CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 14PA01349

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : 2012-289 QPC du 17 janvier 2013
Cass., crim., 1er mars 2000, n° 99-86299
CC, n° 2012-289 QPC
CC, n° 89-260 DC du 28 juillet 1989
CC, n° 2012-266 QPC du 20 juillet 2012
CE, 21 juin 2013, n° 345500
CE, 23 avr. 1958, Cne Petit-Quevilly:Y 1958, p. 383
CE, 26 décembre 2008, M. D-E, n° 282995
CE, 27 janvier 2006, n° 265600
CE, 29 oct. 2009, n° 312825, Sté Air France c/ ACNUSA:JurisData n° 2009-012850
CE, 30 juin 1993, Caisse primaire d'assurance maladie de la région dieppoise et A. et autres, n° 90559, 90661, 90662
CE, Assemblée, 16 février 2009, Société Atom, Rec. p. 25
CEDH, 2e sect., 4 mars 2014, n° 18640/10, 18647/10
CE, Sect., 12 juillet 1955, Sieur Conan, p. 423
CE sect., 19 nov. 1993, n° 74235, Védrenne:JurisData n° 1993-047995
CE, Sect. 24 janvier 1936, Montabre, p. 107
CE, Sect. 9 mars 1951, Sieur Hay, p. 150
Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et n° 2015-462 QPC
GACE 3ème édition 2008 n° 28 p. 335

Texte intégral

14PA01349
ACNUSA
Audience du 1er octobre 2015
Lecture du 2 octobre 2015
Conclusions de M. Michel Romnicianu, Rapporteur public
Autorité administrative indépendante créée en 1999, l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) est chargée de contrôler l’ensemble des dispositifs de lutte contre les nuisances générées par le transport aérien.
A cette fin, elle dispose d’un important pouvoir répressif à l’égard des compagnies aériennes, lesquelles sont passibles d’amendes administratives en cas de non-respect des restrictions en vigueur.
Les manquements sanctionnables sur un aéroport donné sont définis par un arrêté du ministre chargé de l’A civile.
La sanction est infligée sur le fondement d’un procès-verbal qui relève :
- l’identité du propriétaire ou de l’exploitant de l’appareil ;
- le lieu, la date et l’heure du manquement ;
- l’identification de l’appareil ;
- l’exposé des faits (nature et conditions du manquement).
Pour chaque procès verbal, un instructeur, agent de la DGAC, établit un dossier d’instruction de manquement comprenant les observations du contrevenant ainsi que tous documents aidant à la compréhension des faits (relevés radars, transcription radio, données météorologiques…).
Le montant des amendes est au maximum de 1 500 € pour une personne physique et de 40 000 € pour une personne morale.
Le montant de l’amende dépend des circonstances à l’origine du manquement constaté et du comportement des compagnies que l’ACNUSA prend en compte.
Après examen du rapport établit par la DGAC et des éventuelles observations écrites de la compagnie, l’ACNUSA peut décider en réunion plénière de ne pas prononcer d’amende si le manquement n’est pas constitué.
* * *
En l’espèce, L’AUTORITE DE CONTROLE DES NUISANCES AEROPORTUAIRES (ACNUSA) a établi à l’encontre d’une société d’A privée de droit américain, « Z A Solutions », 6 PV rédigés les 21 juillet, 1er août et 6 septembre 2011 constatant 6 infractions au couvre-feu, c’est-à-dire aux heures limites d’atterrissage ou de décollage durant la nuit (entre 23h 30 et 6h du matin), pour les aéronefs émettant un certain niveau de bruit, infractions commises entre le 29 mai et le 19 juillet 2011 à l’aéroport de Nice-Côte d’Azur.
Sur ces PV était mentionnée l’heure d’arrivée ou de départ des avions au « poste de stationnement ».
Or, l’arrêté ministériel du 2 mars 2010 régissant les restrictions d’exploitation de l’aéroport de Nice Côte d’Azur ne vise que la notion « d’aire de stationnement ».
La procédure de sanction s’est déroulée normalement devant l’Acnusa.
Lors de sa séance plénière du 16.02.2012, l’Autorité a estimé, dans les 6 cas, que cette erreur d’appellation empêchait de regarder l’infraction comme constituée et a, en conséquence, décidé de ne pas prononcer de sanction à l’encontre de la compagnie Z A SOLUTIONS.
Pour reprendre la terminologie du droit pénal, elle a décidé d’acquitter (en matière criminelle) ou de relaxer (en matière correctionnelle) la société Z A SOLUTIONS des poursuites qu’elle avait initialement engagées contre elle, sur la base des PV erronés.
Ces 6 décisions de relaxe étaient notifiées à la société le 24 février suivant.
Toutefois, nonobstant cette première décision de février 2012, 6 nouveaux PV ont été dressés les 21 mars, 20 juin, 3 et 17 juillet 2012, à raison des mêmes faits (ce point est âprement discuté → nous y reviendrons), cette fois-ci en utilisant la bonne appellation (« l’aire de stationnement »).
Sur la base de ces PV « rectifiés », l’ACNUSA a re-délibéré lors de sa séance plénière du 19.02.2013, et, à l’issue de cette 2nde délibération, cette fois-ci, a infligé à Z A SOLUTIONS des amendes variant de 2000 euros pour le premier manquement, 7000 euros pour les 2 suivants, et 8000 euros pour les 3 suivants.
La cie a introduit un recours c/ ces 6 décisions devant le Tribunal Administratif de Paris qui, par, le jugement attaqué du 21 janvier 2014, les a annulé au motif que :
« la décision de l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (1re décision en date du 16.02.2012) de ne pas exercer le pouvoir que lui confèrent les dispositions l 'article L. 6361-12 du code des transports, de prononcer une amende administrative en raison de faits qui lui sont rapportés par un procès-verbal établi conformément à l’article L. 6361-14 du même code, fait obstacle à ce qu’elle décide ultérieurement de prononcer une sanction en raison des mêmes faits ; »
L’acnusa interjette donc régulièrement de ce jugement devant vous.
* * *
Quelque mots (très brefs) sur la régularité (en vérité irréprochable…) du jugement attaqué :
Il est d’abord soutenu que le TA aurait méconnu son office « en statuant en excès de pouvoir, et non en plein contentieux ».
La critique n’est pas très articulée : il est certes acquis que, en matière de répression administrative, le juge administratif statue en tant que juge de plein contentieux. Voyez : CE, Assemblée, 16 février 2009, Société Atom, Rec. p. 25.
… ce qui lui permet, notamment, d’une part de moduler la sanction litigieuse et d’autre part de faire bénéficier les personnes poursuivies d’une atténuation de la répression qui serait décidée par un texte postérieur aux faits incriminés.
Mais, en tant que juge de plein contentieux, s’il dispose effectivement de pouvoirs plus étendus que le juge de l’excès de pouvoir, le juge administratif dispose en tout état de cause du pouvoir d’annulation :
A partir du moment où les premiers juges estimaient (à tort ou à raison, peu importe à ce stade) que l’acnusa ne pouvait légalement, à raison des mêmes faits, engager de nouvelles poursuites à l’encontre de la société Z A, ils étaient conduit à prononcer l’annulation de la sanction … et n’avaient ensuite rien d’autre à faire : en prononçant l’annulation de la sanction litigieuse, le TA a épuisé son office de juge de plein contentieux.
Donc nous ne saisissons pas très bien la portée de la critique.
De même, nous ne comprenons pas très bien le 2nd reproche adressé aux premiers juges, lesquels, après avoir annulé la sanction litigieuse, auraient omis « de statuer à nouveau sur le montant des amendes à prononcer à l’encontre de la compagnie Z A ».
Mais, précisément, le TA a jugé que, compte tenu de la 1re décision de relaxe, plus aucune poursuite ne pouvait être engagée ultérieurement, et par voie de conséquence plus aucune sanction infligée, à l’encontre de Z A.
Donc nulle omission à statuer selon nous : l’annulation de la sanction se suffisait à elle-même.
Vous confirmerez donc la régularité du jugement attaqué.
* * *
Venons en maintenant au cœur du débat, le bien-fondé du jugement attaqué, c’est-à-dire le motif d’annulation retenu par le TAP : à savoir la violation du principe « non bis in idem ».
A cet endroit il n’apparaît pas inutile d’apporter quelques précisions sur l’origine, la signification et la portée dudit principe non bis in idem – ou ne bis in idem, entend-on parfois.
D’emblée, il convient de distinguer 2 volets de ce principe, directement issu du droit pénal :
Comme l’exprime l’arrêt CJUE Gutmann c/ Commission (Rec. 150, arrêt de la Cour (première chambre) du 5 mai 1966, Max Gutmann contre Commission de la CEEA, affaires jointes 18 et 35-65), par lequel la Cour de justice UE s’est pour la première fois référée au principe non bis in idem : « cette règle interdit non seulement d’infliger deux sanctions disciplinaires pour une même faute, mais encore d’engager deux procédures disciplinaires en raison d’un même ensemble de faits ».
C’est ainsi que :
D’une part, un même fait ne peut donner lieu, en amont, à un cumul de poursuites (ou actions) : en matière pénale au sens strict, le principe de non-cumul des poursuites ou des actions s’oppose à ce qu’une personne soit poursuivie ou punie pénalement en raison d’une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale,
C’est le sens du premier alinéa de l’article 6, ainsi que de l’article 368 CPP.
Article 6 CPP :
L’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée.
Article 368 CPP :
Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente.
D’autre part, il ne peut donner lieu, en aval, à un cumul de sanctions (ou peines).
En d’autres termes, le 1er volet du principe (interdiction du cumul des poursuites) se rattache à l’autorité de la chose décidée / jugée, tandis que le 2nd volet (interdiction du cumul des sanctions) se rattache davantage au principe de proportionnalité / nécessité des peines, tel que consacré à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
A cet égard, il n’est d’ailleurs pas inintéressant de relever que le Conseil d’Etat, qui au contentieux s’est limité à y reconnaître un principe général du droit (23 avril 1958, Commune du Petit-Quevilly, Y 1958. 383… nous y reviendrons), a sauté le pas en assemblée générale dans son avis sur la conformité à la Constitution du projet de statut d’une Cour criminelle internationale permanente (n° 358597, EDCE 1997 n° 48 p. 277 ; GACE 3e édition 2008 n° 28 p. 335) : selon cet avis, « la règle « non bis in idem »… fait partie du principe à valeur constitutionnelle de la nécessité des peines ».
Quoi qu’il en soit, en l’espèce, n’est en cause que le 1er volet du principe : l’interdiction du cumul des poursuites exercées au titre des mêmes faits : par construction, il n’y a pas eu « cumul de sanctions », la société n’ayant été sanctionnée qu’une fois (la 2nde fois en quelque sorte !).
En définitive, donc, ce que les premiers juges reprochent à l’acnusa : c’est d’avoir méconnu l’autorité de la chose décidée / jugée qui s’attachait à la (1re) décision du 16.02.2012 prononçant la relaxe de la société Z A, en reprenant ultérieurement les poursuites à raison des mêmes faits.
Toute la problématique juridique de l’affaire, vous l’aurez compris, est de déterminer si ce principe fondamental du droit pénal (l’interdiction du cumul des poursuites et l’autorité de la chose décidée qui s’attache aux décisions de relaxe) est applicable à l’administration lorsqu’elle exerce des compétences répressives.
* * *
Nous le pensons, sans l’ombre d’une hésitation : il est de jp constante, au moins depuis 1936, que l’autorité administrative compétente ne peut prononcer une nouvelle sanction à raison de faits qu’elle a déjà précédemment sanctionnés, ce en vertu d’un principe général du droit :
Voyez, en matière disciplinaire :
- CE, Sect. 24 janvier 1936, Montabre, p. 107 ;
- CE, 5 mars 1954, Banque alsacienne privée et Dupont : Rec. CE 1954, p. 144 ; RDP 1954, p. 804, note M. X ; S. 1954, 3, p. 63, annoté.
- CE, 23 avr. 1958, Cne Petit-Quevilly : Y 1958, p. 383, […].
- CE, 30 juin 1993, Caisse primaire d’assurance maladie de la région dieppoise et A. et autres, n° 90559, 90661, 90662.
L’existence du principe général du droit du non-cumul des sanctions en matière disciplinaire résulte ainsi d’une jurisprudence ancienne et bien établie.
Ce principe a été transposé en matière de sanctions administratives et est actuellement formulé ainsi dans la jurisprudence récente : « un même manquement ne peut donner lieu qu’à une seule sanction administrative, sauf si la loi en dispose autrement » (récemment, à propos justement d’une sanction pécuniaire infligée par l’acnusa : CE, 29 oct. 2009, n° 312825, Sté Air France c/ ACNUSA : JurisData n° 2009-012850).
3 séries de précisions doivent néanmoins être apportées, qui, dans la période récente, sont venues (singulièrement), nous dirons, « compliquer les choses » :
1. précisions relatives, tout d’abord, à la place du principe NBII dans la hiérarchie des normes
Nous l’avons dit, de longue date, en matière administrative, le CE a érigé le principe NBII en PGD, doté donc, pour reprendre les termes savants du Pr Chapus, d’une valeur supra-réglementaire et infra-législative.
Dans son sillage, le CC a, par la suite, embrayé : la règle de non cumul des peines en matière de crimes et délits n’a « que » valeur législative et il peut toujours y être dérogé par la loi (CC, n° 82-143 DC du 30 juillet 1982).
En bref, donc, le principe non bis in idem, qui ne vaut que pour le cumul de deux sanctions administratives, a une valeur législative.
En conséquence – et c’est là l’essentiel – il peut y être dérogé par une disposition législative expresse.
Ainsi, il est extrêmement fréquent que le cumul de sanctions administratives résulte de dispositions législatives expresses :
Pour un ex (parmi 100 autres…) voir C. monét. fin., art. L. 612-39 : prévoyant que la commission des sanctions de l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut infliger aux établissements de crédit et autres intermédiaires fciers une sanction pécuniaire (d’un montant égal au plus à 100 millions € !) “soit à la place, soit en sus” de l’une des sept sanctions disciplinaires énumérées par l’article.
Autre ex : en matière fiscale, nul ne l’ignore, le CGI sert de fondement juridique à pléthores de sanctions fiscales qui s’enchevêtrent et se cumulent entre elles.
C’est précisément cet état du droit qui est de plus en plus fragilisé par la montée en puissance du droit constitutionnel, et, surtout, du droit international + européen.
En effet, le principe Non bis in idem est bien ancré dans les textes de droit international où il est posé dans des termes différents, mais concordants. Il est énoncé tant par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce à l’article 50 : “Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi”, fondement sur lequel s’appuie la Cour de justice de l’Union européenne pour faire application du principe Non bis in idem.
La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales énonce à l’article 4 du protocole additionnel n° 7 : “Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État”, fondement sur lequel s’appuie la Cour européenne des droits de l’homme pour faire application du principe Non bis in idem. Cette disposition est entrée dans l’ordre juridique interne français par suite de sa publication le 24 janvier 1989, mais selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, elle n’est applicable que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale.
C’est en appuyant sur cette réserve que les cours suprêmes de nos 2 ordres de juridictions ont pu juger que la règle non bis in idem, telle qu’elle résulte du premier alinéa de l’article 4 du protocole n° 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne trouve à s’appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif ( CE, 26 décembre 2008, M. D-E, n° 282995 ; également : Cass., crim., 1er mars 2000, n° 99-86299).
Relevons toutefois que cette jp CE / Cour de cassation des années 2000, qui tend à « sauver » coûte que coûte les innombrables dispositifs législatifs, pour l’essentiel en matière fiscale & financière, instaurant un cumul de sanctions administratives, nous apparaît grandement fragilisée, pour ne pas dire franchement caduque, au regard, notamment, de la décision CEDH, 2e sect., 4 mars 2014, n° 18640/10, 18647/10, […], […] et […], Grande Stevens et a. c/ Italie: […] … laquelle a invalidé la réserve émise par l’Italie au 7e protocole additionnel, estimant que cette réserve n’était pas conforme aux règles de la convention régissant les réserves émises par les parties contractantes (eu égard, en substance, à son caractère imprécis et son caractère excessivement général).
Par l’arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014, la CEDH a donc, nous semble-t-il, invalidé indirectement la réserve française au Protocole additionnel n° 7, en condamnant sur le fondement de la règle non bis in idem la double répression administrative et pénale des abus de marché mise en œuvre par l’Italie, à l’unanimité des sept juges de la deuxième chambre.
En conséquence, si la poursuite administrative est engagée et qu’elle conduit à une sanction administrative, l’arrêt fait obstacle à toute condamnation pénale ultérieure.
La décision n’est pas moins parfaitement transposable au droit français étant donné que les règles concernées sont proches. Il s’agit d’une solution inédite qui fragilise le droit interne. La Cour a admis que l’application du principe non bis in idem n’est plus déclenchée par l’identité d’infraction juridique mais par l’identité des faits matériels en cause. Elle a considéré que ce principe interdit de “poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes.” → De tout ceci nous retiendrons :
- que, à n’en pas douter, le principe NBII s’impose à l’autorité administrative lorsqu’elle inflige une sanction ;
- mais, alors que le CE avait entendu laisser au législateur la faculté de déroger à ce principe, cette « faculté » est très probablement amenée à se restreindre comme « peau de chagrin » sous l’influence conjuguée du droit international + droit constitutionnel.
2. 2nde problématique qui est amenée à évoluer sensiblement : celle du cumul des poursuites et des sanctions pénales et administratives
Traditionnellement : il était entendu que le principe NBII ne s’opposait qu’au cumul des sanctions administratives entre elles.
En revanche, le principe non bis in idem ne s’opposait pas au cumul des poursuites et des sanctions pénales et administratives (CC, n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 ; CC, n° 2012-266 QPC du 20 juillet 2012 ; CE, Sect. 9 mars 1951, Sieur Hay, p. 150 ; CE, 21 juin 2013, n° 345500).
Le régime juridique de cette coexistence est régi par « le vieux principe d’indépendance des instances disciplinaires et pénales » (G. Le Chatelier : RFDA 1994, p. 452, concl. sur CE sect., 19 nov. 1993, n° 74235, Védrenne : JurisData n° 1993-047995 ; Rec. CE 1993, p. 323 ; JCP G 1994, IV, 322 41, M.-C. Rouault) qui se traduit par le libre choix d’infliger une sanction administrative ou d’engager des poursuites pénales, ainsi que par le cumul possible des deux types de sanctions.
Les termes de sa décision du 28 juillet 1989 n° 89-260 DC sur la Commission des opérations de bourse méritent d’être relevés puisqu’il y juge « que, sans qu’il soit besoin de rechercher si le principe [selon lequel une même personne ne peut pas être punie deux fois pour le même fait] a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu’il ne reçoit pas application au cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives » (ct 16). Puis la décision ajoute que « si l’éventualité d’une double procédure peut ainsi conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » (ct 22).
Toutefois, sur ce point également (cumul de sanctions pénales et administratives), l’état de la jurisprudence est moins bien fixé : là encore l’enjeu est de taille, des sanctions pénales figurant très fréquemment dans les mêmes dispositifs juridiques et pour les mêmes manquements que des sanctions administratives.
Dans ces hypothèses, l’articulation des deux catégories de sanctions est réglée par un principe d’indépendance entre les unes et les autres, qui tend cependant de plus en plus à être tempéré.
La décision Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et n° 2015-462 QPC illustre cette évolution :
L’article L. 465-1 du Code monétaire et financier qui définit le délit d’initié et l’article L. 621-15 du même code qui précise le manquement d’initié tendent à réprimer les mêmes faits.
En effet, ces dispositions définissent et qualifient identiquement ces deux infractions qui poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l’intégrité des marchés financiers.
Protégeant les mêmes intérêts sociaux, ces répressions d’atteintes à l’ordre public économique s’exercent dans les deux cas à l’égard des professionnels et, plus largement, de toute personne ayant utilisé illégalement une information privilégiée.
Si seul le juge pénal peut condamner l’auteur d’un délit d’initié à une peine d’emprisonnement et prononcer la dissolution d’une personne morale, le Conseil constitutionnel prend acte que les sanctions administratives infligées par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers peuvent être d’une « très grande sévérité » et atteindre jusqu’à plus de six fois celles encourues devant la juridiction pénale en cas de délit d’initié.
Par ailleurs, les faits prévus par la loi qui sont susceptibles de faire l’objet de sanctions ne sont pas d’une nature différente, de sorte que les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié présentent une même nature.
Pourtant, la loi n’exclut pas qu’une personne puisse faire l’objet, pour les mêmes faits, de poursuites devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers sur le fondement de l’article L. 621-15 et devant l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article L. 465-1.
Le Conseil constitutionnel en tire la conséquence que la loi méconnaît le principe de nécessité des délits et des peines. Rappelant qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement », le Conseil s’abstient de préciser les conséquences de sa décision qui implique de redéfinir le champ des deux poursuites.
Pour éviter toutefois que l’abrogation immédiate des articles L. 465-1 et L. 621-15 du Code monétaire et financier empêche toute poursuite et mette fin à celles déjà engagées pour un délit ou un manquement d’initié, il a reporté l’abrogation au 1er septembre 2016. Afin de faire cesser l’inconstitutionnalité, il a décidé que les poursuites ne pourront pas être engagées ou continuées si des poursuites ont déjà été engagées pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne, selon les cas, devant le juge judiciaire ou l’Autorité des marchés financiers.
3. Enfin, 3e nuance qu’il convient d’introduire dans la portée du principe NBII :
Le principe NBII ne s’oppose pas au cumul de poursuites aux fins de sanctions administratives différentes (CC, n° 2012-289 QPC du 17 janvier 2013 ; CE, 27 janvier 2006, n° 265600 ; CE, Sect., 12 juillet 1955, Sieur Conan, p. 423), dans la mesure où l’institution de chacun de ces types de sanction repose sur des objets différents et tend à assurer la sauvegarde de valeurs et d’intérêts qui ne se confondent pas, et à la condition que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (CC, n° 2012-289 QPC, préc.).
Certes, les deux types de poursuites ont la même nature administrative, mais elles peuvent néanmoins se réclamer de l’indépendance des législations méconnues qui se rattachent à des finalités sociales différentes et, d’ailleurs, à des juridictions distinctes.
* * *
Voilà. Il nous a semblé utile de rappeler ce panorama des sanctions administratives et du principe NBII avant d’aborder la question de l’applicabilité dudit principe dans le présent litige – applicabilité qui est fortement contestée par l’administration appelante.
Mais, rassurez-vous, si le sujet est relativement mouvant et les solutions traditionnelles de plus en plus contestées, vous allez voir que, dans notre affaire, nous pouvons très largement esquiver ces controverses et, en définitive, la solution ne fait guère de doute :
1. On l’a vu, si l’acnusa n’a sanctionné qu'1 seule fois la société Z A Solutions, elle a néanmoins statué à 2 reprises sur les faits reprochés à celle-ci.
Il ne s’agit donc pas d’un cumul de sanctions, mais d’un cumul de poursuites, auquel s’oppose en principe, nous l’avons dit, le principe NBII.
Par ailleurs, l’acnusa étant une autorité administrative, elle est soumise, comme toute autorité administrative, au respect des PGD et, parmi ceux-ci, dès lors qu’elle exerce une compétence répressive, au principe NBII :
c’est l’axe essentiel de la jp depuis maintenant plus de 20 ans : l’administration, lorsqu’elle exerce un pouvoir répressif, est, à l’instar des juridictions répressives, soumise aux principes fondamentaux du droit et de la procédure pénales, au premier rang desquels figure le principe NBII, tant dans son volet cumul des poursuites (autorité de la chose jugée) que cumul des peines (principe de proportionnalité).
Toutefois, ainsi qu’il a été dit, le principe NBII est loin d’avoir une portée absolue en matière administrative et, en tant que PGD, souffre de nombreuses exceptions législatives.
Or, en l’espèce – et c’est là le point crucial – le législateur n’a nullement entendu permettre à l’acnusa de déroger au principe NBII.
Pour relancer les poursuites contre Z A Solutions, postérieurement à la 1re décision du 16 février 2012, l’acnusa ne s’est appuyée sur aucune disposition législative qui l’aurait autorisée à déroger au principe NBII.
En d’autres termes, l’acnusa ne peut se prévaloir d’aucune disposition législative l’autorisant à engager 2 trains de poursuites successives, à raison des mêmes faits, par dérogation au principe NBII.
L’acnusa a ré-engagé les poursuites à l’encontre de Z A Solutions, de sa propre initiative (pour rattraper en quelque sorte une erreur de procédure), en dehors de toute habilitation législative.
Par conséquent, tout le débat, que nous avons longuement évoqué, sur la valeur juridique du principe NBII et la validité des dérogations législatives au regard des principes constitutionnels + droit international, est parfaitement inopérant : en l’espèce, en l’absence de tout fondement législatif l’autorisant à y déroger, le principe NBII s’appliquait à l’acnusa, de façon élémentaire ou traditionnelle dirions nous, càd en tant que PGD.
2. Sur le 2nd point que nous avons évoqué, à savoir le possible (mais de plus en plus critiqué) cumul des sanctions administrative et pénale à raison des mêmes faits : là encore, le débat est parfaitement inopérant : il s’agit, en l’espèce, à deux reprises, de poursuites revêtant un caractère purement administratif ; c’est bien à 2 reprises l’administration qui a statué sur les faits reprochés à la société Z A.
Or, le cumul de poursuites administratives à raison des mêmes faits est prohibé depuis toujours : aucune incertitude sur ce point.
3. Enfin, sur le 3e point que nous avons évoqué, à savoir que le principe NBII ne s’oppose pas au cumul de poursuites aux fins de sanctions administratives différentes, sur le fondement de législations distinctes :
En l’espèce, de toute évidence, nous ne sommes pas dans cette hypothèse : il s’agit bien de poursuites engagées à 2 reprises, sur le même fondement juridique (le code de l’A civile & l’arrêté ministériel réglementant les vols à l’aéroport de Nice Côte d’Azur) et ayant strictement le même objet : comme on l’a dit, il s’agissait simplement de reprendre la procédure à zéro, pour « réparer » en quelque sorte la bévue initiale.
4. Enfin, et nous terminerons par là, signalons une récente décision CE qui pourrait, de prime abord, vous faire hésiter : CE 9 / 10 SSR, 2014-12-15, 366640, B, Banque populaire Côte-d’Azur :

Cas où une première sanction, qui avait été publiée, a été annulée – Possibilité pour l’ACPR d’ordonner la publication d’une nouvelle sanction prise contre la même personne – Existence, la règle non bis in idem (art. 4 du protocole n°7 à la CEDH) ne faisant pas obstacle – Possibilité pour l’ACPR de tenir compte des effets de la publication de la sanction annulée pour déterminer la nature et le quantum de la nouvelle sanction – Existence.

S’il est loisible à la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de tenir compte des effets de la publication d’une décision antérieure annulée pour déterminer la nature et le quantum des sanctions qu’elle prononce contre la même personne, la règle non bis in idem (garantie par l’article 4 du protocole n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) ne fait pas obstacle à ce que l’Autorité ordonne la publication d’une décision par laquelle elle a prononcé, après l’annulation de la première décision, une nouvelle sanction contre cette personne.
→ en substance, juge le CE, le principe NBII ne fait pas obstacle à ce que, après l’annulation d’une 1re sanction par le juge administratif, l’administration prenne une nouvelle sanction à raison des mêmes faits.
→ Cas de figure fort éloigné de notre espèce, dans laquelle la 1re décision (celle du 16 février 2012) prononçant la relaxe de la société Z A n’a en aucun cas été annulée par le juge administratif : elle existe bel et bien et a même été dûment notifiée à la société. Or c’est l’existence de cette décision qui fait obstacle à la reprise des poursuites à raison des mêmes faits.
Voilà. Nous espérons vous avoir démontré que le TA n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le principe NBII était applicable au présent litige :
- en tant que PGD,
- il s’oppose au cumul de poursuites successives, à raison des mêmes faits,
- engagées par l’administration,
- sur le fondement d’une même législation.
* * *
Nous en arrivons maintenant au 2nd axe de l’argumentaire de l’administration appelante, relatif non plus à l’applicabilité du principe NBII, mais à son application in concreto dans les circonstances de l’espèce.
La question est nettement plus simple et nous serons donc moins disert … l’argumentation de l’acnusa est la suivante : à supposer que le principe NBII soit applicable en droit, il n’a pas été méconnu en l’espèce parce que les faits étaient différents.
Le TA aurait donc mal apprécié l’identité des faits.
Nous ne le pensons pas.
Ainsi que l’a relevé le tribunal, « les faits rapportés par les six procès-verbaux de 2011 et ceux rapportés par les six procès-verbaux de 2012 sont nécessairement les mêmes, dès lors qu’ils concernent des manœuvres effectuées par les aéro nefs aux mêmes heures, à la minute près, quand bien même les agents compétents ont substitué, sur les seconds procès-verbaux, la mention de l’aire de stationnement à celle du poste de stationnement ; »
Nous ne voyons rien à redire à ce raisonnement : le seul changement d’appellation de la zone de stationnement ne modifie pas le caractère concret des faits dès lors qu’il n’est pas démontré qu’il s’agirait de 2 secteurs distincts et distants au point d’avoir des effets sur le dépassement d’horaires pris en compte.
Certes, il y a eu un changement de qualification juridique des faits entre la 1re série de PV et la 2nde.
Mais ce changement de qualification est sans incidence sur la nature et la réalité de l’infraction constatée : les faits demeurent les mêmes.
Donc, selon nous, l’Autorité a bien statué à 2 reprises sur les mêmes faits.
Or, le principe NBII faisait obstacle à ce que l’Autorité remette en cause la décision de relaxe du 16 février 2012 dotée de l’autorité de la chose décidée.
En d’autres termes, l’acnusa ne pouvait légalement « rattraper » son erreur de qualification, ayant conduit à la décision de non sanction, laquelle a créé des droits au profit de la société Z A Solutions, dès lors qu’elle lui a été dûment notifiée.
A notre sens, le TA n’a donc pas commis d’erreur d’appréciation dans l’application du principe non bis in idem.
EPCMNC
- au rejet de la requête ;
- s’agissant des frais de procédure, vous pourrez faire droit aux conclusions de la société Z A SOLUTIONS tendant à ce que lui soit allouée une somme de 1 500 euros, qui sera mise à la charge de l’Etat (l’acnusa ne disposant pas de la perso morale et agissant donc toujours au nom de l’Etat), en sa qualité de partie perdante dans la présente instance.

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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 14PA01349