CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 7 avril 2021, 19MA01071, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 8e ch., 7 avr. 2021, n° 19MA01071
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 19MA01071
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Nice, 7 janvier 2019, N° 1604487
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000043385824

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, de condamner la commune de Broc, le département des Alpes-Maritimes et la Métropole Nice Côte d’Azur à lui verser la somme globale de 631 470 euros au titre du coût des travaux de remise en état de sa propriété sise 341, avenue Francis Gag, au Broc, à la suite des désordres résultant du dysfonctionnement des réseaux publics d’eaux pluviales et d’eaux usées, à titre subsidiaire, de condamner la commune de Broc, le département des Alpes-Maritimes et la Métropole Nice Côte d’Azur à lui payer la somme globale de 671 410,23 euros correspondant au coût de la démolition et de la reconstruction de sa propriété et de condamner, en tout état de cause, la commune de Broc, le département des Alpes-Maritimes et la Métropole Nice Côte d’Azur à réparer les préjudices suivants : 25 000 euros au titre du préjudice de jouissance, 25 000 euros au titre du préjudice moral, 21 600 euros au titre des frais de relogement, 6 000 euros au titre du coût du garde-meubles, 15 000 euros au titre de la perte énergétique, 37 721 euros au titre du coût du refuge pour animaux, 16 608 euros au titre du désamiantage de la maison et 114 000 euros au titre du coût de la construction d’un mur de soutènement.

Par un jugement n° 1604487 du 8 janvier 2019, le tribunal administratif de Nice a mis hors de cause la commune de Broc et le département des Alpes-Maritimes, condamné la métropole Nice Côte d’Azur à verser à M. B… la somme de 194 668 euros en réparation de ses préjudices, mis à la charge de la métropole Nice Côte d’Azur et de M. B…, pour moitié chacun, les frais d’expertise et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 mars 2019, 14 mai 2019,

23 juillet 2020 et 26 octobre 2020, M. B…, représenté par Me C…, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du 8 janvier 2019 en tant que le tribunal administratif de Nice a limité à la somme de 194 668 euros l’indemnité que la métropole de Nice Côte d’Azur a été condamnée à lui verser en réparation de ses préjudices et a mis hors de cause la commune de Broc et le département des Alpes-Maritimes ;

2°) à titre principal, de condamner in solidum la commune de Broc, le département des Alpes-Maritimes et la Métropole Nice Côte d’Azur à réparer son entier préjudice, lequel se décompose de la manière suivante :

- 671 410,23 euros correspondant au coût de la démolition et de la reconstruction de sa propriété ;

- 25 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

- 25 000 euros au titre du préjudice moral ;

- 21 600 euros au titre des frais de relogement ;

- 6 000 euros au titre du coût d’un garde-meubles le temps de la réalisation des travaux ;

- 15 000 euros au titre de la perte énergétique résultant des désordres affectant sa propriété ;

- 37 721 euros au titre du coût du refuge pour animaux le temps de la réalisation des travaux ;

- 16 608 euros au titre du désamiantage de la maison ;

- 114 000 euros au titre du coût de la construction d’un mur de soutènement ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner les mêmes in solidum à lui verser la somme de 631 470 euros au titre du coût des travaux de remise en état de sa propriété et les sommes détaillées au 2°) s’agissant des autres préjudices ;

4°) d’enjoindre à la métropole Nice Côte d’Azur de réaliser les travaux de réfection et de remise en état préalable des réseaux d’eaux pluviales et d’eaux usées défectueux au niveau de la route métropolitaine 1 ;

5°) de débouter le département des Alpes-Maritimes et la métropole Nice Côte d’Azur de leurs conclusions incidentes et présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) de mettre in solidum à la charge de la commune de Broc, du département des Alpes-Maritimes et de la Métropole Nice Côte d’Azur la somme de 8 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – sa requête est recevable dès lors qu’il a bien joint à sa requête d’appel le jugement attaqué, contrairement à ce que soutient le département des Alpes-Maritimes ;

 – sa créance n’est pas prescrite, contrairement à ce que soutient la métropole Nice Côte d’Azur, dès lors qu’il n’a eu connaissance de l’étendue de son préjudice et de ses causes qu’à compter de la réception du rapport de l’expert judiciaire, le 2 mars 2016 ;

 – il existe un lien direct, certain et exclusif entre le dysfonctionnement des réseaux d’eaux pluviales et d’eaux usées et les désordres affectant son bien ; aucune faute ne peut lui être imputée, notamment s’agissant du mode de construction de sa maison ;

 – la métropole Nice Côte d’Azur, la commune de Broc et le département des Alpes-Maritimes sont responsables de ces désordres ;

 – tous les préjudices dont il demande réparation sont justifiés, l’aggravation des désordres constatés depuis l’introduction de l’instance devant le tribunal administratif de Nice rendent nécessaires la démolition et la reconstruction de sa maison, les travaux de réparation ne pouvant être envisagés qu’à titre subsidiaire ;

 – la réalisation des travaux de réfection des réseaux est nécessaire pour mettre fin aux désordres.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 avril 2019 et 29 septembre 2020, le département des Alpes-Maritimes, représenté par la SCP Richer et associés, conclut au rejet de la requête de M. B… et à ce que soit mise à la charge de ce dernier une somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

 – la requête de M. B… est irrecevable faute pour celui-ci d’avoir produit, dans le délai d’appel, le jugement attaqué ;

 –  c’est à bon droit que les premiers juges l’ont mis hors de cause : la route départementale n° 1 a été incluse dans le périmètre de la métropole Nice Côte d’Azur et, par suite, seule la responsabilité de cette collectivité publique peut être recherchée pour des désordres liés au domaine public routier ;

 – M. B… n’établit pas de lien direct et certain entre les désordres affectant sa propriété et l’ouvrage public routier ;

 – si un tel lien devait néanmoins être reconnu, la responsabilité de la collectivité ne saurait être retenue au-delà d’un taux de 10% ;

 – les préjudices dont se prévaut M. B… ne sont pas justifiés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 mars 2020 et 16 octobre 2020, la métropole Nice Côte d’Azur, représentée par Me E…, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de M. B… ;

2°) par la voie de l’appel incident :

 – d’annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 8 janvier 2019 ;

 – à titre principal, de rejeter la demande de M. B… devant le tribunal administratif de Nice, à titre subsidiaire, si sa responsabilité était retenue, de limiter l’indemnité due au requérant à hauteur de 10 % du montant des travaux retenu par l’expert judiciaire, soit

375 000 euros TTC.

Elle soutient que :

 – à titre principal, la prescription quadriennale s’oppose à ce que soient indemnisés des dommages qui étaient connus dès 1994 ;

 – le dysfonctionnement des réseaux publics n’est qu’un facteur très secondaire d’aggravation des désordres apparus dans la propriété de M. B…, qui ne saurait dépasser 10% ; la cause de ces désordres réside en premier lieu dans les caractéristiques géologiques très défavorables sur lesquelles l’habitation de M. B… est bâtie et en second lieu dans le mode de construction de cette maison et de sa voie d’accès ;

 – M. B… ne justifie d’aucun autre préjudice que le coût des travaux de réparation évalués par l’expert judiciaire à 375 000 euros TTC.

Par lettre du 2 mars 2021, les parties ont été informées, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt de la Cour était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’irrecevabilité des conclusions de M. B… tendant à ce qu’il soit enjoint à la métropole Nice Côte d’Azur de réaliser des travaux de réfection et de remise en état, nouvelles en appel et reposent au surplus sur le fondement de la faute commise par cette collectivité, qui n’a pas été invoqué dans le délai d’appel.

La métropole Nice Côte d’Azur a répondu à cette lettre par un mémoire, enregistré le

3 mars 2020, qui n’a pas été communiqué.

M. B… a répondu à cette lettre le 9 mars 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. F… pour présider la formation de jugement en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme D…,

 – et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A… B… est propriétaire de la parcelle cadastrée section B n° 992 située 341 avenue Francis Gag, au Broc, sur laquelle est édifiée une maison située en contrebas de la route départementale n° 101, devenue voie métropolitaine 1. Estimant que les désordres dont était affectée sa propriété étaient dus à des infiltrations d’eaux en provenance de cette voie, il a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice d’ordonner une expertise afin de déterminer les causes et l’étendue de ses préjudices. Par ordonnance n° 1401121 du

8 septembre 2014, le juge des référés du tribunal a ordonné une telle expertise, qu’il a confiée à un expert qui s’est adjoint le concours d’un sapiteur hydrogéologue. Considérant que le rapport de l’expert permettait de conclure à la responsabilité de la métropole Nice Côte d’Azur, de la commune de Broc et du département des Alpes-Maritimes, M. B… a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner solidairement ces trois collectivités à réparer son entier préjudice. Par un jugement du 8 janvier 2019, le tribunal, après avoir mis hors de cause la commune et le département, a condamné la métropole Nice Côte d’Azur à verser à M. B… une somme de 194 668 euros en réparation de ses préjudices. M. B… relève appel de ce jugement en tant qu’il a limité l’indemnisation de son préjudice à cette somme et mis hors de cause la commune de Broc et le département des Alpes-Maritimes. Par la voie de l’appel incident, la métropole Nice Côte d’Azur demande à la Cour, à titre principal, d’annuler ce jugement, subsidiairement, de diminuer le montant de sa condamnation.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le département des Alpes-Maritimes :

2. Il ressort de l’accusé de réception de la requête du 7 mars 2019 de M. B…, délivrée par l’application « Télérecours » que le jugement attaqué était joint à la requête. Le moyen tiré de ce que celle-ci serait irrecevable à défaut d’être accompagnée de la décision attaquée, irrecevabilité au demeurant régularisable, ne peut donc qu’être écarté comme manquant en fait.

Sur l’exception de prescription quadriennale soulevée par la métropole Nice Côte d’Azur :

3. Aux termes de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics : « Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (…) ». Aux termes de l’article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l’administration saisie n’est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l’auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance ; toute communication écrite d’une administration intéressée, même si cette communication n’a pas été faite directement au créancier qui s’en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance ;(…) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l’interruption. Toutefois, si l’interruption résulte d’un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée« . Enfin, aux termes de son article 3 : » La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir (…) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance (…) ".

4. D’une part, le point de départ de la prescription quadriennale prévue à l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l’origine du dommage ou du moins de disposer d’indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l’administration. D’autre part, lorsque la responsabilité d’une personne publique est recherchée au titre d’un dommage causé à un tiers par un ouvrage public, les droits de créance invoqués par ce tiers en vue d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.

5. La Métropole Nice Côte d’Azur soutient que la créance dont se prévaut M. B… est prescrite dès lors que les désordres affectant la villa du requérant ont été relevés dès 1994 et que leur origine était déjà imputée à un dysfonctionnement des réseaux publics des eaux pluviales et usées, alors que le requérant n’a demandé que le 11 mars 2014 que soit ordonnée une expertise afin de déterminer l’origine de ces désordres. Il résulte de l’instruction que, dès août 1994, le père de M. B…, qui était alors propriétaire de la maison, a signalé des écoulements d’égouts à la compagnie des eaux et de l’ozone, qui entretenait alors les réseaux sous la route départementale, et qu’il a adressé en septembre 1994 aux services compétents du département des Alpes-Maritimes et de la commune de Broc une lettre dans laquelle il se plaint des déversements d’eaux pluviales de la route vers sa propriété responsables selon lui d’infiltrations à l’origine d’importantes lézardes et fissures dans la villa. En 2005, M. A… B… s’est plaint des mêmes problèmes au département, lequel évoque en retour " des eaux pluviales [qui] proviennent des zones imperméabilisées d’un bassin versant dont la surface de captage est très supérieure à celle de la chaussé de la RD concernée " et indique transmettre la demande à la commune de Broc afin de convenir ensemble de travaux d’amélioration. Dans un courrier du

18 mai 2006, le département indique que lors des travaux prévus sur la route départementale, il sera construit un avaloir permettant de rejeter les eaux pluviales dans le réseau existant. Enfin, le 23 avril 2013, M. A… B… s’est à nouveau plaint de désordres sur la structure du bâtiment suite à de fortes pluies et a demandé au maire de la commune, au département des

Alpes-Maritimes et à la métropole Nice Côte d’Azur que soit prise en urgence une décision avant de faire état, par courrier du 16 avril 2014 adressé à la métropole, d’un glissement de terrain survenu en mars 2014, qu’il impute aux travaux « il y a de ça 4 ou 5 ans » sur le réseau de récupération des eaux pluviales, qui auraient été mal réalisés. Dans ces conditions, d’une part, si le lien entre le déversement d’eaux en provenance de la route située en amont de la propriété de M. B…, et, par suite, la responsabilité de la ou des collectivités en charge de l’entretien de l’ouvrage était évoquée par les intéressés en 1994 et en 2005, il s’agissait d’une hypothèse qui ne permettait pas, à elle seule, de considérer que pouvait être engagée la responsabilité des collectivités en cause et, d’autre part, l’étendue des désordres, et donc des préjudices ne pouvait, à ces dates, être entièrement connue. L’origine des désordres ainsi que leur étendue n’ayant été connus qu’à compter de la remise, le 26 février 2016, du rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif de Nice, l’exception de prescription quadriennale opposée par la Métropole Nice Côte d’Azur aux demandes d’indemnisation de M. B… doit être écartée.

Sur les conclusions indemnitaires :

6. Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages permanents que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure. Dans le cas d’un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l’ouvrage, sauf lorsqu’elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

En ce qui concerne la cause des désordres :

7. Il résulte de l’instruction, et en particulier du rapport de l’expert désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice, que la propriété de M. B… présente des désordres, affectant notamment les murs porteurs de la villa (fissures) d’une part, la stabilité du talus aval de la voie d’accès, d’autre part. Ces désordres ont été détaillés dans les procès-verbaux de constats d’huissier en date du 31 mars 2014 portant sur le chemin d’accès et du 3 juillet 2014 portant sur la villa, tous deux soumis au contradictoire.

8. D’une part, selon l’expert, « la construction de M. B… est située dans un secteur sensible, prédisposé à des mouvements de terrain en raison du contexte géologique du site »

(p. 22 du rapport). L’expert note par ailleurs, p. 19 de son rapport, « un déversement important des eaux de ruissellement de la voie vers la propriété » et « un dysfonctionnement avéré du réseau d’eaux usées en amont de la maison B…, générant des infiltrations d’eaux usées et pluviales au niveau d’un fourreau technique situé en amont de la maison » (p. 22). Ces dysfonctionnements des réseaux ne sont pas, selon l’expert, liés à des mouvements de terrain mais « à un défaut de conception et de réalisation de ceux-ci » (p. 29 du rapport). Une analyse plus poussée réalisée par le sapiteur hydrogéologue que s’est adjoint l’expert, a permis de mettre en évidence le « fait que les eaux pluviales et les eaux usées, qui arrivent dans le fourreau technique situé en contre-rive de la route métropolitaine 1 en amont de la maison B… s’infiltrent et transitent par la nappe perchée », provoquant « des infiltrations d’eau qui s’écoulent sous l’emprise des fondations de la villa B… située en aval de cette voie métropolitaine » (p. 23). Un dysfonctionnement de la gestion des eaux pluviales avait déjà été relevé par le sapiteur dans son rapport établi le 27 mars 2014 dans le cadre de l’expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Grasse, qui indiquait (p. 11 de ce rapport) que « lors des fortes pluies, en raison d’un dysfonctionnement localisé dans la gestion des eaux pluviales de la voie métropolitaine M 1 avenue Francis Gag au droit été en amont de la propriété B… (…) le flux de voirie se déverse sur le talus de rive où il s’infiltre dans les éboulis au lieu d’être intercepté par le réseau pluvial existant en contre-rive de la voie ». Cette situation, selon l’expert mandaté par le tribunal administratif de Nice, affecte les terrains d’assise de la villa par lessivage progressif des particules fines et modification de la fraction argileuse du sol du fait de l’infiltration des eaux usées, ce qui modifie le comportement d’assise des fondations de la construction. D’autre part, s’agissant de la voie d’accès à la villa, si cet expert note p. 24 de son rapport un défaut d’exécution de cette voie d’accès en remblais « sans décapage du terrain naturel et aménagement préalable du redans » alors qu’elle est située sur « un versant en pente soutenue, constitué de terrains de qualités mécaniques médiocres », il relève également une instabilité du talus aval de la voie d’accès et l’absence d’étanchéité parfaite d’un regard situé en amont immédiat du secteur, susceptible d’être à l’origine d’un débordement des effluents dans ce secteur, du fait de l’obstruction de la canalisation d’eaux usées vers l’aval. Il résulte de l’ensemble de ces constatations, qui ne sont pas présentées comme de simples hypothèses, que si la villa de M. B… est construite sur un terrain prédisposé à des glissements et affaissements, le terrain d’assise de la construction de l’habitation comme celui de la voie d’accès à la villa a été affecté par les conséquences des dysfonctionnements des réseaux d’eaux usées et d’eaux pluviales. Dans ces conditions, un lien direct et certain doit être regardé comme établi entre les dysfonctionnements de ces réseaux et les désordres constatés sur la propriété de M. B…, qui est fondé, par suite, ainsi que l’a jugé le tribunal administratif de Nice, à rechercher la responsabilité de la collectivité publique responsable des ouvrages publics en cause pour les désordres résultant de ces dysfonctionnements.

En ce qui concerne la responsabilité des désordres :

9. En premier lieu, il résulte de l’instruction que les eaux qui se déversent dans la propriété de M. B… proviennent de la voie métropolitaine située en amont, et que les infiltrations sous les fondations de l’habitation sont la conséquence d’un dysfonctionnement des réseaux d’eaux usées et d’eaux pluviales, au droit de cette voie dont ils constituent des dépendances, qui relève de la compétence de la métropole Nice Côte d’Azur, depuis le transfert à cet établissement public de coopération intercommunal des routes classées dans le domaine public routier départemental situées, notamment, dans le périmètre de la commune de Broc, par arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 16 janvier 2014.

10. Conformément à l’article L. 5211-5 III du code général des collectivités territoriales, le transfert des compétences aux métropoles entraîne de plein droit l’application des dispositions générales relatives aux biens des collectivités à la date du transfert, notamment l’article L. 1321-2 du même code en vertu duquel la collectivité bénéficiaire de la mise à disposition des biens assume l’ensemble des obligations du propriétaire. S’agissant plus particulièrement de la compétence « gestion des routes classées dans le domaine public routier départemental ainsi que leurs dépendances et accessoires », le II de l’article L. 5217-4 du même code, dans sa rédaction applicable au moment du transfert, prévoyait en son b), désormais repris au 6° du IV de l’article L. 5217-2 du code, que le transfert de compétence emporte transfert des servitudes, droits et obligations correspondants ainsi que le classement des routes transférées dans le domaine public de la métropole. Enfin, selon l’article L. 5217-6 du même code dans sa rédaction applicable au moment du transfert, désormais repris à l’article L. 5217-5 du code, « La métropole est substituée de plein droit, pour l’exercice des compétences transférées (…) dans l’ensemble des droits et obligations attachés aux biens mis à disposition en application du premier alinéa et transférés à la métropole en application des deuxième à cinquième alinéas du présent article, ainsi que pour l’exercice de ces compétences sur le territoire métropolitain dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes (…) ».

11. Il résulte des points 9 et 10 que la métropole Nice Côte d’Azur est seule débitrice des créances de M. B… et que c’est à bon droit que les premiers juges ont mis hors de cause le département des Alpes-Maritimes et la commune de Broc.

12. D’une part, s’il résulte de l’instruction que les désordres affectent le chemin d’accès à la villa ont été provoqués par un glissement de terrain causé par le déversement des eaux pluviales provenant de l’ouvrage public, les effets de ce phénomène ont été aggravés selon l’expert du fait de « la constitution de la voie d’accès en remblai, sans décapage du terrain naturel et aménagement préalable en redans » qui « peut être considérée comme un défaut d’exécution pour la mise en place de ce type de matériaux d’apport sur un versant en pente soutenue, constitué de terrains de qualité mécanique médiocre » (p. 24 du rapport), dont est responsable la victime du dommage. Cette circonstance est de nature à atténuer de moitié la responsabilité de la métropole, en ce qui concerne la réparation des désordres constatés sur cette voie.

13. D’autre part, si la métropole Nice Côte d’Azur soutient que la construction de la villa, et particulièrement de ses fondations, n’a pas été réalisée conformément à ce qui était exigé du fait de la médiocrité du terrain, l’expert retient p. 28 de son rapport qu’aucune préconisation de ce type n’était prescrite dans le permis de construire ni aucune particularité du terrain n’était signalée. Dans ces conditions, aucune faute de M. B… ne peut atténuer la responsabilité de la métropole, la fragilité et la vulnérabilité de l’ouvrage pouvant seulement être pris en considération pour évaluer le montant du préjudice indemnisable, ainsi qu’il a été indiqué au point 6.

En ce qui concerne l’évaluation des préjudices :

S’agissant du coût de réfection du chemin d’accès :

14. Il résulte de l’instruction que des désordres affectent le chemin d’accès à la villa de M. B…, consistant en l’emportement du talus et d’une partie de l’assise du chemin. M. B… produit, à l’appui de sa demande de réparation de ces désordres, un devis de l’entreprise Azur Design Construction estimant à la somme de 114 000 euros le coût de construction d’un mur de soutènement. Si l’expert indique p. 25 de son rapport que cette solution est " mal adaptée au contexte topographique et géotechnique de ce secteur et [qu’il] paraît préférable de s’orienter vers un ouvrage ancré " dont le coût prévisible est plus important,
M. B… ne peut prétendre à une indemnisation supérieure à cette somme de 114 000 euros en l’absence de toute évaluation du coût de réalisation d’un ouvrage plus adapté. Dans ces conditions, c’est à juste titre que les premiers juges ont limité à 50 % de cette somme, soit

57 000 euros, la somme que la métropole doit être condamnée à verser à M. B… à ce titre.

S’agissant des travaux de réparation de la villa :

15. D’une part, il résulte de l’instruction que la façade ainsi que différentes pièces de la villa de M. B… sont affectées d’importantes fissures qui diminuent la solidité de la structure. L’expert désigné par le tribunal administratif de Nice a évalué à la somme de

255 336 euros, prenant en compte le coût de la maîtrise d’oeuvre, le coût des travaux permettant le renforcement structurel indispensable, selon lui, pour assurer la stabilité de la villa. Si M. B… soutient que l’aggravation des désordres, depuis qu’a été réalisée l’expertise et qu’a été notifié le jugement du tribunal administratif de Nice, justifie aujourd’hui qu’il soit procédé, pour réparer les dommages, à la destruction puis à la reconstruction de la villa, ce qu’il ne demandait en première instance qu’à titre subsidiaire, opération qui s’élève selon lui à la somme de 671 410, 23 euros, il n’en justifie pas. Par ailleurs, c’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le lien entre la dégradation de la plomberie et de l’électricité, dont M. B… demande l’indemnisation, pour un montant de 120 000 euros TTC, et le dysfonctionnement des réseaux d’eaux imputables à la métropole Nice Côte d’Azur n’était pas suffisamment établi.

16. D’autre part, il résulte de l’instruction, ainsi qu’il a été dit au point 8, que si le terrain d’assise de la construction de l’habitation comme celui de la voie d’accès à la villa a été affecté par les conséquences des dysfonctionnements des réseaux d’eaux usées et d’eaux pluviales, la villa de M. B… est construite sur un terrain prédisposé à des glissements et affaissements. Dans ces conditions, si aucune faute de la victime ne peut être retenue, en l’espèce, pour diminuer la responsabilité du maître d’ouvrage, la somme à laquelle il convient de condamner la métropole Nice Côte d’Azur en réparation des désordres affectant la villa, doit être diminuée de 25%, compte tenu de la vulnérabilité et de la fragilité de l’édifice. Il en sera ainsi fait une juste appréciation en la fixant à 191 502 euros.

S’agissant des autres postes de préjudice :

17. En premier lieu, s’il ne résulte pas de l’instruction que les désordres affectant la villa de M. B…, lui en ont interdit la jouissance, les risques faisant peser sur la solidité et la stabilité de son habitation les désordres constatés lui ont causé un préjudice d’anxiété dont il sera fait une juste appréciation en l’évaluant à 5 000 euros.

18. En deuxième lieu, M. B… justifie de la nécessité de louer deux appartements, pour un montant mensuel de 600 euros par appartement, pendant la durée des travaux, évalués à six mois par l’expert, pour sa famille et celle de son père, pour un montant total de 7 200 euros, et de la location d’un garde meuble durant la même période, pour un montant de 1 500 euros. En revanche, il ne justifie pas de la nécessité de confier ses animaux à un refuge dès lors que certains, chats et chiens, peuvent être accueillis en appartement et qu’il n’établit pas qu’il ne pourrait maintenir sur place les animaux ne pouvant être accueillis en appartement, en leur apportant les soins nécessaires le temps des travaux.

19. En troisième, lieu, dès lors que M. B… n’apporte pas la preuve du lien direct et certain entre le caractère défectueux des réseaux d’eaux pluviales et usées et la perte énergétique qu’il déplore, notamment faute de produire les relevés de ses consommations, ainsi que la nécessité de travaux de désamiantage, il n’y a pas lieu de faire droit à ses demandes de condamnation de la métropole Nice Côte d’Azur à ce titre.

20. Il résulte des points 14 à 19 que M. B… est seulement fondé à demander à ce que la condamnation de la métropole Nice Côte d’Azur soit portée à la somme de 262 202 euros et à demander la réformation du jugement attaqué dans cette mesure.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

21. Dans son mémoire, enregistré le 23 juillet 2020, M. B… demande à la Cour de condamner la métropole Nice Côte d’Azur à réaliser les travaux de remise en état des réseaux défectueux accessoires à la route métropolitaine 1, évalués à la somme de 70 000 euros HT par l’expert. Toutefois, de telles conclusions, qui n’ont pas été soumises aux premiers juges, et reposent au surplus sur le fondement de la faute commise par cette collectivité, qui n’a pas été invoqué dans le délai d’appel, sont irrecevables.

Sur les conclusions relatives aux frais de l’instance :

22. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la métropole de Nice Côte d’Azur le versement d’une somme de 2 000 euros à M. B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions du département des Alpes-Maritimes présentées sur le même fondement.

D É C I D E :


Article 1er : L’indemnité de 194 668 euros mise à la charge de la métropole Nice Côte d’Azur par l’article 2 du jugement du tribunal administratif de Nice du 8 janvier 2019 est portée à la somme de 262 202 euros.


Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 8 janvier 2019 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La métropole Nice Côte d’Azur versera à M. B… une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B…, les conclusions de la métropole Nice Côte d’Azur présentées par la voie de l’appel incident et ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et les conclusions présentées par le département des Alpes-Maritimes sur le fondement de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.


Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B…, à la métropole Nice Côte d’Azur, à la commune de Broc et au département des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l’audience du 23 mars 2021, où siégeaient :

— M. F…, président,

 – M. Ury, premier conseiller,

 – Mme D…, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 7 avril 2021.

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N° 19MA01071

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CAA de MARSEILLE, 8ème chambre, 7 avril 2021, 19MA01071, Inédit au recueil Lebon