CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 18 février 2020, 18BX02522, Inédit au recueil Lebon

  • Responsabilité régie par des textes spéciaux·
  • Responsabilité de la puissance publique·
  • Attroupements et rassemblements (art·
  • Fondement de la responsabilité·
  • 2216-3 du cgct)·
  • Crédit·
  • Société d'assurances·
  • Tribunaux administratifs·
  • L'etat·
  • Justice administrative

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 3e ch., 18 févr. 2020, n° 18BX02522
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 18BX02522
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Toulouse, 24 avril 2018, N° 1601947
Dispositif : Satisfaction totale
Identifiant Légifrance : CETATEXT000041617080

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol ont demandé au tribunal administratif de Toulouse dans le dernier état de leurs écritures de condamner l’Etat à verser la somme de 88 306, 56 euros à la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD en réparation du préjudice qu’elle a subi, en sa qualité d’assureur subrogé dans les droits de la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol du fait des dommages occasionnés par des manifestants le 8 novembre 2014 et de condamner l’Etat à verser à la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol la somme de 920, 80 euros, au titre du montant de sa franchise resté à sa charge.

Par un jugement n° 1601947 du 25 avril 2018, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’Etat à verser à la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD la somme de 19 956, 85 euros et à la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol la somme de 3 949, 73 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 juin 2018, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de rejeter les demandes présentées par la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et par la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol.

Il soutient que :

 – c’est à tort que le tribunal administratif a considéré que les conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure étaient remplies ;

 – la circonstance que les dégradations aient été préméditées est de nature à exclure la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

Par un mémoire enregistré le 13 mars 2019, la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse du Crédit Mutuel, représentées par Me B…, demandent à la Cour :

1°) de rejeter la requête du préfet de la Haute-Garonne ;

2°) de réformer le jugement du 25 avril 2018 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu’il a limité le montant de leur indemnisation à la somme de 23 906, 58 euros ;

3°) de condamner l’Etat à payer à la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD la somme de 88 306, 56 euros TTC assortie des intérêts de retard au taux légal à compter de sa demande préalable, ainsi que la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

 – la requête est irrecevable par application des articles R. 431-12 alinéa 2 et R. 811-10 du code de justice administrative ;

 – le préfet n’est pas compétent pour présenter seul une requête en appel, car ce recours doit également être signé par le ministre intéressé ;

 – aucun moyen n’est fondé, la responsabilité de l’Etat sans faute est engagée sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et sur le fondement de la responsabilité pour faute en raison de l’insuffisance de moyens mis en oeuvre et de façon inappropriée;

 – elles sont fondées à demander que leur indemnisation soit portée à la somme de 88 306, 56 euros, car elles justifient de la réalité de ces dépenses ;

 – le préfet ne peut se prévaloir de l’absence d’un représentant de l’Etat aux opérations d’expertise pour soutenir que le préjudice n’est pas démontré.

Par une lettre du 14 janvier 2020, la cour a informé les parties qu’elle était susceptible de relever le moyen d’ordre public tiré de ce que l’irrecevabilité des conclusions d’appel incident présentées par la société d’assurances Crédit Mutuel IARD tendant à la réformation du jugement attaqué en tant que le tribunal administratif de Toulouse n’a pas condamné l’Etat à l’indemniser des dommages subis par elle qu’elle impute au rassemblement qui a eu lieu le 1er novembre 2014. Ces conclusions, présentées après l’expiration du délai d’appel, reposent sur un fait générateur différent de l’appel principal par lequel le préfet de la Haute-Garonne demande l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a condamné l’Etat à indemniser la société d’assurances Crédit Mutuel Iard et la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse Esquirol à raison des dégradations qu’elles ont subies à l’occasion du rassemblement du 8 novembre 2014 et soulèvent, de ce fait, un litige distinct.

Un mémoire a été enregistré le 17 janvier 2020, présenté par la caisse d’assurance du Crédit Mutuel IARD en réponse au moyen d’ordre public.

Vu :

 – les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code de la sécurité intérieure ;

 – le code des assurances ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme C… A…,

 – et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 8 novembre 2014, à Toulouse, à l’occasion d’un rassemblement contre le projet du barrage de Sivens et en hommage à Rémi Fraisse décédé sur le site de Sivens, des affrontements ont eu lieu entre des manifestants et les forces de l’ordre, causant des dégâts matériels à la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse Esquirol. La société d’assurances du Crédit Mutuel IARD a indemnisé la caisse. Par courrier du 19 décembre 2015, la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD a présenté une demande indemnitaire au préfet de la Haute-Garonne sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Suite au rejet de leur demande par une décision du 4 mars 2016, la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD, en sa qualité de subrogée dans les droits de son assurée, a demandé d’abord dans ses premières écritures au tribunal administratif de Toulouse de condamner l’Etat à lui verser la somme de 19 956, 85 euros, somme qu’elle a portée à la somme de 88 306, 56 euros en cours d’instance. La caisse du Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol a demandé la condamnation de l’Etat à lui payer la somme de 3 949, 73 euros, somme qu’elle a ramenée à la somme de 920, 80 euros en cours d’instance et qui correspond à la franchise contractuelle restée à sa charge. Par un jugement du 25 avril 2018, dont le préfet de la Haute-Garonne relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’Etat à verser à la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD la somme de 19 956, 85 euros et à la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse Esquirol, la somme de 3949, 73 euros. La société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse Esquirol relèvent également appel de ce jugement en tant qu’elle n’a pas eu entièrement satisfaction.

Sur la recevabilité de l’appel du préfet de la Haute-Garonne :

2. Aux termes de l’article R. 811-10-1 du code de justice administrative : « - Par dérogation aux dispositions de l’article R. 811-10, le préfet présente devant la cour administrative d’appel les mémoires et observations produits au nom de l’Etat lorsque le litige est né de l’activité des services de la préfecture dans les matières suivantes : (…) 3° Mise en jeu de la responsabilité de l’Etat du fait des dommages causés par les attroupements et rassemblements (…) ». En l’espèce, l’Etat a été condamné par le tribunal administratif à raison des dommages aux biens causés par des attroupements et rassemblements. Ainsi, le présent appel relève d’un des cas prévus par les dispositions précitées. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne avait qualité pour faire appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 25 avril 2018. Dès lors la fin de non-recevoir tirée de ce que le préfet de la Haute-Garonne ne pouvait pas présenter un appel sans le contreseing du ministre de l’intérieur, doit être écartée.

Sur la recevabilité de l’appel incident de la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et de la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol :

3. Les conclusions d’appel incident présentées par la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD tendant à la réformation du jugement attaqué en tant que le tribunal administratif de Toulouse n’a pas condamné l’Etat à l’indemniser des dommages subis par elle qu’elle impute au rassemblement qui a eu lieu le 1er novembre 2014, reposent sur un fait générateur différent de l’appel principal par lequel le préfet de la Haute-Garonne demande l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a condamné l’Etat à indemniser la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol à raison des dégradations qu’elles ont subies à l’occasion du rassemblement du 8 novembre 2014 et soulèvent, de ce fait, un litige distinct. Or, le jugement attaqué a été notifié le 27 avril 2018 aux parties par le moyen de l’application informatique mentionnée à l’article R. 414-1 du code de justice administrative. Par suite, les conclusions d’appel principal présentées par la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol le 13 mars 2019, soit après l’expiration du délai d’appel, sont irrecevables.

Sur la responsabilité sans faute de l’Etat :

4. Aux termes de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : « L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. ». L’application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.

5. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport de police du 8 novembre 2014 que ce jour-là s’est tenue à Toulouse une manifestation pacifiste de protestations contre les violences policières suite au décès de Rémi Fraisse et contre le projet de barrage de Sivens, qui avait été interdite par arrêté préfectoral. Il ressort également des écritures concordantes des parties que le 1er novembre 2014 s’était déjà tenue une première manifestation au cours de laquelle plusieurs groupes d’individus avaient commis des dégradations aux biens. Il résulte de l’instruction qu’au cours de ce rassemblement du 8 novembre 2014, sur les cinq cent manifestants, cent cinquante étaient déterminés à en « découdre avec les forces de l’ordre ». Les manifestants se sont rassemblés sur l’esplanade François Mitterrand à 14H00. Ils se sont ensuite avancés dans l’allée Jean-Jaurès et ont été stoppés par les forces de l’ordre. Vers 15H45, ils ont été invités à se disperser et ont été repoussés par les forces de l’ordre avec des moyens lacrymogènes. Des groupes d’individus ont alors provoqué les forces de l’ordre par des invectives et des jets de projectiles. Il ressort du rapport de police du 8 novembre 2014 qu’ils se sont ensuite dispersés dans la ville, après que les forces de l’ordre aient « essuyé quatre lancers d’engins incendiaires (…) et des jets de nombreux projectiles ». Lors des déplacements des groupes hostiles dans les rues de Toulouse, des dégradations ont été commises à l’encontre de la banque du Crédit Mutuel et des conteneurs de poubelles et une voiture ont été incendiés. Il résulte de ce qui précède, que contrairement à ce que soutient la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD que l’action de détérioration volontaire de la devanture de son établissement dont a été victime la banque de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol n’a pas été commise en réaction immédiate et spontanée avec le fait que les forces de l’ordre aient repoussé les manifestants avec des moyens lacrymogènes. Cette action de détérioration volontaire doit être regardée comme ayant été perpétrée par un groupe de personnes, de façon préparée et concertée, et non de façon spontanée. Par suite, les conséquences dommageables de cette manifestation, ne peuvent pas être regardées comme imputables à un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Le préfet de la Haute-Garonne est dès lors fondé à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a admis l’engagement de la responsabilité de l’Etat.

6. Il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol devant le tribunal administratif de Toulouse.

Sur la responsabilité pour faute de l’Etat :

7. Il résulte de l’instruction que le 8 novembre 2014, dans le cadre de cette manifestation, au moins trois cent militaires et policiers ont été déployés pour maintenir et rétablir l’ordre public, protéger les personnes et les biens. Par ailleurs, il résulte de l’instruction que les actes de dégradations causés aux biens de la caisse de Crédit Mutuel ont été commis lorsque les groupes d’individus se sont dispersés dans la ville et que les forces de l’ordre s’efforçaient d’empêcher les groupes les plus actifs de se rendre à proximité des lieux publics. Dans ces conditions, compte-tenu des moyens humains mis en oeuvre et de la difficulté des opérations, la caisse d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol ne sont pas fondées à soutenir que l’Etat, dont la responsabilité en matière d’exécution des opérations de maintien de l’ordre ne peut être engagée que pour une faute lourde, aurait commis une telle faute.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à demander l’annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’Etat à verser à la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD la somme de 19 956,85 euros et à la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol, la somme de 3949, 73 euros. Il y a lieu par conséquent de rejeter leurs demandes de première instance et leurs conclusions d’appel.

Sur les frais d’instance :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de l’Etat qui n’a pas la qualité de partie perdante, la somme que demande la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la banque CIC Sud-Ouest au titre de leurs frais d’instance.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1601947 du 25 avril 2018 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : Les demandes de première instance présentées par la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD et la caisse du Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol et leurs conclusions d’appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d’assurances du Crédit Mutuel IARD, à la caisse de Crédit Mutuel de Toulouse-Esquirol et au préfet de la Haute-Garonne. Une copie en sera délivrée au ministre de l’intérieur.

Délibéré après l’audience du 21 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme D… E…, présidente-assesseure,
Mme C… A…, premier-conseiller.

Lu en audience publique, le 18 février 2020.

Le rapporteur,

Déborah A… Le président,

Dominique NAVESLe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02522

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 18 février 2020, 18BX02522, Inédit au recueil Lebon