Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 31 mars 2022, n° 18/13136

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 31 mars 2022, n° 18/13136
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 18/13136
Décision précédente : Tribunal de commerce de Marseille, 14 décembre 2017, N° 2016F01138
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 31 MARS 2022

N° 2022/131

N° RG 18/13136 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BC4TL

SA FRUYPER


C/

SA CMA CGM


Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Covadonga FERNANDEZ MIRAVALLES


Me Joseph MAGNAN

Décision déférée à la Cour :


Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 15 Décembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 2016F01138.

APPELANTE

S A F R U Y P E R , d o n t l e s i è g e s o c i a l e s t s i s P o l i g o n o I n d u s t r i a l c E l T o m o – 0 6 2 […]

r e p r é s e n t é e p a r M e C o v a d o n g a F E R N A N D E Z M I R A V A L L E S , a v o c a t a u b a r r e a u d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant

INTIMEE

SA CMA CGM, dont le siège social est sis […]

représentée par Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, assisté de Me Fabien D’HAUSSY, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR


L’affaire a été débattue le 24 Février 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Monsieur Pierre CALLOCH, Président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.


Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2022.

ARRÊT


Contradictoire,


Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mars 2022,


Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE


Suivant connaissement daté du 27 mars 2015, la société TRANSITEX TRANSITOS DE EXTREMADURA, commissionnaire de transport (ci après société TRANSITEX), a chargé la société CMA CGM du transport maritime de dix conteneurs du port de LISBONNE au port de SANTOS (BRESIL) contenant 193 600 kilos d’olives vendues par la société de droit espagnol FRUYPER à la société NACOM GOYA INDUSTRIA E COMMERCIO DE ALIMENTO.


Après déchargement au port de SANTOS le 12 ou 13 avril 2015 dans les locaux de la société manutentionnaire mandataire de la société CMA CGM, la société FRUYPER a été informée par la société TRANSITEX que la marchandise avait été livrée à la société NACOM GOYA INDUSTRIA E COMMERCIO DE ALIMENTO sans présentation du connaissement en original.


Par courrier en date du 29 février 2016, le conseil de la société FRUYPER a indiqué à la société CMA CGM que la société NACOM GOYA INDUSTRIA E COMMERCIO DE ALIMENTO refusait le paiement de la marchandise, soit 135.764 € 64 en l’absence de connaissement et qu’en conséquence elle mettait en demeure le transporteur maritime de lui verser cette somme avant le 15 avril 2016.


Par acte en date du 13 avril 2016, la société FRUYPER a fait assigner la société CMA CGM devant le Tribunal de Commerce de MARSEILLE en paiement de la somme de 135.764 € 64, outre 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.


Suivant jugement en date du 15 décembre 2017, le Tribunal a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la CMA CGM du fait de la prescription de l’action, mais au fond a débouté la société FRUYPER de l’intégralité de ses demandes, la condamnant à verser une somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société FRUYPER a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 2 août 2018.


Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance en date du 24 janvier 2022 et a renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience du 24 février 2022.


A l’appui de son appel, par conclusions déposées par voie électronique le 19 février 2021, la société FRUYPER soutient que le droit français est applicable au litige conformément aux dispositions du règlement dit de ROME I et de l’article 30 du connaissement, et donc à la convention de BRUXELLES du 25 août 1924. Elle conclut à la confirmation de la décision ayant refusé de faire droit à la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action, affirmant que les documents fournis par la CMA CGM sur la date de livraison sont purement internes et au demeurant contradictoires avec ses propres documents ou un document du registre SISCOMEX qui font état d’une consignation de la marchandise le 13 avril 2015. Selon elle, en conséquence, la société CMA CGM n’apporterait pas la preuve d’une livraison intervenue le 11 ou le 12 avril, et donc de l’acquisition de la prescription d’un an prévue à l’article 5422-18 du code des transports.


Sur le fond, la société FRUYPER rappelle que le transporteur maritime ne conteste pas avoir remis la marchandise sans présentation du connaissement. Elle affirme que la société CMA CGM ne peut soutenir avoir été dans l’impossibilité d’exiger le dit connaissement dès lors que le port de débarquement, soit le port de SANTOS, était un port monopolistique. Selon elle, la note juridique relative au régime du port de SANTOS versée par la société CMA CGM et retenue par le Tribunal serait contredite par un article juridique se trouvant sur le site internet de la société rédactrice de la note. Elle se réfère par ailleurs à une consultation juridique du cabinet CAMILO, EWEL, X et Y pour affirmer que le port de SANTOS n’est nullement un port monopolistique et que la remise de la marchandise est bien soumise à la présentation du connaissement. Elle fait observer enfin que la société CMA CGM elle-même a reconnu dans plusieurs courriels être dans l’attente de recevoir les originaux du connaissement pour procéder à la livraison, reconnaissant ainsi être restée gardienne de la marchandise.


La société FRUYPER conclut en conséquence à l’infirmation de la décision sur le fond et demande à la Cour de condamner la société CMA CGM à verser la somme de 135.764 € 64 en réparation de son préjudice, outre 6.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.


La société CMA CGM, par conclusions déposées par voie électronique le 12 mars 2019, conclut à l’infirmation de la décision ayant écarté la fin de non recevoir tirée de la prescription annale de l’article 5422-18 du code des transports dès lors selon elle que la livraison est intervenue le 11 et 12 avril 2015 et l’assignation délivrée le 13 avril 2016. Selon elle, ses pièces établiraient la date des 11 et 12 avril dans les entrepôts portuaires et ne seraient nullement contredites par les pièces adverses. Elle se réfère en outre à une consultation d’un cabinet brésilien pour affirmer que pour les usages en vigueur dans le port de SANTOS la remise des conteneurs au terminal vaut livraison. Elle se réfère en outre à la clause 233 du connaissement qui stipule que la livraison s’effectue au moment de la remise des conteneurs au terminal.


Sur le fond, la société CMA CGM conclut à la confirmation de la décision, déniant toute responsabilité en invoquant l’article 233 du connaissement imposant de prendre en compte les modalités de livraison des marchandises dans le port de destination situé au BRÉSIL et la connaissance que la société TRANSITEX, commissionnaire, avait de ces modalités. Elle affirme par ailleurs qu’à la lecture d’une consultation en droit brésilien, la livraison de la marchandise n’est pas conditionnée par la remise du connaissement, rappel étant fait que la société CMA CGM n’était plus dépositaire après livraison dans les entrepôts. Elle invoque enfin la présomption de livraison conforme en l’absence de toute réserve ou expertise dans les trois jours de la livraison. Outre la confirmation de la décision, elle sollicite l’octroi d’une somme de 9.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription


L’article L 5422-18 du code des transports dispose que l’action contre le transporteur à raison de la perte ou des dommages aux marchandises se prescrit par un an et l’article 3-6 bis de la Convention de BRUXELLES originelle de 1924 fixe la durée de la garantie du transporteur à une année à compter de l’année de la délivrance des marchandises ou de la date à laquelle elles eussent dû être délivrées.


En l’espèce, le fait générateur de responsabilité invoqué par la société FRUYPER est la livraison de la marchandise par la société CMA CGM sans remise du connaissement en original ; la livraison est définie comme l’acte juridique par lequel le transporteur accomplit son obligation fondamentale en remettant au destinataire, ou à son représentant, qui l’accepte, la marchandise qu’il a déplacée à cette intention ; elle est matérialisée en principe précisément par la remise du connaissement ; la société CMA CGM ne peut soutenir que la livraison est intervenue au plus tard le 12 avril 2015 comme l’établiraient ses documents informatiques, et que cette date fixerait en conséquence le point de départ du délai de prescription, alors précisément qu’est invoqué à son encontre le caractère irrégulier d’une telle livraison effectuée sans présentation du connaissement ; à bon droit les premiers juges ont estimé qu’en présence d’une livraison sans remise du connaissement, la première date certaine était déterminée par la date portée sur un document établi par un tiers, les données du système SISCOMEX du gouvernement brésilien, le 13 avril 2015, et qu’en conséquence l’action introduite le 13 avril 2016 n’était pas prescrite.

Sur le fond


Il n’est ni contesté, ni contestable, qu’en principe la livraison d’une marchandise par un transporteur maritime sans présentation au préalable ou concomitante du connaissement en original est constitutif d’une faute.


La compagnie CMA CGM invoque une clause stipulée dans la booking confirmation en date du 18 mars 2015 indiquant que les chargeurs ' se voient informés par la présente que selon les règles applicables dans le pays de destination et la pratique le transporteur n’a pas de contrôle sur la livraison de la marchandise une fois déchargée (…..) La marchandise est délivrée par le biais du terminal au destinataire. Ceci peut être fait sans présentation des originaux des connaissements à l’agent du transporteur maritime. Dans un tel cas, le transporteur ne sera pas responsable de toute réclamation liée à la livraison de la marchandise sans présentation des originaux du connaissement’ ; cette clause, qui s’analyse comme une clause limitative de responsabilité, est une clause générale et il appartient à la société CMA CGM d’établir que dans le cas d’espèce, à savoir un déchargement dans le port de SANTOS, elle n’avait pas le contrôle sur la livraison de la marchandise une fois déchargée ; il en est de même pour la clause 233 que la compagnie CMA CGM reproduit dans ses écritures et dont le contenu est identique, observation étant faite dans ce cas que la copie recto verso du connaissement versée aux débats ne comporte pas une telle clause et qu’il n’est dès lors pas établi que la société FRUYPER en a eu connaissance.


La société CMA CGM produit une consultation du cabinet d’avocat brésilien KINCAID en date du 13 mai 2016 pour soutenir qu’au vu des pratiques dans le port de SANTOS et de la législation brésilienne, le transporteur était déchargé de son obligation de délivrer la marchandise sur présentation du connaissement en original, la marchandise étant remise aux autorités du port qui se chargent de la remettre au destinataire ; c’est sur la foi de cette consultation que les premiers juges ont décidé que la responsabilité du transporteur n’était pas en l’espèce établie, reprenant l’indication selon laquelle une instruction normative RFB 1 356/2013 aurait en droit brésilien abrogé l’obligation faite au transporteur de vérifier la présentation des connaissements originaux ; cependant, la société FRUYPER verse aux débats une note du même cabinet KINCAID en date du 10 septembre 2014 indiquant, elle, que suite à des différents relatifs à l’application de l’instruction RFB 1356/2013 et à la jurisprudence de la Cour d’Appel de SAN PAOLO, une nouvelle instruction normative a été promulguée le 7 février 2014 sous le numéro 1443, rétablissant l’obligation faite aux propriétaires de la cargaison de fournir le connaissement en original ; il convient de constater que compte tenu dans le présent litige de la date des faits, soit le 27 mars 2015, c’est bien cette nouvelle instruction qui s’applique ; la consultation du cabinet CAMILO, EWEL, X et Y en date du 22 novembre 2018 établit que si la production du connaissement n’est pas obligatoire pour obtenir le dédouanement des marchandises, le droit brésilien interprété au regard du droit international et des coutumes maritimes ne permet pas de déroger à la règle selon laquelle une marchandise ne peut être livrée au destinataire sans production du connaissement ; s’il est exact qu’une fois la marchandise placée dans les dépôts de la douane, la société CMA CGM n’en était pas le dépositaire, il n’en demeure pas moins qu’elle était tenue de s’assurer de l’existence du connaissement pour la personne à qui la marchandise était confiée ; il apparaît ainsi au vu des pièces ainsi fournies en cause d’appel que la société CMA CGM n’établit pas que les conditions réglementaires et le mode de fonctionnement du port de SANTOS lui permettaient de déroger au principe selon lequel la marchandise ne pouvait être livrée qu’après présentation du connaissement ; le jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE sera en conséquence infirmé.


Le manquement éventuel du commissionnaire à son obligation de conseil a pu contribuer à la réalisation du dommage, mais il ne peut constituer une cause exonératoire de la responsabilité du transporteur ; le moyen tiré par la CMA CGM de ce manquement éventuel sera en conséquence rejeté.


La société CMA CGM ne conteste pas que du fait de l’absence de connaissement en original, la société FRUYPER n’a pu obtenir paiement de la marchandise ; il y a lieu dès lors de constater que le préjudice et le lien de causalité avec la faute sont établis ; la société CMA CGM sera en conséquence condamnée à verser la somme de 135.764 € 64.


La société CMA CGM, déclaré en cause d’appel débitrice, devra verser une somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :


- CONFIRME le jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 15 décembre 2017 en ce qu’il a déclaré l’action introduite par la société FRUYPER recevable et l’INFIRME pour le surplus,


Statuant à nouveau,


- CONDAMNE la société CMA CGM à verser à la société FRUYPER S.A la somme de 135.764 € 64 avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation en première instance.


- DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.


- CONDAMNE la société CMA CGM à verser à la société FRUYPER S.A la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.


- MET l’intégralité des dépens à la charge de la société CMA CGM, dont distraction au profit des avocats à la cause.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT
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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code des transports
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