Affaire du Poussin, Cour d'appel de Versailles, 7 janvier 1987

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 7 janv. 1987
Juridiction : Cour d'appel de Versailles

Texte intégral

Considérant qu’il est constant et non dénié que les époux Saint-Arroman, propriétaires d’un tableau, ont décidé en 1968 de s’en séparer, ayant besoin d’argent à la suite de la mutation professionnelle du mari de province à Paris; qu’ils sont allés trouver Me Rheims, commissaire-priseur, pour lui confier la vente aux enchères publiques de ce tableau; que M. Lebel, expert de l’officier public, a conclu qu’il s’agissait d’une œuvre anonyme de l’Ecole des Carrache qui représentait une valeur de 1 500 F; que le tableau, mis en vente sous cette attribu­tion, a été adjugé au prix de 2 200 F le 21 février 1968 ; que quelque temps après, le Musée du Louvre, auquel le tableau avait été affecté à la suite de l’exercice par l’Administration de son droit de préemption, a exposé le tableau comme une œuvre de Nicolas Poussin; qu’en 1969, la revue du Musée du Louvre a publié, sous la signature du conservateur Rosenberg, un article intitulé « Un nouveau Poussin au Louvre », dans lequel se trouvaient énoncées les raisons de cette attribution confir­mée par l’avis unanime d’experts tant français qu’étrangers; que c’est dans ces conditions que les époux Saint-Arroman, invoquant l’erreur qu’ils avaient commise sur l’attribution de leur tableau et précisant à cette occasion qu’une tradition fami­liale ancienne désignait N. Poussin comme auteur de l’œuvre, ont engagé en 1971 la présente instance; que depuis, l’attribution faite par le Musée du Louvre a été l’objet d’une controverse, certains experts contestant que l’œuvre ait été peinte par Nicolas Poussin ; Considérant que le ministre de la Culture, qui souligne que la vérité sur l’attribution exacte du tableau qui seule permettrait de caractériser avec certitude l’existence d’une erreur, est à ce jour inaccessible à raison tant de l’état de délabrement du tableau, agrandi, réentoilé et surtout repeint à 60 p. 100 de sa sur­face, que des avis contradictoires des plus éminents spécialistes et de façon plus générale de l’état de la science en la matière, fait valoir que Mme Saint-Arroman, laquelle fonde sa demande en nullité sur l’erreur subjective résidant dans le fait d’avoir aliéné un tableau qui pourrait être un Poussin alors qu’elle et son mari croyaient vendre une œuvre qui ne pouvait être de ce peintre, ne prouve ni que son mari et elle aient eu une réelle conviction quant à l’origine du tableau, soit une opinion se caractérisant par son degré de certitude et non par simple doute, même sérieux, ni qu’ils aient été convaincus de l’impossibilité d’attribuer le tableau à Nicolas Poussin; qu’elle ne prouve pas davantage que les mandataires, notamment M. Lebel, en attribuant le tableau à l’École des Carrache, attribution prudente compte tenu notamment de l’état du tableau, aient délibérément et sans ambiguïté exclu la possibilité d’une attribution à Poussin, exclusion qui seule aurait pu engen­drer la conviction alléguée; qu’il ajoute qu’en présence d’avis diamétralement opposés des experts, dont certains excluent la possibilité d’une attribution à Pous­sin, la preuve de l’erreur n’est pas rapportée et qu’au surplus, l’erreur invoquée ne porte nullement sur les qualités substantielles de la chose vendue, qu’en l’espèce, on ignore (son attribution), mais seulement sur l’opinion que certains peuvent avoir desdites qualités, soit une conception de l’erreur qui n’est pas admissible comme permettant l’annulation d’un contrat de vente d’une œuvre d’art sur la simple pro­duction de certains avis, même non unanimes; qu’à la vérité, l’erreur porterait sur la valeur, laquelle si elle était établie, pourrait justifier la mise en cause de la res­ponsabilité des mandataires constitués par les vendeurs mais certainement pas l’annulation de la vente intervenue; qu’enfin, il prétend que Mme Saint-Arroman ne pouvant indiquer précisément sous quelle attribution précise elle aurait vendu le tableau, il n’est pas prouvé en l’espèce une erreur déterminante, et qu’ainsi l’erreur alléguée est due à la propre négligence des vendeurs dont la carence ne saurait être une cause de nullité de la vente ; Considérant que la Réunion des Musées natio­naux, appelante, soutient, d’une part, qu’il est démontré par les écritures mêmes des époux Saint-Arroman, contrairement à la motivation du jugement dont appel, qu’ils avaient bien un motif sérieux de penser que l’œuvre était un Poussin et que dès lors, ou bien ils ont fait part à leurs mandataires des informations qu’ils possé­daient et alors on comprend qu’ils aient demandé la condamnation de ceux-ci à les indemniser, ou bien, comme le soutiennent les commissaires-priseurs et l’expert, ils ont gardé le silence et l’on devrait alors considérer cette attitude étrange comme constitutive d’une faute inexcusable de leur part d’autre part, qu’il n’est pas exact, comme l’a énoncé le tribunal, que l’Administration avait parfaitement connu grâce à la grande supériorité de sa compétence technique l’erreur sur la substance commise par ses cocontractants, et qu’en serait-il ainsi, cela n’aurait aucune influence sur l’existence de l’erreur , enfin que l’absence de vérité objective sur l’auteur du tableau litigieux est confirmée par les divergences persistantes entre spécialistes et qu’en outre, il est exclu que la décision de préemption de la Réunion des Musées nationaux ait pour les vendeurs une influence quelconque sur le résul­tat de l’adjudication;
Sur la demande dirigée contre la Réunion des Musées nationaux et le ministre de la Culture : Considérant qu’en matière de ventes publiques d’œuvres d’art sur catalogue contenant certification d’expert, l’attribution de l’œuvre constitue tant pour le vendeur que pour l’acheteur une qualité substantielle de la chose vendue; que la conviction du vendeur quant à cette attribution s’apprécie en fonc­tion des indications mentionnées sur le catalogue de la vente où figure la définition qu’il donne des caractéristiques substantielles et de la nature véritable de l’objet qu’il aliène; qu’en l’espèce, le tableau vendu le 21 février 1968 était décrit dans le catalogue : "Carrache (École des), Bacchanale. Toile agrandie; haut. 1,03 m, larg. 0,89 m" ; que dans cette description qui fixe ainsi la nature de la chose, objet du contrat, ne figure aucune allusion à l’existence d’une possible attribution de l’œuvre à Nicolas Poussin, voire même à son école, à son style ou à sa manière, alors qu’il est pourtant d’usage, lorsqu’une incertitude subsiste sur la paternité d’une œuvre d’art, d’employer des formules telles que « signé de… attribué à… école de… style… genre… manière… »; qu’en l’absence de telles mentions, la seule indication « Ecole des Carrache » à laquelle il n’est pas contesté que Nicolas Poussin n’a jamais appartenu, est exclusive d’une attribution à ce dernier et ne laisse subsister aucun aléa; qu’ainsi la preuve est administrée que les vendeurs, lorsqu’ils ont contracté, avaient la conviction que le tableau n’était pas de Nicolas Poussin et l’unique certitude qu’il devait être attribué à l’École des Carrache; Considérant qu’il importe peu que les époux Saint-Arroman aient reconnu dans leurs écritures qu’une tradition familiale ancienne attribuait l’œuvre litigieuse à Nicolas Poussin, dès lors que, d’une part, seule leur conviction au moment de la vente doit être prise en considération; que, d’autre part, il ne peut être imputé à faute aux profanes qu’ils étaient de s’être rangés à l’opinion péremptoire émise par M. Lebel, expert réputé, et entérinée par Me Rheims, commissaire-priseur de grand renom, et de s’être laissés convaincre que leur tradition familiale était erronée et que l’œuvre ne pouvait être de Nicolas Poussin; Considérant que l’affirmation du commissaire-priseur et de l’expert selon laquelle les époux Saint-Arroman leur auraient tu cette tradition familiale ne saurait être tenue pour vraie comme prouvée; qu’émanant de parties intéressées à la solution du litige, elle est purement gratuite et n’est étayée par aucun élément, que de plus, il est sans vraisemblance que les époux Saint-Arroman, vendeurs au meilleur prix de leur tableau n’aient pas fait connaître à leurs mandataires l’attribution qu’en faisait leur tradition familiale, comme il est tout à fait improbable que les professionnels avisés qu’étaient ceux-ci ne les aient pas interrogés sur la connaissance qu’ils pouvaient avoir de l’auteur de l’œuvre qu’ils leur présentaient à la vente; que le moyen tiré de la faute inexcusa­ble commise par les époux Saint-Arroman pour n’avoir pas révélé à Me Rheims et M. Lebel ce qu’ils savaient de l’auteur de leur tableau manque en fait; Considé­rant que si l’incertitude demeure sur l’authenticité de l’attribution du tableau au peintre Nicolas Poussin, en l’état d’avis aussi péremptoires que contradictoires d’experts éminents, et si la cour, en l’absence de preuves décisives, ne peut tran­cher sur ce point, ce partage des experts ne saurait cependant conduire à admettre, comme le soutient le ministre de la Culture, que l’erreur des époux Saint-Arroman ne serait pas admissible comme portant sur l’opinion que certains font de l’attribu­tion et non point sur l’attribution elle-même; qu’en effet, ce partage, en ne permet­tant pas, précisément, d’exclure que l’œuvre soit « un authentique Poussin », justifie la prétention de Mme Saint-Arroman excipant de l’erreur ayant consisté pour elle et son mari à vendre le tableau dans la conviction erronée qu’il ne pouvait absolument pas s’agir d’une œuvre de ce peintre, d’autant que dans le même temps selon ce que révèlent les éléments de la cause, la Réunion des Musées nationaux, lorsqu’elle a exercé son droit de préemption sur l’œuvre, avait, sinon la certitude qu’il s’agissait d’un tableau de Nicolas Poussin, du moins la conviction que son origine était différente de celle mentionnée au catalogue; qu’on ne s’expliquerait pas, s’il en avait été autrement, pourquoi elle avait, selon ses propres écritures, été autorisée à préempter dans la limite de 40 000 F somme de plus de 25 fois supé­rieure à l’estimation de 1 500 F faite par l’expert M. Lebel; qu’en outre, quinze jours après la vente, un article de Jacques Thuillier, spécialiste de Poussin, présen­tait le tableau comme une œuvre de Poussin découverte par la jeune équipe de la conservation du Louvre, opinion que la Réunion des Musées nationaux avait parta­gée en première instance puis abandonnée en cause d’appel pour les besoins de sa propre cause; Considérant que, vainement, pour s’opposer à l’action de Mme Saint-Arroman, le ministre de la Culture objecte que l’erreur invoquée par celle-ci serait en fait une erreur sur la valeur et qu’elle ne saurait dès lors entraîner la nullité de la vente, la lésion n’étant pas une cause de rescision en matière de vente mobilière; qu’il convient, en effet, de distinguer entre l’erreur monétaire, qui procède d’une appréciation économique erronée effectuée à partir de données exactes, et l’erreur sur la valeur qualitative de la chose, qui n’est, comme en l’espèce, que la conséquence d’une erreur sur une qualité substantielle, l’erreur devant en ce cas être retenue en tant qu’erreur sur la substance; Considérant que sans qu’il soit nécessaire de suivre autrement les parties dans le détail de leur argu­mentation, il convient de retenir que les époux Saint-Arroman, en croyant qu’ils vendaient une toile de l’Ecole des Carrache, de médiocre notoriété, soit dans la conviction erronée qu’il ne pouvait s’agir d’une œuvre de Nicolas Poussin, alors qu’il n’est pas exclu qu’elle ait pour auteur ce peintre, ont fait une erreur portant sur la qualité substantielle de la chose aliénée et déterminante de leur consentement qu’ils n’auraient pas donné s’ils avaient connu la réalité; qu’il y a lieu en consé­quence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la nullité de la vente du 21 février 1968 sur le fondement de l’article 1110 du Code civil, et, y ajoutant, d’ordonner la restitution du tableau à Mme Saint-Arroman et de donner acte à celle-ci de son engagement de restituer le prix perçu soit la somme de 2 200 F;
Sur la demande dirigée contre MM. Rheims et Laurin et contre les consorts Lebel : Considérant qu’en raison de son caractère subsidiaire, il n’y a point lieu de statuer sur la demande de Mme Saint-Arroman dirigée contre MM. Rheims et Laurin et les héritiers Lebel; Par ces motifs, vu l’arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 1983; statuant publiquement en audience solennelle et contradic- toirement; confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris; y ajoutant : en étend les effets au ministre de la Culture; ordonne la restitution du tableau litigieux à Mme Saint-Arroman; donne acte à Mme Saint-Arroman de son engagement de restituer le prix de vente perçu, soit la somme de 2 200 F; dit n’y avoir lieu de sta­tuer sur la demande subsidiaire dirigée par Mme Saint-Arroman à l’encontre de MM. Rheims et Laurin et des héritiers de M. Lebel.

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