CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 94PA00793

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Décision précédente : Tribunal administratif de Polynésie française, 25 avril 1994
Précédents jurisprudentiels : CE, 18 décembre 1991, Ministre du budget c/ M. A, Rec T p. 999
CE, 20janvier 1989, Ministre de l' Education Nationale c/ MmeDubouch n° 77494
CE, 2 avril 1993, District de l' agglomération Belfortaise c/ M. B, n° 95312
CE 30 octobre 1992 Blandir n° 126-838
CE, 3 novembre 1989, Fassiaux n° 64678
CE, 5avril 1991, Mme D E, Rec T p. 999
CE, 8 juillet 1991, Amato, Rec T p. 686
CE du 11 mars 1994 n° 145747
CE, S.4 mars 1977, Rondeau, Rec. p 126

Texte intégral

N° 94PA00793
Audience du 6 juin 1995
Lecture du 20 juin 1995
TERRITOIRE DE LA POLYNESIE FRANCAISE c/ M. X
Conclusions de Mme Y, Commissaire du Gouvernement M. C X, instituteur, et président de plusieurs associations, était depuis août 1981 directeur de l’école primaire de Anau, Île de Bora-Bora en Polynésie Française. Par un arrêté du 31 août 1993 du ministre territorial de l’éducation nationale il est muté d’office, pour nécessités de service, à l’école primaire de Moenoa Tiarei, Île de Tahïti.
Faisant droit à son recours contre cette décision, le tribunal administratif de Papeete l’annule par un jugement du 30décembre 1993 pour incompétence de son auteur.
Cependant le 28 décembre 1993 le même ministre de l’éducation nationale prend, pour les mêmes motifs une décision de mutation identique à la précédente.
Le premier jugement du tribunal administratif est devenu définitif et le même tribunal par jugement du 26avril 1994 annule le second arrêté, également pour incompétence de son auteur. M. X a été réintégré à l’école de Anau le 16mai 1994 en exécution de ce jugement.
Le Président du Gouvernement du Territoire de la Polynésie française relève régulièrement appel de ce second jugement.
Il critique, en premier lieu, la régularité du jugement pour absence de référence aux textes appliqués à la fois dans les visas et les motifs, pour défaut de motivation de l’incompétence et pour défaut de réponse à l’argumentation présentée en première instance à propos de l’incompétence de l’auteur de l’acte attaqué.
Ces griefs nous paraissent fondés, les alinéas 2et 5 de l’article R.200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel prescrivent que les jugements contiennent les dispositions législatives ou réglementaires dont ils font l’application et qu’ils sont motivés.
Certes la jurisprudence admet qu’il puisse être suppléé à l’insuffisance des visas des textes par leur prise en considération dans les motifs de la décision (CE : 22 mai 1968, Mme Slove de Lory, Rec. p 328 ; CE : 4 juin 1982, Ministre du Travail, Rec. p 200) mais, en l’espèce, le jugement fait application de plusieurs textes dont un seul est visé et aucun n’est pris en considération dans les motifs.
En outre, après un long considérant de fait qui aboutit à ce que la décision, en réalité inflige une sanction disciplinaire, le jugement poursuit ainsi : « dès lors que le ministre de l’éducation nationale qui n’a pas compétence pour prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire d’Etat », l’arrêté est entaché d’illégalité.
Cette motivation sur l’incompétence nous paraît insuffisante même si ce jugement intervient après d’autres décisions du tribunal se prononçant sur le même problème, après la décision du CE du 11 mars 1994 n° 145747 qui confirme l’incompétence, et après sa décision du 30 décembre 1993 se prononçant sur la première décision de mutation d’office de M. X.
A nos yeux, le jugement attaqué n’est pas conforme aux exigences des dispositions de l’article R.200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et nous vous proposerons de l’annuler, d’évoquer et de statuer sur la demande de M. X présentée devant le tribunal administratif ; M. X en appel s’en remettant simplement à ses écritures de première instance.
Le premier moyen est tiré de l’incompétence du ministre territorial de l’éducation nationale.
Les difficultés nées de cette question de compétence à l’égard des actes individuels pris envers les instituteurs de la Polynésie française ont été tranchées par l’article 18 de la loi organique n° 95-173 du 20 février 1995 qui valide de tels actes, sous réserve des décisions de justice devenues définitives.
Le moyen soulevé n’est dès lors plus fondé. M. X invoque, en deuxième lieu, la méconnaissance de la chose jugée, ou l’inexécution du jugement du 30 décembre 1993.
Ce moyen ne vous retiendra pas longtemps puisque la décision attaquée est antérieure de deux jours audit jugement. Certes la mesure du 28 décembre 1993 ne retire pas celle du 31août 1993 mais cette dernière a été annulée par le jugement du 30décembre devenu définitif.
Nous insisterons, en revanche, sur le seul moyen qui nous semble fondé qui est celui tiré du détournement de pouvoir qui entache l’arrêté du 28 décembre 1993.
L’article premier de cet arrêté prononce la mutation d’office de M. X, pour nécessités de service, en qualité de directeur d’école primaire. Le motif retenu vise les difficultés relationnelles profondes et durables entre le maire de Bora-Bora et M. X, directeur de l’école de Anau, qui portent préjudice au bon fonctionnement de cette école et ne paraissent pas susceptibles d’amélioration. M. X, dans un premier temps, soutient que cette décision est, en réalité, une sanction disciplinaire déguisée et non une simple mutation, qu’il n’a pas demandée, prise dans l’intérêt du service. Si tel est le cas la décision serait illégale car la procédure disciplinaire applicable n’a pas été entamée.
Le détournement de procédure est une variante du détournement de pouvoir, mais il ne peut être retenu, en l’espèce, car les éléments caractérisant la sanction disciplinaire ne sont pas réunis.
A l’examen de la jurisprudence, la sanction disciplinaire déguisée se caractérise par un élément subjectif,c’est-à-dire l’intention disciplinaire de l’auteur de la décision, et par un élément objectif au regard des effets de la décision : il faut que celle-ci porte atteinte à la situation professionnelle de l’agent, c’est-à-dire qu’elle supprime ou limite des droits ou avantages actuels ou virtuels résultant du statut de l’intéressé (voir CE, 4 janvier 1964, Paillou, Rec. p4 et la note du professeur Auby à Dalloz Sirey 1964).
Cet élément objectif se traduit par une modification de la situation de l’agent, (CE, 18 décembre 1991, Ministre du budget c/ M. A, Rec T p. 999), par un amoindrissement de ses responsabilités (CE, S.4 mars 1977, Rondeau, Rec. p 126 ; CE, 5avril 1991, Mme D E, Rec T p. 999), par un déclassement sensible (CE, 2 avril 1993, District de l’agglomération Belfortaise c/ M. B, n°95312 ; CE, 20janvier 1989, Ministre de l’Education Nationale c/ Mme Dubouch n°77494, Rec T p. 757).
Ces arrêts indiquent également que les faits reprochés sont intervenus dans l’exercice des fonctions ; cette circonstance ajoutée aux effets de la décision sur la situation professionnelle de l’agent caractérisent la sanction disciplinaire déguisée.
Dans le cas de M. X, les faits qui lui sont reprochés, selon le motif de la décision, ne sont pas intervenus dans l’exercice de ses fonctions et la mutation dans une autre école n’a pas porté atteinte à sa situation professionnelle.
Ne présentant pas le caractère d’une sanction disciplinaire, la décision litigieuse constitue une mutation prononcée dans l’intérêt du service dont le juge vérifie qu’elle n’est pas entachée de détournement de pouvoir (CE 30 octobre 1992 Blandir n° 126-838).
Ce contrôle porte sur le mobile de la décision. C’est à partir de l’examen des éléments apportés par M. X que vous pourrez estimer s’il existe des présomptions sérieuses de détournement de pouvoir à moins que l’administration ne les renverse en apportant des pièces adéquates quant aux motifs justifiant que la décision n’a pas été prise pour un mobile étranger aux nécessités du service. M. X en 1993 préside plusieurs associations dont l’une « Atuatu Te Natuza » a pour objet la protection de l’environnement, il est responsable d’une revue éditée par cette association qui s’oppose à certains projets d’aménagement touristique de l’Île soutenue par les autorités municipales de Bora-Bora.
Il est président d’honneur d’une association de défense de propriétaires fonciers et en préside une autre au sein de laquelle il s’est présenté aux élections législatives en mars 1993 sous l’étiquette « P.S. autogestionnaire » en opposition au parti au pouvoir et il a obtenu 17,3% des voix.
Les comptes rendus de séances de la commission administrative paritaire réunie d’abord le 24 juin 1993 pour l’examen des mouvements annuels de mutation, puis le 7 juillet 1993, pour examen et avis sur le projet de mutation de M. X précisent les griefs de l’administration contre ce dernier.
Il s’agit des plaintes du maire de Bora-Bora sur les manquements de M. X à son obligation de réserve, sur les attaques publiques et répétées envers le maire et les élus de la commune, qui sont incompatibles avec l’exercice de ses fonctions de directeur d’école dans le cadre duquel il est l’interlocuteur des autorités locales.
Ce comportement à l’égard de la municipalité de Bora-Bora, qui est le seul grief avancé, puisqu’il est reconnu que M. X n’a commis aucune faute professionnelle pédagogique, entraîne selon l’administration des relations conflictuelles qui portent préjudice à l’intérêt collectif des enfants dont l’intéressé a la charge.
Cependant, antérieurement à la première décision de mutation d’août 1993 comme antérieurement à celle de décembre les pièces du dossier ne permettent pas d’y trouver un comportement tel qu’il porterait atteinte à l’intérêt du service.
En mars 1993, l’association de défense des propriétaires fonciers a manifesté et dressé des barrages sur le réseau communal de distribution d’eau potable. Selon la presse locale cette manifestation était bon enfant. Une ordonnance de référé du 19mars 1993, même si elle enjoint les membres de cette association à laisser le libre accès aux installations du réseau, ne laisse pas apparaître le nom de M. X et ne met pas en cause le fonctionnement de l’école.
Le manquement à l’obligation de réserve ne ressort pas du dossier. L’expression publique écrite ou orale de ses opinions par M. X en tant qu’animateur des associations reste dans la limite de la modération vis-à-vis des autorités municipales. On n’y trouve pas d’attaques telles qu’elles seraient incompatibles avec les devoirs de sa fonction de directeur de l’école.
Les pièces du dossier ne montrent pas qu’en 1993les parents d’élèves de l’école de Anau étaient opposés à son directeur.
En revanche, un bon nombre d’enseignants étaient favorables à M. X dont ils reconnaissaient les qualités pédagogiques et relationnelles et ont exprimé leur opposition à son départ de l’école qui fonctionnait bien.
Avant les deux décisions de mutation d’août et de décembre 1993, l’existence de difficultés relationnelles, les attaques répétées, le manquement à l’obligation de réserve tout comme, enfin, le préjudice même potentiel apporté au bon fonctionnement de l’école ne nous paraissent pas justifiés.
Cette appréciation n’est pas susceptible d’être modifiée par les pièces produites par le territoire en appel. En effet, elles portent sur des faits qui sont postérieurs aux décisions de mutation et ne corroborent pas les reproches faits à M. X antérieurement à ces décisions.
Les pièces produites datent de janvier 1994. On peut y lire que le chef du service de l’éducation nationale reproche à l’intéressé son comportement dans sa nouvelle affectation. On y voit aussi que les membre du conseil municipal de Anau refusent avec fermeté M. X comme directeur de l’école au motif de négligence dans son travail et d’actes inconvenants ce qui poussera le maire de Bora-Bora à considérer comme prématuré d’envisager le retour de l’intéressé à l’école de Anaux. Enfin une pièce datée de mai 1994, soit après ce retour, montre que les tensions s’aggravent et se traduisent dans le fonctionnement de l’école où de nombreux élèves et une partie des maîtres sont absents.
Ces faits ne sont pas, à nos yeux, susceptibles de justifier le motif avancé en 1993 et tiré du préjudice apporté au bon fonctionnement de l’école.
En revanche, le dossier comporte une lettre en date du 20 avril 1993 par laquelle le maire de Bora-Bora, alors ministre territorial de l’équipement, appelle l’attention de son collègue, le ministre de l’éducation nationale, sur le comportement de M. X et lui demande de faire étudier par ses services la possibilité de le muter hors de l’Île de Bora-Bora à l’occasion des prochains mouvements des directeurs d’écoles.
La date du 20 avril 1993 suit de peu de semaines celle des élections législatives auxquelles M. X s’était présenté et avait recueilli, contre le maire de Bora-Bora, un nombre de suffrages non négligeable et c’est cette lettre qui a provoqué la saisine de la commission administrative paritaire chargée d’examiner les mouvements annuels de mutation.
De cet ensemble de faits et de circonstances, il se dégage nettement que le mobile de la décision de mutation de M. X n’est pas l’intérêt du service public de l’enseignement mais est en réalité un mobile politique, c’est-à-dire le souci d’éloigner l’intéressé, qui est un adversaire du maire en place, de Bora-Bora. Dans ces conditions, le détournement de pouvoir nous paraît être établi et l’annulation de la décision du 28décembre 1993 s’impose. (voir en ce sens : CE, 3 novembre 1989, Fassiaux n° 64678 : DA janvier 1990 n° 40 ; CE, 8 juillet 1991, Amato, Rec T p. 686).
Devant le tribunal administratif M. X demande le bénéfice des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Le jugement accordait à ce titre 100.000 F CFP. Si vous statuez par la voie de l’évocation, après annulation pour irrégularité de ce jugement, vous devrez donner satisfaction à M. X en raison de l’illégalité de la mesure le mutant d’office. Nous vous proposons, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le Territoire de la Polynésie française à lui payer la somme de 100.000 F CFP.
Par ces motifs, nous concluons :
- à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Papeete du 26 avril 1994,
- à l’annulation de l’arrêté du ministre Territorial de l’Education Nationale du 28 décembre 1993,
- à l’allocation d’une somme de 100.000 F CFP à M. X au titre de l’article L.8-A du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel,
- au rejet du surplus des conclusions de la requête du Territoire de la Polynésie française.

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