Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 9 juin 2016, 15DA01303, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Douai, 3e ch. - formation à 3, 9 juin 2016, n° 15DA01303
Juridiction : Cour administrative d'appel de Douai
Numéro : 15DA01303
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif d'Amiens, 11 mai 2015, N° 1301373
Identifiant Légifrance : CETATEXT000032724569

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E… H… a demandé au tribunal administratif d’Amiens d’annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 29 mars 2013 par laquelle l’inspectrice du travail de la 5e section de l’Oise a autorisé la société par actions simplifiée Still France à procéder à son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1301373 du 12 mai 2015, le tribunal administratif d’Amiens a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 août 2015, la société par actions simplifiée Still France, représentée par Me D… G…, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif d’Amiens du 12 mai 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. H… devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge de M. H… une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – pour estimer que la réalité du motif économique invoqué pour justifier le licenciement de M. H… était établie, l’inspectrice du travail, qui n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence, n’a pas entaché sa décision d’erreur de droit, ni n’a commis d’erreur d’appréciation ;

 – les autres moyens soulevés par M. H… devant le tribunal administratif d’Amiens ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2015, M. H…, représenté par Me C… A…, conclut au rejet de la requête, à l’annulation de la décision contestée du 29 mars 2013 et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS Still France au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – l’inspectrice du travail, qui s’est exclusivement appuyée sur les éléments avancés par la direction de la SAS Still France, sans porter une appréciation sur ceux-ci à la date à laquelle elle a pris sa décision, a méconnu l’étendue de sa compétence et a, par suite, entaché cette décision d’erreur de droit ;

 – pour regarder comme établie la réalité du motif économique invoqué par la SAS Still France, l’inspectrice du travail a commis une erreur d’appréciation ;

 – la décision d’autorisation contestée est entachée d’une contradiction de motifs ;

 – elle est insuffisamment motivée ;

 – cette décision omet de faire mention de l’ensemble des mandats représentatifs qu’il détenait ;

 – pour estimer que la SAS Still France avait satisfait à ses obligations légale et conventionnelle de reclassement à son égard, l’inspectrice du travail a entaché sa décision d’une erreur de droit et a commis une erreur d’appréciation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code du travail ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

 – les conclusions de Mme Maryse Pestka, rapporteur public,

 – et les observations de Me B… F…, substituant Me D… G…, représentant la SAS Still France, ainsi que celles de Me C… A…, représentant M. H….

1. Considérant que la société par actions simplifiée Still France, qui est spécialisée dans la production et la commercialisation de chariots élévateurs destinés à assurer la manutention, tant en entrepôts que sur des aires extérieures, disposait d’un site de production à Montataire (Oise), pour la fabrication de chariots de magasinage à moteur électrique, employant 177 salariés permanents ; que cette société, qui dispose d’un réseau de distribution structuré autour de 15 directions régionales et d’un siège à Serris (Seine-et-Marne), est une entité du groupe Still, qui a son siège à Hambourg et qui est lui-même partie intégrante du groupe Kion, l’un des principaux fournisseurs mondiaux d’équipements et de services de manutention ; que la SAS Still France a annoncé, au cours de l’année 2011, la mise en place d’un projet de restructuration impliquant la fermeture du site de Montataire, puis engagé les procédures d’information et de consultation afférentes, tant au projet de réorganisation qu’aux suppressions de postes devant en résulter ; qu’elle a, dans ce cadre, sollicité, en novembre 2012, l’autorisation de licencier M. H…, qui détenait les mandats de délégué syndical, de délégué syndical central, de délégué du personnel, ainsi que de membre du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que la SAS Still France relève appel du jugement du 12 mai 2015 par lequel le tribunal administratif d’Amiens a annulé la décision du 29 mars 2013 de l’inspectrice du travail de la 5e section de l’Oise délivrant l’autorisation sollicitée ;

2. Considérant qu’en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des délégués syndicaux et des membres du comité d’entreprise, qui bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l’inspecteur du travail dont dépend l’établissement ; que, lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé ; que, dans le cas où la demande d’autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si la situation de l’entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d’effectifs et de la possibilité d’assurer le reclassement du salarié dans l’entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; que si la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise peut constituer un tel motif, c’est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l’entreprise, laquelle s’apprécie, lorsque l’entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d’activité dont relève l’entreprise en cause au sein du groupe ;

3. Considérant, en premier lieu, que la SAS Still France a fait état d’une augmentation, sur la période couvrant les années 2005 à 2011, du prix des matières premières de l’ordre de 50 % en moyenne ; qu’il ressort, toutefois, des pièces du dossier et notamment du rapport de l’expert-comptable désigné par le comité central d’entreprise, dont l’analyse n’est pas utilement contredite sur ce point par le rapport du cabinet d’expertise comptable missionné par la société, que cette donnée, qui prend en compte l’évolution du prix de l’acier sur la période considérée, ne reflète pas fidèlement l’évolution des prix, alors que la tôle d’acier, qui entre majoritairement dans la fabrication des produits réalisés dans l’usine de Montataire, a seulement vu son prix augmenter de 9 % par rapport à son niveau de l’année 2005 ; qu’en tout état de cause, la SAS Still France n’a fourni aucun élément de nature à établir que le groupe Kion, auquel elle appartient et qui exerce l’ensemble de son activité dans le secteur de la production et de la commercialisation d’engins de manutention, aurait été davantage affecté que ses concurrents par l’augmentation dont elle fait état, à supposer même que celle-ci ait atteint le niveau qu’elle invoque ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que, s’il est constant que de nouveaux opérateurs, implantés dans les pays émergents et notamment en Asie et proposant des prix très concurrentiels, sont apparus sur le marché des outils de manutention et notamment sur celui des chariots de magasinage à moteur électrique, il ressort des pièces du dossier que ces opérateurs commercialisent des produits d’un niveau de gamme notablement inférieur à celui des chariots jusqu’alors fabriqués dans l’usine de Montataire, lesquels étaient, en outre, associés à des solutions de financement ainsi qu’à des prestations de services après vente, et que l’éloignement géographique des moyens de production dont disposent ces nouveaux opérateurs, de même que le coût du transport, n’a pas permis jusqu’alors à ceux-ci de se positionner comme de réels concurrents sur le marché européen ; que, si la SAS Still France a néanmoins invoqué des pertes de marché du groupe Kion sur ce territoire, en faisant état de ce que les principaux acheteurs ont eu tendance à regrouper leurs commandes et à exercer une pression importante sur les prix, elle n’a toutefois apporté aucun élément au soutien de son allégation selon laquelle ces pertes, qui n’ont pas été de nature à remettre en cause le maintien du groupe Kion à la première place sur le marché européen et qui peuvent s’expliquer par le maintien par le groupe de ses taux de marge à des niveau plus élevés que ceux de ses principaux concurrents, trouverait son origine dans une baisse significative de compétitivité ; qu’à cet égard, si la SAS Still France a invoqué la nécessité de réduire le nombre de ses sites de production en Europe, par comparaison au nombre d’implantations dont disposeraient les principaux concurrents du groupe Kion sur ce marché, et d’augmenter le taux d’occupation de ces sites, en faisant état de ce que ce taux n’aurait atteint que 47 % en ce qui concerne l’usine de Montataire, il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport établi par le cabinet d’expertise comptable missionné par le comité central d’entreprise, que les bases de calcul de ce taux, qui reposent sur des données théoriques non justifiées et ne correspondant pas aux conditions réelles de production, sont discutables ; qu’en outre, la SAS Still France n’a fourni aucun élément de comparaison au soutien de ses allégations concernant le nombre de sites de production de ses principaux concurrents et le taux d’occupation de ceux-ci ;

5. Considérant, en troisième lieu, que la SAS Still France a fait état de ce que le groupe Kion avait enregistré un cumul de pertes nettes de 670 millions d’euros durant la période couvrant les années 2007 à 2010 ; qu’il ressort, toutefois, des pièces du dossier et notamment des données publiées par le groupe Kion pour l’année 2011, que son activité a connu une reprise significative, caractérisée par une hausse de 27 % de son chiffre d’affaires sur les neuf premiers mois par rapport à celui constaté au titre de la même période en 2010 et un taux de marge nette atteignant 8,2 % sur la même période et progressant ainsi par rapport à celui de l’année 2008, qui était alors de 7,8 %, tandis que le taux de marge opérationnelle a, dans le même temps, augmenté de 43, 9% au premier semestre 2011 par rapport à la période correspondante l’année précédente, la tendance à la hausse s’étant poursuivie en 2012 ; que cette évolution s’explique par une progression de 21, 3% du carnet de commandes de chariots neufs au premier semestre 2011 par rapport à la période correspondante en 2010, le marché européen et la division Still ayant notablement contribué à ce redressement, qui n’a pas été remis en cause en 2012 malgré un léger ralentissement ;

6. Considérant, en dernier lieu, que, si le niveau d’endettement du groupe Kion demeure élevé, malgré une renégociation globale de sa dette en 2011, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette situation serait, dans ces conditions, de nature à compromettre sa rentabilité ;

7. Considérant, ainsi, que, si le plan de restructuration mis en oeuvre pas la SAS Still France s’inscrit dans le cadre d’une stratégie visant à conforter l’implantation du groupe Kion sur la marché européen, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce plan aurait pour objet de répondre à une menace pour la compétitivité du groupe, ni de celle de la SAS Still France ; que, par suite, pour estimer, par sa décision du 29 mars 2013, que la réalité du motif économique invoqué par la SAS Still France au soutien de sa demande d’autorisation de licencier M. H… était établie, l’inspecteur du travail a commis une erreur d’appréciation ; qu’il suit de là que la SAS Still France n’est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif d’Amiens aurait retenu à tort ce motif, qui suffisait à justifier l’annulation de cette décision ;

8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SAS Still France n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 12 mai 2015, le tribunal administratif d’Amiens a prononcé l’annulation de la décision du 29 mars 2013 de l’inspectrice du travail de la 5e section de l’Oise l’autorisant à licencier M. H…; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de ce dernier, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la SAS Still France et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SAS Still France, sur le fondement des mêmes dispositions, une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. H… et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Still France est rejetée.

Article 2 : La SAS Still France versera à M. H… la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Still France, à M. E… H… et au ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée, pour son information, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi du Nord/Pas-de-Calais/Picardie.

Délibéré après l’audience publique du 26 mai 2016 à laquelle siégeaient :

— M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

 – M. Olivier Nizet, président-assesseur,

 – M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 9 juin 2016.


Le rapporteur,

Signé : J.-F. PAPINLe président de chambre,

Signé : P.-L. ALBERTINILe greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.


Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

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N°15DA01303

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