CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 4 avril 2017, 15BX00324, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 2e ch. - formation à 3, 4 avr. 2017, n° 15BX00324
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 15BX00324
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Toulouse, 3 décembre 2014
Identifiant Légifrance : CETATEXT000034403349

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Mme B… D… a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui payer une indemnité de 287 840 euros en réparation des préjudices imputables à ses vaccinations.

Par un jugement du 4 décembre 2014, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande et a mis les frais d’expertise à la charge de l’ONIAM.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 février 2015 et 26 février 2016, Mme D…, représentée par Me C…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 4 décembre 2014 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu’il a rejeté sa demande indemnitaire ;

2°) de condamner l’ONIAM à lui payer une indemnité de 287 840 euros assortie des intérêts légaux, eux-mêmes capitalisés, et la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – en sa qualité d’aide soignante au centre hospitalier de Montauban, établissement figurant sur la liste fixée par arrêté interministériel du 15 mars 1991, elle a dû se soumettre aux vaccinations obligatoires contre l’hépatite B les 14 septembre et 27 octobre 1994 et 3 mai 1995, par injections d’Engerix 1994 et Havrix 1440 contenant un adjuvant aluminique ; la vaccination contre l’hépatite A était recommandée depuis 1992 pour les personnes à risques ;

 – il y a lieu de faire prévaloir le doute scientifique pour retenir l’imputabilité juridique ; en l’espèce, l’expert désigné par le tribunal a reconnu en 2006 l’existence de deux cadres pathologiques, l’épithéliopathie en plaques et la fibromyalgie ; deux experts ont retenu l’existence d’un lien de causalité avec les vaccinations ; plusieurs experts ont posé le diagnostic de myofasciite à macrophages ; le neurologue a indiqué qu’une biopsie réalisée à plus de 20 mm du site d’injection pourrait rester négative et précisé que la négativité du bilan biologique est classique dans la myofasciite à macrophages ; un expert a indiqué qu’en dépit d’un délai d’apparition assez lointain, un lien de causalité doit être retenu eu égard à des phénomènes d’hypersensibilité retardée ; le neurologue admet un délai pouvant aller jusqu’à huit ans ; les données scientifiques ont évolué ; la responsabilité sans faute de l’Etat est engagée sur le fondement de l’article L. 3111-9 du code de la santé publique ;

 – elle peut prétendre aux montants respectifs de 7 840 euros au titre de son IPP ophtalmologique de 7 % et de 287 840 euros au titre de l’IPP de 80 % correspondant à son état général.

Par un mémoire, enregistré le 14 avril 2015, la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), gestionnaire de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), représentée par Me E…, demande à la cour de condamner l’Etat à lui payer une indemnité de 304 164,46 euros correspondant au capital représentatif de ses débours au 1er août 2011 et la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 24 janvier 2016, l’ONIAM, représenté par Me A…, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la CDC.

Il fait valoir que :

 – si la vaccination contre l’hépatite B était obligatoire, tel n’est pas le cas pour la vaccination contre l’hépatite A, simplement recommandée depuis 1992 pour les populations à risques ; il y a lieu, en l’espèce, de s’assurer de l’existence d’un lien de causalité avec la seule vaccination contre l’hépatite B ;

 – la relation causale doit être établie avec certitude et être scientifiquement admise dès lors qu’aucune autre cause ne vient interférer ; eu égard au délai de quatre ans entre la dernière vaccination contre l’hépatite B et l’apparition des premiers signes d’une épithéliopathie en plaques en mai 1999, la causalité n’est pas établie ; aucun lien de causalité n’est admis en l’état des connaissances scientifiques entre la fibromyalgie et l’hépatite B ; la myofasciite à macrophages, entité histologique et non une maladie, n’est évoquée que par un certificat médical du 16 février 2011 ; en 2004, le conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a estimé que l’état actuel des connaissances ne permettait pas de retenir l’existence d’un lien entre l’entité histologique de myofasciite à macrophage et un syndrome clinique spécifique ; la jurisprudence n’admet un lien de causalité qu’en cas de lésions musculaires de myofasciite à macrophage à l’emplacement des injections ; en tout état de cause, le délai d’apparition des premiers signes cliniques est beaucoup trop long ; le vaccin contre l’hépatite A est une autre cause possible.

Par une ordonnance du 25 janvier 2016, la clôture de l’instruction a été fixée en dernier lieu au 4 mars 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code de la santé publique ;

 – le code de la sécurité sociale ;

 – l’ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau,

 – et les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aide-soignante au centre hospitalier de Montauban, Mme D… a été vaccinée, d’une part, contre l’hépatite B les 14 septembre 1994 et 27 octobre 1994, puis le 3 mai 1995, d’autre part, contre l’hépatite A le 11 avril 1997. Elle a présenté en mai 1999 un syndrome grippal, une fièvre et des douleurs articulaires et musculaires intenses associés à une épithéliopathie en plaques de l’oeil droit avec chute de l’acuité visuelle ainsi qu’à un érythème noueux. La santé de Mme D…, qui souffre de douleurs invalidantes, de fatigue chronique et de dépression, s’est détériorée. Elle a été reconnue inapte à l’exercice de ses fonctions au titre d’une infirmité imputable au service lui ouvrant droit à une pension d’invalidité assortie d’une rente viagère d’invalidité, puis admise à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er mars 2011. Mme D… a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, qui a ordonné deux expertises, déposées les 24 septembre 2006 et 10 novembre 2009. Elle a ensuite présenté une demande indemnitaire dirigée contre l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) sur le fondement de l’article L. 3111-9 du code de la santé publique. Par un jugement du 4 décembre 2014, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande et les conclusions présentées par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), gestionnaire de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, tendant au remboursement de ses débours, puis a mis les frais d’expertise, liquidés et taxés à 1 140 euros, à la charge de l’ONIAM. Mme D… relève appel de ce jugement en tant qu’il a rejeté sa demande indemnitaire et la CDC sollicite le remboursement des débours, d’un montant de 304 164,46 euros, exposés pour le compte de son assurée jusqu’au 1er août 2011.

2. L’article L. 3111-9 du code de la santé publique prévoit que « sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre est assurée par l’ Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l’article L.1142-22 au titre de la solidarité nationale ». En vertu des dispositions de l’article L. 10 du même code, dans sa rédaction en vigueur du 18 janvier 1991 au 22 juin 2000, devenu l’article L. 3111-4, toute personne qui, dans un établissement de prévention ou de soins, exerce une activité professionnelle l’exposant à des risques de contamination doit être immunisée, notamment, contre l’hépatite B.

3. Il est constant que les vaccins injectés à Mme D… contenaient de l’hydroxyde d’aluminium. Dans le dernier état des connaissances scientifiques, l’existence d’un lien de causalité entre une vaccination contenant un adjuvant aluminique et la combinaison de symptômes constitués notamment par une fatigue chronique, des douleurs articulaires et musculaires et des troubles cognitifs n’est pas exclue et revêt une probabilité suffisante pour que ce lien puisse, sous certaines conditions, être regardé comme établi. Tel est le cas lorsque la personne vaccinée, présentant des lésions musculaires de myofasciite à macrophages à l’emplacement des injections, est atteinte de tels symptômes, soit que ces symptômes sont apparus postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d’affection, soit, si certains de ces symptômes préexistaient, qu’ils se sont aggravés à un rythme et avec une ampleur qui n’étaient pas prévisibles au vu de l’état de santé antérieur à la vaccination, et qu’il ne ressort pas des expertises versées au dossier que les symptômes pourraient résulter d’une autre cause que la vaccination.

4. En septembre 1997, environ quatre mois après l’injection du vaccin contre l’hépatite A, Mme D… a été hospitalisée pour une importante fièvre et des douleurs de la fosse lombaire droite et de l’hypocondre qui, selon l’expert, sont restés inexpliquées après infirmation des hypothèses de pyélonéphrite, d’infection digestive ou de pleuroparenchymateuse pulmonaire. En ce qui concerne l’hépatite B, certains auteurs admettent un délai d’apparition des premiers signes cliniques de myofasciite à macrophages de trois jours à huit ans et plusieurs experts ont conclu à l’imputabilité « aux vaccinations anti-hépatite B, puis anti-hépatite A ». Une scintigraphie pratiquée en juillet 2001 a révélé « une fixation relativement intense homogène et symétrique des masses musculaires, en particulier au niveau des membres inférieurs avec une nette délimitation de la frontière entre le muscle et l’espace adipeux sous-cutané de la région pelvienne ». Si la biopsie pratiquée en 2001, qui n’a pas révélé de lésions musculaires de myofasciite à macrophages à l’emplacement des injections, n’a pas permis de confirmer ce diagnostic, l’expert mandaté en août 2007 par l’employeur de Mme D… a précisé qu’une biopsie réalisée à plus de 20 millimètres du site d’injection pouvait rester négative. Toutefois, le délai d’apparition entre les premiers symptômes, en septembre 1997, et la dernière injection du vaccin contre l’hépatite B pratiquée le 3 mai 1995 est à tout le moins de deux ans et cinq mois. En dépit des controverses sur ce point au sein de la communauté scientifique, relatives notamment à la présence de lésions musculaires de myofasciite à macrophages à l’emplacement des injections et aux délais d’apparition des premiers signes cliniques pour lesquels certains experts évoquent des « phénomènes d’hypersensibilité retardée », dans les circonstances de l’affaire, aucun élément invoqué ne permet d’établir le lien de causalité avec la vaccination en cause.

5. En ce qui concerne la vaccination contre l’hépatite A, les signes cliniques restés inexpliqués relevés au point 4, ayant justifié une hospitalisation en septembre 1997, environ quatre mois après l’injection du vaccin, l’épithélopathie en plaques et la combinaison de symptômes constitués de fatigue chronique, de douleurs articulaires et musculaires et de troubles cognitifs peuvent raisonnablement être imputée à une vaccination contenant un adjuvant aluminique, même en l’absence de lésions musculaires de myofasciite à macrophages à l’emplacement des injections. Toutefois, si la requérante fait valoir qu’en sa qualité d’aide-soignante au centre hospitalier de Montauban, elle a dû « se soumettre » à la vaccination contre l’hépatite A, alors préconisée pour les personnes à risques, il résulte des dispositions, citées au point 2, de l’article L. 10 du code de la santé publique en vigueur à la date du 11 avril 1997 à laquelle Mme D… a été vaccinée contre l’hépatite A, que cette vaccination n’était pas obligatoire pour les agents des établissements hospitaliers. Ses conséquences dommageables ne peuvent donc être réparées au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L. 3111-9 du code de la santé publique.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence et en tout état de cause, les conclusions présentées par la CDC tendant au remboursement de ses débours ne peuvent être accueillies.

7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’ONIAM, qui n’est pas la partie perdante, soit condamné à payer à Mme D… et à la CDC les sommes qu’elles réclament au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

DECIDE :


Article 1er : La requête de Mme D… et les conclusions de la Caisse des dépôts et consignations sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B… D…, à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la Caisse des Dépôts et Consignations, à la caisse primaire d’assurance maladie de Tarn-et-Garonne et au centre hospitalier de Montauban.

Délibéré après l’audience du 7 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Gil Cornevaux, président assesseur,
Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 avril 2017.

Le rapporteur,

Marie-Thérèse Lacau Le président,

Elisabeth Jayat Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 15BX00324

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CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 4 avril 2017, 15BX00324, Inédit au recueil Lebon