Cour d'appel de Reims, Expropriations, 18 décembre 2019, n° 18/00002

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Sur la décision

Référence :
CA Reims, expropriations, 18 déc. 2019, n° 18/00002
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 18/00002
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N° 2

DU 18 Décembre 2019

VM

N° RG 18/00002 – N° Portalis DBVQ-V-B7C-ERXM

L’ETAT AGISSANT PAR LA DIRECTION REGIONALE DE L’ENVIRONNEMENT DE L’AMENAGEMENT DU LOGEMENT DES HAUTS DE FRANCE

C/

D F E épouse X,

C A H X,

M. LE DIRECTEUR DÉPARTEMENTAL DES FINANCES PUBLIQUES FRANCE DOMAINE

Notification le

Formule exécutoire

le

à

LA COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE DE L’EXPROPRIATION

APRÈS RENVOI DE CASSATION

a rendu l’arrêt suivant en son audience publique du dix huit décembre deux mille dix neuf.

Entre :

Demandeur sur renvoi :

L’Etat représenté par la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement du Logement des Hauts de France, […], […].

Représentant : Me Albane Delachambre de la SELAS Devarenne associés Grand-Est, avocat au barreau de Reims.

Appelant d’un jugement du 13 novembre 2015 (n°15/000085) et d’un jugement rectificatif du 18 décembre 2015 rendus par le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Beauvais.

D’une part,

Et

 :

Défendeurs sur renvoi :

Madame D F E épouse X, demeurant […], […].

Représentant : Me Eric Blanchecotte, avocat au barreau de Nevers

Monsieur C A H X, demeurant […], […].

Représentant : Me Eric Blanchecotte, avocat au barreau de Nevers

Monsieur le Directeur Départemental des Finances Publiques France Domaine, […], […], […].

Non comparant

D’autre part,

Les parties ont été régulièrement convoquées pour l’audience du 23 octobre 2019 à 10 H.

À cette audience, la chambre de l’expropriation était composée de Madame Elisabeth Mehl-Jungbluth, présidente de chambre, Madame Véronique Maussire et Madame Catherine Lefort, Conseillers assesseurs, désignées par ordonnance de Monsieur le Premier Président.

Assistées de Madame Goulard, greffier lors des débats et du prononcé.

Maîtres Albane Delachambre, avocat au barreau de Reims et Maître Eric Blanchecotte, avocat au barreau de Nevers, ont été entendus en leurs plaidoiries.

Les parties ont été avisées que l’arrêt serait rendu le 18 décembre 2019 par mise à disposition au greffe de la chambre de l’expropriation.

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu l’arrêt suivant :

LA COUR,

— Vu la déclaration de saisine de la cour d’Appel de Reims après renvoi de cassation pour l’État reçue au greffe le 11 octobre 2018,

(arrêt rendu par la Cour de Cassation le 12 juillet 2018 – RG 753 FD cassant partiellement l’arrêt de la Chambre de l’expropriation de la Cour d’Appel d’Amiens du 26/04/2017 – RG 16/00582 )

— Vu les conclusions et pièces d’appelant de l’Etat reçues au greffe le 10 décembre 2018,

— Vu les conclusions et pièces d’intimés des époux X reçues au greffe le 13 mars 2019,

— Vu les conclusions n° 2 de l’Etat reçues au greffe le 4 avril 2019,

— Vu les conclusions n° 2 des époux X reçues au greffe les 12 et 16 septembre 2019,

— Vu les conclusions n° 3 de l’Etat reçues au greffe le 14 octobre 2019,

* * *

Les consorts X (M.et Mme A X et M. B X mineur à l’époque) ont acheté le 15 février 1989 des parcelles sises à Boissy-Fresnoy (Oise) cadastrées ZN n° 57 et 58

d’une superficie de 6383 m2 comprenant un restaurant exploité sous l’enseigne 'La Frite d’Or’ ; ils ont été autorisés à défricher une partie de la parcelle ZN n° 58 afin de pouvoir installer une voie de décélération de 80 mètres permettant l’accès à leur bâtiment ; la Direction départementale de l’équipement de l’Oise ayant imposé le 4 avril 1989 une voie d’une longueur de 110 mètres, M. C X et Mme D E, parents d’B X, ont acquis le 6 octobre 1989 la parcelle voisine cadastrée section ZN n° 83 d’une superficie de 8909 m2 leur permettant de réaliser la voie d’accès à la longueur voulue par l’administration.

Cette parcelle ZN n° 83 a été transformée en deux parcelles : la parcelle ZN n° 136 et la parcelle ZN n° 137.

Une enquête préalable à la déclaration d’utilité publique a été ordonnée par arrêté des préfets de l’Aisne, de l’Oise et de Seine-et-Marne du 13 février 2002.

Cette enquête s’est déroulée du 8 mars au 11 avril 2002.

Par décret du 22 octobre 2003, le premier ministre, sur avis du Conseil d’état, a déclaré d’utilité publique les travaux d’aménagement à 2 x 2 voies de la route nationale 2 dans sa section comprise entre le Plessis-Belleville et Soissons.

Une enquête parcellaire spécifique à la liaison de Nanteuil-Le-Haudoin à Levignen a été ordonnée par arrêté du préfet de l’Oise le 14 mars 2013.

Cette enquête s’est déroulée du 20 avril au 18 mai 2013 sur les communes de Boissy-Fresnoy, Pery-Les-Gombrie et Levignen.

A l’issue de l’enquête parcellaire, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable motivé dans son rapport et ses conclusions du 13 juin 2013.

Une ordonnance d’expropriation a été rendue le 15 octobre 2013 par le juge de l’expropriation du département de l’Oise concernant la parcelle ZN n° 136 emportant transfert de propriété au bénéfice de l’Etat.

Le 28 octobre 2014, le préfet de la région Picardie a formulé une offre à M. C X et à Mme D E épouse X qui a été refusée par les expropriés lesquels ont chiffré leur préjudice devant le juge de l’expropriation du département de l’Oise.

Par jugement du 13 novembre 2015, le juge de l’expropriation du département de l’Oise, a fixé l’indemnité d’expropriation due à M.et Mme X relative à la parcelle cadastrée section ZN n° 136 sise sur la commune de Boissy-Fresnoy à la somme de 148 248, 50 euros se décomposant comme suit :

— indemnité principale : 133 635,00 euros

— indemnité de remploi : 14 613, 50 euros

et a débouté M.et Mme X de leurs autres demandes d’indemnisation au titre de la perte de revenus locatifs et de la perte de la possibilité de créer un complexe hôtelier.

Il a laissé les dépens à la charge de l’Etat.

Pour statuer ainsi et évaluer le montant de l’indemnité d’expropriation, le juge a considéré que les parcelles avaient une nature commerciale.

Il a également estimé que cette indemnité devait être fixée pour la parcelle ZN n° 136 objet de l’expropriation mais également pour la parcelle ZN n° 137, l’expropriation ayant supprimé l’exploitation commerciale des deux parcelles dans leur ensemble, de sorte que l’indemnité devait porter sur une superficie de 8909 m2 et non de 1519 m2.

L’Etat a formé appel de ce jugement.

Représenté par le Directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement des Hauts de France, il a demandé à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a attribué un caractère constructible et commercial aux parcelles expropriées et a fixé une indemnité pour des parcelles n’ayant pas fait l’objet d’un transfert de propriété au bénéfice de l’Etat ; il a proposé de fixer les indemnités d’expropriation à 1932,17 euros pour la parcelle ZN n° 136.

Par arrêt du 26 avril 2017, la cour d’appel d’Amiens a réformé très partiellement la décision du premier juge sur le montant des indemnités principale et de remploi et, statuant à nouveau, a fixé l’indemnité d’expropriation à la somme de 139 632 euros se décomposant comme suit :

— indemnité principale : 125 802 euros

— indemnité de remploi : 13 830 euros

Pour fixer les indemnités revenant à M.et Mme X, l’arrêt a retenu qu’à la date de référence (la date de référence pour fixer la valeur des biens expropriés se situe un an avant l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique suivant l’article L13-15 du code de l’expropriation, soit en l’espèce le 13 février 2001), le règlement national d’urbanisme devait trouver application dès lors que la commune de Boissy-Fresnoy ne disposait pas d’un plan local d’urbanisme, que ce règlement prévoyait que des constructions pouvaient être autorisées sur délibération motivée du conseil municipal si l’intérêt de la commune le justifiait ; que le conseil municipal avait, le 15 avril 1993, donné son accord à la création du complexe hôtelier restaurant station-service d’essence ; que de surcroît, le restaurant 'La Frite d’Or’ avait été exploité sur le terrain démontrant la valeur commerciale des parcelles en cause et qu’ainsi, les parcelles avaient une valeur commerciale dont il fallait tenir compte, de sorte que leur valeur au mètre carré devait être appréciée en fonction des prix pratiqués dans la zone industrielle de Crépy-en-Valois.

L’Etat a formé un pourvoi contre cette décision.

Par arrêt rendu le 12 juillet 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt au visa des articles L 322-2 et L 322-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique mais seulement en ce qu’il a fixé l’indemnité d’expropriation due à M.et Mme X à la somme de 139 632 euros et a renvoyé l’affaire devant cette cour.

La Cour de cassation a cassé pour manque de base légale l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens qui n’a pas précisé si l’indemnité d’expropriation était fixée en fonction de la qualification de terrain à bâtir des parcelles en cause ou de leur seul usage effectif à la date de référence.

Par mémoire du 11 octobre 2019 reçu le 14 octobre 2019, l’Etat, représenté par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement des Hauts de France, demande l’infirmation du jugement et statuant à nouveau :

— de dire que c’est à tort que le juge de l’expropriation a attribué un caractère constructible et commercial aux parcelles expropriées,

— de dire et juger qu’à la date de référence, la parcelle ZN n° 136 était en nature et à usage de terres agricoles et qu’elle doit être évaluée comme telle,

— de dire que c’est à tort que le juge de l’expropriation a fixé une indemnité pour des parcelles n’ayant pas fait l’objet d’un transfert de propriété au bénéfice de l’Etat,

— de fixer les indemnités d’expropriation à 1932,17 euros pour la parcelle ZN n° 136 et de dire et juger que cette offre est suffisante et satisfactoire,

— de condamner les époux X à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Par mémoire du 11 septembre 2019 reçu le 16 septembre 2019, M.et Mme X demandent à la cour de fixer leur indemnisation comme suit :

— indemnité principale : ……………………. 219 400 euros

— indemnité de remploi : …………………… 43 880 euros

— perte de revenus locatifs : ……………… 220 539 euros

— perte de la possibilité de créer un

complexe hôtelier : ……………………….. 174 720 euros

outre 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Bien qu’ayant signé les accusés de réception des lettres de notification qui lui ont été adressées par le greffe, le Directeur départemental des finances publiques, faisant fonction de commissaire du gouvernement, n’a pas adressé de mémoire ou de conclusions aux parties et à la cour.

Motifs de la décision :

Aux termes de l’article L 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.

Toutefois, et sous réserve de l’application des dispositions des articles L 322-3 à L 322-6, est seul pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L 1 ou, dans le cas prévu à l’article L 122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l’article L 121-8 du code de l’environnement ou par l’article 3 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat.

Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l’utilisation ou l’exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l’expropriant, une intention dolosive.

Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu’ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s’ils ont été provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d’utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l’enquête publique de travaux publics dans l’agglomération où est situé l’immeuble.

L’article L 322-3 du même code, tel qu’issu de l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 entrée en vigueur le 1er janvier 2015, dispose que la qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L 1

ou, dans le cas prévu à l’article L 122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :

1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l’absence d’un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d’une commune ;

2° Effectivement desservis par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l’urbanisme et à la santé publique l’exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d’assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu’il s’agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l’objet d’une opération d’aménagement d’ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l’ensemble de la zone.

Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l’article L 322-2.

L’appelant soutient :

— s’agissant du caractère constructible de la parcelle, que la seule délibération du conseil municipal, même si elle avait autorisé la réalisation d’un complexe hôtelier, ce qui est d’ailleurs inexact puisque cette délibération se borne à voter le classement du terrain en zone NDA, est impropre à justifier de la qualification de terrain à bâtir ; que seul le règlement national d’urbanisme (RNU) était applicable au moment de l’acquisition ; qu’en outre, la qualification de terrain à bâtir est attachée à la nature du terrain et non à son usage effectif,

— dès lors, que le terrain litigieux n’étant pas un terrain à bâtir, il convient d’estimer le bien en considération de son usage effectif à la date de référence, soit un an avant l’ouverture de l’enquête, la juridiction de l’expropriation ne devant pas tenir compte d’une valeur future et éventuelle ; que le conseil municipal avait seulement prévu de classer la parcelle dans une zone permettant la réalisation d’un complexe hôtelier mais que ce complexe n’étant jamais réalisé, à la date de référence, l’usage effectif de la parcelle n’était pas celui d’une parcelle à vocation commerciale destinée à recevoir un complexe hôtelier ; que la vocation commerciale de cette parcelle n’était donc qu’éventuelle,

— qu’en conséquence, la parcelle n’a qu’une vocation agricole, l’Etat faisant observer que dans l’actuel plan local d’urbanisme (PLU) de la commune, la parcelle est classée en zone N (naturelle et forestière) et qu’en conséquence, il y a lieu de fixer la valeur de la parcelle expropriée et uniquement elle en tenant compte de son caractère agricole.

— que les autres demandes formées par M.et Mme X au titre de la perte de revenus locatifs et de la perte de la possibilité de créer un complexe hôtelier station-service sont irrecevables, la Cour de cassation n’ayant pas cassé l’arrêt de la cour d’appel sur ce point.

Les intimés répliquent :

— que la parcelle expropriée est à la fois un terrain à bâtir et à vocation commerciale; que la valorisation de la propriété est celle d’un terrain à vocation commerciale, ce qui est d’ailleurs attesté par le fait que la propriété comportait un restaurant exploité sous l’enseigne 'La frite d’or’ et que les droits de mutation ont été acquittés sur la base du tarif commercial ; que l’acquisition de la parcelle ZN n° 83 s’est également réalisée par acquittement de droits de mutation sur la base du tarif commercial ; que les consorts X avaient, dans l’attente de la réalisation de leur projet de création d’une station-service et d’un complexe hôtelier, loué leur propriété par un bail commercial et

qu’ils ont dû accepter de résilier ce bail portant sur une propriété devenue inaccessible du fait de l’aménagement de la RN 2 en voie expresse; que le conseil municipal de Boissy-Fresnoy avait d’ailleurs donné son accord à l’unanimité le 15 avril 1993 à la création de ce complexe en plaçant les parcelles en zone NDA dans le plan d’occupation des sols (POS) en cours d’élaboration ;

— que la parcelle expropriée peut être également qualifiée de terrain à bâtir, cette parcelle comportant une construction constituant le restaurant 'La frite d’or’ et le maire de Boissy-Fresnoy ayant autorisé l’implantation du complexe hôtelier et de la station-service ; que ce projet a été validé ; que la nature de terrain à bâtir de la parcelle est établie par les actes administratifs qu’ils versent aux débats ;

— que la décision d’exproprier la partie de la parcelle longeant la RN 2 a interdit toute desserte de la propriété et l’a rendue de fait inconstructible et que c’est par conséquent à juste titre que le premier juge a considéré la dévalorisation de la totalité de la parcelle pour fixer leur indemnité, la propriété des consorts X ayant perdu toute valeur commerciale, celle-ci ne pouvant être exploitée à l’avenir qu’en terre agricole ;

— que le juge de l’expropriation a néanmoins fixé la valeur du mètre carré des parcelles à un niveau insuffisant qu’il convient de relever ; que s’agissant des autres préjudices – perte de revenus locatifs et perte de la possibilité de créer un complexe hôtelier station-service -, c’est à tort que le premier juge les a déboutés de leurs demandes à ce titre.

Il ressort de l’analyse des textes susvisés que cette cour, saisie sur renvoi après cassation, doit d’abord déterminer si la parcelle expropriée est un terrain à bâtir avant de s’attacher à son usage effectif un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L 1 si elle considère que la qualification de terrain à bâtir ne peut être retenue.

C’est à juste titre que l’appelant fait observer qu’il est indifférent que la parcelle expropriée ait eu ou non une vocation commerciale dans la mesure où, si la qualification de terrain à bâtir de la parcelle expropriée est écartée, seul l’usage effectif de celle-ci à la date de référence -qui doit être fixée en l’espèce au 13 février 2001 pour tenir compte de la date de l’enquête- doit être retenue.

La qualification de terrain à bâtir de la parcelle expropriée :

Cette qualification ne peut être retenue que si les conditions fixées par l’article L 322-3 ci-dessus développé, soit celles qui y sont mentionnées au 1° et au 2°, sont réunies.

Ces conditions sont cumulatives.

La qualification de terrain à bâtir est exclusivement attachée à la nature du terrain et non à son usage effectif, de sorte qu’il est indifférent qu’un restaurant y ait été exploité et que le titre de propriété dont se prévalent les époux X mentionne une construction à usage commercial comprenant notamment une salle de restauration recouverte pour partie d’une toiture en tôles galvanisées (il s’agit du restaurant 'La Frite d’Or') qui s’apparente d’ailleurs davantage, au vu des clichés photographiques versés aux débats, à une structure non pérenne qu’à une construction en 'dur'.

Pour conférer à la parcelle la qualification de terrain à bâtir, M.et Mme X se fondent essentiellement sur un courrier du maire de Boissy-Fresnoy du 19 août 1992 et sur une délibération du conseil municipal de Boissy-Fresnoy du 15 avril 1993.

Le maire a certes donné un avis favorable au projet d’implantation d’un complexe hôtelier, d’une station-service et d’un restaurant sur les parcelles ZN n° 57, 58 et 83 mais cet avis est dépourvu de tout caractère normatif.

La délibération du conseil municipal porte mention des indications suivantes: 'Monsieur le Maire informe le Conseil Municipal que les propriétaires de la propriété dite 'La Frite d’Or’ sise le long de la route nationale (RN 2) envisagent la création d’un complexe hôtelier et d’une station-service.

Afin de permettre cette transformation, la propriété sera classée en zone NDA dans le POS en cours d’élaboration, cette classification permettant l’implantation d’installations liées à la RN 2, station-service et annexes normales'.

C’est à juste titre que l’Etat relève que cette délibération n’est pas un acte administratif individuel dont peuvent se prévaloir M.et Mme X dans la mesure où elle ne peut être considérée, au regard des règles de l’urbanisme, que comme une déclaration d’intention qui ne pouvait être à l’époque concrétisée que par un classement effectif en zone NDA dans le POS.

Or, ce classement n’a jamais été mis en oeuvre dans le POS de la commune.

Ainsi, au regard des conditions fixées par l’article L 322-3 susvisé, M.et Mme X ne peuvent se prévaloir ni d’un POS (un POS en cours d’élaboration n’est pas un POS puisque le document finalisé doit faire l’objet d’une approbation), ni d’un PLU (qui n’existait pas à l’époque), ni d’un document d’urbanisme en tenant lieu, ni d’une carte communale.

En réalité, la commune était soumise aux dispositions régies par le règlement national d’urbanisme (RNU) qui prévoit une constructibilité limitée.

Il sera relevé au surplus que M.et Mme X sont particulièrement taisants sur la seconde condition – dont il est rappelé qu’elle est cumulative avec la première – fixée par l’article L 322-3 2° pour que la parcelle expropriée puisse être considérée comme un terrain à bâtir, soit un raccordement aux réseaux d’eau potable et d’électricité.

Ils n’apportent aucune pièce justificative à ce titre.

La parcelle expropriée ne peut donc recevoir la qualification de terrain à bâtir.

L’usage effectif de la parcelle :

Il convient donc de déterminer si la parcelle expropriée avait un usage effectif commercial au 13 février 2001 – un an avant l’ouverture de l’enquête – qui est la date de référence fixée par l’article L 322-2 précité.

L’usage effectif d’une parcelle s’apprécie nécessairement à la date de référence et il ne peut être tenu compte ni d’un élément de valeur future ou éventuelle ni d’une vocation commerciale future.

Il importe peu que des droits de mutation sur la base du tarif commercial aient été acquittés sur les deux actes de vente portant sur les parcelles ZN n° 57 et ZN n° 58 d’une part et ZN n°83 d’autre part, cet élément n’étant pas de nature à conférer aux parcelles vendues un usage commercial (l’attestation délivrée par Maître Z le 14 novembre 1989 s’agissant de la vente de la parcelle ZN n°83 évoque d’ailleurs des droits de mutation au tarif plein commercial pour permettre éventuellement aux acquéreurs un usage commercial du bien acquis).

Si un restaurant y avait été implanté lorsque les parcelles ont été acquises, il n’est pas contesté qu’au 13 février 2001, il n’était plus exploité – le bail commercial souscrit entre M. B X et la société Prorecycle-Eco le 1er mai 2002 (soit au-delà de la date de référence) évoque d’ailleurs une construction vétuste -.

Ni l’activité de restauration – dont il n’est pas précisé dans quelles conditions matérielles elle pouvait s’exercer à défaut pour les expropriés de justifier d’un raccordement aux réseaux d’eau potable et

d’électricité- ni la souscription d’un bail commercial, événement de surcroît postérieur à la date de référence, ne peuvent donc être des éléments démontrant un usage commercial effectif de la parcelle expropriée.

S’agissant de la création du complexe hôtelier, station-service et restaurant, force est de constater que la vocation commerciale de la parcelle n’était à la date de référence qu’éventuelle puisque ce complexe n’était pas édifié et ne l’a d’ailleurs jamais été et que M.et Mme X ne peuvent au surplus se prévaloir d’un accord régulier pour l’édification de cette construction.

Il sera ajouté, en tant que de besoin, que la Direction départementale de l’équipement de l’Oise, dans son courrier du 18 janvier 1993, précisait ne pas pouvoir émettre un avis favorable à l’ouverture d’une station-service avant la réalisation de travaux de mise à 2 x2 voies de la RN2 et que le courrier de Total adressé à Mme X le 13 octobre 1992 ne fait état que d’un intérêt de la société pétrolière pour implanter une station-service à cet endroit et non de son accord.

Compte tenu de ces éléments, l’usage effectif de la parcelle expropriée ne peut être qualifié de commercial.

Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu’il a considéré que la parcelle avait une vocation commerciale.

L’indemnité d’expropriation :

Aux termes de l’article L 1 du code de l’expropriation, l’expropriation donne lieu à une juste et préalable indemnité.

L’indemnité doit être fixée en fonction de la valeur du seul bien qui a fait l’objet d’un transfert de propriété au bénéfice de l’Etat à l’exclusion de tout autre.

Il est justifié par l’appelant qu’à la date de référence, la parcelle ZN n° 136 d’une superficie de 1519 m2 était une parcelle à usage agricole.

L’indemnisation doit donc s’opérer sur cette base.

L’Etat propose une indemnisation à hauteur de 1932,17 euros se décomposant comme suit :

— indemnité principale : 1,06 euros x 1519 m2 …………………….. 1610,14 euros

— indemnité de remploi : 1610,14 euros x 20 %……………………… 322,03 euros

soit au total : ………………………………………………………….. 1932,17 euros

M.et Mme X ne développent aucun subsidiaire pour venir contredire cette évaluation.

Le Directeur départemental des finances publiques, faisant fonction de commissaire du gouvernement n’a pas conclu et n’a donc pas apporté de termes de comparaison quant à des transactions réalisées sur des parcelles similaires au cours des cinq dernières années.

Il y a donc lieu de valider la proposition d’indemnisation de l’Etat, d’infirmer le jugement et de fixer l’indemnité d’expropriation à la somme de 1932,17 euros.

Les demandes indemnitaires accessoires :

La Cour de cassation n’ayant que partiellement cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens et renvoyé

l’affaire pour qu’il soit statué sur l’indemnité d’expropriation (principale et de remploi), les demandes formées par M.et Mme X au titre de la perte de revenus locatifs au motif que la société Prorecycle-Eco s’est vu interdire l’accès au terrain qu’elle exploitait et de la perte de la possibilité de créer un complexe hôtelier station-service sont définitivement rejetées.

Les demandes formées par M. et Mme X sont par conséquent irrecevables.

L’article 700 du code de procédure civile :

M. et Mme X, partie perdante, ne peuvent prétendre à une indemnité à ce titre.

Aucune considération liée à l’équité ne justifie qu’il soit fait droit à la demande formée par l’Etat, représenté par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement des Hauts de France.

Les dépens :

Par application de l’article L 312-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, l’expropriant supporte seul les dépens de première instance.

La décision sera par conséquent confirmée en ce qu’elle a laissé les dépens à la charge de la DREAL de l’Oise.

M.et Mme X seront condamnés aux dépens de l’instance d’appel.

Par ces motifs :

Statuant après renvoi de cassation, publiquement et par arrêt réputé contradictoire ;

Vu l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juillet 2018 ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 novembre 2015 par le juge de l’expropriation de l’Oise à l’exception des dépens.

Statuant à nouveau ;

Dit que la parcelle expropriée ZN n° 136 ne peut recevoir la qualification de terrain à bâtir.

Dit que l’usage effectif de cette parcelle à la date de référence n’était pas commercial.

Dit que la parcelle doit être considérée comme une parcelle à usage agricole.

En conséquence,

Fixe l’indemnité principale due par l’Etat, représenté par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement des Hauts de France, à M. et Mme C X, au titre de la parcelle ZN n° 136, à la somme de 1610,14 euros et l’indemnité de remploi y afférente à la somme de 322,03 euros, soit au total 1932,17 euros.

Déclare irrecevables les demandes indemnitaires accessoires formées par M.et Mme C X.

Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M.et Mme C X aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la chambre de l’expropriation de la cour le 18 Décembre 2019, et signé par Madame Mehl-Yungbluth, présidente de la Chambre de l’Expropriation, et Madame Goulard, greffier.

Le greffier La présidente

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Cour d'appel de Reims, Expropriations, 18 décembre 2019, n° 18/00002