CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 21 février 2022, 19MA03871, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 6e ch., 21 févr. 2022, n° 19MA03871
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 19MA03871
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Nîmes, 19 juin 2019
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000045206243

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Guintoli et la SAS NGE Génie Civil ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de constater que le décompte général du marché constituant le lot n° 1 des travaux d’aménagement hydraulique du Valladas, dont leur groupement était titulaire, s’élève à la somme de 5 000 997,21 euros et de condamner en conséquence la commune de Nîmes à leur verser la somme de 1 820 791,20 euros, outre intérêts.

La commune de Nîmes a conclu, à titre principal, à ce que le décompte du marché soit fixé à la somme de 3 307 178,90 euros toutes taxes comprises et son solde restant dû aux requérantes à la somme de 66 929,32 euros toutes taxes comprises, et à ce que le surplus des conclusions de la requête soit rejeté ; et à titre subsidiaire, à ce que le Cabinet Merlin soit condamné à la garantir.

Par jugement n° 1702189 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Nîmes a condamné d’une part, la commune de Nîmes à verser à la SAS Guintoli et la SAS NGE Génie Civil la somme globale de 1 798 262, 21 euros toutes taxes comprises, avec intérêts moratoires à compter du 10 août 2016, et d’autre part le Cabinet Merlin à garantir la commune de Nîmes à concurrence de la somme de 923 950,04 euros toutes taxes comprises.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 14 août 2019, la SAS Cabinet d’Etudes Marc Merlin, représentée par la SCP d’avocats de Angelis-Semidei-Vuillquez-Habart Melki-Bardon-de Angelis, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu’il l’a condamnée à garantir la commune de Nîmes de la condamnation prononcée à son encontre, à concurrence de la somme de 923 950,04 euros toutes taxes comprises ;

2°) subsidiairement, de réduire sa garantie à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nîmes une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – l’existence d’un décompte général est des plus contestable, dès lors que le projet de décompte final ne comportait ni la dernière situation de travaux n° 14 accompagnée de ses justificatifs, ni les DC4 modificatives ou les dernières demandes de paiement acceptées par le titulaire des sous-traitants ; si l’existence d’un tel décompte devait être admise, l’absence de récapitulation des demandes des sociétés Guintoli et NGE Génie Civil dans leur projet de décompte final des réserves afférentes à leur demande indemnitaire s’opposerait à ce que le décompte général définitif tacite puisse porter sur une telle demande ;

 – l’appelante n’a pas commis de faute sur la vérification des décomptes mensuels, sur laquelle la ville de Nîmes s’est fondée pour rejeter le projet de décompte général définitif du groupement Guintoli / NGE Génie Civil ;

 – subsidiairement, si une faute du Cabinet Merlin devait néanmoins, par extraordinaire, être retenue au titre de sa mission de direction de l’exécution du contrat, en ce qu’elle portait sur la vérification des décomptes mensuels et/ou sur l’établissement du décompte final et du décompte général, la Cour ne pourra que relever l’absence causale de tout préjudice de la ville de Nîmes ;

 – enfin, le fait comme en l’espèce, pour le maître d’ouvrage, de s’acquitter d’un montant de travaux dus par ailleurs n’est pas constitutif d’un préjudice indemnisable.

Par mémoire d’appel incident, enregistré le 29 juin 2021, la commune de Nîmes, représentée par Me Levy, conclut au rejet de l’appel du Cabinet Merlin et demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement attaqué, en tant qu’il n’a condamné le Cabinet Merlin à la garantir des condamnations prononcées contre elle par le tribunal administratif de Nîmes au profit de la SAS Guintoli et de la SAS NGE Génie Civil, qu’à concurrence de la somme de 923 950,04 euros toutes taxes comprises ;

2°) de condamner le Cabinet Merlin à la garantir pour la totalité de cette condamnation ;

3°) de mettre à la charge du Cabinet Merlin une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – elle n’a pas été informée par le Cabinet Merlin de la transmission par le groupement requérant de la situation de travaux n° 14 et, avec elle, des dernières demandes de paiement des sous-traitants, pourtant réceptionnées le 14 mars 2016, et qui ne lui ont été transmises par le Cabinet Merlin que le 29 juillet 2016 ; la circonstance que le titulaire l’ait informée, par courrier du 22 juin 2016, de la transmission de ces éléments au Cabinet Merlin ne peut, à elle seule, suffire à exonérer même partiellement le Cabinet Merlin de sa responsabilité ;

 – comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, le Cabinet Merlin ne l’a pas informée de la transmission par le groupement titulaire de la situation de travaux n° 14 ni de l’accord intervenu entre le Cabinet Merlin et le groupement titulaire pour traiter ladite situation avec le décompte final, ni à la date de cette transmission le 14 mars 2016 ni même avant le rejet par la ville du décompte général notifié par le titulaire le 1er juillet 2016 sur le fondement de l’absence de ladite situation n° 14 et des dernières demandes de paiement des sous-traitants ; ce n’est que par courrier du 19 juillet 2016 (pièce adverse n° 3), soit bien après l’expiration du délai de dix jours prévu par l’article 13.4.4 du CCAG Travaux, que le Cabinet Merlin l’a informée de l’existence de cet accord ; or, pour rejeter le projet de décompte général établi par le titulaire en application de l’article 13.4.4 du CCAG Travaux, elle s’est fondée notamment sur l’absence de production de la situation de travaux n° 14 et de ses justificatifs sans que le Cabinet Merlin ait cru bon de lui indiquer que ces documents avaient bien été transmis par le titulaire ;

 – le Cabinet Merlin ne l’a pas mise en mesure de notifier au titulaire du marché, dans les délais contractuels impartis, un décompte général sur la base du projet de décompte final du titulaire, accepté ou rectifié, conformément à sa mission de vérification du projet de décompte final établi par l’entrepreneur et d’établissement du décompte général prévue par l’article 9 du décret du 29 novembre 2013 alors en vigueur et les articles 13.3.3 et 13.4.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux ;

 – l’intervention du décompte général et définitif du marché par application des stipulations de l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, arrêté à la somme totale de 4 941 606,35 euros toutes taxes comprises, a généré, pour elle, une dépense supplémentaire de 1 385 925,05 euros toutes taxes comprises ; cette dépense supplémentaire est la conséquence directe de l’intervention du décompte général et définitif par application des stipulations de l’article 13.4.4 du CCAG Travaux dont est responsable le Cabinet Merlin par manquement à son obligation contractuelle d’établissement du décompte général dans les délais impartis ;

 – rien ne justifie que le tribunal cantonne, comme il l’a fait, la garantie du Cabinet Merlin.

Par mémoire d’appel provoqué, enregistré le 13 juillet 2021, la SAS Guintoli et la SAS NGE Génie Civil, représentées par Me Sinai-Sinelnikoff, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge du Cabinet Merlin d’une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

 – le Cabinet Merlin ne demande finalement pas la réformation du jugement en tant qu’il a constaté l’existence d’un décompte général tacite ;

 – la ville de Nîmes ne conteste pas non plus les sommes qu’elle doit aux concluantes ;

 – en tout état de cause, c’est à bon droit que le tribunal a constaté un décompte général tacite au profit du groupement.

Par ordonnance du 17 mai 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 30 juin 2021 à 12h00.

Par ordonnance du 29 juin 2021, la clôture de l’instruction a été reportée au 13 juillet 2021 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

 – l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

 – l’arrêté du 3 mars 2014 modifiant l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

 – le code des marchés publics ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. A… Taormina, rapporteur,

 – les conclusions de M. B… Thielé, rapporteur public,

 – et les observations de Me Barthélémy pour la SAS Cabinet d’Etudes Marc Merlin et de Me Lévy pour la commune de Nîmes.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d’engagement du 28 octobre 2014 et à la suite d’un appel public à la concurrence du 9 juillet 2014, la commune de Nîmes a confié au groupement solidaire constitué des SAS Guintoli et NGE Génie Civil le lot n° 1 « Tronçon Aérodrome – A9 (Hors OA RD 999) » des travaux d’aménagement hydraulique dits du « cadereau du Valladas », depuis le bassin de l’aérodrome jusqu’au Vistre. Le montant d’ensemble du marché à prix unitaires ainsi conclu a alors été évalué à la somme de 3 456 357,51 euros toutes taxes comprises. Les travaux ont été achevés le 4 février 2016 et réceptionnés avec réserve par acte du 15 mars 2016. Par courriers du 28 avril 2016, le groupement a adressé à la maîtrise d’œuvre et à la commune de Nîmes son projet de décompte final accompagné d’une demande de rémunération complémentaire, pour un montant total du marché s’élevant à 4 963 320,60 euros toutes taxes comprises. Par courrier du 26 mai 2016, la commune de Nîmes a renvoyé ledit décompte au groupement, au motif qu’il n’était pas conforme aux documents du marché, dès lors qu’il n’était pas accompagné des métrés finaux issus des plans de récolement et qu’il ne comportait ni le calcul de révision de prix, ni les demandes de paiement des sous-traitants. Par courriers du 22 juin 2016, réceptionnés les 24 et 29 juin par la collectivité, le groupement a contesté le bien-fondé de ces demandes et lui a notifié un projet de décompte général signé, d’un montant total de 4 941 605,35 euros toutes taxes comprises. Par courrier du 1er juillet 2016, la commune de Nîmes a précisé que l’ensemble des documents requis n’avait pas été joint, à savoir la situation n° 14 à laquelle il était fait référence et les demandes de paiement des sous-traitants, et indiqué que la demande de notification de décompte général était rejetée. Par courrier du 16 novembre 2016, réceptionné le 21 novembre 2016, la commune de Nîmes a notifié au groupement le décompte général du marché, dont le montant total a été arrêté à 3 143 344,14 euros toutes taxes comprises. Le groupement a contesté ce décompte par une réclamation du 19 décembre 2016.

2. La SAS Cabinet d’Etudes Marc Merlin relève appel du jugement rendu le 20 juin 2019 par le tribunal administratif de Nîmes, en tant que celui-ci l’a condamnée à garantir à concurrence de la somme de 923 950,04 euros toutes taxes comprises la commune de Nîmes des condamnations prononcées à l’encontre de celle-ci. La commune de Nîmes relève appel incident en tant que le tribunal a ainsi limité la garantie du Cabinet Merlin au lieu de le condamner à garantir la totalité de la somme due aux SAS Guintoli et NGE Génie Civil.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l’existence d’un décompte général et définitif en application de l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales :

3. Aux termes de l’article 2 du cahier des clauses administratives particulières, le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par arrêté du 8 septembre 2009 constitue une pièce du marché. Dans sa version issue de l’arrêté du 3 mars 2014, l’article 13.3 dudit cahier précise : « Demande de paiement finale : / 13.3.1. Après l’achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d’exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l’exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. / … Ce projet est accompagné des éléments et pièces mentionnés à l’article 13.1.7 s’ils n’ont pas été précédemment fournis. / Le titulaire est lié par les indications figurant au projet de décompte final. / Commentaires : Dans le projet de décompte final, le titulaire doit récapituler les réserves qu’il a émises et qui n’ont pas été levées, sous peine de les voir abandonnées. / 13.3.2. Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d’œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, (…) ». Les éléments et pièces mentionnés à l’article 13.1.7 sont : " -les calculs des quantités prises en compte, effectués à partir des éléments contenus dans les constats contradictoires ; / -le calcul, avec justifications à l’appui, des coefficients d’actualisation ou de révision des prix ; / -le cas échéant, les pièces justifiant les débours, effectués au titre de l’article 26.4, dont il demande le remboursement ; / -les copies des demandes de paiement des sous-traitants acceptées par le titulaire. « . Aux termes de l’article 13.4 dudit cahier : » Décompte général. -Solde : / 13.4.1. Le maître d’œuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : / -le décompte final ; / -l’état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies à l’article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; / -la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / Le montant du projet de décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation. / (…) / 13.4.2. Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : / -trente jours à compter de la réception par le maître d’œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / -trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. / (…) / 13.4.4. Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l’article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, un projet de décompte général signé, composé : / -du projet de décompte final tel que transmis en application de l’article 13.3.1 ; / -du projet d’état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l’article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; / -du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l’article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n’a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l’expiration de ce délai. / … ". Il résulte de ces stipulations que les délais prévus à l’article 13.4.2 permettant au titulaire de notifier à la personne publique un projet de décompte général signé ne courent qu’à la condition que le projet de décompte final transmis par le titulaire soit dûment accompagné, si ces éléments n’ont pas été précédemment fournis, des calculs des quantités prises en compte, effectués à partir des éléments contenus dans les constats contradictoires, du calcul, avec justifications à l’appui, des coefficients d’actualisation ou de révision des prix, des pièces justifiant les débours dont le remboursement est demandé et des copies des demandes de paiement des sous-traitants acceptées par le titulaire.

4. En l’espèce, il est constant que la situation de travaux n° 14 et ses justificatifs ont dûment été transmis au maître d’œuvre, conformément aux stipulations de l’article 13.1.1 qui ne prévoient la transmission des demandes de paiement mensuelles qu’à ce dernier, par courrier réceptionné par l’intéressé le 14 mars 2016. Dès lors, pour l’application des stipulations de l’article 13.3.1 relatives aux éléments et pièces devant accompagner le projet de décompte final, lesdits documents doivent être regardés comme ayant été « précédemment fournis », alors même que le maître d’œuvre se serait mis d’accord avec le groupement titulaire pour retarder le traitement de cette situation de travaux. Il ne saurait dès lors être fait grief à la SAS Guintoli de ne pas les avoir joints à nouveau au projet de décompte final. Comme l’ont relevé les premiers juges, la circonstance que les sociétés Colas, Comac et DLM Concept aient été agréées pour des paiements directs supérieurs aux montants qui leur ont finalement été dus et dont elles ont demandé le paiement ne permettait pas à la commune de Nîmes de subordonner la recevabilité du projet de décompte final à la production d’un formulaire dit « DC 4 » corrigé en conséquence, lequel ne figure pas parmi les documents listés à l’article 13.1.7 auquel renvoie l’article 13.3.1.

5. Dans ces circonstances, la demande de paiement finale, transmise par le titulaire par courriers datés du 28 avril 2016 et réceptionnés le 2 mai suivant par le maître d’œuvre et le représentant du pouvoir adjudicateur, était complète. Elle était, dès lors, de nature à faire courir les délais de trente jours stipulés à l’article 13.4.2, permettant au titulaire, à l’issue de ceux-ci, d’adresser au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, ainsi qu’il l’a fait par courrier du 22 juin 2016, un projet de décompte général signé. La commune de Nîmes ne conteste, ni en première instance, ni devant la Cour, que la composition de ce projet était conforme aux exigences de l’article 13.4.4. Dès lors, comme l’a relevé le tribunal, faute pour la commune d’avoir, dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le 29 juin 2016, notifié le décompte général au titulaire, le projet de décompte général transmis par la société Guintoli est devenu le décompte général et définitif, sans qu’ait pu y faire obstacle le courrier daté du 1er juillet 2016 par lequel la commune de Nîmes a entendu rejeter ledit décompte. Par suite, le Cabinet Merlin n’est pas fondé à soutenir que le projet de décompte général transmis par la société Guintoli n’est pas devenu le décompte général et définitif.

En ce qui concerne l’existence d’une faute commise par le Cabinet Merlin dans sa mission de maître d’œuvre :

6. Aux termes de l’article 9 du décret du 29 novembre 1993 alors en vigueur : " La direction de l’exécution du ou des contrats de travaux a pour objet : /… / d) De vérifier les projets de décomptes mensuels ou les demandes d’avances présentés par l’entrepreneur, d’établir les états d’acomptes, de vérifier le projet de décompte final établi par l’entrepreneur, d’établir le décompte général ; /… « . En application des articles 13.1.1 et 13.1.8 du cahier des clauses administratives générales, et ainsi qu’il a été mentionné précédemment, le projet de décompte mensuel est transmis par le titulaire au maître d’œuvre. L’article 13.2.1 prévoit qu’à partir de celui-ci, le maître d’œuvre détermine le montant de l’acompte mensuel à régler au titulaire. Aux termes de l’article 13.2.2. : » Le maître d’œuvre notifie par ordre de service au titulaire l’état d’acompte mensuel et propose au représentant du pouvoir adjudicateur de régler les sommes qu’il admet. Cette notification intervient dans les sept jours à compter de la date de réception de la demande de paiement mensuelle du titulaire. / Si cette notification n’intervient pas dans un délai de sept jours à compter de la réception de la demande du titulaire, celui-ci en informe le représentant du pouvoir adjudicateur qui procède au paiement sur la base des sommes qu’il admet. /… ".

7. Il n’est pas contesté que, comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, le Cabinet Merlin, à qui a été confiée la mission de maîtrise d’œuvre des travaux, n’a pas informé la ville de Nîmes de la transmission par le groupement titulaire de la situation de travaux n° 14, ni de l’accord intervenu entre le Cabinet Merlin et le groupement titulaire pour traiter ladite situation avec le décompte final, ni à la date de cette transmission le 14 mars 2016, ni même avant le rejet par la ville de Nîmes du décompte général notifié par le titulaire le 1er juillet 2016 sur le fondement de l’absence de ladite situation n° 14 et des dernières demandes de paiement des sous-traitants. Ce n’est que par courrier du 19 juillet 2016, soit bien après l’expiration du délai de dix jours prévu par l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, que le Cabinet Merlin a informé la ville de Nîmes de l’existence de cet accord. Or, pour rejeter le projet de décompte général établi par le titulaire en application de l’article 13.4.4. du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, la ville de Nîmes s’est fondée notamment sur l’absence de production de la situation de travaux n° 14 et de ses justificatifs, sans que le Cabinet Merlin ait cru bon de lui indiquer que ces documents avaient bien été transmis par le titulaire. N’est pas de nature à justifier le retard dans cette transmission le fait qu’il avait été convenu par le Cabinet Merlin avec le groupement, de traiter la situation n° 14 reçue le 14 mars 2016 directement avec le projet de décompte final, au regard du faible montant à régler, déduction faite des corrections sur certaines quantités, en particulier le pompage, ou encore que la gestion du marché ait été « gênée » par les nombreux refus de paiement des certificats de paiements établis par le groupement opposés par la commune de Nîmes, ainsi que les instructions et contrordres de celle-ci.

8. En procédant comme il l’a fait, le Cabinet Merlin n’a pas mis la commune de Nîmes en mesure de notifier au titulaire du marché, dans les délais contractuels impartis, un décompte général sur la base du projet de décompte final du titulaire, accepté ou rectifié, conformément à sa mission de vérification du projet de décompte final établi par l’entrepreneur et d’établissement du décompte général prévue par l’article 9 du décret du 29 novembre 2013 alors en vigueur et les articles 13.3.3 et 13.4.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux. La transmission par le Cabinet Merlin, comme il l’indique dans ses écritures, seulement le 19 juillet 2016, à la ville de Nîmes « pour accord », des éléments permettant l’établissement du décompte général ne saurait suffire à considérer qu’il s’est acquitté de ses obligations contractuelles, alors que cette transmission aurait dû avoir lieu dans un délai compatible avec ceux prévus par les articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG Travaux. Le rejet motivé, par la ville de Nîmes, du projet de décompte général du titulaire notifié le 29 juin 2016 en application de l’article 13.4.4 du CCAG n’est pas de nature à exonérer le Cabinet Merlin de sa responsabilité. C’est, dès lors, à bon droit que le tribunal a considéré que le Cabinet Merlin avait manqué à sa mission de direction de l’exécution du contrat, en ce qu’elle portait sur la vérification des décomptes mensuels.

9. Toutefois, la commune de Nîmes a tout de même été directement informée de la transmission de ces éléments au Cabinet Merlin par le groupement Guintoli-NGE Génie Civil, par un courrier du 22 juin réceptionné le 24 juin. En outre, elle a également opposé à la société Guintoli, pour justifier son refus de donner suite au décompte général signé notifié le 29 juin 2016, l’absence de fourniture de formulaires DC4 modificatifs, pourtant non listés à l’article 13.1.7. Le tribunal a pu donc à bon droit retenir, dans les circonstances de l’espèce, que le manquement du maître d’œuvre est, à proportion des deux-tiers, à l’origine de ce que le projet de décompte général transmis par le titulaire est devenu, par application des stipulations de l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, le décompte général et définitif du marché. Par suite, le Cabinet Merlin a pu à juste titre être condamné à garantir la commune de Nîmes, dans cette proportion, des condamnations mises à sa charge du fait de cette situation.

En ce qui concerne l’existence d’un préjudice causé à la ville de Nîmes par le Cabinet Merlin dans sa mission de maître d’œuvre :

10. Comme l’ont exactement relevé les premiers juges, ce préjudice ne saurait consister que dans les condamnations mises à la charge de la commune de Nîmes et qui ne l’auraient pas été à défaut d’intervention du décompte général et définitif du marché par application des stipulations de l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales. Il y a dès lors lieu de déterminer, à partir du décompte général qu’a entendu notifier le pouvoir adjudicateur par courrier du 16 novembre 2016, les sommes auxquelles les sociétés Guintoli et NGE Génie Civil auraient en principe eu droit en raison de l’exécution des travaux en cause, en l’absence de toute intervention du décompte général et définitif dans les conditions susmentionnées.

11. Il n’est contesté ni par le Cabinet Merlin ni par la commune de Nîmes que, comme l’ont relevé les premiers juges, à défaut d’intervention du décompte général et définitif du marché par application des stipulations de l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, l’exécution des travaux en cause aurait nécessairement dû donner lieu, en plus de la somme de 3 143 344,14 euros toutes taxes comprises mentionnée au décompte général établi par la commune de Nîmes, au paiement d’une somme liée aux travaux supplémentaires et sujétions ou fautes visés ci-dessus de 314 434,88 euros hors taxes, à laquelle aurait dû être ajoutée une somme de 62 886,98 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et une somme de 35 015,30 euros au titre de pénalités retenues indûment, soit une somme totale supplémentaire de 412 337,16 euros toutes taxes comprises. Le décompte général et définitif du marché aurait ainsi été arrêté à la somme totale de 3 555 681,30 euros toutes taxes comprises. L’intervention du décompte général et définitif du marché par application des stipulations de l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, arrêté à la somme totale de 4 941 606,35 euros toutes taxes comprises, a ainsi généré, pour la commune de Nîmes, une dépense supplémentaire de 1 385 925,05 euros toutes taxes comprises. Le tribunal administratif de Nîmes était, dès lors, fondé à condamner le Cabinet Merlin, compte tenu de sa part de responsabilité de deux tiers, à garantir la commune de Nîmes à hauteur de 923 950,04 euros toutes taxes comprises. Par suite, le Cabinet Merlin n’est pas fondé à prétendre que sa faute n’a causé aucun préjudice à la commune de Nîmes, ni que subsidiairement sa part de responsabilité devrait être réduite, et la commune de Nîmes n’est pas davantage fondée à soutenir que le montant de cette garantie due par le Cabinet Merlin devrait être majoré.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».

13. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Nîmes une somme au titre des frais exposés par le Cabinet Merlin et non compris dans les dépens, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du Cabinet Merlin, au profit de la commune de Nîmes, une somme de 1 500 euros et au profit de la SAS Guintoli et de la SAS NGE Génie Civil, prises solidairement, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Cabinet d’Etudes Marc Merlin et l’appel incident de la commune de Nîmes sont rejetés

Article 2 : Il est mis à la charge de la SAS Cabinet d’Etudes Marc Merlin, au profit de la commune de Nîmes, une somme de 1 500 euros et au profit de la SAS Guintoli et de la SAS NGE Génie Civil, prises solidairement, une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Cabinet d’Etudes Marc Merlin, à la commune de Nîmes, à la SAS Guintoli et à la SAS NGE Génie Civil.

Délibéré après l’audience du 31 janvier 2022, où siégeaient :

— M. Guy Fédou, président,

 – M. A… Taormina, président assesseur,

 – M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2022.

N° 19MA03871 2

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CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 21 février 2022, 19MA03871, Inédit au recueil Lebon