CAA de NANTES, 6ème chambre, 12 mars 2024, 22NT03862, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nantes, 6e ch., 12 mars 2024, n° 22NT03862
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro : 22NT03862
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Nantes, 7 novembre 2022, N° 1905147
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 14 mars 2024
Identifiant Légifrance : CETATEXT000049272734

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A B a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 21 mars 2019 par laquelle le président de l’université de Nantes a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision procédant à une retenue d’un trentième de son salaire du mois de juillet 2018 pour absence de service fait le 18 mai 2018 ainsi que cette décision.

Par un jugement n° 1905147 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 décembre 2022 et 12 janvier 2024, Mme B, représentée par Me Herin, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 8 novembre 2022 ;

2°) d’annuler la décision du 21 mars 2019 ainsi que celle procédant à la retenue sur son salaire ;

3°) d’enjoindre au président de l’université de Nantes de procéder à la régularisation de sa situation et à la liquidation du traitement correspondant à la retenue pratiquée ;

4°) de mettre à la charge del’université de Nantes le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— le jugement attaqué est entaché d’irrégularité ; les premiers juges n’ont pas répondu au moyen tiré du défaut de caractère contradictoire de la procédure, à celui tiré de l’existence d’une sanction déguisée et d’un détournement de pouvoir ; le tribunal a méconnu le principe constitutionnel d’indépendance reconnu aux enseignants-chercheurs ; les premiers juges ont inversé la charge de la preuve en n’exigeant pas que l’administration établisse sa cessation volontaire de travail le 18 mai 2018 ; ils ont omis de répondre au moyen tiré de l’atteinte à la règle du traitement pour service fait ;

— la décision contestée a été prise par une autorité incompétente dès lors que le président de l’université est incompétent pour modifier les modalités de décompte des jours de grève alors que cette décision est par nature d’ordre statutaire ;

— elle n’a pas été invitée à présenter ses observations préalablement à la retenue sur son salaire ;

— elle n’était pas gréviste le 18 mai 2018 ; selon la circulaire n° 2018-081 du 7 mai 2018 ainsi que la réponse ministérielle du ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation dans sa réponse au Sénat n° 07153 parue au JO du 23 mai 2019, un enseignant-chercheur n’est le cas échéant gréviste que s’il doit accomplir un service d’enseignement le jour concerné ; elle a assuré l’intégralité de ses heures d’enseignement statutaires et des tâches administratives qui lui incombaient mais en outre 50 heures de cours complémentaires de sorte qu’on ne peut lui opposer une absence de service fait ; elle n’a pas participé au mouvement de contestation des étudiants mais à assurer « un rôle d’observateur, le cas échéant, de médiateur » dans ce conflit ; la décision contestée est ainsi entachée d’une erreur de droit et méconnait le principe constitutionnel d’indépendance de la recherche et la liberté d’exprimer librement son opinion sur l’institution et le système dans lesquels elle travaille ;

— cette décision méconnaît le principe d’égalité dans la mesure où d’autres collègues n’ont pas été visés par cette retenue sur traitement ;

— la décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et d’un détournement de pouvoir. Elle révèle une sanction déguisée dès lors que le président de l’université a également engagé une procédure disciplinaire à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2023, l’université de Nantes, représentée par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme B au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;

— la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Gélard,

— les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

— les observations de Mme B,

— et les observations de Me Couetoux-Dutertre, substituant Me Marchand, représentant l’université de Nantes.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B, maîtresse de conférences à l’unité de formation et de recherche (UFR) de , composante de l’université de Nantes, a demandé au tribunal administratif de Nantes d’annuler la décision du 21 mars 2019 par laquelle le président de l’université a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision procédant à une retenue d’un trentième sur son salaire du mois de juillet 2018, pour absence de service fait le 18 mai 2018 ainsi que cette décision. Elle relève appel du jugement du 8 novembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d’annulation des décisions contestées :

2. Aux termes de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération () ». Aux termes de l’article 4 de la loi du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions attaquées : " Le traitement exigible après service fait, () est liquidé selon les modalités édictées par la réglementation sur la comptabilité publique./ L’absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d’indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l’alinéa précédent. / Il n’y a pas service fait :/ 1°) Lorsque l’agent s’abstient d’effectuer tout ou partie de ses heures de services ; / 2°) Lorsque l’agent, bien qu’effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s’attachent à sa fonction telles qu’elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l’autorité compétente dans le cadre des lois et règlements. / Les dispositions qui précèdent sont applicables au personnel de chaque administration ou service doté d’un statut particulier ainsi qu’à tous bénéficiaires d’un traitement qui se liquide par mois ".

3. Il résulte de ces dispositions que l’absence de service fait, notamment lorsque l’agent s’abstient d’effectuer tout ou partie de ses heures de services, donne lieu à une retenue dont le montant est égal au trentième indivisible. En l’absence de service fait, l’administration est tenue, selon le cas, de suspendre la rémunération jusqu’à la reprise du service, d’ordonner le reversement de la rémunération indûment perçue ou d’en retenir le montant sur les rémunérations ultérieures. Pour permettre une retenue sur la rémunération de l’agent ou son reversement, l’absence de service fait doit pouvoir être matériellement constatée, sans qu’il soit nécessaire de porter une appréciation sur le comportement de l’agent. A cette fin, il appartient aux présidents et directeurs d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche de mettre en place un dispositif adapté, eu égard aux conditions particulières d’exercice de leurs fonctions, permettant d’assurer le contrôle de l’effectivité du service fait par les enseignants-chercheurs, pendant la période couverte par un préavis de grève, de façon à calculer sur cette base le montant des rémunérations dues, tout en laissant ouverte aux intéressés la possibilité, en cas de contestation, d’établir par tout moyen de preuve approprié, qu’ils ont effectivement accompli le service ouvrant droit à rémunération.

4. Il est constant que Mme B était présente le 18 mai 2018 au matin sur le site de la Beaujoire puis sur le campus du Tertre et que des étudiants, qui exprimaient leur opposition à un projet de loi relatif à « Parcours sup », manifestaient sur ce dernier site dans un climat de forte tension, en tentant d’empêcher la tenue d’examens. La requérante soutient que, lorsque les étudiants ont pris à partie certains personnels administratifs de l’université qui se trouvaient sur le campus, elle a tenté dans le cadre de ses fonctions, d’assurer un rôle de « médiateur » en s’interposant entre les parties. Si les témoignages produits au dossier attestent de la présence de plusieurs professeurs aux côtés des étudiants et du climat tendu qui existait entre ces derniers et les agents de l’université, ils ne permettent cependant pas d’établir qu’à cette occasion, Mme B aurait entendu exercer son droit de grève et se soustraire à ses obligations de service. Il n’est d’ailleurs pas contesté que l’intéressée n’avait aucune charge d’enseignement aux moments des faits. La requérante, qui ne s’est pas déclarée « gréviste » auprès des services de l’université, précise en outre que, tôt le matin ainsi que l’après-midi, elle a accompli les tâches relevant de son statut de maîtresse de conférences et justifie à cet effet de l’envoi de courriels à des collègues ou étudiants. Enfin, il n’est pas établi que les professeurs auraient été incités, notamment par des organisations syndicales, à se joindre au mouvement des étudiants, ni qu’un préavis de grève aurait été déposé pour le 18 mai 2018. Dans ces conditions, et au vu de ces éléments, la requérante est fondée à soutenir qu’en procédant à une retenue sur son salaire pour absence de service fait le 18 mai 2018, le président de l’université de Nantes a entaché d’illégalité sa décision.

5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête et notamment ceux relatifs à la régularité du jugement attaqué, que Mme B est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

6. Eu égard à l’annulation prononcée au point 4 et au motif qui la fonde, l’exécution du présent arrêt implique que l’université de Nantes régularise la situation administrative de Mme B en lui versant la rémunération qui lui est due au titre de la journée du 18 mai 2018, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’université de Nantes le versement à Mme B d’une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1905147 du 8 novembre 2022 du tribunal administratif de Nantes ainsi que la décision du 21 mars 2019 par laquelle le président de l’université a rejeté le recours gracieux présenté par Mme B contre la décision procédant à une retenue d’un trentième sur son salaire du mois de juillet 2018 ainsi que cette décision sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à l’université de Nantes de régulariser, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt, la situation administrative de Mme B en lui versant la rémunération qui lui est due au titre de la journée du 18 mai 2018.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B est rejeté.

Article 4 : L’université de Nantes versera à Mme B une somme de 1 500 euros hors taxes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B et à l’université de Nantes.

Une copie en sera adressée, pour information, au recteur de l’académie de Nantes, chancelier des universités.

Délibéré après l’audience du 16 février 2024, à laquelle siégeaient :

— M. Gaspon, président de chambre,

— M. Coiffet, président-assesseur,

— Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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