CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 95PA02857

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE 14 mars 1975 SA Quiblier et fils Secton R. p. 191
CE 14 mars 1990 n ( 112.006 - 112 007
CE 22 février 1989 n ( 82496 et 77424
CE 26 octobre 1990 n ( 61712
CE 26 octobre 1990 n ( 91712 - 63861 - 63862
CE 28 juillet 1993 n ( 123954 RJF 10/93 n ( 1921
CE 7 avril 1978, Chillou de Saint-Albert R. p. 923
CE Ass, 27 avril 1951, Société Toni, p. 236
CE Ass. 28 février 1975 Sté Hers et autres p. 162

Texte intégral

N( 95PA02857
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Société HYDRO AGRI FRANCE
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Audience du 27 mars 1998
Lecture du 9 avril 1998
CONCLUSIONS DE Mme X […]
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Commissaire du Gouvernement
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Le principe moderne selon lequel « les pollueurs doivent être les payeurs » trouve une application pratique dans la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique à laquelle sont assujetties en France les entreprises dont les installations émettent des substances polluantes dans l(atmosphère ; le but est d(encourager la recherche et la mise au point de procédés permettant de réduire ou de supprimer les émissions de ces substances polluantes en utilisant à cet effet le produit de la taxe.
Mais un « vent de contestation » souffle contre l(instauration de cette taxe sur les émissions dans l(atmosphère de protoxyde d(azote (N2O) qui ne serait pas un polluant.
C(est le décret en Conseil d(Etat n( 85-582 du 7 juin 1985 qui a institué une taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique due par les exploitants de certaines installations classées sur l(émission dans l(atmosphère d(un des polluants mentionnés en annexe du décret. Figurait dans cette annexe, notamment, « l(oxyde d(azote et autres composés oxygénés de l(azote ». Cependant cette taxe sur l(oxyde d(azote était assortie d(un taux zéro dans l(arrêté du même 7 juin 1985 fixant le taux de la taxe parafiscale sur les divers polluants.
Cette taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique, créée sur le fondement de l(ordonnance n( 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances complétée par le décret n( 80-854 du 30 octobre 1980 relatif aux taxes parafiscales, était établi pour une période maximale de cinq ans.
C(est pourquoi la loi de finances pour 1990 prévoyait un nouveau texte destiné à proroger la taxe au delà du 31 décembre 1990. Tel fut l(objet du décret n( 90-389 du 11 mai 1990 et de l(arrêté du même jour.
Mais, contrairement à l(arrêté du 7 juin 1985, celui du 11 mai 1990 fixait un taux de 150 F par tonne émise d(oxyde d(azote et autres composés oxygénés de l(azote exprimés en équivalent dioxyde d(azote. La circulaire du ministre de l(environnement, n( 90-68 du 17 septembre 1990 a inclus, pour la première fois, le protoxyde d(azote (N2O)dans la catégorie des oxydes et autres composés oxygénés de l(azote afin que les émissions de ce gaz fassent l(objet de la taxation sur la pollution atmosphérique. Notons immédiatement qu(une nouvelle circulaire, celle du 24 décembre 1990, trois mois plus tard devait venir préciser la méthodologie devant être appliquée par les déclarants pour établir la déclaration de rejets polluants et proposer la déclaration du N2O sans conversion en dioxyde d(azote. Seuls le décret en Conseil d(Etat du 11 mai 1990 et l(arrêté du même jour sont en cause dans ce contentieux. La société ne conteste pas la légalité des circulaires.
Un certain nombre d(industriels assujettis à cette taxe contestent donc l(inclusion dans l(assiette de la taxe sur la pollution atmosphérique des émissions de gaz N2O, même si tout le monde convient que ces émissions contribuent à l(augmentation de l(effet de serre ; les avis divergent toutefois sur l(importance de la contribution !
Les industriels ont présenté un recours gracieux auprès de l(Agence de défense de l(environnement et de maîtrise de l(énergie (ADEME), établissement public industriel et commercial créé également en 1990, par la loi n( 90-1130 du 19 novembre 1990, pour reprendre notamment les attributions anciennement dévolues à l(Agence pour la qualité de l(Air, laquelle avait trouvé dans sa « corbeille de naissance » en 1980 la possibilité de percevoir le produit des taxes parafiscales. (Loi n( 80-513 du 7 juillet 1980 modifiant la loi n( 61-842 du 2 août 1961 et créant un article 9).
Devant le rejet de leur réclamation, chaque industriel concerné a donc saisi du litige le tribunal administratif dont dépendait son siège social. Mais le siège de l(ADEME étant à Paris, sur les renvois utiles des tribunaux saisis, le Président de la section du contentieux du Conseil d(Etat a désigné le tribunal administratif de Paris pour connaître des différents litiges conformément à la récente jurisprudence du Conseil d(Etat qui veut que le tribunal territorialement compétent soit celui dans le ressort duquel se trouve le siège de l(organisme bénéficiaire de la taxe.[CE 14 mars 1990 n( 112.006 – 112 007 Fernand Y et Cie RJF 5/90 n( 564]. Sont ainsi en instance devant votre cour plus de 40 requêtes dirigées contre les jugements du tribunal administratif de Paris. La décision que vous prendrez sur cette première affaire est donc attendue.
Le premier dossier de la série, inscrit à votre rôle, l(affaire n(95-2857, est présenté par la société HYDRO AGRI FRANCE (autrefois société Hydro Azote). La requête est dirigée contre le jugement n( 93/14.154 et 94/09777/3 du 22 février 1995 du tribunal administratif de Paris et doit être regardée comme tendant à l(annulation du titre de perception n( 76-01 établi le 16 novembre 1992 par le directeur de l(ADEME (et rendu exécutoire le 24 novembre 1992 par le Préfet de Seine-Maritime) pour le recouvrement de la somme de 31.985,25 F, correspondant au montant de la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique à laquelle la requérante a été assujettie au titre de 1990, à raison des émissions dans l(atmosphère du protoxyde d(azote provenant de l(établissement qu(elle exploite à Rogerville, près du Havre.
Vous observerez, à titre liminaire, que le titre de perception 76-01 attaqué, indique seulement le montant de la taxe avec une majoration de 10 % et précise que la société est redevable de cette taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique sur le fondement du décret n( 90-389 du 11 mai 1990 et selon le taux prévu à l(article 1er de l(arrêté du 11 mai 1990 relatif à cette taxe. Cette référence à la fois au décret instituant la taxe et à l(arrêté en fixant le taux apparaît parfaitement justifiée compte tenu du régime des taxes parafiscales dont vous trouverez clairement exposé les caractéristiques essentielles notamment dans les conclusions de M. O. Z, commissaire du Gouvernement, dans l(affaire ASS. Union Fédérale des consommateurs, CE 26 octobre 1990 n( 91712 – 63861 – 63862, RJF 12/90 p. 823 et suivantes. M. Z s(exprimait ainsi : « En vertu de l(article 4 de l(ordonnance n( 59-2 du 2 janvier 1959 (article 1635 ter-I du code général des impôts), les taxes parafiscales sont perçues dans un intérêt économique ou social au profit d(une personne morale de droit public ou privé autre que l(Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs. Elles ne peuvent donc être perçues, lorsqu(il s(agit d(un établissement public, qu(au profit d(un établissement public à caractère industriel et commercial. Ces taxes sont établies par décret en Conseil d(Etat. Leur perception au-delà du 31 décembre de l(année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances. En vertu du décret n( 80-854 du 30 octobre 1980, pris pour l(application de l(article 4 de l(ordonnance précitée, le décret qui institue une taxe parafiscale doit fixer l(affectation, l(assiette, le fait générateur, les règles de liquidation et de recouvrement de la taxe. Il fixe aussi son taux ou une limite maximum : dans cette limite, des arrêtés du ministre chargé du budget, du ministre chargé de l(économie et du ou des ministres intéressés fixent le taux de la taxe. Le décret fixe, enfin, la durée de la taxe qui ne peut pas excéder cinq ans ».
Vous pouvez aussi vous reporter à d(autres chroniques comme celles de M. B C Laprade « Le contrôle du juge administratif sur les taxes parafiscales » [RJF 6/75 p. 195] et « Aspects juridiques des taxes parafiscales » [Revue française de finances publiques 1988 n( 1 p. 15] ou celle de M. A. Crouzet « taxes parafiscales et taxes diverses » [RJF 2/86 p. 71].
La légalité de la perception d(une taxe parafiscale suppose donc la légalité d(un décret instaurant la taxe, et celle d(un arrêté ministériel en fixant le taux dans la limite maximale fixée par le décret.
Pour demander l(annulation du jugement et contester l(obligation de payer la taxe parafiscale litigieuse, la société requérante soulève de nombreux moyens que nous examinerons successivement.
1() Vous écarterez, en premier lieu, comme étant, en tout état de cause, irrecevables les moyens relatifs à la légalité externe du jugement à la régularité du jugement ; la société soutient que les premiers juges n(auraient pas répondu à tous les moyens soulevés dans la demande de première instance et que le jugement serait aussi insuffisamment motivé. Mais, dès lors que la requérante n(a fait valoir dans le délai d(appel aucun moyen de légalité externe, qu(il concerne le jugement ou le titre exécutoire contesté, il n(est plus recevable à soulever dans un mémoire enregistré après l(expiration du délai d(appel une omission à statuer ou une insuffisance de motivation qui sont des moyens de légalité externe [Cf. CE 7 avril 1978, Chillou de Saint-Albert R. p. 923]. Comme les dispositions de l(article R.153 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d(appel en faisait l(obligation, le président de la 2e chambre de votre Cour a averti les parties de ce qu(un moyen d(ordre public risquait d(être soulevé. Nous vous proposons donc de rejeter, ce moyen tiré de l(irrégularité du jugement.
2() La société fait valoir, en deuxième lieu, que lorsque la lutte contre la pollution atmosphérique vise à prévenir les problèmes d(acidification et de changement climatique elle excède l(intérêt d(un secteur d(activité particulier et constitue un objectif national. La société en conclut que l(instauration de la taxe parafiscale sur les rejets de polluants n(entre pas dans le champ d(application de l(ordonnance du 2 janvier 1959 et ne relève pas du domaine réglementaire. En d(autres termes, la question qui vous est posée est celle de savoir si ce prélèvement sur les entreprises correspond à une taxe parafiscale relevant du pouvoir réglementaire ou plutôt une imposition au sens de l(article 34 de la Constitution.
La taxe parafiscale est un prélèvement obligatoire sans contrepartie nécessaire, dont le produit est affecté à un objet économique ou social précis, et qui ne peut être institué qu(au profit de certains organismes. Le Conseil d(Etat a récemment précisé que "si les taxes parafiscales sont établies par la voie réglementaire dans les limites et les conditions fixées par l(article 4 de l(ordonnance du 2 janvier 1959, cette compétence du pouvoir réglementaire ne s(étend pas à l(institution de prélèvements destinés à contribuer, par le financement d(actions excédant l(intérêt économique ou social propre d(un secteur d(activité particulier, à la réalisation des objectifs généraux […..CE 26 octobre 1990 n( 61712 – […], Union Fédérale des consommateurs RJF 12/90 n( 1496 avec les conclusions de M. O. Z p. 823 et suivantes précité].
Chaque année la liste des taxes parafiscales telle qu(elle résulte de l(Etat E annexé à la loi de finances énumère les taxes parafiscales selon qu(elles sont perçues dans un intérêt économique ou dans un intérêt social. Dans les premières (celles qui sont perçues dans un intérêt économique) figurent les deux taxes qui sont destinées à compenser certaines nuisances liées à l(environnement, c(est-à-dire la taxe sur les huiles de base et la taxe sur la pollution atmosphérique, toutes deux perçues par l(ADEME, les seules aussi à relever des services du Premier Ministre.
La possibilité pour l(ADEME de percevoir ces deux taxes parafiscales lui a été indirectement reconnue, selon notre analyse, par deux lois différentes. L(article 22 de la loi n( 75-633 du 15 juillet 1975 créait l(Agence nationale pour la récupération et l(élimination des déchets et l(autorisait à percevoir des taxes parafiscales ; l(article 9 de la loi n( 61-842 du 9 août 1961 modifiée par la loi n( 80-513 du 7 juillet 1980, instituait l(Agence pour la qualité de l(air et l(autorisait aussi à percevoir des taxes parafiscales ; ces deux Agences ont été dissoutes par la loi précitée du 19 novembre 1990, créant l(ADEME ; les biens, droits et obligations des deux établissements ont été dévolus à l(ADEME y compris le droit de percevoir des taxes parafiscales.
Par rapport à la définition précitée de la taxe parafiscale, la juridiction administrative, compétente en la matière, a été amenée à contrôler principalement le critère de l(affectation de la taxe prévu à l(article 4 de l(ordonnance du 2 janvier 1959 permettant d(apprécier si le prélèvement institué n(excédait pas l(intérêt économique ou social du secteur en faveur duquel la taxe est instituée ?
La taxe est-elle affectée à un objet économique ou social suffisamment précisé ou trop général ? La jurisprudence du Conseil d(Etat fournit un certain nombre d(exemples de ce type de contrôle :
- Vous pourrez vous reporter aux conclusions de M. Le Président RACINE sous les arrêts du 28 mai 1984 n(s 47051, 47052, 47053 et […] 7/84 n( 852 à propos de la taxe instituée sur les magnétoscopes par le décret n( 82-971 du 17 novembre 1982 qui ne précisait pas l(affectation et les bénéficiaires de la taxe.
- Le Conseil d(Etat, saisi de la légalité du décret institutif de la taxe au profit du Comité National interprofessionnel de l(horticulture florale ornementale et des pépinières qui ne précisait pas la nature des activités au financement desquelles elle était affectée, a jugé qu(elle était destinée à financer l(ensemble des missions confiées à cet organisme représentant un intérêt économique et social certain. [CE 28 juillet 1993 n( 123954 RJF 10/93 n( 1921.].
- De même le Conseil d(Etat a regardé comme étant affectée et répondant aux critères de l(ordonnance de 1959 et du décret du 30 octobre 1980, la taxe parafiscale sur les huiles de base dont nous avons parlé ci-dessus, instituée par le décret du 14 mars 1986 dont l(article 8 affecte le produit de la taxe à l(aide à la collecte, au traitement et à l(élimination des huiles usagées et aux actions collectives d(information et d(assistance destinées aux producteurs et détenteurs d(huiles usagées [CE 31 octobre 1990 n( 82793 – Union des chambres syndicales de l(industrie des pétroles] ,[Cf aussi CE 22 février 1989 n( 82496 et 77424 Union Nationale des industries françaises de l(ameublement, RJF 4/89 n( 469].
En revanche, le Conseil d(Etat a jugé, comme nous l(avons indiqué ci-dessus, que la taxe parafiscale sur les produits pétroliers, instituée par le décret du 8 avril 1983, qui avait notamment pour objet d(exercer un effet dissuasif sur la consommation de produits pétroliers en vue de limiter les conséquences pouvant résulter pour l(équilibre de la balance commerciale de la baisse du cours du pétrole brut, visait plus à la réalisation d(objectifs généraux d(intérêt national.
Il est vrai que, comme le soutient la société requérante, vous pouvez trouver dans la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique instituée par le décret du 11 mai 1990 attaqué la recherche de la satisfaction d(objectifs généraux d(intérêt national à savoir l(amélioration de la qualité de l(air. Vous pourriez donc en décider ainsi.
Pour notre part, il nous semble que le caractère précis de l(affectation du produit de la taxe dans le décret du 11 mai 1990 et correspondant bien à l(objectif limité de la loi du 2 août 1961 qui était de contribuer par des actions techniques, à ce que les installations humaines, en particulier industrielles, évitent, dans toute la mesure du possible, d(émettre des poussières ou gaz polluants, nous permet de confirmer, à cette date, à ce prélèvement, le caractère de taxe parafiscale. Rappelons que l(article 7 du décret du 11 mai 1990 précise l(affectation du produit de la taxe comme étant destinée à des aides aux équipements de prévention, de réduction ou de mesure des pollutions atmosphériques permanentes ou accidentelles) à des aides aux actions de développement de techniques industrielles dans les domaines de la prévention, de la réduction ou de la mesure de la pollution atmosphérique, et au financement de la surveillance de la qualité de l(air, mais il est vrai aussi au financement d(actions d(intérêt national technique ou économique, à la couverture des frais engagés par l(agence.
Il nous semble que l(affectation du produit de cette taxe apparaît suffisamment précise, destinée en fait à satisfaire le contrôle et l(amélioration des infrastructures économiques et, vous permet aussi de confirmer au prélèvement le caractère d(une taxe parafiscale.
3() Si vous nous suivez sur ce premier point, la société soulève ensuite différentes exceptions d(illégalité du décret et de l(arrêté en tant qu(ils instituent la taxe sur les composés oxygénés de l(azote, y compris le protoxyde d(azote. La société soutient que le protoxyde d(azote (N2O) n(est pas un polluant au sens de la loi du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs et qu(en conséquence c(est à tort que le protoxyde d(azote a été taxé sur le fondement du décret du 11 mars 1990 pris pour l(application de la loi de 1961. Il est incontestable, comme le souligne la société, que la taxe litigieuse est instituée sur les émissions de polluants dans l(atmosphère (article 1er du décret du 11 mai 1990). Si le protoxyde d(azote n(est pas un polluant, c(est à tort qu(il est soumis à la taxe litigieuse. Il vous est ainsi posée la question de savoir si l(administration pouvait légalement à partir de l(état de la législation et de la réglementation en vigueur en 1990 imposer, comme pollueurs, les entreprises qui rejettent dans l(atmosphère du protoxyde d(azote (N2O). C(est, à nos yeux, la question la plus délicate du dossier.
La société requérante, tout en soutenant que le protoxyde d(azote n(est pas un polluant, admet qu(il contribue, à très faible dose, à l(augmentation d(origine humaine de l(effet de serre.
La première tentation d(un néophyte est, bien sûr, de considérer que dès lors qu(il n(est pas contesté que le gaz en cause contribue, même très faiblement, à l(augmentation liée à l(activité humaine, de l(effet de serre, il constitue une nuisance. Mais peut-on confondre nuisance et pollution ? L(état de droit exige que les textes soient appliqués strictement.
Quelle est donc la législation et de quel contrôle disposez-vous dans ce contentieux de l(excès de pouvoir ? 1() La législation
La loi du 2 août 1961 contient la seule définition législative du polluant existant en 1990 et fixe un objectif limité : « Les immeubles, établissements industriels, commerciaux, artisanaux ou agricoles, véhicules ou autre objets mobiliers possédés, exploités ou détenus par toutes personnes physiques ou morales, devront être construits, exploités ou utilisés de manière à satisfaire aux dispositions prises en application de la présente loi afin d(éviter les pollutions de l(atmosphère et les odeurs qui incommodent la population, compromettent la santé ou la sécurité publique, ou nuisent à la production agricole, à la conservation des constructions et monuments ou au caractère des sites ». La loi renvoie dans son article 2 à des décrets en forme de règlement d(administration publique pour déterminer : « 1() Les cas et conditions dans lesquels pourra être interdite ou réglementée l(émission dans l(atmosphère de fumées, suies, poussières ou gaz toxiques, corrosifs, odorants ou radioactifs ». Dès 1974 le décret n( 74-415 du 13 mai 1974 relatif au contrôle des émissions polluantes dans l(atmosphère et à certaines utilisations de l(énergie thermique a précisé la loi de 1961 dans son article 1er alinéa 2 : « Par émission polluante au sens du présent décret, il y a lieu d(entendre l(émission dans l(atmosphère de gaz ou de particules solides ou liquides, corrosifs, toxiques ou odorants, de nature à incommoder la population, à compromettre la santé ou la sécurité publique ou à nuire à la production agricole, à la conservation des constructions et monuments ou au caractère des sites. » (On peut d(ailleurs se poser la question de la légalité de ce décret par rapport à la loi.). C(est cette même définition du polluant qui a été maintenue par le décret n( 91-1122 du 25 octobre 1991 portant modification du décret de 1974.
Au regard du droit interne, cette absence de définition légale de la pollution atmosphérique de la loi de 1961 au profit de la définition du polluant apparaît, au regard des connaissances actuelles, singulièrement archaïque, inadaptée et rend cette loi d(une interprétation peu évidente. Si on isole l(article 1er de l(article 2, on constate que seraient des pollutions atmosphériques celles qui incommodent la population et compromettent la santé publique. Si on rapproche les deux articles, comme y incite le début de l(article 2, la pollution se réduit, comme le souligne la requérante, à l(émission… (de) gaz toxiques, corrosifs, odorants ou radioactifs ; on notera d(ailleurs que dans les deux décrets de 1974 et de 1991 relatifs à la qualité de l(air, on en reste toujours à la même conception restrictive ; s(ils intègrent la protection de l(environnement et si ces 2 décrets ne subordonnent plus le fait de pollution à l(existence d(un effet néfaste d(ores et déjà avéré (par l(introduction des termes « de nature à ») ils maintiennent encore les qualificatifs : toxiques, corrosifs et odorants.
Au regard du droit international et communautaire, il est vrai, il existe depuis de nombreuses années des définitions plus larges et mieux appropriées de la pollution. La Convention de Genève du 13 novembre 1979 reprend, dans son article 1er, la définition de l(OCDE « introduction par l(homme, directement ou indirectement, de substances ou d(énergie dans l(atmosphère qui entraîne des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques et aux systèmes écologiques, à porter atteinte aux agréments ou à gêner les autres utilisations légitimes de l(environnement » [décret du 25 mars 1983]. La France a ratifié la Convention de Vienne pour la protection de la couche d(ozone, le protocole de Montréal et l(amendement de Londres (mars 1985, septembre 1987, juin 1990) ; y sont affirmés la nécessité de protéger la santé humaine et l(environnement contre les effets néfastes résultant des activités humaines qui modifient ou sont susceptibles de modifier la couche d(ozone. L(annexe 1 à la Convention comprend dans les substances susceptibles d(entraîner cette modification, le protoxyde d(azote.
Il est vrai que si vous songez à vous référer au règlement CEE n( 594/91 du 4 mars 1991 (d(ailleurs postérieur au décret de 1990) relatif aux substances qui appauvrissent la couche d(ozone, vous n(y trouverez pas le protoxyde d(azote.
Quant à la directive du Conseil de l(Europe du 28 juin 1984 relative à la lutte contre la pollution atmosphérique en provenance des installations industrielles, elle cite bien les oxydes d(azote comme substances polluantes, mais elle a pour but d(harmoniser les politiques d(autorisations préalables des installations qui peuvent causer une pollution atmosphérique et se propose d(aboutir à ce que ne soient autorisées que les installations n(engendrant pas un niveau de pollution significatif. Le décret de 1990 attaqué n(est pas pris pour la transposition de cette directive.
Il a fallut attendre en France la loi n( 96-1236 du 31 décembre 1996 sur l(air et l(utilisation rationnelle de l(énergie, qui a abrogé la loi du 2 août 1961, pour avoir une définition légale de la pollution atmosphérique et non du polluant. On s(attache désormais aux effets (la pollution) et non aux causes (le polluant). Constitue notamment une pollution atmosphérique au sens de la loi de 1996 l(introduction par l(homme directement ou indirectement de substances ayant des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine… à influer sur les changements climatiques. Cette loi de 1996 poursuit incontestablement un objectif national, beaucoup plus large que la loi de 1961 ; elle inclut la lutte contre l(effet de serre et reprend les définitions internationales.
Tel est brièvement résumé l(état de la législation. La France est passée selon notre analyse d(une politique peu audacieuse de surveillance des établissements classés au dangereux ressortant de la loi de 1961 à une vraie politique nationale de lutte contre la pollution avec la loi de 1996.
Abordons maintenant le deuxième point qui conditionne votre réponse.
2() Quel contrôle exercez-vous ?
En premier lieu, rappelons que le Conseil d(Etat exerce un contrôle restreint tant sur le champ d(application et l(assiette d(une taxe parafiscale [CE 28 janvier 1981 Chambre nationale de la reliure, de la gravure et de la dorure, et autres R. p. 736] que sur son taux ou son montant [CE 14 mars 1975 SA Quiblier et fils Secton R. p. 191].
En deuxième lieu, il s(agit de porter une appréciation technique : le protoxyde d(azote est-il un gaz polluant ?
Le Conseil d(Etat s(est refusé dans le passé à apprécier par exemple la toxicité des solutions d(acide thriglycolique [CE Ass, 27 avril 1951, Société Toni, p. 236 ; AJDA 1987 p. 91 Chronique de M. B et Mme E]. Mais la Haute Assemblée a plus récemment contrôlé l(erreur manifeste d(appréciation :
- dans l(autorisation d(employer certaines gommes arabiques dans la fabrication de crèmes glacées : 6 novembre 1963, Société Iranex et autres p. 523.
- sur la dangerosité de préparations concernant certaines substances pharmaceutiques : Section 28 avril 1967, Fédération nationale des syndicats pharmaceutiques de France p. 180.
- sur les conséquences écologiques d(un décret autorisant la construction d(une centrale nucléaire [CE Ass. 28 février 1975 Sté Hers et autres p. 162 aux conclusions de M. le Président Denois de Saint Marc]
Nous vous proposons donc d(exercer ce même contrôle restreint qui vous permet de contrôler la qualification juridique des faits par le biais de l(erreur manifeste d(appréciation. Or l(erreur manifeste doit être grave, grossière, éclatante (Cf Chronique précitée AJDA 1987 p. 85) pour entraîner l(annulation de l(acte.
Nous pensons toutefois que même au regard de ce contrôle restreint, vous pouvez hésiter sur la réponse à apporter à ce moyen.
Nous avons vu que le décret du 11 mai 1990 instituant la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique a une filiation directe avec la loi du 2 août 1961, contrairement à ce qu(a jugé le tribunal administratif de Paris.
Nous avons également vu que cette loi de 1961 ne donne pas de définition de la pollution atmosphérique mais une simple définition du polluant : fumées, suies, poussières ou gaz toxiques, corrosifs, odorants ou radioactifs. Or il est constant que le protoxyde d(azote ne présente aucune de ces caractéristiques ; s(il est admis que ce gaz contribue à augmenter l(effet de serre d(origine humaine, la loi de 1961 ne fixait, comme on la vu, aucun objectif de lutte contre l(effet de serre.
Vous pouvez, dans ces conditions, vous en tenant à une lecture stricte de la loi de 1961, juger, comme on vous le demande, que le décret du 11 mars 1990 est manifestement illégal en tant qu(il a prévu la taxation des émissions de protoxyde d(azote qui n(est pas un polluant au sens de la loi de 1961.
Il nous semble pourtant que compte tenu des responsabilités évidentes de l(Etat au regard de la santé publique et au regard d(une pollution entraînant des changements climatiques quelles que soient les controverses à cet égard, vous pouvez aussi estimer que l(administration n(a pas commis une erreur manifeste d(appréciation en intégrant dans le fait générateur d(une taxe sur la pollution atmosphérique, un gaz qui contribue même dans une faible proportion à l(effet de serre.
Au regard de votre contrôle restreint, cette deuxième solution ne nous semble donc pas à écarter, sans qu(il soit besoin d(ordonner l(expertise sollicitée dès lors que les éléments du dossier nous semblent suffisants.
Nous pensons aussi, que vous ne pourrez pas plus retenir les autres moyens tirés de l(exception d(illégalité du décret :
- soutenir que le recours à la taxation du N2O est manifestement disproportionné tant dans son principe que dans son taux par rapport à l(objectif de lutte entre l(effet de serre, ne nous semble pas convaincant ;
- soutenir que le décret, en incluant le N2O, crée une inégalité économique entre les entreprises françaises et étrangères et compromet la loyauté des échanges, nous semble difficilement admissible dès lors que le législateur français en aurait décidé ainsi.
- soutenir que ce décret, en tant qu(il inclut le N2O mais en l(absence d(autres substances qui sont plus directement responsables de l(effet de serre additionnel est illégal ne constitue pas non plus, selon notre analyse, un moyen susceptible d(être retenu.
Il nous apparaît ainsi que vous serez amenés à rejeter, si vous suivez notre analyse, les moyens tirés de l(exception d(illégalité de ce décret.
4() Il nous reste cependant, en dernier lieu, à examiner un moyen largement développé par la société requérante tiré de ce que les modalités de liquidation de la taxe parafiscale attaquée, sont contraires aux prescriptions de l(arrêté du 11 mai 1990. Il s(agit donc d(un moyen tiré de l(irrégularité de l(état exécutoire. Nous en revenons donc ainsi au contrôle lié au plein contentieux.
Dès ses mémoires en première instance, la société requérante, pour souligner le caractère inadapté de l(assujettissement des émissions de protoxyde d(azote (N2O) à la taxe, et pour prouver que les auteurs du décret et de l(arrêté n(avaient en réalité jamais envisagé en rédigeant ces deux textes que l(assiette de la taxe sur les pollutions atmosphériques puisse être étendue aux émissions de protoxyde d(azote (N2O), la société a soulevé une incompatibilité d(application de ces dispositions réglementaires ;
La société expliquait que le taux de la taxe a été fixé par l(arrêté du 11 mai 1990 à 150 F par tonne émise exprimée en dioxyde d(azote ; que pour exprimer les quantités émises de protoxyde d(azote (N2O) en équivalent dioxyde d(azote (NO2), ces quantités doivent être multipliés par un facteur supérieur à deux ; qu(ainsi la méthode de calcul du taux de la taxe résultant des éléments fixés par l(arrêté du 11 mai 1990, conduit à appliquer au protoxyde d(azote (N2O) un taux de 315 F environ par tonne émise, excédant ainsi nettement le plafond de 200 F par tonne émise prévu par le décret du 11 mai 1990.
La société faisait observer que c(est sans doute pour tenter de remédier à cette anomalie que la circulaire du 24 décembre 1990 est venue préciser ultérieurement que les quantités de protoxyde d(azote (N2O) devaient être déclarées en protoxyde d(azote (N2O) sans conversion. La société soutient que cette contradiction manifeste entre le décret et l(arrêté, les rendait illégaux et devait entraîner l(annulation de l(état exécutoire litigieux.
Dans son jugement, le tribunal a estimé que la société ne pouvait s(en prévaloir ; que le moyen était inopérant dès lors, qu(en fait, l(ADEME n(avait pas fait application de la règle de conversion fixée par l(arrêté du 11 mai 1990. Vous n(avez aucune observation de l(ADEME sur ces faits que vous devez donc considérer comme établis.
La société reprend en appel ce même moyen et soutient que les modalités de liquidation de la taxe parafiscale qui ont été retenues, en l(espèce, par l(ADEME, sont contraires aux prescriptions de l(arrêté du 11 mai 1990 et sont, par suite, entachées d(irrégularité, … que force est de constater que l(ADEME a fixé le montant de la taxe parafiscale imposée à la société requérante sur le N2O selon une méthode… qui ne ressort ni du décret du 11 mai 1990 ni de l(arrêté du même jour.". Ces faits nous semblent établis.
Mais quelle conséquence devez-vous en tirer au regard d(une demande de plein contentieux tendant à la décharge de la taxe ? S(agissant de contrôler le montant de la taxe, vous répondez à des conclusions de plein contentieux. Or il est clair que la somme réclamée à la société ne dépasse pas le montant auquel la société aurait dû être assujettie en suivant les prescriptions de l(arrêté. Dans ces conditions, que vous ne pourrez que rejeter ce dernier moyen.
Nous pensons enfin que,dans les circonstances de l(espèce, il n(y a pas lieu d(accorder à l(ADEME le remboursement de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs, et il est vrai, avec les plus grandes hésitations, nous concluons au rejet de la première requête n( 95-2857.

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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 95PA02857