Cour administrative d'appel de Paris, 7e chambre, 11 février 2020, n° 18PA03132

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 7e ch., 11 févr. 2020, n° 18PA03132
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 18PA03132
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 29 mai 2018, N° 1607987/1-1
Dispositif : Rejet

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B C ont demandé au Tribunal administratif de Paris, d’une part, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes, et, d’autre part, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1607987/1-1 du 30 mai 2018, le Tribunal administratif de Paris a accordé à M. et Mme C la décharge sollicitée, en droits et pénalités, et mis à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de justice.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 septembre 2018, le 1er avril 2019 et le 17 octobre 2019, le ministre de l’action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1607987/1-1 du 30 mai 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rétablir M. et Mme C au rôle de l’impôt sur le revenu de l’année 2010, à concurrence des droits et pénalités dont le Tribunal administratif de Paris les a déchargés.

Il soutient que :

— contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, le gain réalisé par M. C, qui ne s’est pas comporté comme un investisseur ordinaire à l’occasion du débouclage de l’opération de leverage buy out concernant le groupe BetB, révèle l’octroi d’un avantage préférentiel dépourvu de tout risque ;

— comme le prévoit la doctrine référencée BOI-RSA-ES-20-10-20-50, le gain en cause ne pouvait donc être regardé comme imposable dans la catégorie des plus-values.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 décembre 2018, le 22 janvier 2019 et le 23 septembre 2019, M. et Mme C, représentés par Me D, concluent au rejet de la requête du ministre et à ce que l’Etat supporte les dépens de l’instance ainsi que les frais de justice, à concurrence de 7 000 euros, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent qu’aucun des moyens soulevés par le ministre n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme A,

— et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. En 2005, la société Eurazeo a décidé de monter une opération d’achat-revente avec effet de levier, dite leverage buy out (LBO), concernant le groupe hôtelier BetB, conjointement détenu, à . A cette fin, la société Eurazeo a procédé, le 29 juillet 2005, à l’acquisition des titres de la société Financière Galaxie détenus par la société Duke Street Capital, tandis que par un traité d’apport conclu le même jour, les dirigeants du groupe associés à l’opération ont apporté leurs titres de cette même société à deux sociétés constituées pour les besoins de l’opération par la société Eurazeo, Diringinvest 1 et 2 (D1 et D2), en échange d’une partie de leurs propres actions. Dans le cadre d’un second traité d’apport du même jour, la société D1 a immédiatement apporté ses actions de la société Financière Galaxie à la société Groupe BetB Hôtels (GBBH), constituée par la société Eurazeo qui en était l’unique associée, en échange de quoi elle a reçu, outre une action ordinaire, 166 003 actions à bons de souscription de la société, chacune étant constituée d’une action d’une valeur nominale de dix euros et de cinq bons de souscription d’actions d’une valeur unitaire de un euro. Une promesse d’achat et de vente et un pacte d’actionnaires, conclus respectivement les 13 juillet et 31 août 2005, ont prévu que ces bons permettraient de souscrire des actions nouvelles de la société GBBH à leur valeur nominale, leur exercice étant toutefois subordonné à un changement d’actionnaire majoritaire du groupe BetB ou à son introduction en bourse. Ces mêmes documents ont prévu que le nombre d’actions nouvelles de la société GBBH susceptibles d’être ainsi souscrites serait fonction, d’une part, de l’année de sortie de l’investissement, c’est-à-dire de la cession globale et définitive des titres de la société GBBH, et, d’autre part, de la rentabilité de l’opération d’achat-revente du groupe BetB, évaluée au débouclage de l’opération de LBO par un multiple d’investissement de la société Eurazeo.

2. Le 28 septembre 2010, le fonds d’investissement américain Carlyle, représenté par la société Build, s’est porté acquéreur du groupe BetB, de sorte que la société D1, qui détenait 166 004 actions de la société GBBH, a pu exercer l’intégralité des bons de souscription d’actions qui y étaient attachés et se voir ainsi attribuer 279 834 actions nouvelles, soit un total de 445 838, 37,23 % issues de l’opération d’apport de 2005, 62,77 % de l’exercice en 2010 des bons de souscription d’actions. Cet accroissement d’actif de la société D1 a entraîné un enrichissement de ses actionnaires à due concurrence, raison pour laquelle M. C, en cédant à la société Build les 107 153 actions de la société D1 qu’il détenait en propre, a réalisé un gain net de 4 773 649 euros, qu’il a considéré comme une plus-value devant bénéficier du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du code général des impôts.

3. A la suite de l’examen contradictoire de situation fiscale personnelle de M. et Mme C, l’administration fiscale a pour sa part estimé que l’opération de LBO initiée en 2005 s’était accompagnée d’un mécanisme d’intéressement consistant à rétrocéder à certains cadres dirigeants associés à l’opération, dont M. C, une partie du gain attendu de la revente du groupe BetB. A l’issue de ce contrôle, conduit selon la procédure de rectification contradictoire, elle a donc décidé qu’à concurrence de 62,77 % de son montant, la plus-value dégagée par M. C devait être imposée dans la catégorie des traitements et salaires, en tant qu’avantage en argent constitutif d’un complément de rémunération. Le ministre de l’action et des comptes publics relève appel du jugement du 30 mai 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a accordé à M. et Mme C la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été subséquemment assujettis au titre de l’année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l’article 79 du code général des impôts : « Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu ». L’article 82 du même code dispose que : « Pour la détermination des bases d’imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. () ».

5. En premier lieu, l’opération de LBO décrite aux points 1 et 2 ci-dessus a associé au projet d’achat-revente du groupe BetB ses cadres salariés à fort potentiel, afin qu’ils contribuent à sa valorisation grâce à leurs qualités managériales et à leur connaissance du marché de l’hôtellerie, par un mécanisme destiné à leur permettre de bénéficier des gains éventuellement réalisés à l’occasion de son débouclage. Comme l’ont relevé les premiers juges, cette opération, qui était susceptible d’aboutir sans satisfaire les espérances de gains des investisseurs, ne pouvait en tant que telle laisser présumer l’octroi d’un avantage salarial procédant de la rétrocession aux dirigeants salariés de la plus-value finalement dégagée.

6. En deuxième lieu, si le ministre soutient que M. C a participé à une opération dénuée de tout risque, il ne conteste pas que dans les hypothèses où la société Eurazeo aurait réalisé un multiple d’investissement compris entre 1 et 1,2, c’est-à-dire aurait simplement récupéré sa mise initiale ou réalisé une plus-value n’excédant pas 20 %, les cadres salariés du groupe BetB associés à son opération de LBO auraient alors pu perdre jusqu’à 67 % de leur investissement. Pour soutenir que ce risque de perte n’était que virtuel, le ministre se prévaut de l’article 5.3 du pacte d’actionnaires signé le 31 août 2005, par lequel il a été prévu d’exempter les investisseurs de l’obligation de céder leurs titres, dans l’hypothèse où le prix de cession envisagé des actions de la société GBBH ne leur aurait pas permis de couvrir la valeur initiale à laquelle les actions à bons de souscription d’actions avaient été émises. Toutefois, il ne ressort pas d’une telle clause, qui soumettait la mise en oeuvre de cette exception à la condition que la société Eurazeo décide d’accepter une offre de rachat globale avant le 29 juillet 2007, qu’elle aurait eu pour conséquence de prémunir les dirigeants impliqués dans l’opération, seulement assurés de pouvoir conserver leurs titres, contre un éventuel risque de perte ultérieure. Le ministre soutient également que, toutes choses égales par ailleurs, si la société D1 n’avait pas exercé ses bons de souscription d’actions, M. C se serait assuré un gain de 2 203 712 euros, soit 92 % de plus que sa mise initiale. Toutefois, il ne conteste pas utilement l’analyse de l’intimé selon laquelle le gain ainsi allégué procède de la seule hypothèse où la valeur du groupe BetB aurait permis à la plus-value latente sur les actions de la société GBBH de compenser la perte sur le prix de souscription des bons de souscription d’actions. Enfin, la circonstance, à la supposer établie, que l’investissement initial de M. C ait représenté plusieurs années de salaires ne suffit pas, à elle seule, à justifier de l’absence de risque pris à l’origine de l’opération, pas plus que la rentabilité exceptionnelle de l’investissement en cause, qui, s’il a permis à l’intimé de multiplier par presque cinq son investissement de départ, aurait également pu se dénouer par une perte non sérieusement contestée de 351 926 euros. Le ministre n’est donc pas fondé à soutenir que M. C n’aurait pas adopté un comportement d’investisseur en participant en 2005 à l’opération de LBO en débat.

7. En troisième lieu, si le ministre se prévaut de ce que M. C ne s’est pas comporté comme un investisseur ordinaire, dès lors, d’une part, qu’il est entré dans le dispositif en subissant le choix de la société Eurazeo quant au nombre d’actions de la société D1 qu’il pouvait acquérir, et, d’autre part, qu’il n’a eu aucune maîtrise sur l’orientation ultérieure de son investissement, il est constant qu’il s’agit de là de contraintes propres à tout montage de LBO assorti d’un management package, où l’investisseur principal, au regard de sa surface financière, est nécessairement en situation de force par rapport à ses co-investisseurs. En tout état de cause, comme il a été dit au point 6, cette circonstance n’enlève rien au risque qu’a pris M. C à l’origine de l’opération, en 2005. D’ailleurs, comme l’ont relevé les premiers juges, le service n’a remis en cause ni les valeurs d’apport des titres des sociétés Financière Galaxie et D1 en amont de l’opération, ni la valeur des actions GBBH et des bons de souscription d’actions y afférents. Il n’a pas davantage invoqué de condition préférentielle dont aurait bénéficié M. C lors de la souscription de ses titres D1 en 2005 ou de l’apport de sa participation dans la société D1 en 2010.

8. En dernier lieu, le ministre ne saurait utilement se prévaloir de sa propre doctrine référencée BOI-RSA-ES-20-10-20-50 pour soutenir que, dans le silence de la loi, tout salarié bénéficiant d’options de souscription ou d’achat d’actions en dehors du dispositif légal des stock-options devrait voir ses gains imposés dans la catégorie des traitements et salaires.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’action et des comptes publics n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a accordé à M. et Mme C la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur les dépens de l’instance :

10. M. et Mme C n’établissent pas avoir engagé de dépens dans la présente instance. Leur demande tendant à ce qu’ils soient mis à la charge de l’Etat ne peut donc, en tout état de cause, qu’être rejetée.

Sur les frais de justice :

11. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de l’Etat sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l’action et des comptes publics est rejetée.

Article 2 : L’Etat versera à M. et Mme C la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. et Mme C est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’action et des comptes publics et à M. et Mme C.

Copie en sera adressée à l’administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Délibéré après l’audience du 28 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

— M. Jardin, président de chambre,

— Mme Hamon, président assesseur,

— Mme A, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 11 février 2020.

Le rapporteur,

C. ALe président,

C. JARDIN

Le greffier,

C. BUOT

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Cour administrative d'appel de Paris, 7e chambre, 11 février 2020, n° 18PA03132