CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 4 avril 2017, 15BX01326, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 2e ch. - formation à 3, 4 avr. 2017, n° 15BX01326
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 15BX01326
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Pau, 4 février 2015, N° 1301478
Identifiant Légifrance : CETATEXT000034403380

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E… C…, Mme I… C… et M. F… C… ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner in solidum le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Landes et le centre hospitalier de Mont-de-Marsan à leur verser une indemnité totale de 120 000 euros en réparation des préjudices subis à raison des conditions de prise en charge de leur mère, le 9 février 2012, et de condamner le centre hospitalier de Dax à leur verser une indemnité totale de 30 000 euros au titre de leur préjudice moral respectif, à raison des conditions de survenance du décès de leur mère dans cet établissement, le 12 mars 2012.

Par un jugement n° 1301478 en date du 5 février 2015, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 avril 2015, et des mémoires complémentaires enregistrés le 3 août 2015 et le 31 août 2015, Mme E… C…, Mme I… C… et M. F… C…, représentés, par la SCP d’avocats Moriceau-Dubois-Merle, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’annuler le jugement du 5 février 2015 ;

2°) de condamner in solidum le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Landes et le centre hospitalier de Mont-de-Marsan à leur verser une indemnité totale de 120 000 euros en réparation des préjudices subis à raison des conditions de prise en charge de leur mère, le 9 février 2012, cette somme devant être assortie des intérêts au taux légal à compter de leur réclamation préalable ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Dax à leur verser une indemnité totale de 30 000 euros au titre de leur préjudice moral respectif, à raison des conditions de survenance du décès de leur mère dans cet établissement, le 12 mars 2012, cette somme devant être assortie des intérêts au taux légal à compter de leur réclamation préalable ;

4°) à titre subsidiaire, de condamner l’ONIAM à leur verser la somme totale

de 120 000 euros au titre de la solidarité nationale ;

5°) de mettre à la charge des défendeurs le paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

Sur la prise en charge par le SDIS des Landes et le centre hospitalier de Mont-de-Marsan :

 – Nicole C… a été mise en position allongée lors de sa prise en charge par le SDIS alors qu’elle devait être maintenue en position assise conformément aux consignes du SAMU ;

 – le SDIS a commis une faute, lors de son transport, en ne lui administrant pas d’oxygène pendant le trajet entre son domicile et les urgences du centre hospitalier de Dax, comme l’attestent les bandes sonores de la communication avec le SAMU et la fiche d’admission ;

 – le service d’aide médicale urgente (SAMU), rattaché au centre hospitalier de Mont-de-Marsan est également fautif dès lors que l’appel initial ne s’est pas accompagné d’un acte de régulation médicale et qu’aucun médecin n’a été engagé lors de l’intervention des pompiers sur place ;

 – la prise en charge ne répond pas aux bonnes pratiques de la régulation médicale compte tenu de l’état de détresse respiratoire de Nicole C…;

 – le tribunal a fondé son raisonnement sur des éléments incertains voire faux, dès lors qu’aucun médecin régulateur n’est intervenu ;

 – le SDIS des Landes n’apporte pas la preuve d’une oxygénation continue pendant toute la durée du transport ;

 – la perte de chance réside dans ce manquement du SDIS et dans le fait que le centre hospitalier de Mont-de-Marsan n’a pas procédé à la médicalisation de sa prise en charge par le SAMU ;

 – Nicole C… présentait un état de santé satisfaisant avant son hospitalisation ;

 – ces négligences fautives sont à l’origine d’une perte de chance d’amélioration de son état de santé et d’éviter la survenance de l’issue fatale, que l’expert évalue à 50 % ;

 – cependant, ses préjudices devront être intégralement réparés dès lors qu’elle aurait certainement survécu, en l’absence de ces fautes ;

 – ils sont fondés, à ce titre, à demander l’indemnisation du préjudice de l’intéressée consistant en la douleur morale qu’elle a éprouvée du fait de la conscience d’une espérance de vie réduite en raison des négligences commises par le SDIS des Landes et le centre hospitalier de Mont-de-Marsan et la réparation des souffrances physiques qu’elle a endurées ainsi que l’indemnisation de leurs propres préjudices d’affection respectifs ;

Sur l’application du protocole LATA :

 – le centre hospitalier de Dax a également commis une faute dans la prise en charge de leur mère dès lors qu’ont été méconnues les conditions de mise en oeuvre du dispositif légal de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives (LATA) et qu’il n’a pas été tenu compte de leur opposition à ce processus ; M. F… C… n’a jamais donné son accord à l’arrêt des soins ; aucun médecin référent n’a été désigné ; la volonté de la patiente n’a pas été recherchée ; il n’y a pas eu d’argumentation formalisée et consignée dans le dossier médical, ni de notification claire de la décision de LATA ; le cadre légal, le code de déontologie médicale et les recommandations de la société de réanimation de langue françaises n’ont pas été respectés ;

 – ils sont, par suite, fondés à demander l’indemnisation de leur préjudice moral respectif résultant des manquements commis par les personnels du centre hospitalier de Dax, au cours de ce processus de LATA ;

Sur la responsabilité de l’ONIAM :

 – les conditions d’engagement de la solidarité nationale sont réunies.

Par un mémoire enregistré le 22 mai 2015, la caisse primaire d’assurance maladie des Landes conclut à sa mise hors de cause.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 juillet et 9 septembre 2015, le service départemental d’incendie et de secours des Landes, représenté par Me G…, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge solidaire et conjointe des consorts C… de la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

 – la victime a bien été placée sous oxygène dès sa prise en charge comme l’attestent la fiche bilan de premiers secours, le rapport du chef d’agrès de l’intervention et les bandes sonores qu’il a fournies ;

 – aucune faute à son encontre n’est démontrée.

Par un mémoire, enregistré le 16 juillet 2015, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me A…, conclut à sa mise hors de cause.

Il fait valoir que les conditions de mise en oeuvre de la solidarité nationale ne sont pas remplies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2015, le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, représenté par Me D…, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que l’indemnisation accordée aux requérants soit limitée à 7 000 euros compte tenu d’un pourcentage de perte de chance de survie de 50%.

Il fait valoir que :

 – un médecin est intervenu à de nombreuses reprises au cours de la régulation médicale ;

 – le SAMU a dû faire face à une grande activité la nuit où se sont déroulés les faits en litige ;

 – il n’a commis aucune faute en envoyant une équipe du SDIS dès lors qu’aucun véhicule du SMUR n’était disponible ; un médecin de garde n’aurait pu procéder à une intubation nécessitée par l’état de la patiente ;

 – la reconnaissance d’une perte de chance doit conduire à limiter le montant des préjudices, lesquels doivent être justifiés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2016, le centre hospitalier de Dax, représenté par Me H…, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’aucune faute ne peut lui être reprochée.

Par ordonnance du 9 juin 2016, la clôture de l’instruction a été fixée au 12 juillet 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la santé publique ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Philippe Delvolvé ;

 – les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- et les observations de Me G…, représentant le SDIS des Landes, et de

Me B…, représentant l’ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. NicoleC…, alors âgée de 72 ans, a été prise en charge, dans la nuit

du 8 au 9 février 2012, par les sapeurs-pompiers du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Landes intervenant à la demande du service d’aide médicale urgente (SAMU), rattaché au centre hospitalier de Mont-de-Marsan, à la suite d’un appel téléphonique de son gendre signalant des difficultés respiratoires importantes et soudaines. L’intéressée ayant été transportée par le véhicule d’intervention des sapeurs-pompiers du centre de secours

de Vieux-Boucau jusqu’aux urgences du centre hospitalier de Dax, elle a présenté, à l’arrivée dans cet établissement, un arrêt cardio-respiratoire anoxique nécessitant la mise en oeuvre d’une réanimation cardio-respiratoire et d’une ventilation artificielle avant son transfert en service de réanimation en état comateux. Après une phase de stabilisation, son état de santé s’est à nouveau dégradé, avec l’apparition, notamment, d’un oedème cérébral et d’une pneumopathie bilatérale dès le 11 février 2012. Au regard de l’absence de signe clinique d’amélioration de l’état de santé de NicoleC…, maintenue dans un état végétatif, l’équipe médicale du service de réanimation du centre hospitalier de Dax a fait part aux membres de la famille de l’intéressée de son souhait de mettre en oeuvre un protocole de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives (dit protocole LATA), cette décision étant effectivement mise en oeuvre à compter

du 7 mars 2012. Nicole C… a alors été transférée en service de soins continus où elle est finalement décédée le 12 mars 2012. Les consorts C… recherchent, en leurs qualités d’enfants et d’héritiers de la victime ainsi qu’en leur nom propre, l’engagement de la responsabilité, d’une part, du SDIS des Landes et du centre hospitalier de Mont-de-Marsan à raison des conditions, qu’ils estiment fautives, de prise en charge de leur mère, dans la nuit

du 9 février 2012, d’autre part, du centre hospitalier de Dax à raison des fautes qui auraient été commises lors de la prise en charge en service de réanimation et de la mise en oeuvre du protocole de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives. Ils demandent, à ces titres, la réparation de préjudices en tant qu’ayants droit de la victime, pour le compte de cette dernière, ainsi que de leurs préjudices propres. Ils relèvent appel du jugement en date du 5 février 2015 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) des Landes :

2. Aux termes de l’article L. 6311-1 du code de la santé publique : « L’aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d’organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les soins d’urgence appropriés à leur état. » Aux termes de l’article L. 6311-2 du même code : « Seuls les établissements de santé peuvent être autorisés, conformément au chapitre II du titre II du livre Ier de la présente partie, à comporter une ou plusieurs unités participant au service d’aide médicale urgente, dont les missions et l’organisation sont fixées par voie réglementaire. / Un centre de réception et de régulation des appels est installé dans les services d’aide médicale urgente. (…) Dans le respect du secret médical, les centres de réception et de régulation des appels sont interconnectés avec les dispositifs des services de police et d’incendie et de secours. / Les services d’aide médicale urgente et les services concourant à l’aide médicale urgente sont tenus d’assurer le transport des patients pris en charge dans le plus proche des établissements offrant des moyens disponibles adaptés à leur état, sous réserve du respect du libre choix ».

3. Il résulte de l’instruction, notamment de l’expertise médicale ordonnée en référé et dont le rapport a été déposé au greffe du tribunal le 19 février 2013, qu’à la suite de l’appel du compagnon de la fille de NicoleC…, reçu par le SAMU des Landes à 00 h 40, dans la nuit du 8 au 9 février 2012, et signalant un état de détresse respiratoire soudain de l’intéressée à son domicile à Vieux-Boucau, le SDIS des Landes, sollicité par le permanencier de régulation du SAMU, a immédiatement fait intervenir le véhicule de secours et d’assistance aux victimes positionné au centre de secours de Vieux-Boucau. L’équipe d’intervention, composée de sapeurs-pompiers secouristes, est arrivée sur les lieux à 00 h 59. Après la réalisation d’un premier bilan radiologique et la prise des constantes cardio-respiratoires, ces éléments étant transmis au médecin régulateur du SAMU, le transfert de Nicole C… vers les urgences du centre hospitalier de Dax a été décidé et mis en oeuvre dès 01 h 19, avec consigne de transport de la victime en position assise et sous oxygène. Le véhicule d’intervention est arrivé aux urgences du centre hospitalier de Dax, distant de 36 km, à 01 h 46. Nicole C… a été immédiatement prise en charge en salle de déchoquage puis en service de réanimation médicale.

4. Ainsi que l’ont relevé les premiers juges, l’expert souligne que la fiche d’admission aux urgences indique que la patiente est arrivée sans oxygène. Cependant, cet élément, qui émane non pas du service des urgences mais de la retranscription de la fiche de régulation par le SAMU, est néanmoins contredit, d’une part, par la retranscription des échanges téléphoniques entre le régulateur du SAMU et les pompiers, d’autre part, par les propres écrits du médecin-chef du service du SAMU dans sa lettre du 24 février 2012 adressée à la famille C… et, de troisième part, par les pièces produites par le SDIS des Landes en défense, lesquels documents indiquent clairement que Nicole C… a été « placée sous oxygène à 12 litres au masque à haute concentration », dès sa prise en charge par le SDIS, à la demande du SAMU, puis sous oxygène à 15 litres pendant son transport. De plus, les témoignages des proches de la victime, présents sur place lors de la prise en charge de l’intéressée par les pompiers, ne contredisent pas cette version des faits. Ainsi que l’a retenu le tribunal administratif, le rapport d’expertise ne lie pas les juges. Il se borne à émettre une hypothèse, de manière conditionnelle, sans toutefois l’argumenter ou l’établir alors que les pièces de l’instruction corroborent l’hypothèse inverse et que ce même rapport relève, par ailleurs, que la prise en charge par le SDIS a été conforme aux recommandations en vigueur et aux bonnes pratiques de secourisme. La circonstance, relevée par l’expert, selon laquelle Nicole C… n’aurait pas été sous oxygène au moment précis de sa prise en charge sur le brancard des urgences, ce que le SDIS justifie, sans être contredit, par le transfert entre son propre brancard équipé en oxygène et le brancard du service des urgences, ne saurait suffire à démontrer qu’elle n’a pas été placée sous oxygène pendant son transport et, par suite, l’existence d’une faute commise par le SDIS lors du transfert de l’intéressée. Il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que Nicole C… ait été, à son arrivée, privée d’oxygène pendant un délai tel qu’il aurait été à l’origine de l’aggravation de son état de santé.

5. Ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le SDIS des Landes a commis une faute dans la prise en charge de NicoleC….

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Mont-de-Marsan au titre du service d’aide médicale urgente (SAMU) des Landes :

6. Aux termes de l’article R. 6311-1 du code de la santé publique : « Les services d’aide médicale urgente ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d’urgence. / Lorsqu’une situation d’urgence nécessite la mise en oeuvre conjointe de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, les services d’aide médicale urgente joignent leurs moyens à ceux qui sont mis en oeuvre par les services d’incendie et de secours. » L’article R. 6311-2 dispose que : " Pour l’application de l’article R. 6311-1, les services d’aide médicale urgente : 1° Assurent une écoute médicale permanente ; 2° Déterminent et déclenchent, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels ; 3° S’assurent de la disponibilité des moyens d’hospitalisation publics ou privés adaptés à l’état du patient, compte tenu du respect du libre choix, et font préparer son accueil ; 4° Organisent, le cas échéant, le transport dans un établissement public ou privé en faisant appel à un service public ou à une entreprise privée de transports sanitaires ; 5° Veillent à l’admission du patient. « L’article R. 6311-6 de ce même code prévoit que : » Pour répondre dans les délais les plus brefs aux demandes d’aide médicale urgente, les centres de réception et de régulation des appels mentionnés à l’article L. 6112-5 sont dotés d’un numéro d’appel téléphonique unique, le 15. (…) Lorsque les centres de réception et de régulation des appels reçoivent une demande d’aide médicale urgente correspondant à une urgence nécessitant l’intervention concomitante de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, ils transmettent immédiatement l’information aux services d’incendie et de secours, qui font alors intervenir les moyens appropriés, conformément à leurs missions. « L’article R. 6311-7 dudit code précise : » Pour l’exercice de leurs missions, les services d’aide médicale urgente disposent des moyens en matériel et en personnel médical et non médical chargé de la réception et de la régulation des appels, adaptés aux besoins de la population qu’ils desservent. ".

7. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise, qu’à la suite de l’appel reçu à 00 h 40, dans la nuit du 9 au 10 février 2012, du compagnon de la fille de Nicole C… qui s’était déplacé au domicile de cette dernière à sa demande, la permanencière de régulation médicale du SAMU a immédiatement fait appel au véhicule de secours et d’assistance aux victimes du centre de secours de Vieux-Boucau, relevant du SDIS des Landes, dont il est constant qu’il était alors le dispositif de secours disponible le plus proche du lieu d’intervention programmé. Ce véhicule, constitué d’un équipage de sapeurs-pompiers secouristes et équipé en matériel d’intervention de premiers secours, s’est présenté sur les lieux moins de vingt minutes après la réception, par le SAMU des Landes, de l’appel initial du gendre de la victime. Après placement de l’intéressée sous assistance respiratoire, un bilan radiologique et la prise des constantes cardio-respiratoires ont été immédiatement réalisés et transmis à la régulation du SAMU dès 01 h 11, puis un second bilan a été transmis dès 01 h 12 avec des précisions complémentaires sur les pathologies connues de la victime, la permanencière précisant alors qu’elle transférait ce bilan au médecin régulateur du SAMU des Landes. Dès 01 h 17, la consigne a été transmise par la régulation du SAMU de transférer sans délai la victime vers les urgences hospitalières les plus proches, situées au centre hospitalier de Dax, sous oxygène en position assise. La permanencière s’est régulièrement enquise, tout au long du trajet, de précisions complémentaires s’agissant de l’état de santé de l’intéressée, notamment quant à l’existence de douleurs, l’évolution des constantes ou la coloration de la peau. Le véhicule de secours s’est présenté à la porte des urgences du centre hospitalier de Dax à 01 h 46, soit trois-quarts d’heure après le début de la prise en charge de Nicole C… par les services de secours à son domicile distant, en temps normal, de 45 minutes de l’établissement hospitalier dacquois.

8. Les requérants soutiennent que le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, responsable du SAMU des Landes, a commis des fautes dans la prise en charge de leur mère qui seraient à l’origine d’une perte de chance d’échapper à l’évolution fatale de son état de santé dès lors que l’appel téléphonique signalant les difficultés respiratoires de la victime n’a pas bénéficié d’une régulation médicale, ce qui ne serait pas conforme aux bonnes pratiques en la matière. Cependant, il résulte de l’instruction, d’une part, que le premier appel reçu par le SAMU des Landes ne permettait pas de s’assurer de l’état de santé réel de la victime, ainsi qu’en témoigne la retranscription écrite de cet appel figurant au dossier, d’autre part et ainsi qu’il vient d’être rappelé, que le double bilan cardio-respiratoire et radiologique établi par les sapeurs-pompiers dès leur arrivée sur place, moins de vingt minutes après l’appel reçu au SAMU, a été relayé auprès du médecin régulateur du SAMU dès 01 h 13 et a conduit à la décision de transfert immédiat aux urgences hospitalières les plus proches, par le véhicule de secours des pompiers, à peine quatre minutes après cet échange.

9. Ainsi que l’a retenu le tribunal administratif de Pau, il ne saurait être retenu l’existence d’une faute, à ce titre, de la part du SAMU des Landes dans la mesure où le dispositif de régulation médicale a été correctement mis en oeuvre et ne peut être regardé comme étant à l’origine d’une perte de chance pour la victime. NicoleC…, qui était consciente et pouvait s’exprimer lors de l’appel initial au SAMU, présentait déjà un état de détresse cardio-respiratoire aigu lors de sa prise en charge par les personnels du SDIS, moins de vingt minutes après le premier appel adressé au SAMU, la saturation en oxygène étant mesurée à 82 %. Ce taux est, ensuite, provisoirement remonté à 89 %, après la mise sous oxygène par les personnels du SDIS, avant de redescendre à 73 % en cours de transport, de sorte que l’état anoxique aigu était déjà constitué dans la demi-heure qui a suivi la prise en charge de l’intéressée, malgré l’assistance respiratoire et les gestes de premiers secours mis en oeuvre.

10. L’expert évoque l’hypothèse d’un possible recours à un véhicule médicalisé dépendant du service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) du centre hospitalier de Dax lequel aurait été, selon lui, plus approprié parce que médicalisé. Cependant, le seul véhicule disponible du SMUR de Dax avait été primitivement engagé quelques minutes plus tôt, à la demande du SMUR d’Orthez, sur une intervention secondaire à Nassiet, commune des Landes située à l’opposé de la ville de Vieux-Boucau, en terme de distance et de temps de parcours, par rapport au centre hospitalier de Dax, de sorte que l’éventuel contre-ordre donné au véhicule du SMUR pour se rendre au chevet de Nicole C…- qui n’aurait pu intervenir, en tout état de cause, avant la réalisation d’un premier bilan radiologique et cardio-vasculaire, lequel ne pouvait être assuré par le médecin régulateur du SAMU par téléphone – n’aurait pas permis, au regard des moyens disponibles et ainsi que le souligne le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, une prise en charge plus rapide de l’intéressée et son transfert immédiat, qui était nécessaire, vers un établissement hospitalier, conformément à ce que prévoient les dispositions réglementaires précitées du code de la santé publique.

11. Les requérants reprennent également à leur compte les remarques de l’expert qui indique également qu’il eût été possible de faire appel, le cas échéant et à partir de la régulation médicale, au médecin libéral de garde en nuit profonde sur le secteur de Vieux-Boucau. Cependant, rien ne permet d’établir qu’une telle intervention extérieure au dispositif de permanence hospitalière aurait été de nature à améliorer la prise en charge de NicoleC…, compte tenu de la nécessité d’un bilan radiologique et cardio-respiratoire et d’une mise sous oxygène sur place et des délais d’intervention incompressibles.

12. Dans ces conditions, le SAMU des Landes, qui a déterminé et déclenché, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature de l’appel reçu, qui s’est assuré de la disponibilité des moyens d’hospitalisation publics adaptés à l’état de la patiente et fait préparer son accueil au centre hospitalier de Dax, qui a organisé le transport dans cet établissement en faisant appel au service de secours et de transport agréé le plus immédiatement disponible et qui a veillé à l’admission de la patiente au sein du centre hospitalier de Dax, répondant ainsi en tous points à ses missions telles qu’elles sont notamment reprises à l’article R. 6311-1 précité du code de la santé publique, n’a pas commis de faute.

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Dax :

13. Aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : « I. – (…) les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables des actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute (…) ».

14. En adoptant les dispositions de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, insérées au code de la santé publique, le législateur a déterminé le cadre dans lequel peut être prise, par un médecin, une décision de limiter ou d’arrêter un traitement dans le cas où sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Il résulte notamment des dispositions des articles L. 1110-1 et suivants, L. 1111-4 et suivants et R. 4127-37 du code de la santé publique que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d’investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et qu’ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie. Lorsque ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter un traitement au motif que sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable ne peut, s’agissant d’une mesure susceptible de mettre sa vie en danger, être prise par le médecin que dans le respect des conditions posées par la loi, qui résultent de l’ensemble des dispositions susvisées et notamment de celles qui organisent la procédure collégiale et prévoient des consultations de la personne de confiance, de la famille ou d’un proche. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.

15. Ces dispositions ne permettent à un médecin de prendre, à l’égard d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, une décision de limitation ou d’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger que sous la double et stricte condition que la poursuite de ce traitement traduise une obstination déraisonnable et que soient respectées les garanties tenant à la prise en compte des souhaits éventuellement exprimés par le patient, à la consultation d’au moins un autre médecin et de l’équipe soignante et à la consultation de la personne de confiance, de la famille ou d’un proche.

16. Les requérants soutiennent que la prise en charge réalisée dans le service de réanimation, et notamment les modalités de mise en oeuvre du protocole médical de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives (LATA), est constitutive d’un manquement fautif de la part du centre hospitalier de Dax. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que la prise en charge de Nicole C… au sein du service de réanimation médicale de l’établissement a pu être à l’origine de quelques tensions ou de « difficultés de communication » entre l’équipe médicale et certains membres de la famille. Cependant, la circonstance que les membres de la famille de l’intéressée aient eu affaire à plusieurs médecins pendant le temps de son hospitalisation ne saurait être constitutive d’une faute.

17. Les requérants indiquent, à la suite de l’expert, que la formalisation de la mise en oeuvre du protocole de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives n’aurait pas été conforme au dispositif légal et aux recommandations de la société de réanimation de langue française. Ils invoquent la méconnaissance des recommandations de cette société savante, lesquelles sont cependant dépourvues de toute valeur légale. Or, aucune disposition légale ou réglementaire n’impose la désignation d’un « médecin référent » unique.

18. Il résulte de l’instruction, et notamment des termes mêmes du rapport d’expertise, que les médecins en charge de Nicole C… au sein du service de réanimation médicale du centre hospitalier de Dax ont, à plusieurs reprises entre le 14 février 2012 et le 7 mars 2012, date de mise en oeuvre du protocole LATA, informé les membres de la famille et recueilli leur avis sur l’hypothèse envisagée de recourir à une telle décision d’arrêt des traitements actifs, en particulier les 14 février, 17 février, 19 février, 28 février, 5 mars et 7 mars 2012. De plus, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le fils aîné de la famille, désigné comme personne de confiance en l’absence de consigne explicite en ce sens de la patiente, a été clairement et précisément informé par le médecin-chef du service, le 19 février, des dispositions légales en vigueur issues de la loi du 22 avril 2005, dite « loi Léonetti », et a confirmé, à cette occasion, la volonté exprimée antérieurement par sa mère de ne pas aller vers une obstination déraisonnable. Un médecin neurologue, mandaté par la famille, a pu consulter le dossier médical de NicoleC…, rencontrer le chef de service de réanimation et faire part de son avis sur l’état neurologique de la patiente. Il a participé, au même titre que la famille, à une réunion avec l’équipe médicale et infirmière, le 28 février 2012. Les membres de la famille, et notamment les requérants, ont également pu, à ces diverses occasions, faire part de leur avis.

19. Il résulte de l’instruction que la décision de recourir à un arrêt des traitements actifs, par extubation de la patiente sans réascension thérapeutique, laquelle a été prise collégialement par l’ensemble des médecins réanimateurs du service, le 6 mars 2012, figure expressément dans le dossier médical de NicoleC…. Elle est motivée au regard, notamment de « l’évolution clinique et des souhaits exprimés par la patiente antérieurement » ainsi que le souligne l’expert lui-même. Elle a été précédée de la consultation de plusieurs médecins spécialistes, dont un médecin neurologue extérieur au service et désigné par la famille, ainsi que des membres de la famille présents au chevet de NicoleC…. L’ensemble des échanges intervenus sont explicitement retranscrits, de manière détaillée, dans le dossier de soins de l’intéressée sans qu’il puisse, en tout état de cause, être reproché à l’établissement un manque de formalisme, qu’aucune disposition légale n’imposait et qui n’est à l’origine d’aucun préjudice direct en lien avec le dommage invoqué, dès lors que l’intégralité des conditions exigées pour la mise en oeuvre d’un protocole de LATA ont été respectées en l’espèce et sont expressément retracées dans le dossier de la patiente.

20. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le centre hospitalier de Dax a commis une faute.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de procéder à une expertise complémentaire, que les consorts C… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Sur les conclusions dirigées contre l’ONIAM :

22. Aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : « II. – Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins (…) ». Dans la mesure où le décès de Nicole C… n’est pas imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins, les conditions de mise en oeuvre de la solidarité nationale ne peuvent être

regardées comme réunies. Les conclusions dirigées contre l’ONIAM ne peuvent donc qu’être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Dax, du centre hospitalier de Mont-de-Marsan, du service départemental d’incendie et de secours des Landes et de l’ONIAM, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, au titre des frais exposés par les consorts C… et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce de mettre une somme à la charge de ces derniers au titre des frais exposés par le service départemental d’incendie et de secours des Landes et non compris dans les dépens.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête présentée par les consorts C… est rejetée.


Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E… C…, à Mme I… C…, à M. F… C…, au centre hospitalier de Dax, au centre hospitalier de Mont-de-Marsan, au service départemental d’incendie et de secours des Landes, à la caisse primaire d’assurance maladie des Landes et à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales


Délibéré après l’audience du 7 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Gil Cornevaux, président-assesseur,
M. Philipe Delvolvé, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 avril 2017.


Le rapporteur,

Philippe DelvolvéLe président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme,

Le greffier

Vanessa Beuzelin

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No15BX01326

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CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 4 avril 2017, 15BX01326, Inédit au recueil Lebon