CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 9 juin 2020, 18BX01743, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 2e ch., 9 juin 2020, n° 18BX01743
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 18BX01743
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Pau, 14 mars 2018, N° 1601315
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042006168

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Mme O… H… I… a demandé au tribunal administratif de Pau

de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan à lui verser une somme totale

de 166 637,01 euros en réparation des préjudices consécutifs aux manquements de l’établissement lors de sa prise en charge du 4 au 7 octobre 2012.

Par un jugement n° 1601315 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Pau a rejeté la requête ainsi que les conclusions la caisse primaire d’assurance maladie du Lot-et-Garonne tendant au remboursement de ses débours et au paiement de l’indemnité forfaitaire de gestion et a mis les frais d’expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 056,33 euros, à parts égales à la charge de Mme H… I… et du centre hospitalier de Mont-de-Marsan.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 mai 2018 et 22 février 2019,
Mme H… I…, représentée par Me P…, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 15 mars 2018 du tribunal administratif de Pau ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan à lui verser une somme totale de 182 904,66 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2016 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Mont-de-Marsan les dépens ainsi qu’une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la responsabilité du centre hospitalier est engagée à raison de la faute médicale tenant à la prescription d’une contention ; contrairement à ce qu’ont relevé les premiers juges, il ressort de l’ensemble des éléments médicaux qu’elle se trouvait dans un état physique et psychologique amoindri et avait donné son accord pour rester hospitalisée, de sorte qu’elle ne présentait pas de risque de fugue ; seul un risque de fugue élevé peut justifier cette mesure ; elle n’a fait état de sa volonté de sortir de l’hôpital que le 6 octobre 2012, soit 24 heures après la mise en place des contentions ;

 – une mesure de contention doit, en vertu de l’article R. 4311-7 du code de la santé publique, faire l’objet d’une prescription médicale qualitative et quantitative ; or, aucune pièce médicale ne comporte d’explication sur la mise en oeuvre d’une telle mesure ; cette absence

de traçabilité et de prescription constitue également un manquement fautif ;

 – la responsabilité du centre hospitalier est encore engagée à raison d’un défaut

de surveillance ; la présence des attaches impliquait une surveillance de l’état cutané

et de la sensibilité au niveau des mains ; son état ne lui permettait pas d’alerter le personnel soignant quant à des douleurs au poignet, et il appartient au personnel soignant de contrôler l’état de santé du patient ;

 – contrairement à ce qu’a estimé le tribunal, il existe un lien de causalité direct et certain entre la compression exercée par l’attache de contention et la survenance d’un syndrome

du canal carpien, diagnostiqué 21 jours plus tard ; l’analyse de l’expert n’est pas utilement contredite par la note du médecin conseil du centre hospitalier, qui n’est basée sur aucune littérature scientifique ni aucun argument médical ;

 – s’agissant des préjudices patrimoniaux, elle a exposé au cours des opérations d’expertise des frais de médecin conseil d’un montant de 1 350 euros, dont elle doit être intégralement remboursée sur production de la facture d’honoraires ; avant la consolidation

de son état, elle a eu recours, du fait de ses souffrances et de ses difficultés de préhension,

à une assistance par tierce personne à partir du 9 octobre 2012, qui doit être évaluée,

en appliquant un taux horaire de 20 euros, à 6 656,33 euros ; depuis le 19 mars 2013,

elle a besoin d’une assistance de 3 heures par semaine pour les gros travaux ménagers,

et la circonstance qu’il ne s’agisse pas d’une aide salariée ne saurait conduire à réduire

son indemnisation, qui doit être évaluée à 139 800, 83 euros ;

 – s’agissant des préjudices extrapatrimoniaux, son déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à 2 497,50 euros et son déficit fonctionnel permanent, de 15 %, doit être évalué à 24 600 euros ; au titre des souffrances endurées, évaluées par l’expert à 3/7, une somme

de 8 000 euros soit lui être allouée.

Par un mémoire enregistré le 2 juillet 2018, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Lot-et-Garonne, représentée par Me F…, demande à la cour d’annuler

le jugement du 15 mars 2018 du tribunal administratif de Pau, de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan à lui verser une somme totale de 2 468,06 euros au titre de ses débours actuels et futurs, ainsi qu’une somme de 822,68 euros au titre de l’indemnité forfaitaire

de gestion, et de mettre à la charge de cet établissement les dépens ainsi qu’une somme de

1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la prescription médicale de contention n’était pas adaptée au regard de l’état physique et psychologique de Mme H… I…, qui ne présentait pas de risque de fugue ; une mesure de contention doit être utilisée en dernier recours et faire l’objet d’une prescription médicale motivée, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce ;

 – le centre hospitalier a failli à son obligation de surveillance, en l’absence d’attention portée à l’état cutané au niveau des attaches ;

 – les conclusions de l’expert imputent clairement la survenance du syndrome de canal carpien à la compression provoquée par les attaches de la contention ;

 – elle a exposé au profit de son assurée des dépenses de santé, imputable aux fautes commises par le centre hospitalier, d’un montant de 1 412,22 euros ; ses frais futurs, évalués à 1 055,84 euros, lui seront remboursés au fur et à mesure, sauf à ce que le centre hospitalier lui verse le capital correspondant ; elle a également droit à l’indemnité forfaitaire de gestion prévue à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

Par un mémoire enregistré le 14 septembre 2018, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me B…, conclut à sa mise hors de cause.

Il soutient que :

 – les préjudices subis par Mme H… I… sont imputables aux fautes commises par le centre hospitalier ;

 – les préjudices subis par la requérante n’atteignent pas les seuils de gravité ouvrant droit à une réparation au titre de la solidarité nationale.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 février 2019, le centre hospitalier de

Mont-de-Marsan, représenté par Me L…, conclut au rejet de la requête ou, à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une nouvelle expertise confiée à un autre expert, et à la mise à la charge de Mme H… I… des dépens ainsi que d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – ainsi que l’a jugé le tribunal, aucune faute n’a été commise dans la prise en charge de Mme H… I… ; la mesure de contention des poignets, qui a bien fait l’objet d’une prescription médicale, était indiquée au regard du risque de fugue et des épisodes de confusion présentés par l’intéressée, afin de garantir sa propre sécurité ; la contention a été surveillée, et aucun texte n’impose ni même ne recommande à un service d’urgences de renseigner un dossier de suivi de contention ;

 – la preuve d’un lien de causalité entre la contention et la survenue du syndrome de canal carpien n’est pas rapportée ; le diagnostic n’a été posé que le 30 octobre 2012, et rien n’indique que la requérante était déjà atteinte de ce syndrome le 9 octobre 2012 ; ses douleurs à la main sont apparues au décours de la pose, le 9 octobre 2012, d’une perfusion ; l’expert, qui n’est d’ailleurs pas affirmatif dans ses conclusions, ne donne aucune indication sur l’enchaînement physiopathologique qui pourrait expliquer le lien entre la contention et l’apparition du syndrome ; son médecin conseil indique qu’une mesure de contention, d’une durée aussi brève, ne peut être à l’origine d’un tel syndrome ;

 – il convient à tout le moins d’ordonner une nouvelle expertise ; en effet, l’expert a refusé de laisser les parties s’exprimer lors de la réunion expertale, et a adressé son rapport le soir même de cette réunion avant laquelle il était donc déjà rédigé ;

 – les prétentions indemnitaires de Mme H… I… sont excessives ; au titre des dépenses de santé, il convient de déduire la créance de la CPAM du Lot-et-Garonne et celle de la mutuelle AON ; l’assistance par un médecin conseil n’étant pas obligatoire, la requérante ne peut pas solliciter l’indemnisation des frais exposés à ce titre, et devrait justifier que ces frais n’auraient pas été pris en charge par un organisme de protection juridique ; s’agissant du besoin d’assistance par tierce personne temporaire, il ne saurait être regardé comme ayant été effectif avant le 30 octobre 2012, date d’apparition des douleurs à la main, et doit être évalué sur la base d’un besoin de 4 heures par semaine et d’un taux horaire de 8 euros pour une aide familiale ; s’agissant du besoin d’assistance par tierce personne permanent, il doit être évalué sur la base d’un besoin de 2 heures par semaine et d’un taux horaire de 8 euros pour une aide familiale sans recours à des personnes salariées ; la requérante n’a subi qu’une seule journée de déficit fonctionnel temporaire total, et son déficit fonctionnel temporaire à compter du 30 octobre 2012, doit être évalué non à 25% mais à 10 % ; s’agissant des souffrances endurées, la réparation ne saurait excéder 3 000 euros ; s’agissant du déficit fonctionnel permanent, qui sera plus justement apprécié à 5% qu’à 15%, la réparation ne saurait excéder 6 000 euros. Il conviendra en outre de déduire les sommes qui auraient été perçues d’organisme sociaux.

Par une ordonnance du 17 avril 2019, la clôture de l’instruction a été fixée

au 12 juin 2019 à 12 heures.

Vu :

 – les autres pièces du dossier ;

 – le code de la santé publique ;

 – le code de la sécurité sociale ;

 – l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif.

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Q… C…,

 – les conclusions d’Aurélie Chauvin, rapporteur public,

 – et les observations de Me J… E… représentant Mme H… I…, de Me M… substituant Me L… pour le centre hospitalier de Mont-de-Marsan et de Me K… représentant l’ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d’une tentative d’autolyse par intoxication médicamenteuse, Mme H… I… a été prise en charge, du 4 au 7 octobre 2012, au sein du service d’hospitalisation

de très courte durée du centre hospitalier de Mont-de-Marsan, et a fait l’objet, du 5 au

6 octobre 2012, de mesures de contention physique consistant en des attaches aux poignets.

Un électromyogramme réalisé en clinique le 30 octobre suivant a mis en évidence que l’intéressée souffrait d’un syndrome du canal carpien à droite, et une intervention chirurgicale de libération du nerf médian a été pratiquée le 17 décembre 2012. Conservant des séquelles de ce syndrome, dont elle impute la survenance aux mesures de contention mises en oeuvre au cours de son hospitalisation au sein du centre hospitalier de Mont-de-Marsan, Mme H… I… a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner cet établissement de santé à l’indemniser de ses préjudices. Par un jugement du 15 mars 2018, le tribunal administratif a rejeté sa demande ainsi que celles de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Lot-et-Garonne tendant au remboursement de ses débours et au paiement de l’indemnité forfaitaire de gestion et a mis les frais d’expertise à parts égales à la charge de Mme H… I… et de la CPAM du

Lot-et-Garonne. Mme H… I… relève appel de ce jugement et demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan à lui verser une somme totale

de 166 637,01 euros en réparation de ses préjudices et de mettre les frais d’expertise intégralement à la charge de cet établissement. La CPAM du Lot-et-Garonne demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Mont-de-Marsan à lui verser une somme totale de totale

de 2 468,06 euros au titre de ses débours ainsi que l’indemnité forfaitaire de gestion. Le centre hospitalier de Mont-de-Marsan conclut au rejet de la requête et sollicite, à titre subsidiaire, la réalisation d’une nouvelle expertise. Enfin, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) conclut à sa mise hors de cause.

Sur les conclusions du centre hospitalier de Mont-de-Marsan tendant à la réalisation d’une nouvelle expertise :

2. En premier lieu, le centre hospitalier de Mont-de-Marsan fait valoir que l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau le 16 juillet 2015, au vu de laquelle le jugement attaqué a été rendu, n’a pas revêtu un caractère contradictoire. Il résulte cependant des mentions de cette expertise que les observations des parties ont été recueillies par l’expert lors de la réunion expertale du 26 octobre 2015. La seule circonstance que l’expert ait rédigé son rapport le jour même de cette réunion expertale n’est pas de nature à démontrer qu’il se serait refusé à tout échange contradictoire.

3. En second lieu, l’expertise mentionnée ci-dessus a été confiée au docteur Portet, spécialiste en traumatologie. Le rapport comporte une description complète des soins pratiqués par le centre hospitalier de Mont-de-Marsan et des séquelles présentées ultérieurement par
Mme H… I…, et indique avec précision les éléments d’analyse médicale en faveur de l’existence d’un lien de causalité entre les mesures de contention mises en oeuvre du 5 au

6 octobre 2012 et la survenance d’un syndrome de canal carpien, dont le diagnostic a été posé le 30 octobre suivant. Le centre hospitalier de Mont-de-de Marsan se borne à faire valoir que l’analyse médicale de l’expert serait discutée par son médecin-conseil, sans même produire un document émanant de ce médecin. Il ne résulte ainsi pas de l’instruction qu’une nouvelle mesure d’expertise présenterait un caractère utile.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Mont-de-Marsan :

4. Aux termes du I de l’article L. 1111-42 du code de la santé publique : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute (…) ».

5. Il résulte de l’instruction, et n’est d’ailleurs pas contesté, que la mesure de contention physique dont Mme H… I… a fait l’objet du 5 au 6 octobre 2012 a bien été prescrite par un médecin. Ni les dispositions de l’article R. 4311-7 du code de la santé publique, invoquées par la requérante, ni aucun autre texte n’exigent qu’une telle prescription médicale explicite ses motifs, ni encore qu’une fiche de soins relative au suivi du dispositif de contention soit renseignée par le personnel soignant. Au demeurant, et ainsi que l’a relevé le tribunal, l’absence de respect de telles formalités n’est pas, en elle-même, à l’origine du dommage dont la requérante demande la réparation.

6. Par ailleurs, Mme H… I… persiste à soutenir en appel que son état physique et psychologique ne justifiait pas le recours à une mesure de contention physique. Toutefois, s’il résulte de l’instruction, notamment du certificat rédigé par le médecin qui l’a adressée au services des urgences du centre hospitalier de Mont-de-Marsan et de la fiche d’hospitalisation renseignée par l’établissement, que la requérante présentait, lors de son admission, un état de somnolence avancée, il est constant qu’aucun dispositif de contention physique n’a été mis en oeuvre le 4 octobre 2012, le centre hospitalier n’ayant eu recours à un tel dispositif que le

5 octobre 2012 en fin d’après-midi, pour une durée de 24 heures. Or, la fiche d’hospitalisation établie le 5 octobre 2012 à 16h54 mentionne l’état de confusion de la patiente et l’impossibilité de procéder à son évaluation psychiatrique, sans préciser qu’elle serait toujours somnolente, et, s’agissant de la matinée du 6 octobre 2012, indique que Mme H… I… est « bien présente mais parfois confuse » et " veut partir +++ ". Eu égard à ces mentions, traduisant un risque de fugue, et compte tenu du risque suicidaire que présentait l’intéressée au regard du motif de son hospitalisation, aucune faute ne peut être reprochée au centre hospitalier dans le recours à la mesure de contention en cause.

7. En revanche, il résulte de l’instruction, notamment de l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, qu’une contention au poignet est susceptible de provoquer une inflammation ou un hématome interne entrainant une compression du nerf médian, et qu’un tel dispositif doit en conséquence faire l’objet d’une surveillance clinique particulière, notamment de la sensibilité des mains et de l’état cutané au niveau des points d’attaches, afin de vérifier l’absence de tout signe de compression. Or, durant la période pendant laquelle Mme H… I… est restée sous contention, aucune surveillance clinique de ses mains et poignets n’a été mise en oeuvre. La requérante a présenté dès le 9 octobre 2012, soit à la suite immédiate de la mesure de contention, des douleurs à la main droite s’accompagnant de difficultés de préhension, signes évocateurs de l’apparition d’un syndrome de canal carpien qui ne peuvent résulter, contrairement à ce que soutient l’hôpital, de la seule pose d’une perfusion. De plus, l’électromyogramme réalisé en clinique le 30 octobre suivant, qui a confirmé le diagnostic de syndrome de canal carpien, a mis en évidence l’absence de signe neurogène, et l’expert précise que cette absence de signe neurogène est en faveur d’un élément aigu récent. L’expert indique enfin que l’apparition de ce syndrome n’est pas davantage imputable à une cause professionnelle. Au regard de ces éléments d’analyse, dont la pertinence n’est pas utilement contestée par le centre hospitalier qui se borne à se référer à des observations de son médecin-conseil sans même les produire, il doit être tenu pour établi que le défaut de surveillance du dispositif de contention en cause est à l’origine de la survenance du syndrome de canal carpien droit présenté par Mme H… I… à partir du 9 octobre 2012. Ainsi, et contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, la responsabilité du centre hospitalier est engagée à raison de ce défaut de surveillance.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’ordonner une nouvelle expertise, que Mme H… I… est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Mont-de-Marsan à l’indemniser.

9. Il appartient à la cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par la requérante.

Sur la réparation :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S’agissant des frais d’assistance par une tierce personne :

10. Le principe de réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l’assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu’elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut augmenté des charges sociales appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail.

11. En premier lieu, il résulte de l’instruction que, du fait de ses douleurs et de ses difficultés de préhension liées à son syndrome du canal carpien, Mme H… I… a eu besoin d’une aide non spécialisée par tierce personne pour l’accomplissement de certains gestes de la vie quotidienne entre le 9 octobre 2012, date à laquelle ses douleurs et difficultés fonctionnelles ont été constatées en clinique, et le 19 mars 2013, date de consolidation de son état de santé. Il résulte également de l’instruction que cette aide lui a été apportée par les membres de sa famille. L’expert évalue ce besoin à 5 heures par semaine entre le

17 décembre 2012, date à laquelle la requérante a subi une intervention chirurgicale de libération du nerf médian, et le 17 janvier 2013, et ne s’explique pas sur les raisons le conduisant à proposer une évaluation différente au titre des périodes allant du 9 octobre 2012 au

16 décembre 2012 et du 18 janvier 2013 au 19 mars 2013. Dans ces conditions, il y a lieu d’évaluer le besoin d’assistance par tierce personne de Mme H… I… à 5 heures par semaine au titre de la période allant du 9 octobre 2012 au 19 mars 2013, date de sa consolidation. En se fondant sur un taux horaire moyen de rémunération, tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, fixé à 13 euros s’agissant, comme en l’espèce, d’une aide non spécialisée, et en retenant une base annuelle de 412 jours, incluant les congés payés, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la requérante en l’évaluant à la somme de 1 644 euros, déduction faite des journées d’hospitalisation.

12. En deuxième lieu, il résulte de l’expertise que, du fait des séquelles que la requérante conserve depuis la consolidation de son état de santé, l’aide non spécialisée par tierce personne dont Mme H… I… a besoin pour la réalisation des travaux ménagers peut être évaluée à 3 heures par semaine. L’intéressée ne démontre pas qu’elle ne pourrait pas être l’employeur direct et qu’il lui serait ainsi nécessaire de recourir à une société prestataire. Il y a ainsi lieu d’évaluer son préjudice en se fondant sur un taux horaire moyen de rémunération fixé à 13 euros, en retenant une base annuelle de 412 jours. Il sera fait une juste appréciation de son préjudice au titre des frais d’aide par tierce personne en l’évaluant, pour la période partant du

19 mars 2013, date de consolidation de son état de santé, à la somme de 2 295 euros par an. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’accorder cette réparation sous la forme d’un capital s’agissant du préjudice subi entre le 19 mars 2013, date de consolidation de l’état de santé de la requérante, et la date du présent arrêt, et de fixer le montant de ce capital à la somme de

16 639 euros. S’agissant de la période postérieure à la date du présent arrêt, il sera fait une juste appréciation du préjudice futur lié à ces frais, tenant compte du barème publié à la Gazette du Palais en 2018 fixant le prix de l’euro de rente viagère à 33,929 euros pour une femme âgée de 48 ans, en l’évaluant à la somme de 77 867 euros.

S’agissant des frais liés à l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau :

13. Mme H… I… établit, par la production de la facture correspondante, avoir acquitté une somme de 1 350 euros au titre des frais de médecin conseil. La circonstance que l’assistance aux opérations d’expertise ne serait pas obligatoire n’est pas de nature à faire obstacle à ce que ces frais soient mis à la charge du centre hospitalier de Mont-de-Marsan.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

S’agissant du déficit fonctionnel temporaire :

14. Il résulte de l’instruction, notamment de l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, que Mme H… I… a présenté dès le 9 octobre 2012, date à laquelle elle a été reçue en consultation en clinique, des douleurs au poignet droit et des difficultés de préhension de la main droite, liées à l’apparition d’un syndrome de canal carpien. Elle a ainsi subi, dès cette date, et jusqu’au 19 mars 2013, date de consolidation de son état, un déficit fonctionnel partiel, déficit qui a été majoré durant la période, allant du 18 décembre 2012 au 11 février 2013, durant laquelle son poignet était immobilisé par une attelle. Enfin, et ainsi que le soutient le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, le déficit fonctionnel temporaire de la requérante n’a été total que durant son hospitalisation, le 17 décembre 2012, aux fins de réalisation d’une intervention de libération du nerf médian. Il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire subi par Mme H… I… du 9 octobre 2012 au

19 février 2013 en lui allouant la somme de 400 euros.

S’agissant des souffrances endurées :

15. Il résulte de l’instruction que Mme H… I… a subi des souffrances évaluées par l’expert à 3 sur une échelle allant de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre en lui allouant une somme de 3 500 euros.

S’agissant du déficit fonctionnel permanent :

16. Il résulte de l’instruction que Mme H… I…, droitière, reste atteinte, depuis la consolidation de son état de santé le 19 mars 2013, d’un syndrome du canal carpien sensitif s’accompagnant d’une gêne à la préhension de la main droite. L’expert évalue à 15% le déficit fonctionnel permanent lié à ces séquelles, et le centre hospitalier de Mont-de-Marsan n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation. Compte tenu de son âge à la date de consolidation, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en lui allouant une réparation de 22 000 euros.

17. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Mont-de-Marsan doit être condamné à verser Mme H… I… une somme totale de 123 400 euros en réparation de ses préjudices. Ainsi que la requérante le demande, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2016, date d’enregistrement de la demande de Mme H… I… devant le tribunal administratif de Pau.

Sur les droits de la CPAM du Lot-et-Garonne :

En ce qui concerne les débours :

18. Il résulte de l’instruction, en particulier de l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, que Mme H… I… a subi le 17 décembre 2012, en clinique, une intervention chirurgicale de libération du nerf médian du canal carpien,

et a suivi, à la suite de cette intervention, des séances de rééducation ainsi qu’un traitement antalgique et antiinflammatoire. La CPAM du Lot-et-Garonne, qui produit un relevé détaillé

de ses débours ainsi qu’une attestation d’imputabilité établie par son médecin-conseil, établit avoir exposé des dépenses de santé liées à cette prise en charge du syndrome de canal carpien

de la requérante d’un montant total de 1 412,22 euros. Par suite, il y a lieu d’accorder à la caisse le remboursement, par le centre hospitalier de Mont-de-Marsan, d’une somme de 1 412,22 euros au titre de ses débours actuels.

19. En revanche, si la CPAM du Lot-et-Garonne sollicite également le remboursement

de débours futurs, elle n’apporte aucune précision sur le détail de ces dépenses, qui ne figure pas davantage sur l’état des débours qu’elle produit. En outre, l’expertise ne fait pas état de dépenses de santé futures. Dans ces conditions, la caisse n’établit ni le caractère certain de ces dépenses,

ni encore qu’elles seraient en lien avec la faute du centre hospitalier de Mont-de-Marsan tenant au défaut de surveillance de Mme H… I…. Ses conclusions ne peuvent dès lors,

sur ce point, être accueillies.

En ce qui concerne l’indemnité forfaitaire de gestion :

20. Aux termes du neuvième alinéa de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : « En contrepartie des frais qu’elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d’assurance maladie à laquelle est affilié l’assuré social victime de l’accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l’organisme national d’assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d’un montant maximum de 910 euros et d’un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l’indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l’année considérée ».

21. En application de ces dispositions, il y lieu de condamner le centre hospitalier

de Mont-de-Marsan à verser à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot-et-Garonne une somme de 470,74 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue à l’article précité L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Sur les conclusions de l’ONIAM tendant à sa mise hors de cause :

22. Aux termes du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire./Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d’un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ".

23. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les préjudices subis par Mme H… I… sont entièrement imputables à la faute commise par le CH de Mont-de-Marsan. Il suit de là que l’ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur les frais d’expertise :

24. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties (…). ».

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre le montant des frais d’expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 056,33 euros, à la charge du centre hospitalier de Mont-de-Marsan.

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme H… I…, qui n’est pas la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Mont-de-Marsan et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de cet établissement une somme de 1 500 euros au titre des frais de justice exposés par Mme H… I…. Il n’y a pas lieu, en revanche, d’accueillir les conclusions présentées par la CPAM du Lot-et-Garonne sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1601315 du tribunal administratif de Pau du 15 mars 2018 est annulé.

Article 2 : L’ONIAM est mis hors de cause.

Article 3 : Le centre hospitalier de Mont-de-Marsan est condamné à verser à Mme H… I… une somme de 123 400 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2016.

Article 4 : Le centre hospitalier de Mont-de-Marsan est condamné à verser à la CPAM

du Lot-et-Garonne une somme de 1 412,22 euros au titre de ses débours et une somme

de 470,74 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.

Article 5 : Les frais d’expertise, taxés et liquidés à la somme de à la somme de 2 056,33 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier de Mont-de-Marsan.

Article 6 : Le centre hospitalier de Mont-de-Marsan versera à Mme H… I… une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme O… H… I…, au centre hospitalier de Mont-de-Marsan, à la caisse primaire d’assurance maladie du Lot-et-Garonne et à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l’audience du 12 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme G… N…, présidente,
Mme A… D…, présidente-assesseure,
Mme Q… C…, premier conseiller.


Lu en audience publique, le 9 juin 2020.

La présidente,

Brigitte N…


La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 18BX01743

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CAA de BORDEAUX, 2ème chambre, 9 juin 2020, 18BX01743, Inédit au recueil Lebon