Cour d'appel de Rennes, Recours fiscaux, 8 décembre 2020, n° 19/05184

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Sur la décision

Référence :
CA Rennes, recours fiscaux, 8 déc. 2020, n° 19/05184
Juridiction : Cour d'appel de Rennes
Numéro(s) : 19/05184
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Recours Fiscaux

ORDONNANCE N°7/2020

N° RG 19/05184 – N° Portalis DBVL-V-B7D-P73C

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 08 DECEMBRE 2020

Monsieur Fabrice ADAM, Président de Chambre à la Cour d’Appel de RENNES, suppléant le Premier Président par application de l’ordonnance du 10 juillet 2020.

GREFFIER :

Madame AD-AE AF, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 Septembre 2020

ORDONNANCE :

Contradictoire, prononcée publiquement le 08 Décembre 2020, par mise à disposition au greffe, comme indiqué à l’issue des débats

****

DEMANDEURS :

La société AA, SAS représentée par la société AA AB M en qualité de Président de ladite société, prise en la personne de Monsieur F X

[…]

[…]

La société AA CONSULTING, SAS représentée par la société AA AB M en qualité de Président de ladite société, prise en la personne de Monsieur F X

[…]

[…]

La société AA AC LIMITED, SARL représentée par la société AA AB M, elle-même prise en la personne de son gérant Monsieur F X

[…], […]

RH 10 9 LU CRAWLEY

[…]

La société AA AB M, SARL représentée par Monsieur F X et Madame H U, agissant en qualité de gérants

[…]

[…]

La société L M, SARL prise en la personne de son gérant, Madame G Y née X

[…]

[…]

Monsieur F AG AH X

né le […] à […]

[…]

[…]

Madame H V A épouse X

née le […] à […]

[…]

[…]

Madame G AI AJ X épouse Y

née le […] à […]

[…]

[…]

Monsieur K AK-AL AM AD Y

né le […] à […]

[…]

[…]

repréentés par Me Renaud BERTHOU de la SELARL RENAUD BERTHOU CABINET DROITS ET LOIS, avocat au barreau de RENNES

DEFENDEUR :

[…], représenté par l’Administrateur générl des Finances Publiques, chargé de la Direction Nationale d’Enquêtes Fiscales,

[…]

[…]

Représenté par Me Pierre d’AZÉMAR de FABRÈGUES, de la société d’avocats URBINO ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société de droit anglais AA AC Ltd a été constituée le 24 août 2009 par la société AA, son associée unique. Son siège social, fixé jusqu’alors à Londres, […], se trouve depuis le […]. Son dirigeant est M. F X, résidant français domicilié à Nantes, […]. Cette société exerce à l’international une activité de placement de main d''uvre dans les domaines scientifiques et techniques.

Sa société mère, la société par actions simplifiée AA (Siren n° 435'180'484), a été constituée sous forme d’une société à responsabilité limitée en 2001. Son siège social se trouve à […], […]. Elle a pour objet social le conseil, l’ingénierie, l’assistance technique, les études techniques et le recrutement dans les domaines de la construction, de l’énergie, de l’environnement, de l’industrie et des services. Son capital est détenu, depuis la constitution de la Sarl AA AB M (30 novembre 2017) à hauteur de 99,99'% par cette dernière qui en assure la présidence et, à hauteur de 0,01'% , par M. F X.

La société AA contrôle également (51 %) la société par actions simplifiée AA Consulting (Siren 752'922'960), constituée en 2012, dont le siège social se trouve à Paris, […] et qui a pour objet social le conseil, l’ingénierie, l’assistance technique dans les domaines de la construction, de l’énergie, de l’environnement, de l’industrie et des services et l’assistance en recrutement. Son président est la société AA AB M. Son autre associée, qui exerce les fonctions de directeur général, est l’Eurl L M dont le siège se trouve au domicile de son associée unique et gérante, Mme G X, à Nantes, […]

Ronsard.

La Sarl AA AB M (Siren n°833'699'572), constituée le 30 novembre 2017, a son siège social sis […], […]. Elle a pour objet social les activités de M, de gestion stratégique de groupe, de décisions d’orientation engageant le groupe, ainsi que de définition exclusive de la politique générale du groupe. Elle est co-gérée par ses deux associés, M. F X, qui détient 94,3 % de son capital, et Mme H A épouse X, qui en détient 5,7 %, tous deux domiciliés à Nantes, […].

Excipant notamment du fait, d’une part, qu’il pouvait être présumé que la société de droit britannique AA AC Ltd ne possédait pas au Royaume-Uni de moyens matériels suffisants lui permettant d’exercer une activité économique conforme à son objet social, qu’elle utilisait les moyens

matériels et humains des sociétés françaises du groupe informel AA et qu’elle exerçait en France une activité soutenue de placement de main d''uvre dans les domaines scientifiques et techniques d''uvre, pays dans lequel elle a réalisé la quasi-intégralité de son chiffre d’affaires avec des clients établis en France et appartenant à ce groupe, et, d’autre part, que la société pouvait être présumée s’être soustraite et/ou se soustraire à l’établissement et au paiement de l’impôt sur les sociétés et des taxes sur les chiffres d’affaires, la Direction générale des finances publiques (DGFIP), représentée par I J, Inspecteur des Finances Publiques, en poste à la Direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), a, par requête en date du 2 juillet 2019 fondée sur l’article L'16 B du livre des procédures fiscales, saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nantes qui, par ordonnance du 8 juillet 2019, a autorisé les agents expressément désignés et habilités par le directeur général des Finances publiques, assistés de l’officier de police judiciaire également désigné sur délégation du commandant d’unité, à procéder aux saisies et visites nécessitées par les agissements présumés reprochés à la société de droit britannique AA AC Ltd, représentée par son directeur F X, dans les locaux et dépendances désignés où des documents et supports d’information illustrant la fraude présumée étaient susceptibles de se trouver, à savoir :

— locaux et dépendances sis […], […], susceptibles d’être occupés par la Sarl AA Groupe M et/ou la société AA et/ou la société AA Consulting et/ou la société de droit britannique AA AC Ltd,

— locaux et dépendances sis […], […], susceptibles d’être occupés par F X et/ou H X née A et/ou la société civile immobilière CNCJ 4 et/ou la société civile immobilière Cormier Santé et/ou la société civile immobilière du Parc de la Forêt et/ou la société de droit britannique AA AC Ltd,

— locaux et dépendances sis […], susceptibles d’être occupés par G X et/ou son époux K Y et/ou l’Eurl L M et/ou la société de droit britannique AA AC Ltd.

Il a été procédé aux visites domiciliaires ainsi autorisées le 9 juillet 2019.

Les 10 et […], plusieurs saisies conservatoires ont été réalisées sur les créances appartenant à la société AA AC Ltd et détenus par la SAS AA Consulting, suite à une ordonnance rendue le 4 juillet 2019 par le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Nantes.

Le 6 novembre 2019, le juge de l’exécution a ordonné la mainlevée de cette mesure conservatoire.


Les sociétés AA, AA Consulting, AA AC Ltd, AA AB M, L M, ainsi que M. F X, Mme H A épouse X, G X épouse Y et M. K Y ont, le […], par déclaration remise au greffe, interjeté appel de l’ordonnance du 28 mai 2018. Cet appel a été enrôlé au répertoire général sous le n° 19/05184.

Les appelants, aux termes de leurs dernières écritures (12 décembre 2019) développées oralement lors de l’audience, demandent :

— à titre principal, de prononcer l’annulation de l’ordonnance du 8 juillet 2019 pour défaut de motivation,

— à titre subsidiaire, d’infirmer l’ordonnance du 8 juillet 2019,

— prononcer par voie de conséquence l’annulation des opérations de visite et des saisies effectuées dans les locaux et dépendances situés :

[…], […]

[…]

— interdire à l’administration d’opposer au contribuable les informations recueillies sur le fondement des objets et opérations ci-dessus mentionnés,

— ordonner la destruction de toute copie sous quelque forme que ce soit des documents dont la saisie est annulée, à charge pour l’administration de justifier de la destruction effective de ces documents dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

— dire et juger que passé ce délai, s’appliquera une astreinte de 2000 euros par jour de retard jusqu’à la signification effective de la destruction de ces documents,

— dire et juger que l’administration fiscale sera rétroactivement réputée ne jamais avoir détenu les pièces saisies,

— condamner l’État représenté par le Directeur Général des Finances Publiques à payer à chacun des appelants la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile

— condamner l’État aux entiers dépens.

Au soutien de leurs demandes, les appelants font d’abord valoir que l’ordonnance précitée ne précise pas suffisamment le champ de l’autorisation de la visite et des saisies (objet des recherches et temporalité), et qu’ont ainsi été saisis massivement sans justification divers documents qui ne constituaient pas des preuves directes des agissements présumés, tels que des courriels provenant des avocats (129), outre des documents antérieurs à 2009, alors même que l’autorisation de saisie ne portait que sur les années 2014 à 2019.

Ils soutiennent ensuite que le juge des libertés et de la détention a analysé de manière vague et imprécise les documents fournis par l’administration (commettant un certain nombre d’erreurs dans son ordonnance), et que, par ailleurs, certains documents fournis par celle-ci étaient erronés et que le juge aurait dû vérifier leur teneur. Ils estiment à ce sujet que l’administration ne pouvait dire que la société AA AC Ltd louait des bureaux auprès de la société Regus, société affirmant pratiquer la location de bureaux virtuels, pour en conclure que la société AA AC Ltd était localisée fictivement. Ils ajoutent que la société AA AC Ltd non seulement loue des bureaux mais est assurée, a recours aux services de cabinets de recrutement, prend des abonnements, bénéficie de prestations de services annexes, dispose d’un numéro de téléphone permettant de joindre son office manager… Ils précisent qu’au 30 juin 2019, cette société disposait d’un effectif de 25 consultants salariés et de 12 consultants freelance, d’un office manager et d’un business manager.

Ils relèvent que le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Nantes a ordonné la main-levée de la saisie-attribution effectuée sur les créances détenues par la société AA AC Ltd eu égard à l’appréciation erronée opérée par l’administration de la domiciliation de cette société.

Les appelants indiquent que la visite domiciliaire effectuée était disproportionnée eu égard à l’atteinte aux droits du contribuable et qu’il en est, par ailleurs, résulté une atteinte au principe du procès équitable, puisqu’il n’ont pu déterminer exactement la teneur de tous les documents saisis, ne pouvant se défendre en conséquence.

De même, ils estiment que la visite domiciliaire était inutile au vu des documents qui avaient déjà été remis à l’administration suite à la procédure de vérification de la comptabilité de la SARL AA Consulting. Ils prétendent également que la présentation du groupe AA comme constituant un «'groupe informel'» est tronquée, s’agissant en réalité d’un ensemble de sociétés s’étant formées progressivement comme un groupe de sociétés sous l’égide de la société AA AB M, et que la société de droit britannique AA AC Ltd assure un rôle fondamental pour accéder au marché international et s’inscrit dans une activité assimilable à un portage administratif des consultants, activité nécessitant moins de personnel que d’autres activités exercées au sein du groupe.

Les appelants font, par ailleurs, état de ce que l’autorisation de procéder à la visite domiciliaire est mal fondée au vu du lieu de l’activité et du centre de décision effectif de la société AA AC Ltd, situé en Angleterre, la présomption d’établissement en France rapportée par l’administration n’étant pas corroborée par des éléments de fait, l’animation du groupe ne faisant que lui attribuer sa fonction au sein de l’ensemble.

Ils insistent, en outre, sur le fait que la société de droit britannique n’intervenait pas auprès de la clientèle française du groupe AA, de sorte qu’aucune présomption de fraude ne peut être établie. Ils ajoutent que les consultants de la société anglaise n’interviennent pas sur des chantiers en France, et que le cas de la société Aluminium Dunkerque constitue une exception justifiée par les circonstances particulières de la situation (urgence). Ainsi, l’activité et le centre décisionnel de la société AA AC Ltd se situent effectivement en Angleterre.

Enfin, les appelants contestent toute optimisation fiscale, 95 % du profit issu de la mission du groupe étant imposé en France. Ils mettent en avant le fait que les sociétés du groupe AA ont versé environ la somme de 5'590'320 euros d’impôts entre 2014 et 2019, ce qui montre qu’elles n’ont nullement cherché à se soustraire à leurs obligations fiscales. Ils soulignent, en outre, le manque de loyauté dont a fait preuve l’administration en sollicitant du juge de l’exécution une procédure de saisie-attribution avant même que la décision du Juge des Libertés et de la Détention n’eût été rendue.

Aux termes de ses écritures (29 novembre 2019) également développées lors de l’audience, le Directeur général des finances publiques sollicite quant à lui :

— la confirmation en toutes ses dispositions de l’ordonnance du 8 juillet 2019,

— le rejet de toutes autres demandes, fins et conclusions,

— la condamnation des sociétés appelantes au paiement de la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

— la condamnation des appelantes aux dépens.

Au soutien de sa demande, l’intimé fait valoir que la procédure de visite domiciliaire était, en l’espèce, justifiée par le fait que la société de droit britannique AA AC Ltd est une filiale à 100 % de la société AA, que le siège social au Royaume-Uni de cette société a d’abord été fixé à une adresse regroupant de nombreuses sociétés (373) avant d’être transféré à une seconde adresse à laquelle une société spécialisée dans la domiciliation d’entreprises dispose de bureaux, qu’il peut être présumé, au vu des recherches effectuées, que le numéro de téléphone britannique de la société AA AC Ltd n’est pas utilisé dans le cadre des relations commerciales avec ses clients, que cette société ne dispose pas au Royaume-Uni des moyens matériels et humains suffisants pour déployer une activité conforme à son objet social, et que l’unique dirigeant de la société qui est également celui de la M, M. F X, lequel demeure en France, ce qui peut faire présumer que le siège de direction effectif de la société est situé en France.

En outre, l’intimé fait état de ce que la société AA AC Ltd est détenue à 100% par la SAS

AA, que M. X détient 94% du capital de la SAS AA, et donc que M. X détient indirectement la quasi-totalité la société de droit britannique. Il ajoute que l’ensemble des sociétés appelantes forment en réalité un groupe informel d’entreprises détenues directement ou indirectement par F X et G X, et qu’au sein de ce groupe la société AA AC Ltd réalise un chiffre d’affaires important en France (13'826'390 euros, source fichier TTC).

Il relève que les pièces produites laissent penser que cette société utilise des moyens de communication ainsi que des adresses électroniques situées en France et appartenant à des entités du groupe informel AA pour déployer ses activités en France, qu’elle dispose en France de son centre décisionnel, d’une importante clientèle, et qu’elle exerce ses activités professionnelles à partir des locaux de la SAS AA et de la SARL AA AB M au […], […].

Par ailleurs, la consultation de différents registres fait présumer que la société AA AC Ltd exerce en France une activité commerciale de mise à disposition de personnel qualifié au profit des entreprises intervenant dans les domaines du pétrole et de gaz, de l’environnement, des infrastructures et des mines, sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes, en omettant ainsi de passer les écritures comptables correspondantes.

L’intimé rappelle qu’aux termes de l’article L.16 B du Livre des procédures fiscales, l’autorité judiciaire peut autoriser l’administration à effectuer une visite domiciliaire lorsqu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement de l’impôt sur le revenu ou les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée, pour rechercher la preuve de ces agissements. La jurisprudence rappelant notamment que ce ne sont que des présomptions simples qui doivent être rapportées, les appelants ne sont pas recevables à remettre en cause le bien-fondé des présomptions retenues par le juge des libertés et de la détention.

Sur l’imprécision de l’ordonnance rendue, il conclut au rejet de l’argument dès lors qu’il est soutenu et qu’il résulte de présomptions que la société exerce une partie de son activité en France sans respecter ses obligations fiscales.

Sur le caractère massif de la saisie autorisée, il rappelle que cette problématique est étrangère à la validité de l’autorisation, ne concernant que le recours contre les opérations. Il relève, en tout état de cause, que l’administration est autorisée à saisir tous documents se rapportant aux agissements de la société pour la période non prescrite. Il ajoute qu’il appartient aux intéressés de produire les pièces contestées en expliquant pour chacune d’elles en quoi elles sont étrangères à l’autorisation donnée ou y contreviennent. Il précise que chaque pièce saisie a été compostée, ce qui permet de l’identifier. Il observe enfin que des pièces antérieures à la prescription peuvent être saisies dès lors qu’elles sont en relation avec des faits non prescrits.

Sur l’insuffisance du contrôle effectué par le juge des libertés et de la détention, il se fonde sur la jurisprudence de la Cour de Cassation et soutient que le juge, réputé rédacteur de l’ordonnance, a bien analysé les pièces qui lui étaient soumises.

Sur la proportionnalité de la mesure, il rappelle que les dispositions de l’article L 16B assure la conciliation entre les principes antagonistes que sont la liberté individuelle et la nécessaire lutte contre la fraude fiscale. Il rappelle que le contrôle du juge ne porte ni sur l’opportunité de la mesure, ni sur l’exigence d’une particulière gravité ou encore la mauvaise foi du contribuable.

Il prend note de ce que la société AA AC effectue une activité de portage administratif des consultants, ce qui renforce les présomptions retenues par le juge des libertés et de la détention à savoir que l’activité commerciale est exercée sur le territoire national (prestations à hauteur de 13'826'390 euros à destinations de clients français).

Enfin, l’intimé estime que les appelants ne peuvent invoquer le fait que le groupe AA se conformerait à ses obligations fiscales pour en conclure que tel serait également le cas de la société AA AC Ltd. De plus, c’est la société AA Consulting qui a fait l’objet d’un contrôle de sa comptabilité, non la société AA AC Ltd. Par ailleurs, la présente procédure est indépendante de celle ayant été introduite devant le juge de l’exécution par l’administration. Les motifs invoqués par le juge de l’exécution n’ont ainsi pas vocation à influer sur cette procédure puisque, si le juge a retenu que la société AA AC Ltd était domiciliée au Royaume-Uni, cela n’exclut nullement qu’elle puisse être imposée en France, notamment si elle dispose en France de son siège de direction effective ou du moins si elle y a un établissement stable.


Par déclaration déposée au greffe de la cour d’appel de Rennes le […] (RG n°'19/05185), les sociétés AA, AA Consulting, AA AC Ltd, AA AB M, L M, ainsi que M. F X, Mme H A épouse X, G X épouse Y et M. K Y ont formé un recours contre les opérations de visite et de saisies effectuées le 9 juillet 2019 à […], 2 ' […] et à Nantes, […].

Aux termes de leurs dernières écritures (12 décembre 2019), soutenues oralement lors de l’audience, ils demandent de :

— constater l’irrégularité de l’exécution des visites autorisées par l’ordonnance rendue le 8 juillet 2019 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nantes,

— prononcer par voie de conséquence l’annulation des saisies effectuées au sein des locaux et dépendances sis 2 ' […] utilisées par les sociétés AA, AA Consulting et AA AB M,

— interdire à l’administration d’opposer au contribuable les informations recueillies sur le fondement des objets et opérations ci-dessus mentionnés,

— ordonner la destruction de toute copie sous quelque forme que ce soit des documents dont la saisie est annulée, à charge pour l’administration de justifier de la destruction effective de ces documents à compter à compter de la signification de la décision à intervenir,

— dire et juger que passé ce délai, s’appliquera une astreinte de 2000 euros par jour de retard jusqu’à la signification effective de la destruction de ces documents,

— dire et juger que l’administration fiscale sera rétroactivement réputée ne jamais avoir détenu les pièces saisies,

— condamner l’État représenté par le Directeur Général des Finances Publiques à payer à chacun des appelants la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile

— condamner l’État aux entiers dépens.

Ils soulèvent, en premier lieu, l’irrégularité de la désignation des officiers de police judiciaire, l’un des chefs de service désigné, M. C, n’ayant pas eu faculté de délégation et les officiers de police judiciaire présent n’étant pas rattachés au service du commissaire Mimran auquel la faculté de délégation a été donnée.

Ils ajoutent que les saisies réalisées ont été globales, massives et indifférenciées, certaines pièces saisies remontant à 2009, que des pièces sans rapport avec le champ de l’ordonnance ont été saisies,

alors même que la loi précise que les recherches doivent viser les preuves directes de la fraude, que l’inventaire établi n’en est pas un puisqu’il ne permet pas de connaître le contenu des éléments saisis. Ils relèvent qu’a minima 129 courriers confidentiels d’avocats ont été saisis.

Ils soutiennent que le mode opératoire de saisie informatique n’apporte pas les garanties nécessaires concernant l’authenticité des fichiers saisis copiés et que les références du logiciel utilisé ne sont pas communiquées.

Le Directeur général des finances publiques demande, aux termes de ses écritures (29 novembre 2019), développées lors de l’audience, de :

— lui décerner acte de ce qu’il ne s’oppose pas à l’annulation des saisies du rappel du syndic et de l’impôt sur le revenu de M. X, à savoir les pièces compostées sous les numéros 16706 et 16732 à 16737,

— rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions,

— condamner les sociétés appelantes au payement de la somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner les appelantes en tous dépens.

S’agissant du déroulement des opérations, il précise que le commissaire divisionnaire Mimran, chef du service de police détaché auprès de la direction générale des douanes et droits indirects a désigné M. D et M. C, chef de l’antenne de police judiciaire de Nantes, le capitaine Daride et le brigadier chef Dutry, ce qui satisfait aux conditions prévues par l’article L 16B, la délégation des officiers de police judiciaire n’étant soumise à aucun formalisme.

Il rappelle que les pièces contestées doivent être versées aux débats en expliquant pour chacune d’elles les raisons qui s’opposaient à leur saisie.

Il précise que l’administration n’a pas à communiquer son protocole d’intervention et que l’inventaire n’est soumis à aucune forme particulière.

S’agissant du matériel, il fait valoir que l’argumentation soulevée ne repose sur aucun élément de nature à démontrer la dénaturation alléguée.

SUR CE :

Sur la jonction des procédures 19/05184 et 19/05185 :

Les recours contre, d’une part, l’ordonnance du 8 juillet 2019 autorisant l’administration à procéder à des visites domiciliaires et, d’autre part, contre les opérations de visite et de saisies ainsi autorisées effectuées le 9 juillet 2019 étant connexes, il convient de les joindre.

Sur le recours contre l’ordonnance du 8 juillet 2019 :

La recevabilité du recours n’est pas contestée et les éléments du dossier ne laissent pas apparaître d’irrégularité à cet égard. Le recours des sociétés AA, AA Consulting, AA AC Ltd, AA AB M et L M, de M. F X, Mme H A épouse X, Mme G X et de M. K Y sera donc déclaré recevable.

Dans sa requête au juge des libertés et de la détention, l’administration exposait que «'la société AA AC Ltd (était) présumée s’être soustraite et/ou se soustraire à l’établissement et au payement de l’impôt sur les sociétés et des taxes sur le chiffre d’affaires, en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures , ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptable dont la tenue est imposée par le code général des impôts'». Il était plus précisément évoqué que :

— la société AA AC Ltd ne disposait pas en Grande Bretagne des moyens techniques et humains de son activité sociale,

— la quasi totalité de son chiffre d’affaires était réalisée avec des clients établis en France,

— sa direction effective se trouvait en France.

Aux termes des dispositions de l’article L 16 B du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction applicable au présent litige, «'I. ' Lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l’administration des impôts, ayant au moins le grade d’inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support.

II… Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite… Le juge motive sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée… Il désigne le chef du service qui nomme l’officier de police judiciaire chargé d’assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement… L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite, à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal prévu au IV …'».

Il convient préalablement de rappeler que conformément à ces dispositions, le juge n’a pas à rechercher si les infractions de fraude sont d’ores et déjà caractérisées et leur preuve rapportée, points qui ressortent de la seule compétence du juge de l’impôt, mais doit, en revanche, s’assurer qu’il existe effectivement des éléments laissant présumer que la personne concernée se serait soustraite à ses obligations fiscales (déclaratives ou de payement) au titre, s’agissant d’une personne morale, de l’impôt sur les sociétés ou de la TVA, notamment en omettant sciemment de passer des écritures dans les documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts. La présomption que supposent ces dispositions est une présomption simple.

En revanche, et contrairement à ce que laissent entendre les requérants, le juge n’a aucune appréciation à porter sur l’opportunité de la visite dès lors qu’il relève l’existence de présomptions. L’argumentation développée de ce chef (mesure disproportionnée et inutile) est donc inopérante.

L’origine licite des pièces produites par l’administration à l’appui de sa requête ne fait, en l’espèce, l’objet d’aucune contestation (seule leur pertinence et leur caractère incomplet étant discutés), celles-ci résultant soit d’informations disponibles sur Internet, soit de l’exercice de droits de

communication, soit encore de la consultation de fichiers administratifs (TTC, compte fiscal des particuliers, compte fiscal des professionnels) ou d’attestations délivrées par des agents de la DGFIP.

Il sera enfin rappelé que cette procédure a été lancée dans un contexte particulier puisque la société AA Consulting venait de faire alors l’objet d’une procédure de vérification de comptabilité (11 septembre 2018 ' 29 janvier 2019).

1 ' sur la nullité de l’ordonnance du 8 juillet 2019 :

L’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant une visite domiciliaire doit, aux termes du texte précité, être motivée par l’indication des éléments de fait et de droit que le juge retient et qui lui laissent présumer l’existence des agissements frauduleux.

En l’espèce, l’ordonnance du 8 juillet 2019 satisfait à cette obligation ainsi qu’il résulte des sept pages de motifs (5 à 11) qu’elle contient, lesquels précisent clairement les différents éléments (cf. infra) que le juge a pris en compte pour délivrer son autorisation.

Dès lors, l’exception soulevée qui manque en fait et en droit doit être rejetée.

2 ' sur l’infirmation de l’ordonnance du 8 juillet 2019 :

À l’appui de sa requête, l’administration a remis au juge des libertés et de la détention un CD contenant les pièces sur lesquelles elle s’est appuyée. Ce disque nous a été transmis avec le dossier dès que l’appel a été interjeté ainsi qu’en dispose l’article L 16 B II («'Le greffe du tribunal de grande instance transmet sans délai le dossier de l’affaire au greffe de la cour d’appel où les parties peuvent le consulter'»). Abstraction faite des habilitations, l’onglet «'pièces jointes à la requête'» comporte 39 pièces et non les 40 énumérées dans la requête, la pièce n° 3 présentée ainsi en page 8 de la requête faisant défaut : «'pièce 3 : copie en cinq feuillets des documents édités le 17/05/2019 lors de la consultation du site Internet d’accès public http://www.AA.fr par Gaël Valour, contrôleur des finances publiques précité, relative au groupe AA. Document d’accès public'». Il ne ressort pas du dossier que cette pièce ait été réclamée par le juge. Il ne peut donc en être tenu compte (au demeurant son contenu est inconnu).

Ces 39 pièces sont les suivantes :

Sur ces 39 pièces, 16 (en italiques) ne concernent pas des faits ou des données permettant d’établir la présomption de fraude reprochée à la société AA AC Ltd, mais seulement l’environnement (parfois éloigné) familial, juridique ou économique du dossier.

Pour faire droit à la requête, le juge des libertés et de la détention a considéré que la conjonction des éléments suivants permettait de caractériser la présomption de fraude prévue par le texte précité :

— la société AA AC Ltd ne dispose pas en Grande Bretagne des moyens nécessaires à son activité (siège fixé dans des sociétés de domiciliation, pas ou peu de personnel, absence de moyens de communication),

— la société AA AC Ltd, filiale de la société française AA, fait partie du groupe informel AA basé en France dont le dirigeant, français, y est domicilié,

— le siège effectif de la société AA AC Ltd, qui exerce la même activité que la société AA Consulting, est situé en France où elle dispose des moyens techniques et humains des autres sociétés du groupe,

— la société AA AC Ltd réalise une part importante sinon l’essentiel de son chiffre d’affaires

en France.

Il convient d’examiner chacun des ces points à la lumière des pièces produites par l’administration à l’appui de sa demande et des éléments apportés par les requérants.

Le siège de la société AA AC Ltd a été successivement fixé à sa création, en 2009, à Londres, 1A Pope Street, SE13PH (cf. Certificate of Incorporation du 24 août 2009), puis, à compter d’une date inconnue (qui pourrait être le 2 mars 2012 d’après l’un des documents figurant sous la pièce 1.1 de l’administration, page 1/25 du document issu de la base de donnée Fame du Bureau Van Dijk), toujours à Londres, Unit 9C, Queens Yard White Post Lane et enfin à compter du 8 mai 2019 à […], […].

Les parties ne fournissent aucune précision sur le premier siège.

L’administration indique ' ce que le juge des libertés et de la détention a retenu ' que selon, la base de données Fame (pièce 1.2) de la société Bureau Van Dijk (https://fame.bvdinfo.com), 373 sociétés seraient domiciliées à l’adresse du second siège social, c’est à dire Unit 9C Queen’s Yard White Poste Lane London E95EN. En fait, il apparaît à la lecture de ce document que la recherche a été effectuée à partir du seul code postal «'E95EN'» lequel correspond à différentes adresses que l’on retrouve en examinant les coordonnées de chacune des sociétés ainsi répertoriées : […]; Unit 6 Queens Yard; […]; […]; Unit 9C; […]; […]; […]; Unit 8; […]; […]; […],… (pour n’en citer que quelques unes). La conclusion qu’en ont tiré l’administration et le juge (adresse d’une société de domiciliation et absence de siège réel) ne peut résulter de cette consultation qui procède d’une interrogation manifestement inadaptée et, par voie de conséquence, d’une réponse inappropriée.

L’administration a effectué une seconde recherche concernant ce siège de Londres sur la base de données Orbis de la même société Bureau Van Dijk (https://orbis.bvdinfo.com). Cette seconde recherche a permis de trouver à l’adresse Unit 9C, Queens Yard, White Post Lane, 43 sociétés (et non plus 373). Sur ces 43 sociétés, il convient de relever que, selon cette base de données, seules trois d’entre elles, AA AC Ltd, Ceo Worldwide Ltd et […], disposaient d’une ligne téléphonique propre (pour la société AA AC : 44 20-32860750). La base de données Dun & Bradstreet (https://solutions.dnb.com) également consultée par l’administration (pièce1.1) confirme ce numéro de téléphone, indique une adresse de messagerie contact@AA.co.uk, et précise que du personnel (un salarié) est présent à l’adresse répertoriée. L’administration indique (pièces 5.1 et 5.2) ' ce qui a également été retenu ' que les recherches effectuées sur les sites Yell.com et Infobel.com n’ont pas confirmé l’attribution de ce numéro de téléphone. Il sera toutefois observé que ces recherches ont été effectuées les 11 et 12 juin 2019 alors que la société AA AC Ltd avait déménagé, ayant quitté son siège de White Post Lane à Londres depuis le mois de mai précédent. Il s’ensuit qu’aucune conséquence pertinente ne peut en être tirée. Les éléments ainsi produits sont, à l’évidence, insuffisants pour établir que le siège de la société était fictif pour avoir été fixé dans une entreprise de domiciliation.

S’agissant du troisième siège social, situé dans les locaux de la société Regus à Crawley, le juge, se fondant sur la publicité trouvée par l’administration sur le site Internet www.regus.fr, a considéré qu’il s’agissait également d’une domiciliation (bureau virtuel). Cependant les pièces produites par les requérants et notamment le contrat signé le 9 avril 2019 (pièce n° 3) démontrent que la location contractée par la société AA AC Ltd porte sur des locaux pour deux salariés avec faculté de disposer ponctuellement de locaux supplémentaires (pièces 11 et 12). Le caractère fictif du siège, à compter du mois de mai 2019, ne peut donc résulter de cette seule pièce quand bien même aucune ligne téléphonique n’a été trouvée par l’intermédiaire du site Yell.com à la date du 11 juin 2019 (pièce 5.3).

Il a également été retenu que la société ne disposait pas en Angleterre du personnel nécessaire à son activité ce qui, pour l’administration et le juge des libertés, résulte, d’une part, des bases de données Dun & Bradstreet et Fame, déjà citées, et, d’autre part, des éléments communiqués par la société AA AC Ltd dans les bilans qu’elle a déposés au Companies House, organisme officiel équivalent au registre du commerce (pièce 1.1). En premier lieu, il convient d’observer que les données fournies par la base privée Dun & Bradstreet ne concernent que l’effectif au siège et que l’effectif total (1) n’est qu’une estimation, comme il est expressément indiqué, et que la base de données Fame n’a pas renseigné le champ effectif, éléments dont la société AA AC ne peut être tenue pour responsable, à la différence de ceux contenus dans ses propres bilans. Or, ceux-ci révèlent que la société disposait au 31 décembre 2016 d’un effectif de deux salariés et au 31 décembre 2017 d’un effectif de huit salariés (pièces 1.1). La société précise que son effectif était de 22 salariés au 31 décembre 2018 et de 25 au 30 juin 2019 (dont elle communique la liste avec un trombinoscope) dont une office manager, Mme N O, et une business manager, Mme P Q (pièce 17 des appelants), effectifs salariés complétés depuis la création de la société par des travailleurs libéraux en «'freelance'» (29 en 2013, 15 en 2017, 15 en 2019).

Pour soutenir que ces effectifs ne permettent pas à la société de faire face à son activité, l’administration relève que la société AA AC Ltd a notamment eu recours à un salarié de la société AA Consulting, M. R E, pour un chantier en Allemagne. Cependant, l’examen attentif des pièces 12.2, 13.1 à 13.4 de l’administration ne permet pas d’être aussi catégorique. En premier lieu et contrairement à ce qui est indiqué dans la requête, il ne ressort pas de la pièce 12.2 que M. E ait été en mission pendant 18 mois en Allemagne pour la construction d’une ligne à haute tension, mais seulement qu’une assistance technique d’une durée prévisible de dix huit mois a été commandée. En second lieu, il résulte des pièces produites que si M. E, domicilié à Martigues, a été employé par la société AA Consulting comme salarié du 4 juillet au 22 novembre 2016 et du 16 septembre au 22 décembre 2017, les pièces afférentes à son emploi en Allemagne, par la société anglaise, ne concernent que les seuls mois de février et d’avril 2017 («'time sheet'»), c’est à dire des mois durant lesquels il n’était, a priori, pas salarié de la société AA Consulting (pièces 13.1 à 13.4), étant ajouté que la feuille du mois de mars 2017 fait état d’un autre salarié, M. S T et que celles des mois d’août et septembre 2017, d’un troisième qui n’a pas indiqué son nom mais dont la signature est différente… (les seules fiches fournies concernant ces cinq mois).

Ainsi, l’insuffisance des moyens humains de la société AA AC Ltd en Grande Bretagne pour exercer son activité ne résulte pas des pièces produites.

S’agissant des moyens informatiques, si la société AA AC Ltd dispose d’une adresse de messagerie en Angleterre (contact@AA.co.uk), la base de donnée Dun & Bradstreet précise que le site web de la société est www.AA.fr qui est celui de la société française.

Le nom de domaine de l’adresse de messagerie AA.co.uk a été enregistré par l’intermédiaire de la société française Gandi à la demande de M. F X de l'organisation AA, […] (droit de communication Gandi pièce 4.2). Les connexions au compte propriétaire ont été effectuées depuis une adresse IP (185.96.157.76) située à […]). Ce nom de domaine a été renouvelé pour trois ans le 16 mars 2018, moyennant le prix de 128,38 euros payé par carte bancaire via l’adresse IP10.200.92.13 (pièce 4.3). Aucune recherche n’a toutefois été effectuée quant à la carte bancaire grâce à laquelle le payement a été réalisé (bien que la société Gandi ait fourni à l’administration les renseignements nécessaires pour effectuer cette recherche) ni pour localiser l’adresse IP par le truchement duquel la somme a été payée.

Les requérants font valoir s’agissant du site web qu’il est commun à l’ensemble du groupe et qu’il existe deux interfaces l’une en français (www.AA.fr) et l’autre en anglais (www.AA.com).

En fait, la circonstance tirée de ce que le nom de domaine soit la propriété de M. X fondateur du groupe (et gérant de la société anglaise) et ait été enregistré par le truchement d’une

société française n’est en rien déterminant.

Concernant l’activité de la société AA AC Ltd, l’administration prétend que «'la quasi intégralité de son chiffre d’affaires a été réalisée avec des clients établis en France et appartenant au groupe informel AA'» (requête page 6) et produit, pour en rapporter la preuve, une synthèse des extractions du fichier informatisé TTC avec la France (Traitement de la TVA Intracommunautaire) ' pièce 8 ' et des documents issus d’un droit de communication effectué auprès de la société Aluminium Dunkerque (pièce 11).

Là encore, les pièces produites n’emportent pas la conviction. En effet, rien ne démontre que la société AA AC Ltd réalise la totalité (voire seulement la majorité) de son chiffre d’affaires en France et que celui-ci puisse être déterminé à partir d’une extraction partielle des seuls échanges intracommunautaires effectués avec la France. Si en cinq ans et demi (du 1er janvier 2014 au 17 mai 2019), les prestations et livraisons réalisées avec des clients établis en France (soit 11 clients en cinq ans et demi) se sont élevées à la somme de 13'826'390 euros (dont 4'286'879 euros avec la société AA et 7'647'046 euros avec la société AA Consulting, soit 11'933'925 euros au sein du groupe, point sur lequel se sont expliqués les appelants) ' en moyenne 2'500'000 euros par an ', ces chiffres n’ont d’intérêt, pour connaître le lieu d’exercice des activités de la société objet de suspicion de fraude, que rapportés au chiffre d’affaires global de la société pendant la même période, s’agissant ' ce qui était parfaitement connu de l’administration ' d’une entreprise dont l’objet était d’intervenir sur les marchés internationaux (et a minima à celui réalisé avec les clients de l’ensemble des pays européens). Or, aucune de ces données pourtant essentielles afin d’apprécier la réalité du marché de la société AA AC Ltd et si, comme il est prétendu, le chiffre d’affaire de cette société a été réalisé en France, n’a été communiquée au juge par l’administration. Il sera, à cet égard, rappelé que les appelants justifient de marchés conclus hors de France et notamment en Afrique (pièce n° 21).

Dans ce contexte, le fait que la société AA AC Ltd ait facturé en 2018 et 2019 une somme globale de 411'968 euros à la société Aluminium France Dunkerque (l’une des onze sociétés avec laquelle elle a commercé en France) n’est pas pertinent, la circonstance tirée du fait qu’une filiale britannique d’une société française ait conclu un marché avec une société française exécuté sur un site se trouvant en France ne suffisant à établir la présomption alléguée et la soumettre à l’impôt dans ce pays.

Seuls subsistent donc deux éléments, une activité similaire à celle de l’autre filiale (française) de la société AA et la nationalité de la société mère et du dirigeant.

Il est exact que les sociétés AA Consulting et AA AC Ltd, toutes deux filiales de la société AA, aient des activités similaires. Pour autant, cette circonstance n’est pas déterminante, les requérants expliquant que l’une exerce son activité en France et la seconde à l’international, raison pour laquelle elle a été implantée à Londres ce qui lui permettrait d’accéder plus aisément à ce marché, analyse qui ne fait l’objet d’aucune discussion.

Enfin, il n’est pas contestable que la société AA AC Ltd fait partie du groupe ' non pas informel (comme exposé) mais structuré ' AA lequel s’est constitué au fil du temps et dont l’organisation est la suivante : une société M, la Sarl AA AB M dont le siège est à […] (44), détenue à 94 % par M. X et à 6 % par son épouse, une filiale à 99,9 %, la SAS AA laquelle détient à 51 % la SAS AA Consulting dont le siège est à Paris et à 100 % la société britannique AA AC Ltd.

Il est également établi que M. F X, domicilié à Nantes, est le gérant de la société AA AB M et de sa sous-filiale, la société AA AC Ltd.

Il sera, à ce stade, précisé que le fait, pour une société étrangère, d’être détenue par une société française et dont le gérant est domicilié en France ne suffit, en l’absence d’autres éléments, à

présumer que son centre décisionnel se trouve en France et donc à caractériser la fraude prévue par l’article L 16B dès lors que son dirigeant se rend régulièrement au siège de la société (en l’occurrence il s’y trouvait ainsi qu’il en justifie au jour de la visite domiciliaire) et qu’elle y a du personnel permanent, en l’espèce, deux personnes au siège, une office manager et une business manager.

Il s’ensuit que les éléments produits par l’administration et retenus par le juge dans son ordonnance ne permettent pas de présumer la fraude alléguée. C’est, en conséquence, à tort que le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nantes a fait droit à la requête et son ordonnance doit donc être infirmée.

Sur les visites domiciliaires et les conséquences de l’annulation :

Les visites domiciliaires effectuées le 9 juillet 2019 à […] et Nantes étant privées de base légale, celles-ci ne peuvent qu’être annulées.

En conséquence de cette annulation, il sera fait interdiction à l’administration de faire usage des pièces et documents qui ont été, à cette occasion, saisies lesquels devront être détruits.

Le prononcé d’une astreinte n’est pas nécessaire.

Il n’y a lieu de statuer sur la régularité des opérations de visite dès lors qu’elles ont été annulées.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L’Etat pris en la personne du Directeur général des finances publiques supportera la charge des dépens.

Il devra verser à ses adversaires, unis d’intérêt, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par ordonnance rendue publiquement et contradictoirement :

Vu l’article L 16B du livre des procédures fiscales :

Ordonnons la jonction des procédures enrôlées sous les n° 19/05184 et 19/05185.

Déclarons recevable le recours des sociétés AA, AA Consulting, AA AC Ltd, AA AB M, L M, ainsi que de M. F X, Mme H A épouse X, Mme G X épouse Y et M. K Y

Rejetons la demande de nullité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention de tribunal de grande instance de Nantes en date du 8 juillet 2019.

Infirmons l’ordonnance du juge des libertés et de la détention de tribunal de grande instance de Nantes en date du 8 juillet 2019.

Statuant à nouveau :

Déboutons le Directeur général des finances publiques de sa requête.

Annulons, en conséquence, les opérations de visites et de saisies effectuées le 9 juillet 2019 en exécution de l’ordonnance précitées à […], 2-[…], et Nantes, […]

Ronsard.

Faisons interdiction à l’administration de faire quelqu’usage que ce soit des pièces et documents saisis lors de ces opérations et en ordonnons la destruction.

Rejetons le surplus des demandes.

Condamnons l’Etat pris en la personne du Directeur général des finances publiques aux dépens.

Le condamnons à verser aux sociétés AA, AA Consulting, AA AC Ltd, AA AB M, L M, ainsi qu’à M. F X, Mme H A épouse X, Mme G X épouse Y et M. K Y, unis d’intérêts, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel de Rennes, Recours fiscaux, 8 décembre 2020, n° 19/05184