ADLC, Décision 18-D-25 du 06 décembre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Aut. conc., déc. n° 18-D-25 du 21 déc. 2018
Numéro(s) : 18-D-25
Identifiant ADLC : 18-D-25
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Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Décision n° 18-D-25 du 6 décembre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas L’Autorité de la concurrence (vice-présidente statuant seule), Vu la lettre enregistrée le 13 juillet 2016 sous le numéro 16/0078 F, par laquelle les sociétés Speed Rabbit Pizza, Ben’s, Jeremy Pizz, Sert et T4 ont saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu la décision n° 17-DE-01 du 22 décembre 2017 relative au désistement de la société Ben’s et à la poursuite de l’instruction de l’affaire ; Vu la décision n° 18-JU-04 du 25 septembre 2018, par laquelle la présidente de l’Autorité de la concurrence a désigné Madame Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, pour adopter seule la décision qui résulte de l’examen de la saisine enregistrée sous le numéro 16/0078 F ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par la société Jeremy Pizz ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le représentant de la société Jeremy Pizz entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 6 novembre 2018, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Speed Rabbit Pizza, Sert et T4 ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :

Résumé1 Les sociétés Speed Rabbit Pizza, Jeremy Pizz, Sert et T4 (ci-après « les saisissantes ») ont saisi l’Autorité de pratiques mises en œuvre par les sociétés exploitant l’enseigne Domino’s Pizza en France et celles exploitant l’enseigne Pizza Sprint. Les saisissantes dénoncent des pratiques d’abus de dépendance économique commises à leur encontre par leurs franchiseurs respectifs, ces pratiques consistant dans les deux cas en un allongement excessif des délais de paiement. En premier lieu, la société Speed Rabbit Pizza, concurrent des réseaux « Domino’s Pizza » et « Pizza Sprint », n’entretenant aucune relation contractuelle avec l’un ou l’autre de ces réseaux et n’ayant nullement pour objet de prendre en charge ou de défendre les intérêts matériels et moraux de franchisés d’un réseau tiers, ne justifie d’aucun intérêt à agir. Sa saisine est donc déclarée irrecevable. En second lieu, l’Autorité a considéré que les éléments présents au dossier ne démontraient pas que les faits allégués, tels que présentés par les saisissantes, relèvent de pratiques anti- concurrentielles. En particulier, à supposer que les saisissantes se trouvent dans un état de dépendance économique vis-à-vis des sociétés exploitant l’enseigne « Domino’s Pizza » ou celles exploitant l’enseigne « Pizza Sprint » et que ces dernières exploitent cet état en leur imposant des délais de paiement abusifs – ce qui, au vu des éléments fournis, n’est pas établi – elles n’apportent en toute hypothèse aucun élément susceptible de démontrer que ce comportement aurait été susceptible d’affecter la structure de la concurrence sur le marché. La saisine des sociétés Jeremy Pizz, Sert et T4 est donc rejetée.

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

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1. Par saisine enregistrée le 13 juillet 2016, sous le numéro 16/0078 F, les sociétés Speed Rabbit Pizza, Ben’s, Jeremy Pizz, Sert et T4 ont saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après l’« Autorité ») de pratiques d’abus de dépendance économique mises en œuvre par les sociétés exploitant l’enseigne « Domino’s Pizza » et celles exploitant l’enseigne « Pizza Sprint » dans le secteur de la vente à emporter et de la livraison de pizzas à domicile. 2. Par lettre du 22 novembre 2017, la société Ben’s a informé l’Autorité de sa décision de se désister de la saisine enregistrée le 13 juillet 2016 sous le numéro 16/0078 F (cote 1941). 3. Par décision n° 17-DE-01 du 22 décembre 2017, prise en application de l’article L. 462-8 alinéa 7 du code de commerce, la présidente de l’Autorité a donné acte à la société Ben’s de son désistement et de la poursuite de l’instruction de la saisine enregistrée sous le numéro 16/0078 F. I. Constatations A. LE SECTEUR D’ACTIVITÉ ET LES ENTREPRISES CONCERNÉES 1. LA RESTAURATION RAPIDE À BAS PRIX EN FRANCE 4. Tel que précisé dans la décision n° 15-DCC-170 de l’Autorité du 10 décembre 2015, « la pratique décisionnelle opère une distinction entre (i) le marché de la restauration rapide à bas prix (qui comprend les fast-foods, les self-services et la vente à emporter/livraison à domicile) et (ii) celui de la restauration plus sophistiquée incluant, notamment, un service à table ». 5. D’après l’étude Xerfi « La restauration rapide », mise à jour en juillet 2017, la restauration rapide est définie comme « une activité qui consiste à vendre au comptoir des produits alimentaires qui seront consommés sur place, vendus à emporter ou livrés à domicile. Les aliments distribués en restauration rapide sont prêts à consommer et sont généralement présentés dans des conditionnements jetables » (cote 2044). 6. L’étude précise que de nombreux produits alimentaires sont distribués par les acteurs du secteur de la restauration rapide : burgers, sandwichs, pizzas, pâtes, salades, etc. Il existe ainsi de multiples profils spécialisés, parmi lesquels la restauration à l’anglo-saxonne (burgers, frites, etc.), la restauration à la française (sandwichs, salades, etc.), la restauration à l’italienne (pizzas, pâtes, etc.), la restauration à la japonaise (sushis, makis, sashimis, etc.) et les autres concepts de restauration à thème (kebabs, woks, restaurants mono-produits, cuisine « saine », etc.) (cote 2046). 7. Elle souligne par ailleurs que la restauration rapide est exposée à la concurrence d’autres circuits de restauration hors foyer (boulangeries, espaces snacking de la grande distribution, brasseries, cafés, traiteurs, etc.) et relève que « la situation influe directement sur la fréquentation des établissements, ainsi que sur la capacité des opérateurs à revaloriser les tarifs de leurs prestations » (cote 2053).

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8. Selon l’étude, le secteur de la restauration rapide, tous circuits confondus, représentait en France 25,96 milliards d’euros en 2016 (cote 2047). 2. LES ENTREPRISES CONCERNÉES a) Le groupe Speed Rabbit Pizza 9. Fondé en 1991, le groupe Speed Rabbit Pizza est spécialisé dans la restauration à l’italienne. L’essentiel de l’activité du groupe est centré sur la livraison de pizzas à domicile, via ses deux enseignes, Speed Rabbit Pizza et Pizza Mania. En 2013, le groupe s’est étendu au segment des pâtes en rachetant la chaîne de restauration Mezzo di Pasta, alors en liquidation judiciaire. 10. Le groupe Speed Rabbit Pizza possède environ 155 points de vente, dont 71 pour la seule enseigne « Speed Rabbit Pizza ». 11. En 2016, le groupe Speed Rabbit Pizza a engendré un chiffre d’affaires de 54 millions d’euros, dont 40 millions d’euros pour l’enseigne « Speed Rabbit Pizza » (cote 2141). b) La société Jeremy Pizz (franchisé « Pizza Sprint ») 12. La société à responsabilité limitée Jeremy Pizz, sise 57 bis, rue de la rivière à La-Chapelle- des-Fougeretz (35520), est active dans le secteur de la restauration de type rapide (cote 2342). 13. Le 7 avril 2013, elle a conclu un contrat de franchise avec la société Fra-Ma-Pizz, société spécialisée dans la fabrication et la distribution de pizzas à emporter ou livrées à domicile sous l’enseigne « Pizza Sprint », ainsi que deux contrats de location-gérance avec la société Emma Pizz pour l’exploitation d’établissements sous l’enseigne « Pizza Sprint » à Rennes (voir en ce sens la décision n° 18-D-22 du 17 octobre 2018). 14. Par jugement du 12 juillet 2018, le tribunal de commerce de Rennes a ordonné l’expulsion de la société Jeremy Pizz des deux fonds de commerce qu’elle exploitait, au plus tard le 31 août 2018. 15. Lors de la séance, le représentant de la société Jeremy Pizz a indiqué avoir dû mettre fin à l’exploitation des deux établissements en raison d’un défaut de mise aux normes de sécurité des locaux. c) Les sociétés Sert et T4 (franchisés « Domino’s Pizza ») La société Sert 16. La société à responsabilité limitée Sert, sise 3, boulevard Lascrosses à Toulouse (31000), dirigée par M. X…, était active dans le secteur de la restauration de type rapide (cote 2336). 17. Le 22 mai 2003, cette société a conclu un contrat de franchise avec la société Domino’s Pizza France pour l’exploitation d’un établissement, dont elle était propriétaire, sous l’enseigne « Domino’s Pizza » à Toulouse (cotes 2348 à 2395).

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18. Le 11 décembre 2003, cette même société a conclu un second contrat de franchise avec la société Domino’s Pizza France pour l’exploitation d’un autre établissement, dont elle était également propriétaire, toujours sous l’enseigne « Domino’s Pizza » à Toulouse (cote 14). 19. Par jugement du 21 mai 2014, le tribunal de commerce de Paris, saisi d’un contentieux entre les sociétés Domino’s Pizza France et Sert relatif, entre autres, au paiement de la dette de cette dernière, a confirmé la résiliation de plein droit au 30 novembre 2011 des contrats de franchise liant les deux sociétés (cotes 1984 à 1998). 20. La cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement dans un arrêt du 9 novembre 2016. Le pourvoi formé par la société Sert a été rejeté par la Cour de cassation le 4 juillet 2018 (cotes 1999 à 2018) 21. Par jugement du 6 juillet 2017, la société Sert a fait l’objet de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 12 septembre 2017, le tribunal de commerce de Toulouse a converti cette procédure en liquidation judiciaire (cote 2336). La société T4 22. La société à responsabilité limitée T4, sise 48 route de Narbonne à Toulouse (31400), également dirigée par M. X…, était active dans le secteur de la restauration de type rapide (cote 2338). 23. Le 27 mars 2009, cette société a conclu un contrat de franchise avec la société Domino’s Pizza France pour l’exploitation d’un établissement, dont elle était propriétaire, sous l’enseigne « Domino’s Pizza » à Toulouse (cotes 2396 à 2420). 24. Ce contrat a été résilié de plein droit au 30 novembre 2011, pour les mêmes motifs que ceux invoqués pour la société SERT (cotes 1984 à 2018). 25. Par jugement du 17 janvier 2017, la société T4 a fait l’objet de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire (cote 2338). d) Le groupe Food Court Finance (enseigne « Pizza Sprint ») 26. La société à responsabilité limitée Food Court Finance, créée en 2012, et sise à Saint- Grégoire (35760), est une société holding (cote 2431). 27. Jusqu’au 26 janvier 2016, cette société détenait la société Fra-Ma-Pizz, active dans le secteur de la restauration de type rapide, franchiseur du réseau « Pizza Sprint », et la société Pizza Center France, grossiste en produits alimentaires et en biens d’équipement pour les points de vente du réseau « Pizza Sprint ». Le réseau Pizza Sprint comptait, en 2016, 91 franchisés dans l’ouest de la France, principalement en Bretagne (cotes 2425 à 2429). 28. Le 26 janvier 2016, la société Food Court Finance a cédé 100 % des titres des sociétés Fra- Ma-Pizz et Pizza Center France à la société Domino’s Pizza France. 29. Au 2 octobre 2018, le réseau « Pizza Sprint » compte encore 13 points de vente (source : site internet Pizza Sprint).

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e) Le groupe Domino’s Pizza 30. Domino’s Pizza est le deuxième grand acteur mondial sur le segment de la pizza après Pizza Hut. Fondé en 1960, le groupe possède aujourd’hui près de 14.000 points de vente dans plus de 85 pays. Domino’s Pizza se développe essentiellement à travers la franchise aux États- Unis. À l’international, le groupe a signé des contrats avec des « master franchisés » pour accroître son réseau. Ainsi, les points de vente exploités en propre représentent seulement 1 % du parc de l’enseigne (cote 1143). 31. Implantée en France depuis 1989, l’enseigne Domino’s Pizza s’est tout d’abord développée sur le territoire grâce au système de « master franchise ». La maison-mère, Domino’s Pizza International, a cependant repris la gestion du marché français en direct en 1998. Depuis 2006, le réseau Domino’s Pizza en France est repassé sous le contrôle du master franchisé australien Domino’s Pizza Enterprises Limited (cote 1144). 32. La société par actions simplifiée Domino’s Pizza France est la filiale française de Domino’s Pizza Enterprises Limited. Elle est détenue à 100 % par la société par actions simplifiée DPEU Holdings. En 2016, le réseau « Domino’s Pizza » était constitué de 288 sociétés franchisées, sur un total de 371 restaurants implantés sur tout le territoire national. 33. Domino’s Pizza a réalisé un chiffre d’affaires mondial hors taxe de 2,2 milliards d’euros en 2016, dont 209 millions d’euros de chiffre d’affaires pour sa filiale française Domino’s Pizza France. B. LES RELATIONS ENTRE LES SAISISSANTES, DOMINO’S PIZZA FRANCE ET LA SOCIÉTÉ FRA-MA-PIZZ 1. LES RELATIONS ENTRE DOMINO’S PIZZA FRANCE ET LES SOCIÉTÉS SERT ET T4 34. Ainsi qu’exposé ci-avant, trois contrats de franchise liaient les sociétés Sert et T4 à la société Domino’s Pizza France pour l’exploitation de trois points de vente sous l’enseigne « Domino’s Pizza » dans la ville de Toulouse. 35. Dans leur saisine, les sociétés Sert et T4 indiquent que « bien que respectant scrupuleusement les préconisations du franchiseur, [la société Sert a connu] d’importantes difficultés financières. [Elle a ainsi accumulé] au cours des années un très important retard de paiement vis-à-vis du franchiseur, tant en ce qui concerne les royalties que les matières premières » (cote 14). 36. En 2008, la dette de la société Sert représentait 909 582,54 euros. 37. À la suite d’un protocole d’accord signé entre la société Sert et Domino’s Pizza France le 31 juillet 2008, cette dernière a accepté, à titre exceptionnel, d’accorder à la société Sert un étalement de sa dette sur sept ans, en application des dispositions de l’article L. 511-7 du code monétaire et financier (cotes 153 à 158). 38. La société T4 a également connu des difficultés financières liées au non-paiement des redevances et des matières premières.

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39. Le 1er juin 2011, la société Domino’s Pizza France a assigné les sociétés Sert et T4 devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin de faire constater la résiliation des contrats de franchise depuis le 18 mai 2011 pour non-respect des obligations de ses cocontractantes, et condamner les sociétés Sert et T4 à lui verser respectivement 387 543 euros et 86 883 euros (cote 14). 40. Parallèlement à cette procédure, les parties aux contrats se sont rapprochées afin de finaliser un protocole transactionnel le 11 juillet 2011, lequel permettait aux sociétés Sert et T4 la poursuite de leurs contrats de franchise jusqu’au 30 novembre 2011 et la possibilité de chercher des acquéreurs pour leurs fonds de commerce, afin de disposer des fonds nécessaires au remboursement de leur dette. 41. Le 11 août 2011, la société New York Speed Rabbit (enseigne « Speed Rabbit Pizza ») a émis une offre d’achat ferme et définitive sur deux des fonds de commerce. Cette offre a été communiquée par la société Sert à la société Domino’s Pizza, titulaire, aux termes du protocole précité, d’un droit de préemption. Domino’s Pizza ayant différé sa réponse en raison, selon elle, de l’absence de certaines pièces, New York Speed Rabbit n’a finalement pas donné suite (cote 2001). 42. À la date du 11 novembre 2011, la dette de la société Sert à l’égard de la société Domino’s Pizza France s’élevait, malgré la signature du protocole d’accord en 2008, à 1 007 963 euros, celle de la société T4 se montant à 86 941 euros (cote 15). 43. Le 12 janvier 2012, le tribunal de commerce de Paris a homologué le protocole transactionnel conclu entre les sociétés Domino’s Pizza France, Sert et T4, lui donnant force exécutoire (cote 1986). Les sociétés Sert et T4 ont cependant poursuivi l’exploitation des trois points de vente « Domino’s Pizza » jusqu’au 19 juillet 2013. 44. Par assignation du 27 janvier 2012, les sociétés Sert et T4 ont saisi le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir condamner la société Domino’s Pizza France pour dol, celui-ci consistant à leur avoir imposé un modèle de franchise tout en dissimulant son caractère non viable et non rentable, ainsi que pour inexécution fautive du protocole transactionnel du 11 juillet 2011, liée au dépassement du délai prévu pour se prononcer sur l’exercice de son droit de préemption. 45. Par jugement du 21 mai 2014, le tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes des sociétés Sert et T4. Il a en outre confirmé la résiliation de plein droit des contrats de franchise au 30 novembre 2011 et a condamné ces sociétés au paiement respectif de 1 007 963 euros et 86 941 euros au profit de la société Domino’s Pizza France (cote 1986). Cette décision a été confirmée sur ces deux points par la cour d’appel de Paris, et le pourvoi en cassation des sociétés Sert et T4 a été rejeté (voir ci-avant §20). 2. LES RELATIONS ENTRE LES SOCIÉTÉS FRA-MA-PIZZ ET JEREMY PIZZ 46. Force est de constater que si les saisissantes ont fourni différents éléments relatifs aux relations entre la société Fra-Ma-Pizz d’une part, et les sociétés franchisées Feoni-Pizz, TNA Pizz et TSA Pizz d’autre part (cotes 39 à 45), elles n’ont en revanche produit aucune information relative aux relations entre les sociétés Fra-Ma-Pizz et Jeremy Pizz.

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47. Lors de la séance, le représentant de la société Jeremy Pizz a cependant indiqué d’une part, avoir dû se séparer de ses deux points de vente en septembre 2018, d’autre part, avoir assigné, selon lui avec succès, Domino’s Pizza devant le tribunal de commerce, l’affaire étant pendante devant la cour d’appel. C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES 48. S’agissant, en premier lieu, de l’abus de dépendance économique de la part de la société Domino’s Pizza France à l’égard de certains de ses franchisés, les saisissantes indiquent que « Domino’s Pizza France (…), dans le cadre de sa stratégie agressive de conquête de parts de marché qualifiée en interne de méthode « HVM » (pour « High Volume Mentality ») abuse depuis plusieurs années de l’état de dépendance économique de nombre de ses franchisés en leur consentant des délais de paiement totalement anormaux, ceci de manière à les maintenir en vie artificiellement pour leur permettre de pratiquer des tarifs très bas et d’évincer la concurrence sur le marché de la pizza livrée » (cotes 4, 53 à 73). 49. En outre, elles relèvent que les montants des frais liés au contrat de franchise conclu avec la société Domino’s Pizza France (royalties, publicité, matières premières et leur transport), la durée ferme des contrats de franchise et les lourdes indemnités contractuelles prévues en cas de rupture anticipée ne permettent pas aux franchisés de trouver de solution alternative (cote 10). 50. Elles en concluent que « par une politique commerciale agressive et brutale, la société Domino’s Pizza France impose à ses franchisés des conditions de vente de leurs produits à leur clientèle à des prix particulièrement bas, qu’ils ne peuvent tenir, pour un grand nombre d’entre eux, qu’en cessant de payer à leur franchiseur les sommes dues au titre des matières premières, des royalties et des fonds publicitaires » (cote 11). 51. S’agissant, en second lieu, de l’abus de dépendance économique de la part de la société Fra- Ma-Pizz à l’égard de certains de ses franchisés, les sociétés saisissantes soutiennent qu’il résulte pour l’essentiel du montant des frais liés au contrat de franchise conclu avec la société Fra-Ma-Pizz (royalties, marketing, matières premières, loyers). 52. Elles en concluent que « par ce biais, les sociétés du groupe Pizza Sprint entretiennent les franchisés et singulièrement les locataires-gérants, dans un état de dépendance économique, financière et managériale qui se trouve d’autant plus évident qu’elles contrôlent les délais de paiement des services qu’elles fournissent à ceux-ci » (cote 37).

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II. Discussion 53. L’article L. 462-8 du code de commerce dispose que l’Autorité peut « déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d’intérêt (…) à agir de l’auteur de celle-ci (…). Elle peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants ». 54. Il convient à cet égard de rappeler que, lorsqu’elle fait application de cet article, l’Autorité n’a pas à procéder à une instruction complète. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 juin 2014 (RG n° 2013/06758) a confirmé cette analyse, précisant qu’« il n’appartient pas à l’Autorité de suppléer le manque d’éléments probants à l’appui de la saisine et la carence de la saisissante par la conduite d’une instruction complète » et qu’« il ne peut lui être fait grief d’avoir, avant de se prononcer sur la saisine, examiné les éléments de preuve apportés par la saisissante en procédant à son audition ou à celle des personnes qu’elle a mises en cause ou en demandant des précisions ». Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté (Cass. Com., 19 janvier 2016, pourvois n° 14-21.670 & n° 14-21.671), la Cour de cassation indiquant « qu’il n’appartenait pas à l’Autorité de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve et qui n’avait pas à effectuer d’autres recherches ». A. SUR L’IRRECEVABILITÉ DE LA SAISINE DE LA SOCIÉTÉ SPEED RABBIT PIZZA 55. Aux termes de l’alinéa 2 de l’article L. 420-2 du code de commerce, l’état de dépendance économique ne peut être invoqué que par une entreprise vis-à-vis de ses propres fournisseurs ou clients, exception faite du cas particulier d’un syndicat professionnel ayant en charge les intérêts moraux ou matériels d’une profession, dans la mesure où ceux-ci sont de nature à être affectés par les pratiques dénoncées (voir en ce sens la décision n° 10-D-08 du 3 mars 2010). 56. En l’espèce, la société Speed Rabbit Pizza, concurrent des réseaux « Domino’s Pizza » et « Pizza Sprint », n’a aucune relation contractuelle avec l’un ou l’autre de ces réseaux et n’a par ailleurs nullement pour objet de prendre en charge ou de défendre les intérêts matériels et moraux de franchisés d’un réseau tiers. 57. Il résulte de ce qui précède que la société Speed Rabbit Pizza n’a donc pas d’intérêt à agir sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article L. 420-2 du code de commerce. 58. Sa saisine doit, par conséquent, être déclarée irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, en application du 1er alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce.

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B. SUR LE MARCHÉ PERTINENT CONCERNÉ PAR LES PRATIQUES 1. POSITION DES SAISISSANTES 59. Les saisissantes, s’appuyant sur la définition du marché résultant de la décision du Conseil de la concurrence n° 02-D-64 du 23 octobre 2002 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires de la société Speed Rabbit Pizza à l’encontre des sociétés Neptune, Domino’s Pizza France, RM Master et Télépizza France, soutiennent que le marché à considérer est « celui de la concession de franchise en vente de pizzas à emporter, ou plus largement celui des chaînes de livraison de pizzas » (cote 6). 60. Elles indiquent, par ailleurs, que « le marché de la livraison de pizzas est estimé à 1 000 points de vente spécialisés en France. Ce nombre est quasi constant depuis plus de 10 ans. » et qu’« environ 64 % de ces points de vente sont exploités par un oligopole d’enseignes nationales de franchise. Les magasins franchisés disposant de moyens plus conséquents que ceux des indépendants, leur part de marché en valeur est encore supérieure (84 % pour les 4 premières enseignes à fin 2010 d’après le rapport GIRA de 2011) » (cote 6). 2. DISCUSSION 61. La pratique décisionnelle, communautaire ou nationale, n’a pas retenu l’existence d’un marché pertinent restreint à la livraison à domicile et la vente à emporter de pizzas. 62. Dans sa décision 15-DCC-170 du 10 décembre 2015 précitée, l’Autorité a rappelé que la pratique décisionnelle opérait une distinction entre (i) le marché de la restauration rapide à bas prix (qui comprend les fast-foods, les self-services et la vente à emporter/livraison à domicile) et (ii) celui de la restauration plus sophistiquée incluant, notamment, un service à table. Elle a relevé que, pour une large majorité des répondants au test de marché, les restaurants « fast food », les sandwicheries, les restaurants « kebab » et les boulangeries exerçant une activité de vente de sandwich sont en concurrence sur le marché général de la restauration rapide à bas prix. En revanche, les réponses au test de marché effectué pour les besoins de cette affaire n’ont pas permis de trancher la question de l’inclusion ou non dans le marché global de la restauration rapide à bas prix des pizzerias d’une part, et des cafés, bars et brasseries exerçant une activité de restauration d’autre part. Enfin, l’Autorité a précisé qu’une distinction entre (i) la restauration rapide dite « à l’anglo-saxonne », (ii) la restauration rapide « à la française » (sandwiches) et (iii) la restauration rapide à thème (sushi, bio, spécialités italiennes, etc.) était en outre retenue dans plusieurs études économiques. Une majorité des répondants au test de marché a toutefois considéré que cette segmentation n’était pas pertinente. 63. De son côté, la Commission européenne a envisagé de distinguer un marché de la restauration « sur le pouce » comprenant les établissements de restauration rapide (appartenant à une chaîne ou indépendants), les pizzerias, les cafés, les « coffee shops », les sandwicheries et les enseignes de vente à emporter et de livraison à domicile, mais a toutefois laissé cette question ouverte, de même que celle de l’existence d’un marché distinct de la restauration rapide pratiquant la « livraison à domicile/vente à emporter ».

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64. Enfin, il doit être relevé que si l’étude Xerfi précitée mentionne plusieurs profils de spécialistes de la restauration rapide (à l’anglo-saxonne, à la française, à l’italienne, à la japonaise, ainsi que les autres concepts à thème), elle considère néanmoins que ces différents opérateurs non seulement se font concurrence, mais font tous face à la concurrence d’autres circuits de restauration hors foyer (boulangeries, espaces snacking de la grande distribution, restauration traditionnelle, traiteurs, etc.). 65. Cette étude souligne en outre l’absence de barrières à l’entrée du marché, ainsi que la multiplication des nouveaux entrants s’appuyant sur les plateformes de livraison à domicile telles que Just Eat (ex-Allo Resto), Deliveroo ou encore Uber Eats. 66. En toute hypothèse, il doit être relevé qu’en l’espèce, quelles que soient la définition du marché et la position des parties sur ce marché, les éléments transmis par les saisissantes ou recueillis au cours de l’instruction ne sont pas suffisamment probants. Conformément à la jurisprudence (voir, en ce sens, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 septembre 2013), il n’y a donc pas lieu, par économie de moyens, de se prononcer sur le marché pertinent et par conséquent sur la position des parties sur ce marché. C. SUR LES ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE ALLÉGUÉS 1. RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES 67. Le second alinéa de l’article L. 420-2 du code de commerce prohibe « […] dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprise de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l’article L. 442-6 ou en accords de gamme ». 68. L’abus de dépendance économique suppose donc la réunion de trois conditions cumulatives : (i) l’existence d’une situation de dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une autre, (ii) une exploitation abusive de cette situation et (iii) une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure de la concurrence sur le ou les marchés considérés. En l’absence de l’une de ces trois conditions, l’abus de dépendance économique allégué n’est pas établi. 69. Conformément à la jurisprudence et à la pratique décisionnelle (voir en ce sens la décision n°17-D-15 du 9 août 2017), si l’un des critères n’est pas rempli, la situation de dépendance économique n’est pas avérée. 2. SUR L’ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ DOMINO’S PIZZA FRANCE À L’ÉGARD DES SOCIÉTÉS SERT ET T4 70. À supposer que les saisissantes se trouvent dans un état de dépendance économique vis-à- vis de la société Domino’s Pizza France et que cette dernière exploite cet état en leur imposant des délais de paiement abusifs – ce qui, du reste, au vu des éléments fournis par

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leurs soins, ne paraît pas établi de manière suffisamment probante – elles n’apportent en toute hypothèse aucun élément susceptible de démontrer que ce comportement aurait été susceptible d’affecter la structure de la concurrence. 71. Au contraire, comme le relève l’étude Xerfi, l’existence de nombreux substituts, l’importance du nombre de restaurants, les faibles barrières à l’entrée, sont autant d’éléments qui contribuent à l’intensification de la concurrence intra-sectorielle (cote 2070) :

72. Par conséquent, même si les pratiques dénoncées étaient susceptibles d’évincer les saisissantes du marché ou de restreindre leur accès au marché, cet état de fait, sans préjudice des conséquences individuelles pour les entreprises concernées, n’aurait que peu, voire pas, d’impact sur la situation concurrentielle du marché. 73. Ainsi, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions énumérées au paragraphe 68 sont remplies, il y a lieu de constater que les sociétés Sert et T4 ne justifient pas d’éléments suffisamment probants de nature à établir l’existence d’un abus de dépendance économique à leur égard de la part de la société Domino’s Pizza France.

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3. SUR L’ABUS DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE DE LA SOCIÉTÉ FRA-MA-PIZZ À L’ÉGARD DE LA SOCIÉTÉ JEREMY PIZZ 74. Ainsi que souligné ci-avant (voir §46), les saisissantes n’apportent aucun élément de fait permettant de caractériser avec précision la situation de la société Jeremy Pizz à l’égard de la société Fra-Ma-Pizz. 75. Il résulte nécessairement de ce seul constat que la saisine n’est appuyée d’aucun élément probant quant à l’existence d’un abus de dépendance économique de la société Fra-Ma-Pizz à l’égard de la société Jeremy Pizz. III. Conclusion 76. La société Speed Rabbit Pizza n’ayant pas intérêt à agir, et les faits invoqués par les sociétés Sert, T4 et Jeremy Pizz n’étant par ailleurs pas appuyés d’éléments suffisamment probants, il convient donc, en l’état du dossier, de faire application des 1er et 2e alinéas de l’article L. 462-8 du code de commerce, de déclarer la saisine irrecevable à l’égard de la société Speed Rabbit Pizza et de la rejeter pour le surplus.

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DÉCISION Article 1er : La saisine de la société Speed Rabbit Pizza est déclarée irrecevable. Article 2 :

La saisine enregistrée sous le numéro 16/0078 F est rejetée pour le surplus.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Amel Cheikh-Braun, rapporteure et l’intervention de M. Joël Tozzi, rapporteur général adjoint, par Madame Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, présidente de séance.

La secrétaire de séance, La présidente de séance, Armelle Hillion Fabienne Siredey-Garnier

 Autorité de la concurrence

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  • Décision n 18-D-25 du 6 décembre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas
    • I. Constatations
      • A. Le Secteur d’activité et les entreprises concernées
        • 1. La restauration rapide à bas prix en France
        • 2. Les entreprises concernées
          • a) Le groupe Speed Rabbit Pizza
          • b) La société Jeremy Pizz (franchisé « Pizza Sprint »)
          • c) Les sociétés Sert et T4 (franchisés « Domino’s Pizza »)
            • La société Sert
            • La société T4
          • d) Le groupe Food Court Finance (enseigne « Pizza Sprint »)
          • e) Le groupe Domino’s Pizza
      • B. Les relations entre les saisissantes, Domino’s Pizza France et la société Fra-Ma-Pizz
        • 1. Les relations entre Domino’s Pizza France et les sociétés Sert et T4
        • 2. Les relations entre les sociétés Fra-Ma-Pizz et Jeremy Pizz
      • C. LEs pratiques DÉNONCÉES
    • II. Discussion
      • A. Sur l’irrecevabilité de la saisine de la société Speed Rabbit Pizza
      • B. Sur Le marché pertinent concerné par les pratiques
        • 1. Position des saisissantes
        • 2. Discussion
      • C. Sur les abus de dépendance économique allégués
        • 1. Rappel des principes applicables
        • 2. Sur l’abus de dépendance économique de la société Domino’s Pizza France à l’égard des sociétés Sert et T4
        • 3. Sur l’abus de dépendance économique de la société Fra-Ma-Pizz à l’égard de la société Jeremy Pizz
    • III. Conclusion
    • décision

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code monétaire et financier
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ADLC, Décision 18-D-25 du 06 décembre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente à emporter et de la livraison à domicile de pizzas