Cour d'appel de Papeete, Chambre civile, 25 avril 2019, n° 18/00009

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Papeete, ch. civ., 25 avr. 2019, n° 18/00009
Juridiction : Cour d'appel de Papeete
Numéro(s) : 18/00009
Décision précédente : Tribunal de première instance de Papeete, 17 septembre 2017, N° 505;16/00019
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

182

PG

--------------

Copie exécutoire

délivrée à :

— Me Quinquis,

le 09.05.2019.

Copie authentique

délivrée à :

— Polynésie française,

le 09.05.2019.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 25 avril 2019

RG 18/00009 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 505, rg n° 16/00019 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 18 septembre 2017 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 8 janvier 2018 ;

Appelante :

La Polynésie française, […], représentée par son Président en exercice ;

Ayant conclu ;

Intimée :

La Sarl Papeete Services et Restaurants, immatriculée au Rcs sous le n° Tpi 0026 B dont le siège social est […], représentée par son gérant : M. Z A ;

Représentée par Me François QUINQUIS, avocat au barreau de Papeete et Me Patrick DANIS et Me Nathalie PETRIGNET, avocats au barreau des Hauts de Seine ;

Ordonnance de clôture du 18 janvier 2019 ;

Composition de la Cour :

Après communication de la procédure au ministère public conformément aux articles 249 et suivants du code de procédure civile de la Polynésie française et après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 28 mars 2019, devant M. RIPOLL, conseiller faisant fonction de président, Mme X et M. Y, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme B-C ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par Mme X, conseiller et par Mme B-C, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

La société à responsabilité limitée (Sarl) Papeete Services et Restaurants exploite à Tahiti un établissement de restauration rapide sous l’enseigne Mc Donald’s dans lequel elle vend des boissons sucrées et gazéifiées sous les marques Coca-Cola, Fanta et Sprite.

Considérant que cette activité devait être assujettie à la taxe spéciale sur 'la production de boissons alcoolisées et de certains produits sucrés', instaurée par une délibération n° 2001-208 APF du 11 décembre 2001 et codifiée aux articles 338-1 et suivants du code des impôts de la Polynésie française, le service des contributions de l’administration fiscale lui a adressé dans le cadre d’une procédure de taxation d’office, par lettre du 4 juin 2013, une notification de redressement mettant à sa charge des rappels de taxes pour la période du 1er novembre 2010 au 31 décembre 2012 pour un montant total de 45.046.109 xpf, incluant les pénalités et les intérêts de retard.

En réponse aux observations formulées par la Sarl Papeete Services et Restaurants, le service des contributions a, par un courrier du 5 août 2013, maintenu l’intégralité des redressements.

La direction des impôts a notifié à la Sarl Papeete Services et Restaurants l’avis de mise en recouvrement correspondant le 17 septembre 2013.

Par réclamation contentieuse du 24 octobre 2013, la Sarl Papeete Services et Restaurants a sollicité du président de la Polynésie française la décharge de ces impositions.

Ce dernier ayant rejeté sa demande par lettre du 5 juin 2014, la Sarl Papeete Services et Restaurants a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française en vue d’obtenir la décharge de ces redressements.

Par jugement du 24 mars 2015, le tribunal administratif de Papeete a rejeté sa demande.

La société a alors porté le litige devant la cour administrative d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 23 octobre 2015, a annulé le jugement du tribunal administratif de Papeete au motif que, dans un arrêt du 17 juin 2015, le Conseil d’État avait considéré que le litige avait été porté devant une juridiction incompétente pour en connaître.

C’est ainsi que, par requête enregistrée au greffe civil le 11 janvier 2016, la Sarl Papeete Services et Restaurants a porté sa contestation devant le tribunal civil de première instance de Papeete.

Aux termes d’un jugement du 18 septembre 2017, auquel la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ce tribunal a :

— ordonné le dégrèvement des impositions mises à la charge de la Sarl Papeete Services et Restaurants au règlement desquelles il avait été procédé sur le fondement de l’avis de mise en recouvrement du 26 septembre 2013, pour un montant total de 45.046.109 xpf ;

— condamné la Polynésie française à payer à la Sarl Papeete Services et Restaurants la somme de 300.000 xpf sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;

— et condamné la Polynésie française aux entiers dépens qui pourront être recouvrés comme il est prévu à l’article 409 du code de procédure civile de la Polynésie française.

Suivant requête enregistrée au greffe le 8 janvier 2018, la Polynésie française a relevé appel de cette décision, en demandant à la cour de :

— remettre à la charge de la Sarl Papeete Services et Restaurants les impositions dégrevées par le jugement contesté ;

— et la condamner à lui payer la somme de 500.000 xpf au titre des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 10 août 2018, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, l’appelante réitère ses demandes en faisant valoir, en substance, que :

— le process employé par la société, consistant à préparer des boissons sucrées gazéifiées à partir de concentrés de sirop conditionnés dans des poches plastiques appelées « bag in box » fournis par la Brasserie de Tahiti, ensuite mélangés avec de l’eau et du CO2 à l’aide d’une fontaine à boisson appelée « Post mix », correspond à une activité de production puisque la société transforme une matière première (le sirop) afin d’obtenir un produit fini (le soda) vendu au consommateur final et similaire à ceux embouteillés par la Brasserie de Tahiti ;

— cette analyse est d’ailleurs conforme à la jurisprudence administrative constante en la matière qui a conclu au fait qu’est une opération de production celle ayant « le caractère d’une véritable transformation aboutissant à la fourniture d’un produit nouveau» ou « donnant à un produit sa forme ou sa présentation commerciale définitive »;

— de plus, ces fontaines à boissons permettent la production de volumes de boisson très importants ne permettant pas de considérer les entreprises qui les utilisent comme de simples débitants.

Elle rappelle que ce raisonnement a été validé par le tribunal administratif de Papeete dans son jugement n°1400437 du 24 mars 2015 qui expose : «(…) il résulte de l’instruction que la société requérante achète des concentrés de sirops conditionnés sous forme de «bag in box», non consommables comme tels ; qu’elle se livre à une activité de transformation et de conditionnement différend du produit de base qu’elle achète; qu’elle transforme ces concentrés en les soumettant à un traitement dit «post mix», consistant à y ajouter de l’eau et du gaz carbonique, à l’aide d’un outillage approprié destiné notamment à assurer la conformité de la boisson aux normes de la marque sous laquelle elle est vendue ; que ce faisant, elle doit être regardée comme se livrant à la production d’une boisson sucrée au sens des dispositions précitées de l’article 338-1 du code des impôts et ne peut donc prétendre à cet égard n’avoir qu’une activité de prestataire de services».

Elle souligne ensuite la différence de formulation entre l’article 520 A I et II du code général des impôts métropolitain et l’article 338-2 du code des impôts polynésien, de sorte que la société intimée est mal fondée à se prévaloir d’une jurisprudence exclusivement fondée sur le premier de ces textes qui limite son champ d’application aux boissons « livrées à titre onéreux ou gratuit en fûts, bouteilles ou boîtes », ce qui, de facto, ne le rend pas applicable au processus en litige qui aboutit à livrer les boissons au consommateur sous forme de gobelets en carton.

Elle invoque également les propos tenus par le responsable de la société Cornelius, unique fabricant de fontaines à boissons sur le territoire français, reproduits dans l’arrêt n° 14-82236 rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2016, qui sont transposables à la présente situation puisque les machines en Polynésie française sont les mêmes, ce dont convient la partie adverse, aux termes desquels : « le fonctionnement d’une fontaine à boissons pour post-mix ne peut s’apparenter à un process de fabrication artisanale. Il s’agit d’un matériel de technologie de pointe qui est destiné à une utilisation industrielle au vu des débits pouvant être servis par heure et au vu de la haute technologie déployée pour parvenir à la fabrication de sodas ou de jus de fruits conformes aux références des fabricants de boissons en France, que le principe de fabrication est le même que celui du fabricant. Le process général de fonctionnement des fontaines est le même que celui retenu dans les usines, Il s’agit d’une mini chaîne de fabrication destinée à la restauration hors foyer », confirmant que le processus en litige caractérise bien un acte de production au sens des dispositions de l’article 338-2 du code des impôts.

Par ailleurs, elle soutient que :

— la remise d’une boisson sucrée à un simple consommateur correspond à une « livraison » au sens des dispositions générales de l’article 338-3 du code des impôts polynésiens ;

— la qualification de 'prestation de service’ de la fourniture de boissons sur place ou à emporter au regard des dispositions des articles 340-2 et LP. 340-3 applicables en matière de TVA, est sans incidence sur le fait de savoir si le processus de fabrication des boissons sucrées répond ou pas à la notion d’acte de production, dès lors que la qualification d’opérations lucratives en matière de TVA a pour seul effet de déterminer le taux de TVA à lui appliquer et qui diffère selon qu’il s’agit d’une livraison de bien ou d’une prestation de service.

Elle conteste ensuite l’existence d’une quelconque double imposition au motif qu’aucune disposition légale ne permet de déduire de la taxe sur les boissons sucrées celle payée en amont sur les achats de sirops conditionnés sous forme de 'bag in box’ à la Brasserie de Tahiti, ce d’autant moins que ce n’est pas la même société qui est redevable de ces deux impositions distinctes.

Enfin elle réplique, sur la demande formée à titre subsidiaire par l’intimée, qu’aucune disposition légale n’oblige l’administration fiscale à avoir recours à une vérification de comptabilité plutôt qu’à un contrôle sur pièces et précise que la base imposable, aujourd’hui contestée par l’intimée, a été estimée à partir des éléments fournis par la Brasserie de Tahiti pour l’achat de 'bags in box', ainsi que du coefficient de dilution communiqué par cette société ; cette méthode de reconstitution de la production de la société intimée a d’ailleurs été validée par la cour administrative d’appel de Paris dans son arrêt précité.

Suivant conclusions récapitulatives du 22 octobre 2018, auxquelles il convient également de se référer pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Sarl Papeete Services et Restaurants réplique en demandant à la cour de bien vouloir:

— déclarer l’appelante mal fondée en son appel et l’en débouter,

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 septembre 2017 par le tribunal de première instance de Papeete,

— y ajoutant, débouter l’appelante de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

— et condamner l’appelante à lui verser la somme de la somme de 1.200.000 xpf sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de Polynésie au titre de ses frais irrépétibles en cause d’appel.

A l’appui de ses demandes, elle soutient à titre principal que :

' contrairement à ce que soutient l’appelante, le premier jugement est suffisamment motivé, en ayant notamment procédé à l’analyse du processus employé, dans des termes d’ailleurs identiques à ceux retenus par le juge d’appel en métropole dans les arrêts rendus sur les contentieux nés de l’application de l’article 520 A du code général des impôts, les pourvois formés à leur encontre ayant été rejetés par la Cour de cassation,

' le service des boissons au détail de son établissement ne correspond pas à une activité de production, telle que définie par les articles 338-1 à 338-3 du code des impôts de la Polynésie française et, d’ailleurs, les boissons commandées par les consommateurs ne font l’objet ni d’une livraison ni d’un enlèvement au sens de ces dispositions,

' son activité, pour laquelle elle dispose d’une licence de débit de boissons, se limite à effectuer le mélange entre le sirop fourni par le producteur dans une poche en plastique, dite 'bag in box', avec de l’eau gazéifiée, selon les instructions du producteur, la préparation étant déclenchée manuellement suivant la commande du client,

' les boissons vendues, du fait notamment de l’évaporation rapide du gaz, répondent à un objectif de consommation immédiate qui exclut tout stockage, a contrario des bouteilles ou des canettes produites par un fabricant,

' les décisions du Conseil d’État, dont se prévaut l’appelante, ne sont relatives qu’au régime de la taxe sur la valeur ajoutée applicable en métropole entre le 1er janvier 1968 et le 31 décembre 1978, de sorte qu’elle est mal fondée à en déduire une portée générale en matière fiscale,

' en revanche, les textes précités peuvent être utilement interprétés par référence à d’autres notions issues du code des impôts applicable en Polynésie française, fussent-elles relatives au régime de TVA (en l’espèce les articles 340-1 et suivants de ce code),

' l’appelante est également mal fondée à se prévaloir des décisions initialement rendues par le tribunal administratif de Papeete, puis par la cour administrative d’appel de Paris, dès lors qu’il s’agissait de juridictions incompétentes pour connaître du présent litige,

' l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, prononcé le 9 mars 2016 dans un contentieux relatif à l’application en métropole de la taxation prévue par l’article 520-A du code général des impôts, dont la portée a été récemment précisée par une circulaire du 11 juin 2018 (en matière douanière), confirme qu’elle n’exerce pas une activité soumise à cette taxe spéciale,

' cette position est conforme à la jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation résultant de trois arrêts du 8 avril 2014, reprise par la chambre criminelle de cette Cour suite à son revirement de jurisprudence du 28 octobre 2015,

' et contrairement à ce que tente de faire croire l’appelante, cette jurisprudence confirme que la qualité de fabricant n’est pas liée à la nature du contenant dans lequel ces boissons sucrées sont stockées en vue d’être livrées, mais bien au processus mis en 'uvre pour leur fabrication.

À titre subsidiaire, elle soutient que, si les impositions litigieuses devaient être considérées comme

justifiées, il conviendrait d’en réduire le quantum en se limitant aux quantités de boissons effectivement livrées aux consommateurs, c’est à dire après prise en compte de l’évaporation, des invendus, des pertes, des boissons consommées frauduleusement par le personnel et des quantités de sirop présentes dans la boisson, puisque ce dernier a déjà été taxé lors de sa cession par la société Brasserie de Tahiti.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2019.

L’affaire a été appelée à l’audience civile de la cour du 28 février 2019, puis renvoyée à celle du 28 mars 2019 à la demande de l’intimée. A l’issue de celle-ci, elle a été mise en délibéré, les parties étant informées que la décision serait prononcée le 25 avril 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le bien fondé des impositions contestées :

Il est constant que l’intimée exploite un établissement de restauration rapide dans lequel elle commercialise, notamment, des boissons résultant d’un mélange opéré par le biais d’une fontaine automatique dite 'Post Mix', mise à sa disposition par la société Brasserie de Tahiti, entre de l’eau non sucrée préalablement gazéifiée et des sirops contenus dans des sachets, dits 'Bag in Box – BIB', également produits par la Brasserie de Tahiti sous la licence des marques Coca-Cola, Sprite et Fanta. Ces mélanges de type 'soda', réalisés selon les prescriptions du fournisseur, sont ensuite délivrés aux consommateurs dans des gobelets cartonnés, revêtus d’un couvercle percé afin de permettre l’utilisation d’une paille.

La direction des impôts et des contributions publiques de la Polynésie française a considéré, au terme d’une procédure de redressement fiscal notifiée le 4 juin 2013, que cette activité devait être assujettie à la « taxe sur la production de boissons alcoolisées et de certains produits sucrés» instaurée par les articles 338-1 et suivants du code des impôts de la Polynésie française.

Dans sa version applicable aux faits de l’espèce, cet article 338-1 énonce : « Il est créé une taxe due par toute entreprise, personne physique ou morale, qui exerce, à titre lucratif et de façon habituelle, une activité de production portant sur les produits visés à l’article LP.338-2 ci-après », ce dernier visant, parmi les produits concernés les : « les eaux, y compris les eaux minérales et les eaux gazéifiées additionnées de sucre ou d’autres édulcorants ou aromatisées […] ». Ces produits étaient taxés, sur la période considérée, à raison de 40 xpf par litre. Par ailleurs, l’article 338-3 du même code précise que : « le fait générateur et l’exigibilité de la taxe sont constitués par la livraison ou l’enlèvement des produits soumis à la taxe ».

Contrairement à ce que soutient l’appelante, le premier juge n’a pas omis de procéder à l’analyse du procédé employé par l’intimée puisqu’il a relevé que le : « mélange obtenu (selon le process rappelé ci-dessus) est servi et vendu au détail aux consommateurs dans un gobelet selon une commande manuelle. Qu’il s’ensuit que ces boissons, du fait notamment de l’évaporation rapide du gaz, répondent à un objectif de consommation immédiate excluant tout stockage, a contrario des bouteilles ou canettes réalisées par un producteur. Que la société n’a donc ni la possibilité de constituer des stocks de boissons produites par les fontaines et pas davantage celle de décider du dosage de la composition des sirops qu’elle utilise… ».

Ces constatations factuelles conduisent à distinguer le producteur, qui met en 'uvre un process de fabrication destiné à créer des produits commercialisés à l’échelle industrielle, soit au cas présent la Brasserie de Tahiti qui produit et vend les 'BIB', met à la disposition des détaillants les machines permettant le mélange des boissons (les fontaines 'Post Mix'), en assure l’entretien et fournit tant les cartouches de gaz nécessaires à ce mélange que les indications techniques permettant d’y parvenir, et le débitant qui, à l’instar de l’intimée, se contente de préparer les boissons pré-conditionnées afin de

les vendre au détail aux consommateurs, sans stockage, ni conditionnement permanent préalables.

La notion de producteur apparaît, en effet, consubstantielle à celle de 'secret de fabrique', de sorte qu’échappe à cette définition celui dont l’activité ne consiste qu’à mélanger, à l’aide de matériels entièrement fournis par le fabricant et selon ses seules prescriptions, les produits également fabriqués par celui-ci, au moyen d’un processus industriel qu’il ignore.

Par ailleurs, les propos du responsable de la société fabricant ces fontaines à boissons (la société Cornelius), dont se prévaut la Polynésie française en ce qu’ils énoncent : «Le fonctionnement d’une fontaine à boissons Post-Mix ne peut s’apparenter à un process de fabrication artisanale. Il s’agit d’un matériel de technologie de pointe qui est destiné à une utilisation industrielle au vu des débits pouvant être servis par heure et au vu de la haute technologie déployée pour parvenir à une fabrication de sodas […] conformes aux références des fabricants de boissons en France, que le principe de fabrication est le même que celui du fabricant. Le process général de fonctionnement des fontaines est le même que celui retenu dans les usines. Il s’agit d’une mini chaîne de fabrication destinée à la restauration hors foyer », ne permettent pas davantage de faire échec à cette analyse dès lors que :

— d’une part, ils émanent d’une personne financièrement intéressée à une présentation avantageuse de ces appareils, ce qui explique qu’elle les compare à des 'mini-chaînes de fabrication’ de 'haute technologie’ capables de débits industriels ;

— et d’autre part, ils ne peuvent suffire à permettre d’assimiler un producteur industriel, en capacité d’alimenter en 'BIB’ et cartouches de gaz carbonique l’ensemble des débitants du territoire polynésien, et ces derniers, pris individuellement, qui se livrent à un commerce de détail dans une zone de chalandise nécessairement bien plus limitée.

Au demeurant, l’assimilation d’un débitant tel que l’intimée à un producteur de boissons sucrées au sens des dispositions de l’article 338-1 du code des impôts de la Polynésie française se heurte également à la précision apportée par l’article 338-3 du même code qui indique : « Le fait générateur et l’exigibilité de la taxe sont constitués par la livraison ou l’enlèvement des produits soumis à la taxe ». En effet, ces notions ne peuvent s’entendre que des prestations logistiques au travers desquelles un industriel livre, en plus ou moins grande quantité, ses produits à un distributeur ou à un détaillant. Car si ces dispositions devaient être appliquées aux débitants de boisson, cela impliquerait de considérer qu’il y a autant de faits générateurs que de 'livraisons’ de boissons à chaque consommateur, ce qui serait manifestement contraire à l’esprit du texte.

Enfin, cette analyse apparaît confortée par la lecture des dispositions des articles 340-1 et suivants du code des impôts de la Polynésie française lesquelles opposent les 'livraisons de biens’ aux 'prestations de services’ et nomment spécifiquement parmi ces dernières (à l’article LP 340-3) les : «ventes à consommer sur place de denrées alimentaires et de boissons ainsi que les ventes à emporter, y compris celles qui sont distribuées par appareils automatiques, effectués par des assujettis qui mettent à la disposition de la clientèle des aménagements particuliers pour la consommation sur place telle que tables, bancs, chaises ». S’il est vrai que cette distinction n’est relative qu’à la définition des 'opérations imposables (à la TVA) réalisées par les assujettis', elle n’en constitue pas moins un indice éclairant, dans une lecture homogène des dispositions fiscales applicables en Polynésie française, de la nature des activités concernées par cette notion de 'livraison'.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que l’intimée ne peut pas être regardée comme se livrant, à titre lucratif et de façon habituelle, à une activité de production de boissons sucrées soumise à la taxe spéciale édictée par les articles 338-1 et suivants du code des impôts de la Polynésie française. En conséquence, l’appelante sera déboutée de l’ensemble de ses moyens et le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens de défense soulevés à titre subsidiaire par l’intimée.

Sur l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française :

Compte tenu de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la Sarl Papeete Services et Restaurants la charge des frais irrépétibles du procès. En conséquence, la Polynésie française sera condamnée à lui verser une indemnité au titre de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, laquelle sera cependant limitée à la somme de 300.000 xpf compte tenu de l’indemnité déjà allouée à ce titre dans le cadre de la première instance.

Sur les dépens :

Aux termes de l’article 406 du code de procédure civil de la Polynésie française : 'Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, sauf circonstance particulière résultant de l’intérêt ou de la faute d’une autre partie'.

En conséquence, en l’absence d’une telle circonstance au cas présent, la Polynésie française doit être condamnée aux entiers dépens de l’instance d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

Juge la Polynésie française mal fondée en son appel ;

L’en déboute ;

Confirme par conséquent le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne la Polynésie française à payer à la Sarl Papeete Services et Restaurants la somme de 300.000 xpf sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;

Condamne en outre la Polynésie française aux entiers dépens d’appel.

Prononcé à Papeete, le 25 avril 2019.

Le Greffier, P/Le Président,

signé : M. B-C signé : K. X

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