CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 16 juin 2020, 19MA05681, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 8e ch., 16 juin 2020, n° 19MA05681
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 19MA05681
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Nîmes, 20 octobre 2019, N° 1703278
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042092559

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner solidairement la société Oc’Via et SNCF Réseau à leur verser la somme de 2 600 000 euros en réparation des préjudices résultant de la mise en service du contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier, subsidiairement, si mieux n’aiment, de condamner solidairement la société Oc’Via et SNCF Réseau à réaliser les travaux d’isolement phonique préconisés par l’expert.

Par un jugement n° 1703278 du 21 octobre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande et mis à leur charge définitive et solidaire les frais de l’expertise ordonnée en référé.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 décembre 2019, le 15 mai 2020, le 19 mai 2020 et le 27 mai 2020, la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt, représentées par Me E…, demandent à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 21 octobre 2019 ;

2°) de condamner solidairement la société Oc’Via et SNCF Réseau à leur verser la somme de 2 600 000 euros hors taxes en réparation des préjudices résultant de la mise en service du contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier, avec intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2017 et capitalisation, subsidiairement, si mieux n’aiment, de condamner solidairement la société Oc’Via et SNCF Réseau à réaliser les travaux d’isolement phonique préconisés par l’expert dans le délai de six mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, sous contrôle de l’expert, les frais de ce dernier étant pris en charge solidairement par la société Oc’Via et SNCF Réseau ;

3°) d’enjoindre à la société Oc’Via et à SNCF Réseau de mettre fin à leur comportement fautif ou d’en pallier les effets en accomplissant les travaux dans le délai de six mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir ;

4°) de condamner solidairement la société Oc’Via et SNCF Réseau à leur verser la somme de 20 073,02 euros toutes taxes comprises au titre des frais de l’expertise ordonnée en référé ;

5°) de mettre à la charge de la société Oc’Via et SNCF Réseau la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

 – en application de l’article 36.1 du contrat de partenariat conclu avec Réseau ferré de France, la responsabilité de la société Oc’Via est engagée en sa qualité de maître d’ouvrage et de gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire pour réparer les dommages causés aux tiers par la construction, l’existence, la maintenance et le renouvellement de la ligne ;

 – les nuisances sonores ressenties par les clients sur les surfaces extérieures aux magasins et par les employés dans les bureaux impactés constituent un dommage anormal et spécial dès lors que les niveaux sonores résultant de la circulation des trains excèdent les seuils réglementaires et ont le caractère de pics sonores dont la durée cumulée est importante ;

 – la société Oc’Via a commis une faute en ne se conformant pas aux engagements alors souscrits par Réseau ferré de France en matière de protection acoustique dans le dossier soumis à enquête d’utilité publique et par elle dans le contrat de partenariat conclu avec SNCF Réseau, cette faute pouvant être utilement invoquée à l’appui des conclusions tendant à fin d’injonction.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 avril 2020 et le 25 mai 2020, la société Oc’Via, représentée par Me D…, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Euro Dépôt Immobilier et de la société Brico Dépôt au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mai 2020, la société SNCF Réseau, représentée par Me G…, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 6 000 euros soit mise solidairement à la charge de la société Euro Dépôt Immobilier et de la société Brico Dépôt au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – les requérantes n’ont pas établi qu’elles avaient qualité pour agir en première instance ;

 – elle doit être mise hors de cause ;

 – les moyens soulevés par la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt ne sont pas fondés.

Une note en délibéré et des pièces présentées par la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt ont été enregistrées le 3 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code de l’environnement ;

 – le décret n° 2012-887 du 18 juillet 2012 ;

 – l’arrêté du 8 novembre 1999 relatif au bruit des infrastructures ferroviaires ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. H…,

 – les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

 – et les observations de Me F…, substituant Me E…, représentant la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt, de Me C…, substituant Me D…, représentant la société Oc’Via, et de Me B…, substituant Me G…, représentant la société SNCF Réseau.

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 16 mai 2005, dont les effets ont été prorogés par un décret du 28 avril 2015, les travaux nécessaires au contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier (CNM) ont été déclarés d’utilité publique et urgents. Un décret du 18 juillet 2012 a approuvé le contrat de partenariat passé entre Réseau ferré de France et la société Oc’Via pour la conception, la construction, le fonctionnement, la maintenance, le renouvellement et le financement de cet ouvrage. Par ordonnance du 1er juillet 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a, à la demande de la société Euro Dépôt Immobilier et de la société Brico Dépôt, ordonné une expertise aux fins de déterminer les risques de nuisances sonores et vibratoires pouvant être subies au niveau de l’établissement commercial exploité par ces sociétés sur le territoire de la commune d’Aigues-Vives, après la mise en service de cette ligne. Ces sociétés ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner solidairement la société Oc’Via et SNCF Réseau, nouvelle dénomination de Réseau ferré de France, à leur verser la somme de 2 600 000 euros en réparation des préjudices résultant de la mise en service de cette ligne, subsidiairement, si mieux n’aiment, de condamner solidairement la société Oc’Via et SNCF Réseau à réaliser les travaux d’isolement phonique préconisés par l’expert. Elles relèvent appel du jugement du 21 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Le maître d’un ouvrage public est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d’une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l’égard d’un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l’existence d’un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération. Ne sont pas susceptibles d’ouvrir droit à indemnité les préjudices qui n’excèdent pas les sujétions susceptibles d’être normalement imposées, dans l’intérêt général, aux riverains des ouvrages publics.

3. Le rapport de l’expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a été élaboré et remis avant la mise en service du contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier, qui a été conçu pour permettre la circulation quotidienne de 60 trains à grande vitesse à la vitesse de 300 km/h et de 54 trains de fret à 100 km/h. Néanmoins, dans un premier temps, la signalisation équipant la ligne limite la vitesse des circulations à 220 km/h. Il est constant que les premières circulations sont intervenues en décembre 2017 pour les trains de fret et en juillet 2018 pour les autres trains. Alors même que le nombre et la vitesse des trains empruntant cette ligne sont largement en dessous des capacités admissibles et que les conclusions de la société Euro Dépôt Immobilier et de la société Brico Dépôt sont fondées sur les éléments du rapport d’expertise, le préjudice dont elles demandent réparation ne peut être regardé comme éventuel.

4. Il résulte de l’instruction que les espaces de vente extérieurs ainsi que le parking du magasin exploité par les sociétés requérantes sont situés à une distance allant de 115 à 135 m au nord du contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier construit à cet endroit en remblai d’une hauteur de 6 m, le comptoir des matériaux situé à l’extérieur et le magasin lui-même se trouvant au plus près à une distance de 170 m et de 220 m. A…'expert, qui s’est fondé sur les données indiquées dans l’étude d’impact qui figurait au dossier d’utilité publique de la ligne, a estimé que la circulation des trains, à la vitesse maximum admissible, produisait normalement un niveau de bruit de l’ordre de 80 dB à 200 m à proximité du magasin durant 4 à 10 secondes pour les trains à grande vitesse, en fonction de la longueur de la rame, et de 45 à 60 secondes pour les trains de fret, la durée cumulée de ce bruit atteignant 50 mn sur une journée. Il a évalué à 62 dB en moyenne la contribution sonore du passage quotidien de 60 trains à grande vitesse à 300 km/h et de 54 trains de fret à 100 km/h, ce qui élève de 3 dB le niveau sonore moyen susceptible d’être relevé au niveau des différents espaces extérieurs du magasin les plus proches de la ligne. Aucune nuisance ne devait, selon l’expert, être ressentie à l’intérieur du magasin.

5. Il ressort du rapport de l’expert que le magasin détenu et exploité par les sociétés requérantes est déjà exposé à des nuisances sonores résultant de la nature même de son activité et de sa situation en bordure et à proximité de routes à forte circulation et d’un accès autoroutier. Alors même que, ainsi qu’il a été rappelé au point 3, le trafic s’écoulant actuellement sur le contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier est largement inférieur aux capacités maximum de la ligne prises en compte par l’expert, les niveaux de bruit moyens estimés par celui-ci n’excèdent pas les niveaux maximum admissibles de la contribution sonore, fixés à 65 dB par l’article 2 de l’arrêté du 8 novembre 1999 relatif au bruit des infrastructures ferroviaires, notamment pour les locaux à usage de bureaux en zone d’ambiance sonore préexistante modérée, disposition dont le champ d’application est le plus proche de la situation en cause. L’article 6 de cet arrêté dispose par ailleurs que les indicateurs de gêne ferroviaire sont évalués pour des conditions de circulation moyennes représentatives de l’ensemble de l’année, pour chacune des périodes diurne et nocturne et non pas en fonction de la valeur maximale pouvant être relevée au passage d’un train. En outre, la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt n’établissent pas dans quelle mesure les nuisances sonores résultant de la circulation des trains sur le contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier, notamment celles résultant des émergences sonores maximales relevées au passage des trains, auraient provoqué la perte d’une partie de la clientèle et, par suite, une diminution du chiffre d’affaires réalisé. Elles ne peuvent sur ce point utilement se prévaloir de ce que l’Autorité environnementale recommande que soient prises en compte, dans la conception des infrastructures de transport, les émergences sonores ponctuelles ou des préconisations de l’Organisation mondiale de la santé en faveur de la réduction des niveaux sonores admissible en matière ferroviaire. De même, en leur qualité de tiers, elles ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance alléguée des engagements contractuels de la société Oc’Via en matière de respect des dispositions réglementaires existantes en matière de bruit, laquelle a d’ailleurs repris les prévisions énoncées sur ce point dans l’étude d’impact du projet alors élaborée par Réseau ferré de France. Dans ces conditions, en dépit de la gêne ponctuelle éprouvée par les salariés travaillant dans le magasin, les requérantes ne justifient pas, en tout état de cause, de l’existence d’un dommage anormal et spécial directement en lien avec l’ouvrage dès lors que les préjudices dont elles font état n’excèdent pas les sujétions susceptibles d’être normalement imposées, dans l’intérêt général, aux riverains d’ouvrages publics.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

7. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l’exécution de travaux publics ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s’il constate qu’un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s’abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures.

8. Les requérantes soutiennent que la société Oc’Via a commis une faute en ne se conformant pas aux engagements alors souscrits par Réseau ferré de France en matière de protection acoustique dans le dossier soumis à enquête d’utilité publique et par elle dans le contrat de partenariat conclu avec la société SNCF Réseau. Elles invoquent cette faute à l’appui des conclusions à fin d’injonction, lesquelles ne peuvent qu’être rejetées dans la mesure où le présent arrêt, qui rejette les conclusions principales des requérantes, n’implique aucune mesure d’exécution.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Oc’Via et de la société SNCF Réseau, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que la société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Euro Dépôt Immobilier et de la société Brico Dépôt une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Oc’Via et non compris dans les dépens et une somme de même montant au titre des frais de même nature exposés par la société SNCF Réseau et non compris dans les dépens.

D É C I D E :


Article 1er : La requête de la société Euro Dépôt Immobilier et de la société Brico Dépôt est rejetée.

Article 2 : La société Euro Dépôt Immobilier et la société Brico Dépôt verseront à la société Oc’Via une somme globale de 2 000 euros et une somme de même montant à la société SNCF Réseau, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle Euro Dépôt Immobilier, à la société par actions simplifiée unipersonnelle Brico Dépôt, à la société anonyme Oc’Via et à la société anonyme SNCF Réseau.

Délibéré après l’audience du 2 juin 2020, où siégeaient :

— M. Badie, président,

 – M. H…, président assesseur,

 – M. Ury, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 juin 2020.

N° 19MA05681 2

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