CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 13PA03134

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 17 juin 2013
Précédents jurisprudentiels : CAAP, 11 septembre 2014, Préfet de police c/ Société Le Privilège, n° 13PA01859
CAAP, 19 octobre 2010, SARL BRV, nº 09PA02986
CAAP, 31 décembre 2013, Sarl l' Etoile des Montagnes, n° 12PA04530
CAAP, 31 décembre 2013, Société Sotref, n° 12PA04250
CE, 6 février 2013, M. X Y, n° 363532
CE, 9 février 2005, SARL « Lou Marseillou », n° 272196

Texte intégral

13PA03134
Société Enzo
Séance du 8 décembre 2014
Lecture du 19 décembre 2014
CONCLUSIONS de Mme Vrignon, rapporteur public 1. L’article L. 3332-15 du code de la santé publique, dans sa version issue de la loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, prévoit plusieurs hypothèses dans lesquelles le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris le préfet de police, peut ordonner la fermeture des débits de boissons et restaurants.
Le 1 de cet article concerne les infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. Dans ce cas, la fermeture peut être prononcée pour une durée n’excédant pas six mois, et doit être précédée d’un avertissement.
Le 2 permet, en cas d’atteinte à l’ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publique, une fermeture pour une durée n’excédant pas deux mois. Quant au 3, il vise les situations dans lesquelles la fermeture est justifiée par des actes criminels ou délictueux en relations avec la fréquentation de l’établissement ou ses conditions d’exploitations. Dans ce cas, la durée de la fermeture peut être prononcée pour six mois.
Dans tous les cas, comme l’a rappelé récemment le Conseil d’Etat dans un avis du CE, 6 février 2013, M. X Y, n°363532, “les mesures de fermeture de débits de boissons ordonnées par le préfet sur le fondement de ces dispositions ont toujours pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l’établissement, indépendamment de toute responsabilité de l’exploitant. Qu’elles soient fondées sur les dispositions du 1, du 2 ou du 3 de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique, de telles mesures doivent être regardées non comme des sanctions présentant le caractère de punitions mais comme des mesures de police.”
S’agissant des fermetures qui sont ordonnées sur le fondement du 1 de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique, vous avez déjà été saisis de requêtes dans lesquelles l’exploitant d’un établissement qui avait fait l’objet d’une mesure de fermeture se plaignait de de ce que celle-ci n’avait pas été précédée de l’avertissement visé par ces dispositions. Dans un récent arrêt, vous avez à ce titre précisé que le représentant de l’Etat ne saurait utilement se prévaloir d’avertissements délivrés à l’établissement concerné avant le prononcé de décisions antérieures de fermeture, qui visaient des infractions d’une autre nature (CAAP, 11 septembre 2014, Préfet de police c/ Société Le Privilège, n° 13PA01859 ; voir a contrario, pour une fermeture précédée d’un avertissement adressé suite à une première infraction de même nature CE, 9 février 2005, SARL « Lou Marseillou », n° 272196).
L’objet même de la “procédure de l’avertissement”, issue de l’article 114 de la loi nº 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, est en effet, comme son nom l’indique, d’avertir l’exploitant d’un débit de boissons ou d’un restaurant qu’il a commis des infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements et d’obliger cet exploitant à se mettre en conformité avec la législation concernée sous peine d’encourir une mesure de fermeture.
Ainsi que votre Cour l’a déjà souligné, dans un arrêt rendu le 19 octobre 2010 (CAAP, 19 octobre 2010, SARL BRV, nº 09PA02986), cela ressort très clairement de l’exposé des motifs de la proposition de loi nº 358 visant à renforcer les garanties juridiques des exploitants d’établissements classés dans la catégorie des «débits de boissons et restaurants » face aux sanctions administratives prévues aux articles L. 3332-15 et L. 3332-16 du code de la santé publique. Cette proposition de loi, déposée par MM. Z A et B C et enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2002, a finalement fait l’objet de l’amendement nº 4 adopté au cours de la discussion sur le projet de loi sur la sécurité intérieure, lors de la 1re séance du 23 janvier 2003 à l’Assemblée nationale, amendement qui est à l’origine de l’article 114 précité de cette loi.
La fermeture n’est donc pas inéluctable et n’est prononcée que si l’infraction n’a pas cessée ou si elle est réitérée. Et dans les cas où la défaillance de l’exploitant est restée exceptionnelle ou qu’il a pu y être facilement mis fin, l’avertissement se substitue à la fermeture.
Ce choix du législateur d’une telle “riposte graduée” s’inscrit dans une volonté plus large, alors que les pouvoirs du préfet sont renforcés, de garantir les droits des exploitants. Il est ainsi prévu, au 5 de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique, que les mesures prises en application de cet article sont soumises aux dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ainsi qu’aux dispositions de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Si on en croit la lettre de des dispositions, cela semble concerner non seulement les mesures de fermeture, mais également les avertissements. On peut donc en déduire que ces avertissement font griefs et qu’ils peuvent donc être contestés devant le juge.
2. C’est en tout cas la conclusion à laquelle est arrivée la société Enzo, qui exploite, depuis le mois de juin 2011, l’établissement « le Zorba », situé au […] du Temple dans le 10e arrondissement de Paris.
2.1. A la suite d’une rixe entre deux clients, le 10 février 2012, la société Enzo s’est vu notifier, le 15 février suivant, une proposition d’avertissement pour avoir accueilli et servi dans son commerce un consommateur en état d’ivresse publique et manifeste.
Le 27 mars 2012, une nouvelle proposition, de fermeture administrative cette fois-ci, est notifiée à la société Enzo, suite à des faits de tapage nocturne pour lesquels les policiers ont dû intervenir le 22 mars 2012.
Une procédure contradictoire a été ouverte, pour ces deux propositions, par courrier du 27 avril 2012, notifié le 2 mai 2012. Par le biais de son conseil, la société Enzo a pu, le 10 mai 2012, faire valoir ses observations concernant ces propositions.
Le 13 juin 2012, le préfet de police a adressé à la société Enzo un avertissement. La société Enzo indique qu’une fermeture administrative de neuf jours a été prise le même jour.
La société Enzo fait appel du jugement du 18 juin 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l’annulation de ces deux décisions.
2.2. Sa requête est recevable dès lors qu’elle diffère, même si ce n’est que de façon marginale, de celle de première instance. Vous pourrez de toute façon rejeter la requête sans statuer sur cette fin de non recevoir opposée par le préfet de police en défense.
a) Il est constant qu’une décision de fermeture est intervenue le 13 juin 2012, en raison des nuisances sonores générées par l’activité de l’établissement. Mais la société Enzo ne l’a pas produite, en dépit de la demande qui lui a été faite en ce sens par le tribunal, par courrier du 30 avril 2013. Les conclusions tendant à l’annulation de cette décision sont donc irrecevables. En tout état de cause, le requérant ne soulève aucun moyen propre à son encontre, et vous pourrez, pour cette raison également, rejeter les conclusions tendant à son annulation.
b) Les différents moyens qui sont soulevés ne concernent en réalité que le seul avertissement prononcé le 13 juin 2012.
Même si cela n’est pas discuté par les parties, la première question qui se pose est celle de savoir si un tel avertissement fait grief. Si la lettre et même l’esprit de la loi semblent aller dans ce sens, comme nous l’avons dit, cela ne va en réalité pas de soi. L’avertissement, en lui-même, n’a aucun effet, si ce n’est, le cas échéant, de permettre ultérieurement la prise d’une décision de fermeture.
En ce sens, l’avertissement répond parfaitement à la définition de la mesure préparatoire qu’en donne le professeur Chapus dans son manuel de Droit du contentieux administratif (13e édition, n°650), à savoir « un élément de la procédure d’élaboration d’une autre décision, et qui n’a pas d’autre effet juridique que de rendre possible l’édiction de cette décision » ou, en d’autres termes, « un élément de la procédure d’élaboration d’une décision dont on ne sait pas, ou bien si elle sera prise, ou bien ce que sera exactement son contenu ».
Reste que le législateur a prévu une situation dans laquelle l’avertissement est censé se substituer à la mesure de fermeture, et non pas la précéder. On pourrait de ce fait être tenté de dire que, dans ce cas au moins, l’avertissement fait grief.
Le danger serait alors de laisser penser qu’en procédant à une telle substitution, l’administration infligerait à l’exploitant une « sanction » plus douce. Or, même s’il apparaît que c’est probablement ce que le législateur avait en-tête à l’époque, et que la pratique montre que la tentation d’utiliser les fermetures administratives comme un complément ou un substitut à d’éventuelles sanctions pénales reste forte[1], cela ne serait pas cohérent avec la jurisprudence précédemment rappelée qui réaffirme que ces mesures ne présentent pas le caractère de punitions. L’avertissement ne peut pas se substituer à une sanction qui n’en est pas une. Son objet est uniquement d’essayer de faire cesser une menace ou un trouble à l’ordre public, sans passer par la mesure de fermeture, avec tous les effets qu’une telle fermeture emporte.
Surtout, ce n’est que a posteriori, plusieurs semaines voire plusieurs mois après son intervention, qu’il sera possible de dire si un avertissement aura précédé une mesure de fermeture ou si, ayant été suivi d’effet, il pourra alors être considéré comme s’y étant substitué. Le caractère « exceptionnel » de la défaillance de l’exploitant ne peut pas être déterminé en aval, mais seulement en amont. Il n’est donc pas possible de distinguer, au moment où ils sont prononcés, deux catégories d’avertissement dont le régime juridique serait distinct.
L’alternative est donc celle-ci : soit les avertissements, dans leur ensemble, ne constituent pas des décisions faisant grief, ce qui implique qu’ils n’ont pas à être précédés d’une procédure contradictoire sur le fondement de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 et qu’ils ne sont pas susceptibles d’être contestés devant le juge de l’excès de pouvoir ; soit ils font grief. Si nous avouons avoir une préférence pour la première solution, nous concevons, toutefois, que l’épée de Damoclès qu’un avertissement peut faire peser au-dessus de la tête d’un exploitant, pendant une durée indéterminée, qui peut sans doute aller jusqu’à plusieurs mois, puisse vous inciter à considérer qu’il est souhaitable de le soumettre au contrôle du juge dès son intervention.
2.4. En tout état de cause, vous n’êtes pas obligés de trancher cette question aujourd’hui et pourrez choisir de rejeter la requête au fond,
En effet, alors même qu’elle rappelle un précédent avertissement infligé à la société Enzo en octobre 2011, pour ouverture illicite, il ressort des termes mêmes de la décision du 13 juin 2012 qu’elle est exclusivement fondée sur les faits survenus le 10 février 2012. Le préfet n’a donc pas commis d’erreur de droit.
La société Enzo conteste ensuite, sous l’intitulé « erreur manifeste d’appréciation », l’exactitude matérielle des faits qui ont justifié qu’un avertissement lui soit infligé.
Dans son rapport du 20 février 2012, le commissaire central du 10e arrondissement de Paris précise que l’individu interpellé le 10 février 2012 a, lors de son audition, déclaré avoir consommé un café, puis une bière dans l’établissement « Le Zorba ». Les trois témoignages produits ne sont pas suffisamment circonstanciés pour remettre en cause, à eux seuls, les faits tels qu’ils sont exposés dans le rapport de police. Vous devrez dès lors considérer que la décision prononçant l’avertissement contesté n’est entachée d’aucune erreur de fait.
PCMNC au rejet de la requête.
----------------------- [1] La Cour a récemment annulé deux mesures de fermeture, en l’absence de tout désordre dont il aurait fallu prévenir la continuation ou le retour, CAAP, 31 décembre 2013, Sarl l’Etoile des Montagnes, n° 12PA04530 ; CAAP, 31 décembre 2013, Société Sotref, n° 12PA04250.

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