CAA de NANTES, 4ème chambre, 26 juin 2020, 18NT02438, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nantes, 4e ch., 26 juin 2020, n° 18NT02438
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro : 18NT02438
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Nantes, 24 avril 2018, N° 1509830 et 1610087
Dispositif : Satisfaction partielle
Identifiant Légifrance : CETATEXT000042065552

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a demandé au tribunal administratif de Nantes, en premier lieu, d’annuler la délibération du 25 septembre 2015 par laquelle la commune de Saint-Nazaire a prononcé la déchéance à compter du 15 février 2016 à ses torts de la convention par laquelle lui avaient été confiés l’exploitation et le réaménagement du camping municipal de l’Eve, et en second lieu, de condamner la commune de Saint-Nazaire à lui verser la somme de 962 982 euros au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de la résiliation, et une somme de 3 483 827, 40 euros en réparation du préjudice causé par la résiliation de la convention de délégation de l’exploitation et du réaménagement du camping municipal de l’Eve, en raison du manque à gagner et du surcoût des travaux réalisés.

Par un jugement n° 1509830 et 1610087 du 25 avril 2018, le tribunal administratif de Nantes a condamné la commune de Saint-Nazaire à verser à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités la somme de 57 271, 34 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2016, et a rejeté le surplus des demandes de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 juin 2018, le 14 novembre 2019 et le 9 janvier 2020, la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, représentée par Me D…, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1509830 et 1610087 du 25 avril 2018 du tribunal administratif de Nantes en tant qu’il a limité à la somme de 57 271, 34 euros, avec intérêts à compter du 13 juillet 2016, le montant de la condamnation de la commune de Saint-Nazaire ;

2°) de condamner la commune de Saint-Nazaire à lui verser, avec intérêts à compter du 13 juillet 2016, la somme de 962 982 euros au titre de la valeur nette comptable des investissements non encore amortis et la somme de 3 483 827, 40 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant d’un surcoût de travaux de construction de la piscine et du manque à gagner résultant de la décision illégale de résiliation de la convention d’exploitation à ses torts ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Nazaire la somme de trois mille euros à verser au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a omis de statuer sur sa demande d’indemnisation de son manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation ;

- quand bien même la résiliation à ses torts serait régulière, ce qu’elle conteste, elle a droit en application de l’article 2 du titre VI du contrat à l’indemnisation des investissements qu’elle a réalisés, égale aux montants restant à amortir, tels qu’ils figurent au bilan de l’exercice de l’année précédant la date d’effet de la résiliation :

o elle justifie du bien-fondé de la somme demandée à ce titre ; l’absence d’observations de l’inspecteur des impôts lors du contrôle fiscal de la société démontre le caractère régulier et sincère des investissements réalisés et leur comptabilisation à juste à titre comme investissements ; elle n’a pas d’autre activité que l’exploitation du camping de Saint-Nazaire, ce qui implique que les documents fiscaux produits ne concernent que les investissements réalisés dans le camping de l’Eve ; le montant des investissements réalisés est également justifié par les constatations de l’expert nommé par le tribunal de commerce, ainsi que par les rapports d’activité qu’elle a adressés au concédant entre 2007 et 2015 ; elle justifie également que de nombreux travaux, correspondant à l’aménagement des emplacements et aux raccordements des réseaux, ont été réalisés en interne, pour l’évaluation de la production immobilisée ;

o le montant demandé au titre des investissements non amortis correspond à l’addition de deux immobilisation corporelles : 259 217 euros au titre des aménagements du terrain et 703 565 euros au titre de la réalisation de constructions ; elle a bien isolé et enlevé des sommes demandées les biens de reprise, essentiellement les hébergements de type mobile-home ;

o la commune a bien donné son autorisation pour les travaux en cause puisque ces travaux étaient décrits dans son offre et dans le contrat de concession et les principaux étaient prévus dès l’origine (construction de la piscine, restructuration du camping, création de terrains de jeux et de sport, rénovation des commerces) ; la commune a bien été informée de l’ensemble des travaux, puisque le montant des investissements figurait dans les rapports d’activités et que les représentants de la collectivité visitaient régulièrement le camping ; la commune n’a demandé des explications sur certaines immobilisations qu’à une seule reprise en 2014 ; en ce qui concernent les amortissements de caducité, ces amortissements n’ont jamais été contestés ;

o la Cour pourrait ordonner une expertise sur la réalisation des investissements ;

- elle a, en outre, droit à la réparation d’un autre préjudice résultant d’un surcoût des travaux de construction de la piscine à hauteur de 434 208, 45 euros ; les travaux de construction de la piscine se sont heurtés à la présence d’un blockhaus qui peut s’assimiler à une sujétion imprévue ;

- elle a, enfin, droit à la réparation de son préjudice résultant du manque à gagner, estimé à 1 043 545 euros jusqu’en 2015 et 2 006 084 euros au titre de la période allant de la résiliation de la convention de délégation de service public jusqu’au terme initialement prévu de la convention ; l’obligation de réparer son manque à gagner résulte dans le caractère fautif et irrégulier de la résiliation qui a été prononcée à ses torts ; les retards de paiement de la redevance étaient uniquement liés aux sujétions imprévues auxquelles elle a dû faire face sans le concours financier de la commune et au nombre insuffisant d’emplacements initiaux par rapport à ce qui avait été annoncé ; il y a eu un bouleversement de l’économie du contrat dont il aurait dû être tenu compte ; la commune aurait dû résilier la convention pour un motif d’intérêt général ;

- la prescription quadriennale ne peut être opposée par la commune, puisque s’agissant de la valeur nette comptable des immobilisations, la prescription n’a commencé à courir qu’à compter de la décision de déchéance de la délégation de service public.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 octobre 2018, le 10 décembre 2019 et le 22 janvier 2020, la commune de Saint-Nazaire, représenté par Me B…, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ;

2°) d’annuler le jugement n° 1509830 et 1610087 du 25 avril 2018 du tribunal administratif de Nantes en tant qu’il l’a condamnée à verser à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités la somme de 57 271, 34 euros avec intérêts à compter du 13 juillet 2016 ;

3°) à titre principal, de rejeter les demandes indemnitaires de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ;

4°) à titre subsidiaire, de diminuer les prétentions indemnitaires de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ;

5°) par la voie de l’appel incident, de condamner la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités à lui verser, d’une part, une somme de 272 160, 66 euros avec intérêts à compter du 28 septembre 2016 et capitalisation des intérêts, au titre des sommes restant dues en application du contrat de concession, au besoin par compensation avec d’éventuelles indemnités que la commune serait condamnée à verser, d’autre part, une somme de 146 070, 89 euros, avec intérêts de retard et capitalisation des intérêts, au titre des sommes qu’elle a versées aux établissements bancaires à titre de garantie, au besoin par compensation avec d’éventuelles indemnités que la commune serait condamnée à verser, enfin, une somme de 10 000 euros, avec intérêts de retard et capitalisation des intérêts, au titre du préjudice porté à son image et à sa réputation, au besoin par compensation avec d’éventuelles indemnités que la commune serait condamnée à verser ;

6°) de condamner la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités à lui verser la somme de cinq mille euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande d’indemnisation de la valeur nette comptable des investissements non amortis, demandée par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités en application de l’article 2 du titre VI du contrat de concession, doit être rejetée ;

o la société n’apporte aucune pièce probante pour démontrer le caractère justifié de cette indemnisation ; la société ne produit pas les rapport d’activité pour les années 2002 à 2005 alors que cette période concerne la première phase des travaux ; les documents produits ne sont pas exploitables ; il n’est apporté aucune précision sur les biens compris dans les deux catégories (biens de retour, biens de reprise) ; il n’est donc pas établi que les biens de reprise ont été déduits ; les liasses fiscales sont des états comptables qui ne correspondent pas à des états d’immobilisation ; il n’est en outre pas établi que ces liasses fiscales concernent uniquement l’exploitation du camping de l’Eve puisque la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a deux établissements, l’un immatriculé auprès du RCS de Saint-Nazaire et l’autre immatriculé depuis 2014 auprès du RCS d’Amiens ; certaines dépenses, concernant notamment, les agencements et les aménagements, n’ont pas fait l’objet d’un amortissement malgré la durée de la délégation ; aucun document ne permet de justifier du montant global d’investissement invoqué par la société à hauteur 2 200 000 euros ;

o un amortissement de caducité doit être comptabilisé, qui aurait eu pour effet de ramener la valeur nette comptable d’un bien de retour dont la fin de l’amortissement excède l’échéance du contrat de concession ; la première phase des travaux ayant été réalisée en 2004-2005, certains biens auraient dû être déjà amortis à la date d’intervention de la déchéance, seul le retard de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités à réaliser les travaux ont empêché l’amortissement complet de ces travaux à la date de résiliation ;

o elle n’a pas eu connaissance des durées d’amortissement pratiqués par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ; elle n’a pas donné son accord préalable aux travaux, lequel accord était requis par l’article 7 du titre II du contrat de concession ; la seule connaissance de l’existence de ces travaux ne saurait valoir une autorisation ; elle ne peut être condamnée à rembourser des amortissements non amortis auxquels elle n’a pas donné son accord ; le rapport de l’expert mandaté par le tribunal de commerce, pour une instance à laquelle elle n’a pas été partie, ne peut lui être opposé ; ce rapport ne porte en outre que sur les investissements réalisés pour la période 2003-2006 ; elle n’a pas été informée régulièrement des immobilisations réalisées et des modalités d’amortissement mises en oeuvre au cours de la délégation ;

o en tout état de cause, les sommes dues par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités à la commune doivent être déduites de l’éventuelle indemnisation de la valeur nette comptable, soit les sommes de 272 160, 66 euros, au titre des sommes encore dues en application du contrat, de 146 010, 89 euros au titre des sommes versées à titre de garantie des emprunts, et de 10 000 euros au titre du préjudice résultant de l’atteinte à sa réputation et à son image ;

- les demandes concernant l’indemnisation des surcoûts liés à la construction de la piscine doivent être rejetées ;

o elle oppose la prescription résultant des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968, les travaux de la piscine ayant été réceptionnés en 2004 ; cette date constitue la date à laquelle les surcoûts liés à la construction de la piscine étaient connus de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ;

o la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités n’est pas fondée à demander cette indemnisation, en l’absence de sujétions techniques imprévues ; la présence d’un blockhaus enterré eu égard à sa localisation ne présente pas un caractère exceptionnel et imprévisible ; un autre blockhaus est en outre parfaitement apparent dans le camping ; la condition d’extériorité des sujétions n’est pas remplie puisque la société s’est engagée à financer et réaliser les investissements à ses risques et périls, en application de l’article 7 du titre II du contrat de concession ; elle a accepté d’exploiter le camping en l’état à la date d’entrée en vigueur de la délégation de service public, y compris son sous-sol ; la présence du blockhaus en souterrain n’a pas bouleversé l’économie du contrat de délégation de service public, eu égard au montant réclamé ;

o elle ne peut être regardée comme s’étant engagée, par le courrier du 12 avril 2006, à prendre en charge les surcoûts liés à la réalisation de la piscine ; le courrier n’a pas cette portée et n’émane pas du maire ; ce courrier est antérieur à l’avenant de 2008 par lequel le délégataire s’est engagé à poursuivre l’exploitation du camping sans avoir soutenu que la charge liée à ces surcoûts ne lui incombait pas ;

o à titre subsidiaire, le quantum du préjudice invoqué par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités n’est pas justifié ; le montant demandé a évolué ; les difficultés ne sont pas liées uniquement à la présence du blockhaus mais également à la configuration du terrain, parfaitement connue de la société avant même la conclusion du contrat ; les documents produits ne sont pas exploitables ; la société ne peut demander à la fois le paiement d’une indemnité égale à l’intégralité du surcoût des travaux de construction de la piscine et l’indemnisation de la valeur nette comptable de ces mêmes travaux ; ces travaux ont en outre été financés grâce à l’emprunt alors que le commune a été amené à verser aux établissements bancaires la somme de 146 010, 89 euros à titre de garantie ;

o à titre très subsidiaire, les sommes demandées sont excessives ;

o en toute hypothèse, il doit y avoir compensation entre les éventuelles prétentions indemnitaires de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités et les sommes encore dues à la commune ;

- les demandes indemnitaires relatives au caractère irrégulière de la déchéance prononcée doivent être rejetées :

o le tribunal administratif a répondu aux conclusions de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités concernant l’indemnisation du manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation ;

o la déchéance qu’elle a prononcée, en application de l’article 2 du titre VI du contrat de concession, est régulière ; la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a commis des fautes contractuelles d’une gravité suffisante ; elle n’a jamais fait réaliser l’ensemble des travaux qui étaient prévus par l’article 7 du titre II du contrat de concession et par son offre, qui constituait une pièce du contrat, malgré la survenue d’un avenant de 2008 qui lui laissait jusqu’en juin 2011 pour finir la réalisation des travaux ; certains travaux ont été réalisés tardivement ; d’autres n’ont jamais été réalisés ; le concessionnaire ne versait plus les redevances dues à la commune et les sommes dues au titre des réseaux à la communauté d’agglomération, en méconnaissance de l’article 1er du titre III du contrat de concession ; la dette n’a cessé de s’accroitre malgré des échéanciers et le dernier avenant ;

o la commune n’a pas commis de fautes exonératoires ; il n’existe aucun lien entre le surcoût des travaux de la piscine et les manquements de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités à ses obligations ; la société n’a pas respecté non plus l’avenant de 2008 ;

o la résiliation pour faute étant régulière, le concessionnaire ne peut prétendre à l’indemnisation de son manque à gagner pour la période postérieure à la déchéance ;

o à titre subsidiaire, le préjudice allégué est incertain et non justifié ; la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités n’apporte aucun élément exploitable à l’appui de ses prétentions, alors que les résultats de la société ont été assez irréguliers et en baisse régulière ;

o à titre subsidiaire, la demande indemnitaire présente un caractère disproportionné ;

o en toute hypothèse, il doit y avoir compensation entre les éventuelles prétentions indemnitaires de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités et les sommes encore dues à la commune ;

- les demandes indemnitaires fondées sur une faute qu’elle aurait commise doivent être rejetées ;

o ces demandes sont irrecevables en application de l’article 1er du troisième avenant aux termes duquel la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a renoncé à tout recours contre la commune en raison du nombre d’emplacements qui aurait été moindre que ce qui aurait été annoncé initialement ;

o à titre subsidiaire, elle n’a commis aucune faute dans le dénombrement initial des emplacements ; le nombre d’emplacement réduit à 370 provient du seul fait de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ; en tant que professionnelle du secteur, la société s’est rendue compte de la superficie globale du camping et de la répartition des emplacement lors des visites antérieures à la conclusion du contrat ; en s’engageant à restructurer le camping pour en agrandir les emplacements, la société ne pouvait qu’être consciente qu’elle subirait une diminution du nombre d’emplacements et devait s’assurer que la taille des emplacements lui permettrait de créer les 330 emplacement souhaités ; elle a également mis à disposition du concessionnaire une parcelle supplémentaire en 2008 pour créer 19 nouveaux emplacements, par l’avenant de 2008 que le concessionnaire a accepté ; les difficultés résultent de la difficulté du délégataire à optimiser l’espace ;

o le préjudice allégué n’est pas justifié ; les éléments chiffrés produits, non exploitables, ne sont pas détaillés et non expliqués ;

o à titre subsidiaire, la demande indemnitaire présente un caractère disproportionné ;

o en toute hypothèse, il doit y avoir compensation entre les éventuelles prétentions indemnitaires de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités et les sommes encore dues à la commune ;

- elle présente des conclusions tendant à la condamnation de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités à lui verser plusieurs sommes :

o la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités doit être condamnée à lui verser une somme globale de 272 160, 66 euros au titre des sommes restant dues en application du contrat, soit la somme de 214 938, 43 euros au titre de la redevance, 37 901, 39 euros au titre du remboursement de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et 19 320, 84 euros au titre de la taxe de séjour restant à reverser ;

o la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités doit être condamnée à lui rembourser les sommes qu’elle a versées aux établissements bancaires à titre de garantie en application de l’article 2 du titre VI du contrat, soit la somme globale de 146 010, 89 euros correspondant à 56 588, 52 euros versés au CIO, 89 422, 37 euros versés à la Caisse d’Epargne ;

o s’il était admis qu’elle doive verser une quelconque indemnité à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, le montant de cette indemnité doit être réduite du montant de ces sommes ;

- c’est à tort que le tribunal administratif l’a condamnée à verser la somme de 57 271, 34 euros à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités et a rejeté ses demandes indemnitaires fondées sur l’atteinte à son image et à sa réputation :

o le tribunal administratif a admis les montants indiqués dans le rapport de l’expert-comptable mandaté par le mandataire ad-hoc désigné par le tribunal de commerce s’agissant des coûts de construction de la piscine et du cours de tennis alors que ce rapport ne lui est pas opposable ;

o le tribunal administratif a entaché son jugement d’une contradiction de motifs justifiant l’annulation de l’article 1er du jugement ;

o à titre subsidiaire, les travaux de construction de la piscine auraient dû être achevés au plus tard fin 2002 ou courant 2003 selon les engagements de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ; la date à laquelle les travaux auraient dû être achevés et non la date à laquelle les travaux ont été effectivement achevés doit être prise en compte ; la durée d’amortissement retenue aurait dû être de 20 ans et non de 18 ans ; la valeur non encore amortie de ces investissements à la date de la résiliation ne saurait donc excéder 297 738, 05 euros ; une fois la compensation opérée, elle ne saurait être condamnée à verser une somme supérieure à 24 228, 39 euros ;

o la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités doit être condamnée à indemniser le préjudice qu’elle a subi du fait de l’atteinte à la réputation et à son image, son camping étant moins attractif ; ce préjudice est établi ;

Par une ordonnance du 24 janvier 2020, la clôture de l’instruction a été fixée au 20 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme E…, première conseillère,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de Me D… représentant la Compagnie française d’hôtellerie de plein air – Collectivités, et de Me C… représentant la commune de Saint-Nazaire.

Une note en délibéré présentée pour la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a été enregistrée le 10 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), qui exploitait depuis 1998 en régie le camping de l’Eve situé route du Fort de l’Eve à Saint-Marc-sur-Mer, a décidé de confier son exploitation par une délégation de service public à un exploitant privé à compter du mois de juin 2002. Après un appel public à la concurrence, elle a choisi l’offre présentée par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités. La convention de concession de l’exploitation et du réaménagement du camping municipal a été conclue le 24 mai 2002 entre la commune et la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, le contrat prenant effet au 1er juin 2002 et étant conclu pour une durée de vingt ans. Après une mise en demeure du 4 septembre 2015, la commune de Saint-Nazaire a, par une délibération de son conseil municipal du 25 septembre 2015, prononcé la résiliation de la délégation de service public aux torts du concessionnaire à compter du 15 février 2016.

2. Par courriers du 12 juillet 2016, la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a demandé à la commune de Saint-Nazaire de lui verser, d’une part, la somme de 962 982 euros au titre de la valeur nette comptable de la part non amortie des investissements qu’elle indiquait avoir effectués lors de l’exécution de la concession, et d’autre part, la somme de 3 483 827, 40 euros au titre d’un manque à gagner, antérieur et postérieur à la résiliation, et au titre d’un surcoût lié à la construction de la piscine du camping. Ses demandes préalables ayant été rejetées par une décision de la commune du 28 septembre 2016, la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a saisi le tribunal administratif de Nantes de deux requêtes tendant, l’une, à l’annulation de la délibération du conseil municipal de Saint-Nazaire du 25 septembre 2015 prononçant la déchéance à ses torts de la convention lui confiant l’exploitation et le réaménagement du camping municipal de l’Eve, et l’autre, à la condamnation de la commune de Saint-Nazaire à lui verser, avec intérêts, les sommes de 962 982 euros et 3 483 827, 40 euros. Par un jugement n° 1509830 et 16010087 du 25 avril 2018, le tribunal administratif de Nantes a condamné la commune de Saint-Nazaire à verser à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités la somme de 57 721, 34 euros avec intérêts à compter du 13 juillet 2016, mais a rejeté le surplus des demandes de la société, ainsi que les demandes reconventionnelles de la commune de Saint-Nazaire qui tendaient à la condamnation de la société cocontractante à réparer un préjudice d’atteinte à sa réputation et à son image.

3. La société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités relève appel du jugement n° 1509830 et 1610087 du 25 avril 2018 du tribunal administratif de Nantes en tant qu’il a limité à 57 721, 34 euros la condamnation de la commune de Saint-Nazaire. Par ailleurs, par la voie de l’appel incident, la commune de Saint-Nazaire demande l’annulation de ce même jugement en tant d’une part, qu’il l’a condamnée à verser à la société appelante la somme de 57 721, 34 euros et d’autre part, qu’il a rejeté certaines de ses demandes indemnitaires.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, le tribunal administratif de Nantes a répondu, au point 7 de son jugement, à sa demande tendant à l’indemnisation de son manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation.

5. En second lieu, il n’existe aucune contradiction entachant le jugement n° 1509830 et 1610087 du tribunal administratif de Nantes du 25 avril 2018, notamment quant au montant de la valeur non amortie de la piscine et du terrain de tennis réalisés par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités. Si la commune de Saint-Nazaire soutient que c’est à tort que le tribunal administratif de Nantes, dans le jugement attaqué, a retenu le montant de la construction de ces équipements indiqué dans le rapport établi en 2007 par un expert-comptable à la demande du mandataire ad hoc désigné par le tribunal de commerce, un tel moyen procède, toutefois, d’une contestation du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. Il doit donc être écarté en tant qu’il est invoqué pour contester la régularité du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le bien-fondé de la résiliation de la délégation de service public aux torts du délégataire :

6. L’article 2 du titre Ier du contrat de délégation de service public conclu en mai 2002 stipule que : « Les pièces constitutives de la concession sont : / 1/ Le présent contrat de concession et ses annexes réputées indissociables / 2/ L’offre remise par la société Compagnie Française d’HPA le 26 février 2002 (…) ». L’article 7 du titre II de ce même contrat stipule par ailleurs que : « (…) Le concessionnaire supportera seul les améliorations nécessaires afin d’atteindre les objectifs définis ci-avant. (…) / En aucun cas, le concessionnaire ne pourra se retourner vers le concédant pour la réalisation de travaux. Il est expressément convenu que tous les travaux seront à charge techniquement et financièrement du concessionnaire (…) / Le concessionnaire s’engage à réaliser à ses frais les travaux conformément à l’échéancier de réalisation contenu dans l’offre remise par le concessionnaire (…) soit pour le mois de juin 2005. / Les modifications envisagées portent principalement sur : . l’agrandissement des emplacements / . la création d’un » centre de vie « comprenant un espace aqua-ludique, des commerces et services renouvelés, des installations sportives / . la modification de l’entrée/parking / . le développement du » capital vert « (…) ». Par ailleurs, l’offre de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, pièce constitutive du contrat en application de l’article 2 du titre Ier du contrat, indiquait qu’un « centre de vie », « village à l’intérieur du camping » devait être installé avec « création d’un espace aquatique avec partie ludique » et « renouvellement des commerces existants ». Elle précisait que le restaurant déjà existant devait être redéfini avec des salles extérieures, ainsi que le bar ouvert sur l’espace aquatique, l’ensemble devant avoir une surface globale de 350 m². Elle prévoyait également la réalisation de « zones de consommation extérieures couvertes » selon un modèle de kiosque. L’ensemble devait également intégrer une « salle modulable » ouverte en hors saison et des installations sportives consistant en un terrain multi-sports et un court de tennis. L’offre de la délégataire prévoyait également une restructuration de l’entrée du camping avec une éventuelle suppression du bâtiment en place en 2002, son remplacement par une construction neuve et la plantation de haies le long du camping. Elle insistait sur la valorisation de l’aspect paysager du camping avec la plantation d’arbres, de haies et l’amélioration de l’intégration paysagère des bâtiments. L’offre de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités présentait un échéancier de réalisation des travaux comprenant deux phases. La première phase, fin 2002 et courant 2003, devait permettre la " création de l’ensemble aqua-ludique paysagé ; / création des infrastructures sportives ; / création du club enfants et développement des aires de jeux enfants. / un tiers du programme de restructuration emplacements-terrain « . La seconde phase de réalisation des travaux, prévue pour fin 2003 et courant 2004, correspondait, quant à elle à la » transformation de l’entrée-réception ; / Transformation de l’ensemble bar-restauration-commerces ; / Création de la salle modulable. / Un à deux tiers du programme de restructuration emplacements – terrains. Le programme de restructuration des emplacements serait complété dans une troisième phase qui interviendrait en 2005, au plus tard « . Les obligations du délégataire en matière de réalisation des travaux d’aménagement du camping ont été contractuellement redéfinies en 2008 par la conclusion de l’avenant n° 3 au contrat de délégation de service public. Aux termes de l’article 4 de cet avenant : » Le concessionnaire s’engage à réaliser à ses frais les travaux des infrastructures de la seconde phase, à savoir la création d’une nouvelle réception, de nouveaux commerces, avant fin 2011 (…) ".

7. Par ailleurs, l’article 1er du titre III intitulé « conditions financières » prévoit le paiement par le concessionnaire d’une redevance, en contrepartie de l’utilisation du domaine public, des équipements et des installations, selon un tableau intégré à cet article et prévoyant pour chacune des années de 2002 à 2022 une part fixe de redevance, et pour les années 2005 à 2017 une part variable de redevance en fonction du chiffre d’affaires réalisé. Ce même article prévoit le paiement de la redevance en deux fois, une première partie représentant 40 % de la redevance au 1er juillet, et la seconde partie, représentant 60 % au 1er octobre. L’article 2 de ce même titre III stipule que : « En sus de la redevance de concession, le concessionnaire devra supporter les impôts tant directs qu’indirects (y compris le foncier bâti et non bâti), les frais d’abonnements et de consommation d’eau, de gaz, d’électricité et de téléphone, toutes les charges, prestations et fournitures, taxes afférentes aux immeubles et à l’exploitation de l’établissement pendant toute la durée de la concession. / Les charges engagées par le concédant pour le compte du concessionnaire devront être remboursées par ce dernier sur première demande ».

8. Il résulte de l’instruction que la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités n’avait pas réalisé, à la date de la résiliation prononcée par la commune de Saint-Nazaire, l’ensemble des travaux de restructuration auxquels elle s’était contractuellement engagée. S’il n’est pas contesté que la restructuration des emplacements du camping a été menée à son terme dans sa presque totalité, le restant de la première phase de travaux, portant sur la création d’un ensemble aqua-ludique, la création d’infrastructures sportives et d’un club-enfant avec aire de jeux, n’a été réalisé qu’au cours de l’année 2005, alors que le délégataire s’était engagé à réaliser cette première tranche de travaux dès les années 2002 et 2003. De même, il n’est pas contesté que la seconde phase de travaux à réaliser, qui devait comprendre la transformation de l’entrée-réception du camping, potentiellement par sa reconstruction complète, le renouvellement des commerces et services du camping et la création d’une salle modulable, n’a aucunement été entreprise, alors même que le troisième avenant au contrat de délégation de service public, conclu en juin 2008, avait accordé à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités un délai supplémentaire jusqu’en juin 2011 pour la réalisation de ces importants travaux. La société appelante n’a donc pas réalisé une grande partie des travaux auxquels elle s’était contractuellement engagée pour la restructuration du camping dont la gestion lui était déléguée.

9. En outre, il n’est pas contesté que depuis plusieurs années, la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités ne versait que très irrégulièrement à la commune de Saint-Nazaire les redevances dues en application de l’article 1er du titre III du contrat de délégation de service public, ainsi que les sommes annexes dues en application de l’article 2 de ce même titre. Par ailleurs, la délégataire s’était également abstenue de régler à la communauté d’agglomération, en charge des réseaux d’eau et d’assainissement, les sommes dues à ce titre. Il résulte ainsi des mentions, non contestées sur ce point, de la mise en demeure adressée le 4 septembre 2015 par la commune de Saint-Nazaire qu’au mois de mai 2015, la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités était redevable d’une somme globale de 179 524, 69 euros au profit de la commune de Saint-Nazaire et d’une somme de 71 583, 74 euros au profit de la Communauté d’agglomération de la région Nazairienne et de l’Estuaire (CARENE). Ces difficultés de règlement de la redevance d’occupation du domaine public et des sommes annexes présentaient un caractère ancien, ainsi que cela ressort de l’avenant n° 3 à la convention de délégation de service public, conclu en 2008, qui fait état d’une dette de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités de 29 333, 71 euros au profit de la commune et de 130 830, 27 euros au profit de la CARENE. La société appelante a donc également, de manière durable et prolongée, méconnu ses obligations financières contractuelles.

10. La société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités invoque l’existence de circonstances exonératoires qui seraient à l’origine de ses difficultés économiques, elles-mêmes causes à la fois de l’absence de réalisation de la seconde tranche de travaux et du défaut de paiement des redevances et des autres sommes contractuellement prévues. Elle soutient, tout d’abord, qu’elle n’a pu obtenir les résultats financiers attendus en raison d’un nombre d’emplacements dans le camping inférieur à ce qu’avait annoncé la commune de Saint-Nazaire dans les documents préparatoires transmis aux candidats à l’attribution de la délégation de service public. Il résulte de l’instruction, notamment du cahier des charges et de sa présentation mis à disposition des candidats, que le camping de l’Eve avait une superficie totale de 63 700 m² et comportait 406 emplacements. Si la société appelante soutient qu’en réalité environ 10 % des emplacements manquaient, elle n’apporte aucune preuve à l’appui de ses allégations alors que ce nombre a varié dans ses différents courriers, allant jusqu’à 60 ou 70 emplacements dans un courrier du 23 mars 2005. En outre, il résulte du projet de cahier des charges que ce document précisait expressément que les emplacements avaient une superficie moyenne inférieure à 95 m², laquelle devrait être augmentée pour permettre une montée en gamme du camping, impliquant nécessairement une diminution du nombre d’emplacements du camping de l’Eve. Ce même document précisait également aux candidats que plus de 70 emplacements présentaient une très faible superficie, inférieure à 80 m², alors que l’un des principaux objectifs de la délégation de service public visait à offrir au public des emplacements de plus grande taille pour permettre un meilleur classement touristique du camping. Dans son courrier du 23 mars 2006, la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités a ainsi confirmé l’information apportée préalablement dans le cahier des charges concernant la très petite taille de certains emplacements, en remarquant que « sur 406 emplacements en 2002, seuls 370 étaient exploités efficacement, le solde étant constitué de petits emplacements, de surface généralement minime. Ces emplacements, inexploitables, ont été regroupés avec les emplacements proches et ont donc disparu ». Il n’est, en outre, pas contesté que les candidats à l’attribution de la délégation de service public ont pu, avant de formuler leur offre, visiter le camping et évaluer ainsi la conformation et la configuration du terrain. Il n’est dès lors pas établi que les 406 emplacements annoncés dans les documents pré-contractuels manquaient mais uniquement qu’un certain nombre étaient trop petits pour être efficacement exploitables, notamment dans le cadre de la montée en gamme du camping, circonstance dont les candidats avaient été parfaitement informés avant de formuler leurs offres. En outre, il résulte de l’instruction, que lors de la conclusion en 2008 du troisième avenant au contrat de délégation de service public, la commune de Saint-Nazaire a accepté de mettre à la disposition de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités une parcelle de terrain lui appartenant à proximité immédiate du camping afin de permettre à sa délégataire de créer 19 nouveaux emplacements. Dans ces conditions, la société appelante n’établit pas qu’un manque initial d’emplacements au sein du camping de l’Eve, indépendant de sa gestion, serait, au moins partiellement, directement à l’origine des difficultés économiques l’ayant empêché de satisfaire ses obligations contractuelles.

11. La société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités soutient, ensuite, qu’en raison de sujétions imprévues lors de la construction de la piscine, du fait de la découverte en sous-sol d’un bunker de la Seconde Guerre Mondiale, le coût de construction de cette dernière aurait fortement augmenté, provoquant un bouleversement dans l’économie générale du contrat partiellement à l’origine de ses difficultés économiques. Néanmoins, il résulte de l’instruction qu’alors que la ville de Saint-Nazaire a été utilisée comme une base allemande pendant la Seconde Guerre Mondiale, le camping de l’Eve est situé à proximité immédiate de la pointe de l’Eve qui supporte un fort utilisé également pendant ce conflit et l’étude diligentée en 2003 afin d’examiner la faisabilité du projet de construction du complexe aqua-ludique a ainsi relevé, sur et à proximité du fort de l’Eve, la présence de nombreux ouvrages, comme des blockhaus ou des bunkers. Il résulte également de l’instruction, notamment du procès-verbal de constat d’huissier opéré en mai 2002 avant le début de l’exploitation du camping par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, visant à déterminer l’état exact du camping avant cette exploitation, qu’un blockhaus de la Seconde Guerre Mondiale était parfaitement visible dans l’enceinte du camping puisqu’il servait de local d’entrepôt. Dans ces conditions, la société appelante n’est pas fondée à soutenir que la présence d’un bunker datant de la Seconde Guerre Mondiale dans le sous-sol du camping de Saint-Nazaire constituait un événement totalement imprévisible. En outre, il résulte de l’instruction, notamment de l’offre formulée en février 2002 par la future délégataire, que celle-ci évaluait à 1 677 000 euros les investissements nécessaires pour l’aménagement du camping, cette somme n’intégrant d’ailleurs pas l’achat des mobile-home, bungalows et chalets qu’elle prévoyait de financer par le recours au crédit-bail. La requérante n’apporte aucun document de nature à justifier le surcoût qu’a représenté, pour la construction de la piscine du camping, la découverte du bunker en sous-sol. Dans son courrier du 23 mars 2005 adressé à la commune de Saint-Nazaire, la société n’invoquait l’existence que d’un surcoût de 280 000 euros, tout en précisant que ce surcoût concernait à la fois la construction de la piscine et celle du court de tennis et qu’il était la résultante de la découverte du bunker mais aussi de la conformation du terrain. Dans ces conditions, il ne résulte aucunement de l’instruction que le surcoût invoqué des travaux du futur centre aqua-ludique aurait entrainé un bouleversement de l’économie générale de la délégation de service public.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités n’établit pas l’existence de circonstances extérieures qui justifieraient son impossibilité à remplir les obligations contractuelles qui s’imposaient à elle en application du contrat de délégation de service public de mai 2002. Ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, la délégataire s’est abstenue de réaliser toute la seconde phase des travaux contractuellement prévus, incluant notamment la reconstruction de l’entrée du camping et la restructuration des commerces, et n’a pas rempli les obligations financières qui s’imposaient à elle. Ces fautes présentaient un caractère de gravité suffisante pour justifier la résiliation de la délégation de service public aux torts exclusifs de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités n’est pas fondée, d’une part, à demander une requalification de la résiliation du 25 septembre 2015 en résiliation pour un motif d’intérêt général et d’autre part, à invoquer la faute qu’aurait commise la commune de Saint-Nazaire en procédant à la résiliation à ses torts de la délégation de service public portant sur l’exploitation du camping de l’Eve.

En ce qui concerne les droits pécuniaires des parties :

S’agissant des sommes dues à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités :

14. L’article 2 du titre VI du contrat de délégation de service public stipule que : « Le concédant peut résilier à tout moment de la délégation pour : / – un motif d’intérêt général (…) La résiliation ouvrira droit à une indemnisation des investissements réalisés par le concessionnaire sur le site, égale au montant restant à amortir, tel qu’il figure au bilan de l’exercice de l’année précédent à la date d’effet de la résiliation, déduction faite des mobile-homes et des habitations privatifs. / Cette indemnisation sera diminuée du montant des versements qu’effectuera le concédant dans le cas où celui-ci serait appelé en garantie de la dette contractée sur l’investissement initial du concessionnaire. / – une faute grave du concessionnaire comme il a été mentionné au titre V » sanctions « . (…) / Dans ce cas, l’indemnisation prévue à l’alinéa précédent » motif d’intérêt général « se fera déduction faite des indemnités financières que la Ville pourrait exiger du concessionnaire ».

15. Par ailleurs, lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu’ils n’ont pu être totalement amortis. Lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat.

Quant à la valeur non amortie des biens de retour :

16. L’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à la date de la conclusion de la délégation de service public litigieuse, dispose que : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en oeuvre. Dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le trésorier-payeur général, à l’initiative de l’autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée. Les conclusions de cet examen sont communiquées aux membres de l’assemblée délibérante compétente avant toute délibération relative à la délégation. / Une délégation de service ne peut être prolongée que : / a) Pour des motifs d’intérêt général. La durée de la prolongation ne peut alors excéder un an ; / b) Lorsque le délégataire est contraint, pour la bonne exécution du service public ou l’extension de son champ géographique et à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels non prévus au contrat initial, de nature à modifier l’économie générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une augmentation de prix manifestement excessive. / La prolongation mentionnée au a ou au b ne peut intervenir qu’après un vote de l’assemblée délibérante. (…) ".

17. Ainsi que l’ont jugé à juste titre les premiers juges, il résulte des stipulations du contrat de délégation de service public de mai 2002, notamment des stipulations relatives à la fin de la délégation, que la commune de Saint-Nazaire et la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités n’ont pas entendu déroger aux principes évoqués au point 15 du présent arrêt et se sont bornés à exclure les mobile-homes et les habitations privatifs qui devaient être financés par crédit-bail des biens de retour en cours d’amortissement pouvant donner lieu à indemnisation en cas de résiliation anticipée de la convention d’exploitation du camping de l’Eve. Dès lors, et malgré le motif de la résiliation prononcée par la collectivité publique, la société appelante peut prétendre à être indemnisée de la valeur nette comptable des investissements qu’elle a réalisés en application de ses obligations contractuelles.

18. La société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités demande l’indemnisation de la valeur nette comptable, à la date de la résiliation de la délégation de service public dont elle était titulaire, des investissements qu’elle a effectués dans le terrain de camping de l’Eve, qu’elle évalue à 259 217 euros au titre des aménagements du terrain et 703 565 euros au titre de constructions.

19. Il résulte de l’instruction qu’après la décision de mettre fin à la convention de délégation au profit de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, et avant la fin des relations contractuelles, la commune de Saint-Nazaire a fait appel aux services d’un expert-comptable indépendant pour déterminer, à la fin du mois de décembre 2015, la valeur nette comptable des immobilisations dans le cadre de la délégation de service public, et plus particulièrement la valeur nette comptable des biens de retour. Ce document a été produit devant la juridiction administrative et a pu être utilement critiqué par la société appelante, qui n’établit pas son caractère erroné et ne produit pas de documents comptables suffisamment précis pour l’infirmer. Il résulte ainsi de l’instruction et notamment de la lecture de cette expertise comptable que la valeur nette comptable des biens de retour au mois de février 2016 peut être évaluée à la somme globale de 390 000 euros. Ces biens de retour correspondent, notamment, selon la liste établie par l’expert-comptable, aux travaux de réalisation de la piscine, à des installations, aménagements et agencements divers d’immeubles, de réseaux ou de terrains. La commune de Saint-Nazaire invoque la circonstance qu’elle n’aurait pas explicitement donné son accord pour l’ensemble de ces travaux en méconnaissance des stipulations de l’article 7 du titre II du contrat de délégation de service public, aux termes desquelles : « (…) Tous travaux d’embellissement ou d’amélioration, toutes constructions nouvelles, autres que les travaux d’entretien, seront soumis à l’accord préalable de la commune et aux autorisations exigées par la réglementation en vigueur et devront être conformes aux dispositions du plan d’occupation des sols (…) ». Néanmoins il résulte des pièces contractuelles, tant de l’offre de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités que du contrat de délégation de service public et notamment des stipulations de ce même article 7 du titre II, que les travaux de construction d’un pôle central, regroupant commerces, piscine, espaces sportifs, et les travaux de restructuration des emplacements du camping étaient contractuellement décidés entre les parties qui les estimaient nécessaires à l’exploitation du camping municipal, et devaient faire retour gratuitement à la collectivité en fin de délégation de service public. Dans ces conditions, la circonstance, à la supposer établie, que la délégataire n’aurait pas recueilli l’accord de la commune sur la consistance des travaux en cause, en méconnaissance des stipulations contractuelles évoquées ci-dessus, n’est pas de nature à retirer à ces investissements, réalisés avant 2007, la nature de biens de retour dont la valeur non amortie doit être remboursée au délégataire en cas de résiliation anticipée de la délégation de service public conformément aux principes rappelés au point 15 du présent arrêt. En outre, compte tenu de la méthode de calcul de la valeur nette comptable effectuée dans le cadre de cette expertise, la commune de Saint-Nazaire n’est pas fondée à invoquer la circonstance que certains investissements auraient pu être économiquement amortis avant la résiliation de la délégation de service public, ou n’auraient pas été économiquement amortis à cause du retard pris par la délégataire à réaliser les travaux contractuellement prévus, ni la comptabilisation d’un amortissement de caducité supérieur à celui retenu par l’expert-comptable.

20. Il résulte de ce qui précède que la valeur nette comptable des investissements effectués dans le camping de l’Eve par la délégataire doit être regardée comme s’élevant, à la date de la résiliation anticipée de la convention, à la somme globale de 390 000 euros.

Quant au manque à gagner :

21. Lorsque la résiliation est prononcée en raison d’une faute contractuelle commise par le délégataire et, dès lors qu’elle est justifiée au fond, ce dernier ne peut prétendre à être indemnisé du manque à gagner et du préjudice moral résultant de la rupture anticipée du contrat.

22. Ainsi qu’il a été dit aux points 6 à 13 du présent arrêt, c’est à bon droit que compte tenu des fautes commises par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, la commune de Saint-Nazaire a prononcé la déchéance aux torts de celle-ci de la convention de délégation de service public. Dès lors la société appelante n’est pas fondée à demander l’indemnisation de son manque à gagner entre la résiliation de la convention et la fin initialement prévue de la délégation de service public.

Quant aux autres préjudices invoqués par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités :

23. Si la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités demande la condamnation de la commune de Saint-Nazaire à lui verser, d’une part, la somme de 434 208, 45 euros au titre du surcoût des travaux de construction de la piscine et, d’autre part, la somme de 1 043 545 euros au titre de son manque à gagner jusqu’en 2015 du fait d’un nombre prétendument insuffisant d’emplacements dans le camping, il résulte de ce qui a été dit aux points 10 et 11 du présent arrêt que la société appelante n’établit, respectivement, ni l’existence d’une sujétion imprévue, ni que le nombre d’emplacements selon elle plus réduit que prévu aurait eu sur son chiffre d’affaires un impact tel que l’économie du contrat s’en serait trouvé bouleversée. Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’exception de prescription invoquée par la commune intimée, ces derniers chefs de préjudice doivent être écartés.

S’agissant des sommes dues par la délégataire à la commune de Saint-Nazaire :

24. Ainsi qu’il a été rappelé au point 14 du présent arrêt, l’article 2 du titre VI du contrat de délégation de service public prévoit que l’indemnisation pouvant être accordée au délégataire, en cas de résiliation anticipée de la convention, doit être diminuée, d’une part, du montant des versements effectués par le concédant appelé en garantie de la dette contractée par le concessionnaire et d’autre part, des indemnités financières que la commune pourrait exiger.

25. En premier lieu, il résulte de l’instruction, notamment des mandats produits par la commune de Saint-Nazaire que celle-ci, qui s’était engagée comme garant à hauteur de 70 % des emprunts contractés par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, a réglé, en cette qualité, la somme de 56 588, 52 euros au profit de la banque CIC Ouest le 20 mars 2017 et les sommes de 67 341, 78 euros et 22 080,59 euros le 25 juillet 2018 au profit de la banque Caisse d’Epargne. La commune de Saint-Nazaire est donc fondée à soutenir que l’indemnisation due à son ancienne délégataire doit être réduite d’un premier montant de 146 010, 11 euros.

26. En deuxième lieu, la commune de Saint-Nazaire soutient, sans être aucunement contredite, que la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités demeure redevable, à son égard, d’une somme de 214 938, 43 euros au titre de la redevance d’occupation du domaine public et de mise à disposition des équipements et installations, d’une somme de 37 901, 39 euros au titre de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et d’une somme de 19 320, 84 euros au titre de la taxe de séjour non reversée. La commune intimée est donc fondée à soutenir que l’indemnisation due à son ancienne délégataire doit être diminuée d’un deuxième montant de 272 160, 66 euros.

27. En dernier lieu, si la commune de Saint-Nazaire relève l’existence de quelques commentaires négatifs sur le camping de l’Eve au moment de l’exploitation de ce camping par la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités, elle n’établit pas que ces quelques commentaires auraient entrainé à son détriment un réel préjudice d’image. Ce dernier chef de préjudice doit donc être écarté.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités est redevable d’une somme de 28 170, 77 euros à l’égard de la commune de Saint-Nazaire. La société appelante n’est donc pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nantes n’a pas condamné la commune à lui verser une somme supérieure. Par ailleurs, la commune de Saint-Nazaire est fondée à demander, par la voie de l’appel incident, l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il l’a condamnée au profit de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités et la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 28 170, 77 euros.

Sur les frais du litige :

29. Il n’apparait pas inéquitable, dans les circonstances de l’espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les frais d’instance qu’elles ont exposés.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1509830 – 1610087 du tribunal administratif de Nantes du 25 avril 2018 est annulé en tant qu’il a condamné la commune de Saint-Nazaire à verser à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités la somme de 57 271,34 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2016.

Article 2 : La société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités est condamnée à verser à la commune de Saint-Nazaire la somme de 28 170, 77 euros.

Article 3 : Les surplus des conclusions de la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein Air – Collectivités et de la commune de Saint-Nazaire sont rejetés.

Article 4  : Le présent arrêt sera notifié à la société Compagnie française d’Hôtellerie de Plein air – Collectivités et à la commune de Saint-Nazaire.

Délibéré après l’audience du 9 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Jouno, premier conseiller,

- Mme E…, première conseillère.

Lu en audience publique le 26 juin 2020.


La rapporteure,

M. E… Le président,


L. LAINÉ


La greffière,

M. A…

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 18NT02438

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CAA de NANTES, 4ème chambre, 26 juin 2020, 18NT02438, Inédit au recueil Lebon