CAA de NANCY, 4ème chambre, 13 octobre 2020, 18NC01258, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nancy, 4e ch., 13 oct. 2020, n° 18NC01258
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro : 18NC01258
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Sur renvoi de : Conseil d'État, 12 avril 2018, N° 402691
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042427106

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eiffage Construction Alsace Franche-Comté a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Mulhouse à lui verser une somme de 3 889 274,30 euros avec intérêts au taux contractuel à compter du 6 janvier 2008 au titre du solde du lot « Clos et couvert » du marché conclu avec la ville pour une opération de réhabilitation de l’ancienne friche industrielle de la Fonderie. A titre reconventionnel, la commune de Mulhouse a demandé au tribunal la condamnation de la société Eiffage Construction à lui verser la somme de 266 985,31 euros au titre des pénalités de retard.

Par un jugement n° 0902213 du 20 février 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a, d’une part, condamné la commune de Mulhouse à verser à la société Eiffage Construction Alsace Franche-Comté la somme de 97 382,14 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts contractuels à compter du 7 juillet 2008 avec capitalisation à compter du 9 juin 2012, puis à chaque échéance annuelle et, d’autre part, rejeté la demande reconventionnelle de la commune de Mulhouse.

Par un arrêt n° 14NC00813 du 21 juin 2016, la cour administrative d’appel de Nancy a réformé ce jugement en ramenant la condamnation de la ville de Mulhouse à un montant de 73 288,98 euros toutes taxes comprises, majorée des intérêts moratoires à compter du 15 août 2008 et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par une décision n° 402691 du 13 avril 2018, le Conseil d’État a annulé l’arrêt du 21 juin 2016 en tant qu’il s’est prononcé sur les préjudices liés à l’allongement des délais de réalisation et des surcoûts du chantier en litige et renvoyé l’affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour.

Procédure devant la cour après cassation :

Par des mémoires, enregistrés le 18 janvier 2019 et le 23 juillet 2020, la ville de Mulhouse, représentée par Me A…, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de rejeter les conclusions de la société Eiffage Construction Alsace, nouvelle dénomination de la société Eiffage Construction Alsace Franche-Comté ;

2°) à titre subsidiaire, de faire droit à la demande d’expertise avant dire droit sollicitée par la société Eiffage ;

3°) de mettre à la charge de la société Eiffage Construction Alsace le versement d’une somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – l’allongement de la durée des travaux est imputable exclusivement aux difficultés d’exécution liées aux caractéristiques et aux spécificités du chantier, et non à une faute qu’elle aurait commise ;

 – en l’absence de précisions concernant les frais exposés au titre de l’allongement de la durée du chantier inhérent à l’exécution des travaux supplémentaires, la demande de la société requérante ne pourra qu’être rejetée ;

 – ces travaux supplémentaires ne lui sont pas imputables ;

 – elle n’a commis aucune faute justifiant une indemnisation au titre de l’allongement de la durée d’exécution du fait des travaux supplémentaires ;

 – elle conteste tant la durée de l’allongement retenue par la société requérante que le montant de l’indemnisation sollicitée ;

 – l’article 3.4.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) demeure opposable à la prise en compte des surcoûts sur le fondement des sujétions imprévues ;

 – les conclusions de la requérante fondées sur la responsabilité contractuelle pour faute sont irrecevables dès lors qu’elle n’avait présenté des conclusions que sur le fondement de la responsabilité contractuelle sans faute ;

 – la société requérante n’établit pas l’existence d’une faute imputable à la ville de Mulhouse, en se fondant sur un rapport d’expertise, qui n’a pas été établi contradictoirement ;

 – le fractionnement de l’opération, dont le lien avec les préjudices allégués n’est pas rapporté, ne révèle pas en lui-même l’existence d’une faute du maître d’ouvrage ;

 – aucune faute dans la conception du marché n’a été commise en raison de l’absence de mission de diagnostic ;

 – la requérante ne démontre pas l’existence d’une faute imputable au maître d’ouvrage dans ses pouvoirs de contrôle et de direction des marchés ;

 – l’expertise avant dire droit sollicitée par la société requérante apparaît utile, sous réserve de la modification des chefs de mission ;

 – la société requérante ne démontre pas que les sujétions dont elle fait état devraient être considérées comme anormales au regard des sujétions dont le contrat lui imposait la prise en compte ;

 – elle n’établit pas n’avoir pas tenu compte d’un éventuel allongement des délais et des surcoûts consécutifs dans le chiffrage de son offre ;

 – elle n’établit pas le bouleversement de l’économie du contrat ;

 – les préjudices allégués ne sont pas justifiés.

Par des mémoires, enregistrés les 3 mai 2019 et 17 septembre 2020, la société Eiffage construction Alsace, représentée par Me E…, demande à la cour :

1°) de désigner avant dire droit un expert ;

2°) de condamner la commune de Mulhouse à lui payer la somme de 2 777 089 euros TTC assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 15 aoît 2008 ;

3°) d’ordonner la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Mulhouse le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – elle est fondée à solliciter la condamnation de la ville de Mulhouse à réparer le préjudice qu’elle a subi du fait de l’allongement de la durée du chantier, qui résulte de fautes commises par cette dernière ;

 – elle a également droit à la réparation du préjudice subi du fait de l’allongement de la durée du chantier résultant de la signature de quatre avenants ;

 – la ville de Mulhouse a commis une faute dans la conception du marché qu’elle lui a confié, à l’origine de l’allongement de sa durée d’exécution, en fractionnant l’opération en deux opérations distinctes, sans interface et liaison technique et administrative, et en s’abstenant de mettre en place une mission de diagnostic ;

 – la ville de Mulhouse a également commis des fautes tout au long du chantier dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et direction du marché qui ont contribué à l’allongement de la durée du chantier ;

 – compte tenu de la nature technique du litige, elle sollicite une expertise pour déterminer l’ensemble des postes de préjudice constitutifs de son mémoire en réclamation ;

 – à titre subsidiaire, elle est fondée à demander l’indemnisation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité due au titre des sujétions imprévues dès lors que l’allongement du chantier de treize mois alors qu’il ne devait durer que vingt-et-un mois constitue en soi un bouleversement de l’économie générale du marché à forfait ;

 – le montant de son préjudice s’élève à la somme de 2 773 089 euros ;

 – contrairement à ce que soutient la commune, elle avait soulevé à titre subsidiaire l’engagement de la responsabilité pour faute de la collectivité dans son mémoire du 22 avril 2014.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – le code des marchés publics ;

 – le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux approuvé par décret du 21 janvier 1976 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,

 – les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

 – les observations de Me B…, représentant la société Eiffage construction Alsace,

 – et les observations de Me C…, représentant la ville de Mulhouse.

Une note en délibéré présentée pour la société Eiffage Construction Alsace a été enregistrée le 25 septembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Mulhouse a confié, le 11 juin 2004, à la société A…, aux droits de laquelle vient la société Eiffage Construction Alsace, les travaux du lot A « clos et couvert » du chantier de construction de la faculté de sciences économiques, sociales et juridiques. Le décompte général notifié à la société Eiffage Construction Alsace le 23 mai 2008 n’ayant pas pris en compte ses demandes de paiements supplémentaires, la société a produit un mémoire en réclamation le 30 juin 2008. Ce mémoire étant resté sans réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande tendant à la condamnation du maître d’ouvrage à lui verser la somme de 3 889 274,30 euros avec intérêts au taux contractuel et leur capitalisation.

2. Par un jugement du 20 février 2014, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné la commune de Mulhouse à verser à la société Eiffage Construction Alsace la somme de 97 382,14 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts contractuels à compter du 7 juillet 2008. Par un arrêt du 21 juin 2016, la cour administrative d’appel de Nancy a porté le solde du décompte général du marché correspondant au lot en litige à 244 518,27 euros toutes axes comprise et majoré le restant dû sur ce solde des intérêts moratoires à compter du 15 août 2008. Toutefois, par une décision n°402691 du 13 avril 2018, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt du 21 juin 2016 en tant qu’il s’est prononcé sur les préjudices liés à l’allongement des délais de réalisation et des surcoûts du chantier en litige et renvoyé l’affaire, dans cette mesure, à la cour.

Sur le préjudice résultant de l’allongement des délais et des surcoûts de chantier :

3. Les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie, soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l’estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

En ce qui concerne les conclusions fondées sur la faute de la commune de Mulhouse :

4. Il appartient à l’appelant d’énoncer, dans le délai d’appel, la ou les causes juridiques sur lesquelles il entend fonder son appel. Il suit de là que, postérieurement à l’expiration dudit délai et hormis le cas où il se prévaudrait d’un moyen d’ordre public, l’appelant n’est recevable à invoquer un moyen nouveau que pour autant que celui-ci repose sur la même cause juridique qu’un moyen présenté avant l’expiration du délai d’appel.

5. En l’espèce, contrairement à ce qu’elle soutient, la société Eiffage construction Alsace a recherché, tant en première instance, que dans le délai d’appel, uniquement la responsabilité contractuelle sans faute de la commune de Mulhouse au titre des sujétions imprévues en vue d’obtenir l’indemnisation des conséquences résultant de l’allongement de la durée du chantier. Par suite, elle n’est pas recevable à présenter, postérieurement à l’expiration dudit délai, des conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité contractuelle pour faute de la commune, qui procèdent d’une autre cause juridique. Il suit de là que les conclusions de la société requérante présentées sur ce fondement sont irrecevables. Elles doivent, dès lors, être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions fondées sur les sujétions imprévues :

6. Ne peuvent être regardées comme des sujétions techniques imprévues que des difficultés matérielles rencontrées lors de l’exécution d’un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties.

7. Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise établi à la demande la société requérante, que l’allongement de la durée d’exécution du chantier résulte essentiellement des fautes commises par la commune de Mulhouse dans la conception même de son marché de travaux, consistant d’une part, en la dissociation des opérations préalables de démolition et l’opération de réhabilitation du bâtiment industriel, et d’autre part, dans l’absence de réalisation d’un diagnostic de l’existant, eu égard à la nature même dudit bâtiment, qui ont conduit à la découverte tardive de contraintes non prévues initialement, nécessitant la modification du programme en cours d’exécution des travaux. Il précise à cet égard que ces carences ne pouvaient échapper à un entrepreneur normalement diligent. En outre, l’expert relève également que la commune a commis des manquements dans le suivi et le contrôle des travaux qui ont également contribué aux difficultés d’exécution rencontrées. Dans ces conditions, quand bien même les retards cumulés auraient entraîné un bouleversement de l’économie du contrat la liant au maître d’ouvrage, la société Eiffage construction Alsace n’établit pas avoir été confrontée dans l’exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties. Par suite, ses conclusions tendant à l’indemnisation des préjudices résultant de l’allongement des délais d’exécution du chantier, concernant tant les travaux prévus au contrat initial que les travaux supplémentaires qu’elle a pris en charge, présentées sur ce fondement ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais de l’instance :

8. Les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Mulhouse, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Eiffage construction Alsace au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Eiffage construction Alsace une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Mulhouse sur le fondement de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la société Eiffage construction Alsace tendant à l’indemnisation des préjudices subis du fait de l’allongement des délais de réalisation et des surcoûts du chantier sont rejetées.

Article 2: La société Eiffage construction Alsace versera, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, à la commune de Mulhouse une somme de 1 500 euros.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eiffage Construction Alsace et à la commune de Mulhouse.

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N° 18NC01258

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