cour ne semble pas distinguer les échanges d’informations qui ont été qualifiés de restriction par objet ou par effet. Le degré de concentration est ainsi pris en considération en tant que l’un des éléments additionnels permettant d’établir une restriction de la concurrence, de la même manière quelle que soit la qualification de la restriction de la concurrence retenue. Voir, en ce sens, arrêts ASNEF (point 58) et T-Mobile (point 34).


71 Arrêt ASNEF (point 60).


72 En effet, ce marché est présenté comme « concentré avec des barrières à l’entrée » par la juridiction de renvoi dans le cadre de sa première question préjudicielle.


73 Voir arrêt T-Mobile (points 59 et 62).


74 Voir note en bas de page 6 des présentes conclusions.


75 Tel serait le cas, par exemple, en cas de déclaration claire d’une entreprise refusant de recevoir de telles informations. Voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C-199/92 P, EU:C:1999:358, point 162 et jurisprudence citée).


76 Voir arrêt Dole (point 127 ainsi que jurisprudence citée).


77 Voir arrêt T-Mobile (point 51).


78 Voir arrêts Dole (points 123 à 125) et HSBC (points 120 et 121).


79 Voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C-307/18, EU:C:2020:52, points 109 et 110).


80 Dans sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi relève qu’« aucun gain d’efficacité, aucun effet ambivalent ou favorable à la concurrence résultant de cet échange d’informations n’a été constaté ou n’a pu être identifié ».


81 Il ressort, en effet, de la jurisprudence citée au point 90 des présentes conclusions que le droit de la concurrence de l’Union vise à protéger non seulement les intérêts directs des consommateurs, mais également la structure du marché.


82 Voir, en ce sens, arrêt HSBC (points 199 à 205).


83 En effet, même à supposer que l’augmentation des taux d’intérêts ne fût pas due à l’échange d’informations en cause, mais à des facteurs exogènes (tels que la crise financière), il ressort d’une jurisprudence constante rappelée au point 90 des présentes conclusions, que, pour constater qu’un comportement donné revêt un objet anticoncurrentiel, il n’existe pas de nécessité d’un lien immédiat et direct entre ce comportement et une augmentation des prix finaux.


84 Toute autre interprétation reviendrait à accepter que, par principe, les règles du droit de la concurrence s’appliquent au secteur bancaire d’une manière différente de celle dont elles s’appliquent à d’autres secteurs, ce qui n’est évidemment pas le cas, comme en témoignent les nombreuses affaires poursuivies récemment par les autorités nationales de la concurrence et la Commission.


85 Même à supposer que tel fût le cas, cet élément n’entraînerait pas automatiquement la qualification de restriction de la concurrence par objet, ainsi que je l’ai expliqué au point 62 des présentes conclusions.


86 Voir point 90 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale.


87 Voir point 90 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale.


88 Voir point 89 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale.


89 Voir point 56 des présentes conclusions.


90 Voir point 15 des présentes conclusions.


91 Voir arrêt Budapest Bank (point 80 ainsi que jurisprudence citée).


92 Sous réserve des constatations qu’il revient à la juridiction de renvoi d’effectuer, à cet égard, il semblerait que ce lien ait été établi dans la présente affaire, dès lors qu’il semble ressortir des éléments pris en compte par l’AdC dans sa décision que les échanges sur les volumes de production visaient à faciliter la détection des déviations et à renforcer la collusion entre les parties requérantes.

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CJUE, n° C-298/22, Conclusions de l'avocat général de la Cour, 5 octobre 2023