Cour d'appel de Rouen, Chambre civile 02, 20 juillet 1994

  • Caractère demesure des pretentions initiales des demandeurs·
  • Frais irrepetibles à la charge de chacune des parties·
  • Action en contrefaçon et en concurrence déloyale·
  • Trois modèles non invoques en premiere instance·
  • Reproduction des caracteristiques essentielles·
  • Anteriorite des modèles argues de contrefaçon·
  • Article 564 nouveau code de procédure civile·
  • Article 700 nouveau code de procédure civile·
  • Dépôt INPI à l'exception du modèle no 7 214·
  • Fait distinct des actes de contrefaçon

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. civ. 02, 20 juill. 1994
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Publication : PIBD 1994 578 III 618
Domaine propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 912943
Classification internationale des dessins et modèles : CL06-01;CL06-04
Référence INPI : D19940053
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

FAITS ET PROCEDURE Les sociétés INTERIOR’S et MADY S sont toutes deux spécialisées dans la fabrication et la commercialisation de meubles en pin ciré massif de style campagnard anglais Victorien, connus sous les marques « INTERIOR’S » pour la première, « SOFTWAY » pour la seconde. A la fin de l’année 1992, la société INTERIOR’S et son président – M. Jean-Michel L – ont reproché à la société MADY SEVRES la copie de plusieurs meubles de leur catalogue, constitutive selon leur opinion de :

- contrefaçon, en raison de l’atteinte portée à leurs droits de propriété intellectuelle, tant au titre du droit d’auteur que des dispositions applicables en matière de dessins et modèles déposés ;

- concurrence déloyale, eu égard au caractère massif des emprunts qu’ils lui reprochent. Dans un premier temps, la société INTERIOR’S et M. L, invoquant la copie de vingt huit modèles, ont sollicité du juge des référés une mesure d’interdiction provisoire et une provision à valoir sur dommages et intérêts. Ces demandes ont été rejetées par ordonnance du 13 janvier 1993, motif pris notamment d’une contestation sérieuse. Dans un second temps, soit le 9 février 1993, la société INTERIOR’S et M. L ont fait assigner la société MADY SEVRES au fond devant le Tribunal de Commerce de FECAMP, qui a statué par jugement du 3 novembre suivant. A cette occasion, le Tribunal a notamment retenu :

- sur la contrefaçon, l’antériorité apparente des modèles INTERIOR’S par rapport à ceux de MADY S, mais que : le style général anglais appartient incontestablement au domaine public ; qu’en conséquence personne ne peut se l’approprier ; les modèles de la collection INTERIOR’S, bien que présentant un caractère particulier ne peuvent être considérés comme des créations nouvelles et originales, par rapport au style général anglais en pin massif ciré ; malgré les ressemblances entre les meubles des deux collections et même si les meubles de la société MADY SEVRES semblent s’inspirer de celle d’INTERIOR’S, il ne s’agit pas d’une copie servile puisque les meubles incriminés présentent des différences certaines, plus ou moins marquées, tant techniques qu’esthétiques ;

- sur la concurrence déloyale, les collections de meubles sont présentées sous des marques différentes et ne prêtant pas à confusion et

le fait de fabriquer et de commercialiser une forme de meubles semblables inspirés du même style appartenant au domaine public ne saurait constituer un acte de concurrence déloyale. Il a, en conséquence : Débouté la société INTERIOR’S et M. L de toutes leurs demandes et les a condamnés à payer à la SARL MADY SEVRES la somme de 3 000 F, sur le fondement de l’article 700 NCPC. Appelants de cette décision – après avoir été autorisés à assigner leur adversaire à jour fixe – la société INTERIOR’S et M. L soutiennent qu’ils sont fondés à se prévaloir tout à la fois de la protection au titre du droit d’auteur et au titre des dessins et modèles. En effet, les meubles de leur catalogue auraient été créés avant le 1er juin 1986 et compteraient parmi les 91 modèles que la société INTERIOR’S aurait déposés le 21 mai 1991 à l’Institut National de la Propriété Industrielle (I.N.P.I.). Contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal – ajoutent-ils – l’appartenance à un style ne saurait priver leurs modèles de protection si ces derniers présentent des caractéristiques essentielles leur conférant un caractère de nouveauté. Or, tel serait en l’espèce le cas. La contrefaçon serait constituée par la reproduction des caractéristiques essentielles d’au moins neuf de leurs modèles. Indépendamment du préjudice patrimonial de la société INTERIOR’S, il y aurait lieu de tenir compte du préjudice moral personnel à M. L, créateur de deux de ces derniers A la contrefaçon s’ajouteraient des agissements de concurrence déloyale compte tenu de la reproduction massive de la gamme des meubles de la société INTERIOR’S. Il appartiendrait, en conséquence, à la Cour de : … constater que les modèles de meubles référencés sous les n° 310, 320, 350, 370, 439, 525, 630 et 636 dans le catalogue de la société MADY SEVRES reproduisent les caractéristiques essentielles des modèles de meubles référencés sous les n° 3101, 7115, 71125, 3201, 7214, 1709, 6213, 5252 et 5253 enregistrés sous le numéro 91 2943 dans les catalogues de la société INTERIOR’S, et en conséquence de : Condamner la société MADY SEVRES à payer à M. L la somme de 30 000 F. de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la contrefaçon de deux des meubles en cause ; Condamner la société MADY SEVRES à payer à la société INTERIOR’S 1 000 000 F. HT (sic) à titre de dommages et intérêts ou à défaut, 250 000 F. à titre provisionnel et désigner tel expert qu’il plaire à la Cour ;

Faire interdiction à la société MADY SEVRES, sous astreinte de 3 000 F. par infraction constatée de fabriquer et commercialiser les modèles argués de contrefaçon. Ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans deux revues professionnelles au choix d’INTERIOR’S et aux frais de MADY S dans la limite d’une somme de 30 000 F. ; Condamner la société MADY SEVRES à payer la somme de 40 000 F. au titre de l’article 700 NCPC. Pour la société MADY SEVRES, qui aurait pris en 1987 la suite de l’entreprise personnelle de son gérant, M. F, ébéniste de formation, force serait de constater que les appelants modifient complétement leurs prétentions en cause d’appel, circonstance établissant déjà le peu de sérieux de l’action qu’ils ont engagée. Ainsi, ne se prévaudraient-ils plus que de 9 meubles, au lieu des 29 initialement invoqués. Encore y aurait-il lieu d’observer que trois d’entre-eux (référencés sous les n° 6213, 5252 et 5253) n’auraient pas figuré parmi ceux revendiqués en première instance. Serait également nouvelle l’allégation par M. L – qui n’aurait précédemment formulé aucune demande à titre personnel – d’un préjudice moral venant s’ajouter au prétendu préjudice patrimonial de la société INTERIOR’S. Curieusement, ce dernier se trouverait d’ailleurs multiplié par cinq en cause d’appel, là où la diminution du nombre des modèles invoqués aurait normalement du se traduire par une réduction des quatre cinquièmes. En réalité, la société MADY SEVRES aurait l’antériorité sur la production de la société INTERIOR’S, comme l’établieraient les factures et catalogues de M. F dont le fonds lui a été apporté. La création de ses articles remonterait à 1983, là où la société INTERIOR’S n’invoquerait que des créations remontant à 1986. Sur le terrain de l’originalité, la société INTERIOR’S confondrait « caractère particulier de sa collection et style général inhérent aux meubles de style anglais en pin massif ciré », style qu’elle tenterait de s’approprier alors qu’il appartient au domaine public. L’ouvrage de référence en la matière, dont s’inspireraient tous les professionnels du secteur, serait le MILLER’S GUIDE. Sa consultation – et plus particulièrement celle de ses pages 71, 76, 77 et 105 – établirait que les ressemblances alléguées existeraient également avec les meubles anciens originaux. Il serait manifeste qu’il ne pourrait y avoir ni contrefaçon, ni concurrence déloyale, dans des similitudes liées à des emprunts à un style commun ou à des exigences fonctionnelles standard. L’action engagée serait manifestement abusive. Il appartiendrait donc à la Cour de :

Recevoir M. L et la société INTERIOR’S en leur appel, exception faite en ce qu’ils présentent des demandes nouvelles en cause d’appel, mais au fond les y déclarer mal fondés, En conséquence, confirmer le jugement querellé, Toutefois, y ajoutant : Condamner M. L et la société INTERIOR’S à payer à la société MADY SEVRES une somme de 20 000 francs à titre de dommages et intérêts, Condamner M. L et la société INTERIOR’S à payer à la société MADY SEVRES la somme de 20 000 francs en application de l’article 700 du NCPC. Postérieurement à cet échange, les parties ont déposé de nouvelles conclusions pour :

- la société INTERIOR’S, le 31 mai 1994, réfuter l’argumentation de la société MADY SEVRES et demander notamment que soient écartées des débats les pièces dont se prévaut cette dernière, et qu’elle n’y aurait versées que le 30 mai 1994 ;

- la société MADY SEVRES, le 1er juin 1994, réfuter à son tour l’argumentation de l’appelante et s’opposer au rejet sollicité qui ne serait en rien justifié.

DECISION I – SUR LA DETERMINATION DES MODELES EN LITIGE Attendu qu’en cause d’appel, la société INTERIOR’S et M. L ramènent de vingt huit à neuf, le nombre des modèles qu’ils reprochent à société MADY SEVRES d’avoir contrefaits ; Qu’ils reconnaissent expressément qu’en première instance, « dans leur hâte à faire cesser le plus rapidement possible les actes litigieux… ils ont cité 29 meubles dont 20 ne pouvaient être invoqués au titre de la contrefaçon » ; Qu’ils demandent à titre principal à la Cour de constater "que les modèles de meubles référencés sous les n° 310, 320, 350, 370, 439, 525, 630 et 636 dans le catalogue de la société MADY SEVRES reproduisent les caractéristiques essentielles des modèles de meubles référencés sous les n° 3101, 7115, 71125, 3201, 7214, 1709, 6213, 5252 et 5253 enregistrés sous le numéro 91 2943 dans les catalogues de la société INTERIOR’S ; "

Attendu qu’en l’état de cette demande – telle que formulée – la clarté de l’exposé commande en premier lieu de procéder à diverses mises au point et corrections dont la Cour aurait pu être utilement dispensée ; Qu’il importe en effet de préciser que :

- l’enregistrement présenté comme effectué « sous le numéro 91 2943 dans les catalogues de la société INTERIOR’S » est étranger auxdits catalogues ; ce numéro est celui sous lequel cette société a obtenu l’enregistrement par l’I.N.P.I. du dépôt de 91 dessins et modèles, auquel elle a procédé le 21 mai 1991 ;

- ce dépôt, contrairement aux affirmations des appelants, ne s’est pas étendu au modèle de meuble présenté comme référencé sous le numéro 7214 (lit de bébé) et parfois également désigné sous le numéro 7412 au gré des pièces versées aux débats (cf. : assignation ; derniers catalogues de la société INTERIOR’S ; attestations relatives aux conditions dans lesquelles il a été créé) ;

- s’agissant du meuble référencé sous le n° 3101 (armoire « une porte »), la Cour s’en tiendra au modèle tel que reproduit dans les catalogues de la société INTERIOR’S et dans le dépôt fait à l’I.N.P.I. (réf. : 0300090-37) ; elle restera indifférente au dérapage des appelants pour tenter d’y substituer, soit dans le corps de leurs écritures (p. 5 de leurs conclusions du 13 janvier 1994), soit dans le montage photographique versé aux débats (pièce n° 19.2 – « comparatif établi entre les modèles invoqués et les modèles litigieux »), un autre modèle de meuble – encore que très proche – référencé sous le numéro 3103 ;

- les modèles présentés comme référencés sous les n° 7115 et 71125 doivent s’entendre des modèles n° 7015 et 7125, ainsi que confirment les développements figurant par ailleurs dans les écritures des appelants, de même que la rectification à laquelle la société MADY SEVRES a spontanément procédé (cf. : conclusions en réponse du 11 mai 1994 ; p. 3) ; Que ce n’est d’ailleurs qu’après s’être assurée que l’ensemble de ces circonstances n’avait eu pour effet de priver la société MADY SEVRES d’aucun moyen de défense, que la Cour n’a pas ordonné la réouverture des débats ; Attendu qu’ainsi que l’observe la société MADY SEVRES, il apparait en second lieu que les modèles présentés comme référencés sous les numéros 6213, 5252 et 5253 n’ont pas été invoqués devant les premiers juges ; Qu’en vain les appelants soutiennent-ils qu’ils correspondraient à des modèles alors « référencés sous un numéro inexact » que l’intimée aurait pu rectifier d’elle-même ; Qu’en effet, ils ne donnent aucune précision permettant d’accréditer leur affirmation sur ce point ; que rien ne permet, surtout compte tenu du nombre des meubles ayant pu se trouver initialement concernés, d’en confirmer le bien fondé ;

Que les prétentions de la société INTERIOR’S et de M. L afférentes aux trois modèles de meubles précités (6213, 5252 et 5253) seront donc écartées comme constitutives de demandes nouvelles, irrecevables pour la première fois en cause d’appel, ainsi que prévu à l’article 564 du NCPC ; II – SUR LES PRINCIPES APPLICABLES EN MATIERE DE CONTREFAÇON DE MODELES Attendu qu’il est de règle que le créateur d’un modèle industriel, ou son ayant cause, peut
- alternativement ou cumulativement selon son intérêt – se prévaloir des droits de propriété intellectuelle attachés :

- sans formalité, « du seul fait de sa création » à « toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination », sous la seule condition qu’elles soient originales (loi du 11 mars 1957 reprise dans les articles L 111-1 du Code de la Propriété Industrielle) ;

- sous réserve de son dépôt à l’I.N.P.I., à « tout dessin, à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle » (loi du 14 juillet 1909 reprise dans les articles L 411-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle) ; Que notamment, la reproduction ou représentation d’un tel modèle sans l’autorisation du créateur ou de son ayant cause, constitue une contrefaçon ; Attendu qu’à l’exception de l’un d’eux (référence 7214), tous les modèles de meubles invoqués par la société INTERIOR’S et M. L ont fait l’objet d’un dépôt enregistré à l’I.N.P.I. le 21 mai 1991 et régulièrement publié le 30 août suivant ; Que le contentieux entre les parties porte au premier chef sur le point de savoir :

- si ces modèles répondent aux conditions d’originalité ou de nouveauté prescrites, selon le cas, pour pouvoir être le siège de droits de propriété intellectuelle et,
- dans l’affirmative, s’il y a lieu de considérer que les modèles de la société MADY SEVRES, auxquels ils sont opposés, doivent être considérés comme constitutifs de contrefaçon ; Qu’en effet, sous ces réserves, la société MADY SEVRES ne conteste, ni les conditions dans lesquelles auraient été créés les modèles et par là même les droits dévolus ou transmis à la société INTERIOR’S, ni la matérialité des actes de fabrication et de commercialisation qui lui sont reprochés ; qu’elles sont d’ailleurs largement établie par les pièces versées aux débats ;

Attendu que, contrairement à ce que semble supposer la société MADY SEVRES, tout droit de propriété intellectuelle – et par là même toute possibilité de contrefaçon – ne sauraient être de plano écartés, du seul fait que les modèles de meuble en litige se rattachent à un même style ; Qu’en effet, il peut y avoir création originale ou nouvelle dans la combinaison d’éléments ou de caractéristiques connues ; Que le bien fondé des prétentions des appelants doit donc s’effectuer, non pas seulement en énonçant des considérations générales – comme s’y complait la société MADY SEVRES – mais concrètement, modèle par modèle, à la lumière de l’ensemble des circonstances particulières à l’espèce, et notamment des pièces versées aux débats ; Attendu qu’il sera tout au plus observé, sur ce dernier point, que :

- la société INTERIOR’S et M. L justifient, notamment par des tarifs, attestations et catalogues, qu’exception faite du modèle n° 1709 créé en 1988 les modèles dont ils se prévalent remontent au moins à 1986, circonstance que semble d’ailleurs admettre la société MADY SEVRES ;

- la société MADY SEVRES, en revanche, n’établit nullement que ses propres modèles remonteraient à une date antérieure, les pièces qu’elle produit à cet effet – et auxquelles il est significatif de relever qu’elle renvoi sans aucune précision – étant postérieures, sans date certaine ou ne concernant pas les modèles en litige ;

- en réalité, la seule pièce qu’elle fournit, susceptible d’être de quelque utilité, est le « MILLER’S GUIDE » traitant des meubles de style campagnard anglais du siècle dernier, dont les appelants ne contestent pas qu’il est le principal ouvrage de référence des professionnels de leur secteur ;

- rien ne justifierait que cette pièce soit écartée des débats, comme le demandent les appelants, alors que la société MADY SEVRES la leur oppose depuis le début du contentieux, l’a précédemment communiquée et a satisfait à leur sommation de communiquer – au demeurant limitée à une seule page – le 27 mai 1994, soit dans des délais suffisants, eu égard aux contraintes liées à la procédure à jour fixe qu’ils ont initiée et au fait qu’ils ont encore déposé des conclusions trois jours après ; III – SUR LA CONTREFAÇON ALLEGUEE DU MODELE 3101 (ARMOIRE « UNE PORTE SHIELD ») Attendu que l’armoire « une porte », concernée par ce modèle (référence 0300090-37 dans le dépôt enregistré à l’I.N.P.I.), apparaît comme s’inscrivant dans le style des meubles analogues du siècle dernier, tels que révélés par le MILLER’S GUIDE (p. 75 à 77) ; Qu’elle se rapproche plus particulièrement de la « danish prine wardrobe » représentée en page 76 : corniche surmontée d’un scroll, porte avec panneau central apparemment sans

plate bande, surmontant un tiroir de même largeur ; mêmes proportions de la porte et des montants latéraux ; Qu’elle ne s’en distingue pas moins sur plusieurs points, confèrant à l’ensemble qu’elle constitue une physionomie propre et originale ; Attendu que figurent parmi les différences diverses variantes portant sur des éléments précis, tels que : dessin du scroll, motif de la corniche, découpe du haut de la moulure intérieure de la porte, découpe de la plinthe ; Que, toutefois, la physionomie propre et originale de ce modèle d’armoire résulte essentiellement des :

- proportions d’ensemble des trois principales parties superposés dont le meuble donne l’apparence d’être composé, et à l’intérieur desquelles prennent place en façade, de bas en haut : un tiroir, la porte, la corniche ;

- conditions dans lesquelles la séparation de ces trois parties est soulignée par une moulure rapportée se continuant sur les côtés, formés par ailleurs de panneaux glace ;

- proportions et répartition, à l’intérieur de ces mêmes trois parties, entre tiroir, porte et corniche, d’une part, montants latéraux et horizontaux, d’autre part ; Attendu qu’il apparaît que ces caractéristiques essentielles sont reproduites de façon quasi identique dans le modèle d’armoire « une porte » (réf. 310) de la société MADY SEVRES ; Que cette reproduction donne aux deux meubles un même aspect d’ensemble :

- que ne suffisent pas à faire disparaître quelques variantes de détail, telles que : forme du scroll et de la corniche, découpe de la plinthe, moulures rapportées sur les montants latéraux de la porte ;

- qui ne tient nullement à des impératifs de standardisation ou fonctionnels, comme l’évoque sans autre précision la société MADY SEVRES dans ses écritures ; Que la contrefaçon est donc constituée ; IV – SUR LA CONTREFAÇON ALLEGUEE DU MODELE N° 3201 (ARMOIRE DEUX PORTES) Attendu que l’armoire correspondant à ce modèle (référence 0300089-36 et n° 0300092- 39 dans le dépôt enregistré à l’I.N.P.I.) et le modèle d’armoire (réf. 320) de la société MADY SEVRES appellent des observations largement analogues à celles précédemment formulées ;

Qu’en effet, les deux modèles en litige ne sont que les variantes « deux portes » des modèles précédemment analysés ; que ce qui fait la physionomie propre et originale du modèle de la société INTERIOR’S se retrouve quasiment à l’identique dans le modèle de la société MADY SEVRES Que la contrefaçon est donc ici encore constituée ; V – SUR LA CONTREFAÇON ALLEGUE DU MODELE N° 7015 ET 7125 (LIT CHAPEAU DE GENDARME) Attendu que ce modèle de lit, avec ses variantes « une » et « deux places » (référence n° 0299981-72 et 0299985-76 dans le dépôt enregistré par l’I.N.P.I.) reprend à l’évidence certains éléments de meubles de cette catégorie reproduits dans le MILLER’S GUIDE (p. 71) ; Que l’on peut notamment le rapprocher du « scandinavian pine extending bed », encore que seulement pour la tête de lit en forme de chapeau de gendarme ; les larges panneaux constituant la tête et le pied de lit ; les quatre piliers de coin ; Qu’il ne s’en distingue pas moins très largement sur une série de points conférant à l’ensemble qu’il constitue une physionomie propre et originale : proportions des tête et pied de lit ; panneau central flottant glace, sans plate bande ; petite moulure très légère autour de ces panneaux, de proportions semblables ; motif tourné surmontant chaque poteau de coin ; motif de la partie supérieure du pied et de la tête de lit ; Attendu qu’à l’évidence, la société MADY SEVRES est allée au delà d’un simple emprunt à un style ; qu’en effet, son modèle n° 350 (seul critiqué) reproduit quasiment à l’identique les caractéristiques essentielles précitées, sans que cette circonstance puisse sérieusement s’expliquer par des impératifs de standardisation ou fonctionnels ; Que cette reproduction confère aux deux modèles un même aspect d’ensemble que ne suffisent pas à écarter quelques très légères modifications portant notamment sur la découpe des pans de côté et la forme des motifs tournés surmontant les poteaux de coins ; Que la contrefaçon est constituée ; VI – SUR LE MODELE N° 7214 (LIT DE BEBE « COEUR ») Attendu que ce modèle, qui n’a pas été déposé, s’apparente par le caractère massif de ses inévitables éléments (têtes, pieds, panneaux latéraux) aux berceaux de style campagnard anglais révélés par le MILLER’S GUIDE ; Qu’il s’en distingue cependant par plusieurs particularités qui se combinent pour donner à l’ensemble une physionomie propre et originale tenant notamment à la découpe :

— évocatrice d’un coeur, tout à la fois du haut du panneau de tête de lit, et du haut et du bas du panneau de pied de lit ;

- directement en forme de coeur, pratiquée au milieu de la partie supérieure du panneau de tête de lit ; Attendu que force est cependant de constater que le modèle de lit de bébé de la société MADY SEVRES (ref. : 370), s’il procède sans doute du même style par le caractère massif de ses éléments, se distingue nettement du modèle de la société INTERIOR’S sur divers points lui conférant une physionomie propre ; Qu’en effet, tous ses éléments sont différents : forme conique et non droite des tête et pied de lit ; découpe de leur sommet en forme de nuage et non de coeur ; bas de caisse droits ; pans latéraux plus hauts et différemment découpés ; Qu’en réalité, le seul élément commun consiste dans un découpage en forme de coeur, à l’intérieur du panneau formant tête de lit dans le modèle de la société INTERIOR’S, à l’intérieur de ce même panneau et de celui formant pied de lit dans le modèle de la société MADY SEVRES ; Que cette seule circonstance ne saurait toutefois être retenue ; qu’en effet, elle correspond à un élément de décoration banal, surtout pour un lit de bébé ; qu’en outre elle répond à des préoccupations d’ordre fonctionnel portant sur la possibilité d’appréhender le lit avec deux doigts afin de le déplacer plus aisément ; Que la contrefaçon n’est donc pas réalisée ; VII – SUR LA CONTREFAÇON ALLEGUEE DU MODELE N° 1709 (COMMODE MERCERIE 9 TIROIRS) Attendu que la commode correspondant à ce modèle (référencé sous le numéro 0300087- 11 dans le dépôt enregistré à l’I.N.P.I.) s’inscrit dans une catégorie de meubles très courants dans le style campagnard anglais, et dont le MILLER’S GUIDE présente de nombreuses variantes ; Que toutefois, elle se distingue de toutes ces variantes non seulement par le nombre de tiroirs – qui ne saurait à lui seul fonder un droit privatif – mais surtout par une agencement caractéristique en dégradé de ces derniers lui conférant une physionomie propre et originale ; Attendu qu’il apparait qu’ici encore, la société MADY SEVRES ne s’est pas contentée de s’inspirer d’un style ; que l’on retrouve dans son modèle (réf. : n° 439) les mème caractéristiques essentielles reprises quasiment à l’identique ; Que les quelques différences de détail ne font pas disparaître la quasi identité d’aspect ; qu’il en va notamment ainsi du dessus de meuble constitué d’un simple plateau pour l’un,

d’un plateau dont le fond est surmonté d’un élément découpé pour l’autre ; des plinthes droites non découpées pour l’un ; découpées pour l’autre ; Que la contrefaçon est donc constituée ; VIII – SUR LE PREJUDICE ET LES REPARATIONS Attendu qu’en fabriquant et commercialisant les modèles de meuble référencés dans ses catalogues sous les numéros 310, 320, 350, et 439, la société MADY SEVRES a porté atteinte aux droits que la société INTERIOR’S tient, sur ses modèles référencés dans ses propres catalogues sous les n° 3101, 3201, 7015, 7125 et 1709 :

- de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, dont les dispositions ont été reprises aux articles L 111-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ;

- de la loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles, dont les dispositions ont été reprises aux articles L411-1 du même Code ; Que s’agissant de ces dernières dispositions, il sera tout au plus relevé que l’atteinte n’est constituée que pour la période postérieure à la publication du dépôt enregistré à l’I.N.P.I le 21 mai 1991, les appelants ne justifiant nullement de sa notification antérieure ; Attendu que cette atteinte permet à la société INTERIOR’S de prétendre à :

- une juste indemnisation du préjudice qu’elle a subi, et sur la liquidation de laquelle il sera sursis à statuer jusqu’à l’exécution de la mesure d’instruction prévue au dispositif ;

- le prononcé, pour l’avenir, d’une mesure d’interdiction assortie d’une astreinte ; Qu’au égard aux circonstances particulières à l’espèce, il s’agit là de mesures de réparation et de remise en état suffisantes ; que les publications par ailleurs sollicitées ne s’imposent donc pas ; Attendu que la fabrication et la commercialisation par la société MADY SEVRES d’un meuble constituant une contrefaçon du modèle n° 1709, se sont accompagnés d’une atteinte à l’intégrité de ce dernier et par là même au droit moral resté acquis à son créateur M. L ; Que les prétentions qu’il formule de ce chef ne sont nullement constitutives d’une demande nouvelle, irrecevable pour la première fois en cause d’appel, comme tente de le soutenir la société MADY SEVRES ; Qu’en effet, elles étaient manifestement incluses dans la demande globale d’indemnisation que la société INTERIOR’S et M. L avaient formée devant les premiers juges, alors surtout que ce dernier – cessionnaire de ses droits patrimoniaux – ne pouvait agir à un autre titre ;

Qu’à défaut pour M. L de justifier d’un préjudice supérieur, il lui sera alloué de ce chef une somme de 1 franc à titre de dommages intérêts ; Attendu qu’aucun fait distinct de la contrefaçon n’est en l’espèce établi ; que notamment, la société INTERIOR’S – qui indique dans ses publicités fabriquer et commercialiser plus de cent modèles de meuble différents – ne justifie pas du caractère massif de leur copie ; Qu’elle sera donc déboutée de ses demandes formées du chef de la concurrence déloyale ; IX – SUR LES AUTRES DEMANDES Attendu que la société MADY SEVRES, qui succombe, doit supporter les dépens ; Qu’eu égard aux particularités du présent dossier, tenant notamment au caractère démesuré des prétentions initiales des appelants ayant eu pour effet de compliquer inutilement la défense de la société MADY SEVRES ainsi que ses frais, il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu’elles ont exposés ; Qu’elles seront donc déboutées de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du NCPC ; SUR CE, LA COUR Reçoit en leur appel la société INTERIOR’S et M. L, Infirme le jugement du Tribunal de Commerce de FECAMP du 3 novembre 1993, sauf en ce qu’il a débouté la société INTERIOR’S de ses demandes formées :

- du chef de la contrefaçon de ses modèles de meubles, autres que ceux référencés dans ses catalogues sous les n° 3101, 3201, 7015, 7125 et 1709,
- du chef de la concurrence déloyale ; Statuant à nouveau, Dit que la société MADY SEVRES, en fabriquant et commercialisant les modèles de meuble référencés dans ses propres catalogues sous les numéros 310, 320, 350, et 439, a contrefait les modèles référencés dans les catalogues de la société MADY SEVRES sous les n° 3101, 3201, 7015, 7125 et 1709, Enjoint à la société MADY SEVRES de cesser la fabrication et la commercialisation desdits modèles, sous astreinte de 1 000 francs par infraction constatée passé un délai de six semaines à compter de la signification du présent arrêt, Avant dire droit sur les demandes de la société INTERIOR’S du chef de son préjudice,

Désigne en qualité d’expert : Monsieur Philippe G expert en propriété industrielle agréé par la Cour de Cassation 6, place Denfert Rochereau 75 014 PARIS avec pour mission, après avoir réuni les parties et s’être fait remettre toutes pièces utiles, de :

- réunir tous éléments permettant à la Cour d’apprécier le préjudice subi par la société INTERIOR’S du fait de la contrefaçon de ses modèles,
- donner son avis sur le montant de sa préjudice et plus généralement sur tout point susceptible de faciliter la solution du litige, Dit que l’expert devra déposer son rapport au greffe de la Cour d’Appel de ROUEN dans le délai de six mois à compter de la consignation ordonnée ci-après, sauf prorogation sur demande justifiée par les difficultés faisant obstacle à l’accomplissement de sa mission, Dit qu’en cas d’empêchement ou de refus de l’expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête, Dit que l’expertise sera exécutée sous le contrôle de M. le Conseiller DRAGNE, Dit qu’une provision de DIX MILLE FRANCS (10 000 francs) à valoir sur la rémunération de l’expert devra être consignée entre les mains du Régisseur d’avances et Recettes de la COUR D’APPEL DE ROUEN dans un délai d’un mois à compter de ce jour par la société INTERIOR’S. Dit n’y avoir lieu aux publications sollicitées, Dit que la société MADY SEVRES doit payer à M. L une somme de 1 franc pour l’atteinte portée à son droit moral, Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du NCPC, Laisse à la charge de la société MADY SEVRES les dépens de première instance et d’appel ; dit que ceux d’appel pourront être recouvrés par la SCP COLIN VOINCHET RADIGUET, avoués, dans les conditions prévues à l’article 699 du NCPC.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Rouen, Chambre civile 02, 20 juillet 1994