CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 12PA02731

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 12 avril 2012
Précédents jurisprudentiels : 1ère civ.15 juillet 1993, D. 1994, p. 191
22 septembre 1997, Cinar, n° 161364
27 juin 2008, Etarh, n° 291561
29 juillet 1994, préfet de la Seine-Maritime, n° 143866
3 juillet 1996, Paturel, n° 140872
CE, 10 mars 1995, Demirpence, n° 141083
CE, 14 février 2001, Nezdulkins, n° 220271
CE, 1er avril 1998, Auble, n° 155096
CE, 27 juin 2008, Etarh, n° 291561
Conseil d'Etat du 10 mars 1995, Demirpence, n° 141083
Conseil d'Etat du 11 avril 2012, GISTI, n° 322326
Conseil d'Etat du 23 avril 1997, GISTI, n° 163043
Conseil d'Etat du 26 juillet 2011, Sissako, n° 335752
Conseil d'Etat du 2 juin 2003, Swieca, n° 236148 ou encore du 7 avril 2006, Eggley, n° 274713
Tables, et du 26 mars 2010, Longange, n° 324049

Texte intégral

12PA02731
PREFET DE POLICE c/ M. X
Audience du 27 juin 2013
Lecture du 4 juillet 2013
Conclusions de Mme Aurélie Bernard, Rapporteur public M. Y X, ressortissant turc, est né le […].
Il soutient être entré en France le 1er mai 2002.
Il a été débouté de sa demande d’asile par décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides du 16 septembre 2003, confirmée par la Commission des recours des réfugiés le 14 avril 2004.
Par ailleurs, M. X a fait l’objet d’une décision portant refus de délivrance d’un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français le 23 juin 2009.
Le 10 avril 2012, M. X a été interpellé par les services de police dans l’enceinte de la gare de Lyon.
Par un arrêté du même jour, le préfet de police l’a obligé à quitter le territoire français et l’a placé en rétention.
Cet arrêté a été annulé par un jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Paris en date du 13 avril 2012 au motif que la décision portant OQTF méconnaissait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que M. X faisait valoir, sans être contesté, qu’il résidait en France depuis 2002 et qu’il ressortait des pièces du dossier qu’il s’était marié en France en février 2008 avec une compatriote, avec laquelle il a eu deux enfants nés en France en 2006 et 2007, lesquels sont scolarisés en France. Le magistrat a également annulé, par voie de conséquence, la décision de placement en rétention.
Le préfet de police relève appel de ce jugement et nous vous proposons de faire droit à sa requête.
Tout d’abord, par les pièces qu’il produit, M. X n’établit pas résider de manière habituelle en France depuis 2002. M. X ne verse en effet aucune pièce pour l’année 2005 et pour le premier semestre de l’année 2006. M. X établit donc seulement qu’à la date de l’arrêté litigieux, il vivait habituellement en France depuis un peu moins de six années.
L’épouse de M. X, qui est une compatriote, se trouve également en France en situation irrégulière. Quant à leurs enfants, ils n’étaient âgés que de 5 et 4 ans et étaient scolarisés en école maternelle et M. X ne soutient ni n’établit que sa famille ne pourrait pas s’installer en Turquie.
Par ailleurs, M. X, qui a indiqué aux services de police être carreleur, ne produit aucun élément sur son activité professionnelle en France et ne soutient pas détenir un emploi stable.
Enfin, M. X n’est pas dépourvu d’attaches familiales en Turquie, où résident ses parents et sa fratrie et où il a lui-même vécu jusqu’à l’âge de 25 ans.
Dans ces conditions, la décision du 10 avril 2012 portant OQTF ne peut pas selon nous être regardée comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. X.
Le préfet de police est donc selon nous fondé à soutenir que c’est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 10 avril 2012 portant OQTF pour méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne et, par voie de conséquence, la décision du même jour plaçant M. X en rétention.
Quant aux autres moyens soulevés par M. X tant en première instance qu’en appel (et qui sont exclusivement dirigés contre la décision portant OQTF), ils ne nous apparaissent pas fondés.
En effet, aucun des moyens de légalité externe soulevés par M. X n’est selon nous fondé : premièrement, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte manque en fait, deuxièmement, la commission du titre de séjour n’avait pas à être préalablement saisie dès lors que l’arrêté litigieux ne se prononce pas sur une demande de titre de séjour et, troisièmement, l’arrêté litigieux est suffisamment motivé, tant en droit qu’en fait et ce, quand bien même il a été rédigé à l’aide d’un formulaire imprimé comportant des cases à cocher.
Sur le terrain de la légalité interne, M. X se prévaut de la méconnaissance de stipulations de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 (CIDE).
Il invoque plus particulièrement les stipulations du paragraphe 1 de l’article 3 selon lesquelles : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », ainsi que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 9 selon lesquelles : « Les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (…) »
Depuis sa décision du 22 septembre 1997, Cinar, n° 161364, au Recueil, le Conseil d’Etat juge que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 3 de la CIDE sont directement applicables en droit interne.
La méconnaissance de ces stipulations peut utilement être invoquée à l’encontre d’un arrêté portant reconduite à la frontière de l’un des parents de l’enfant (et, donc, désormais, à l’encontre d’une décision portant obligation de quitter le territoire français) eu égard au risque de séparation entre le parent et l’enfant.
Vous pourrez voir, par exemple en ce sens la décision du Conseil d’Etat du 2 juin 2003, Swieca, n° 236148 ou encore du 7 avril 2006, Eggley, n° 274713, aux Tables.
Il est à noter que ces stipulations peuvent également être utilement invoquées à l’encontre d’une décision portant refus de délivrance d’un titre de séjour à l’un des parents d’un enfant.
Vous pourrez notamment voir en ce sens les décisions du Conseil d’Etat du 26 juillet 2011, Sissako, n° 335752, aux Tables, et du 26 mars 2010, Longange, n° 324049.
Le Conseil d’Etat a également jugé :
- que les stipulations de l’article 16 de ladite convention étaient d’effet direct (CE, 10 mars 1995, Demirpence, n° 141083, aux Tables),
- ainsi que celles de l’article 10 (CE, 1er avril 1998, Auble, n° 155096, aux Tables),
- de l’article 37 (CE, 14 février 2001, Nezdulkins, n° 220271, au Recueil)
- et de l’article 12 (CE, 27 juin 2008, Etarh, n° 291561, au Recueil).
En revanche, par sa décision du 29 juillet 1994, préfet de la Seine-Maritime, n° 143866, aux Tables, le Conseil d’Etat a jugé que les stipulations de l’article 9 de la CIDE (invoquées en l’espèce) créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés et que celles-ci ne peuvent donc pas être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé notamment contre un arrêté de reconduite à la frontière.
Vous devez néanmoins vous interroger sur la question de savoir si cette dernière jurisprudence est toujours valable après l’intervention de la décision du Conseil d’Etat du 11 avril 2012, GISTI, n° 322326, au Recueil, qui a précisé les règles permettant de déterminer si une stipulation d’un accord international peut ou non être reconnue d’effet direct.
Par cette décision, le Conseil d’Etat a en effet jugé que, sous réserve des cas où est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, une stipulation doit être reconnue d’effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers. L’absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit.
Vous remarquerez, à cet égard, que l’affirmation selon laquelle la circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit n’est pas, à elle seule, de nature à exclure tout effet direct de la stipulation en cause n’est pas véritablement nouvelle.
En effet, tel était le cas des stipulations des articles 10, 12 et 37 de la CIDE, qui ont pourtant été reconnues comme étant d’effet direct par les décisions précitées.
Vous pourrez voir sur cette question les conclusions (particulièrement développées sur ce point) de Ronny Abraham sous la décision du Conseil d’Etat du 23 avril 1997, GISTI, n° 163043, au Recueil (conclusions uniquement consultables sur Ariane).
S’agissant des stipulations de l’article 9, les conclusions de Z A-B sous la décision du 29 juillet 1994, préfet de la Seine-Maritime, précitée, indiquent, sans plus de précision, que ces dispositions n’ont pas d’effet direct, dès lors qu’elles font des Etats parties les destinataires des obligations qu’elles définissent. La décision elle-même n’est pas plus explicite.
L’absence d’effet direct semble donc avoir été déduite, dans cette décision de 1994, de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit.
Dans ses conclusions sous la décision du Conseil d’Etat du 10 mars 1995, Demirpence, n° 141083, aux Tables, Ronny Abraham analysait la décision préfet de la Seine Maritime adoptée moins d’un an plus tôt en indiquant seulement que « il résulte clairement des conclusions de notre collègue Z A-B que cette prise de position ne préjugeait pas de l’applicabilité directe d’autres dispositions de la même convention, et qu’elle était justifiée par la rédaction de l’article 9 (« les Etats parties veillent à ce que… »). A la différence de la Cour de cassation (1re civ.15 juillet 1993, D. 1994, p. 191), vous n’avez donc pas entendu dénier à la convention dans son ensemble un effet direct. »
Eu égard à l’ensemble du corpus jurisprudentiel précité, la seule question est ici de savoir si ces stipulations requièrent ou non l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers.
Tel est le cas, ainsi que l’expliquait Ronny Abraham dans ses conclusions précitées (uniquement consultables sur Ariane), intervenues deux ans après les précédentes, sous la décision du Conseil d’Etat du 23 avril 1997, GISTI, n° 163043, lorsque la norme est imprécise ou conditionnelle et suppose donc « nécessairement l’intervention d’une législation nationale d’application sans laquelle elle est impuissante à produire des effets concrets. » Ronny Abraham estimait que l’on n’est « pas très loin, ici, de l’hypothèse d’une législation nationale dont la mise en œuvre est manifestement impossible aussi longtemps que ne sont pas intervenus les décrets d’application ».
Dans ces dernières conclusions (voir la page 8 de ces conclusions), Ronny Abraham a indiqué, de façon plus précise que dans ses conclusions précédentes, que la solution adoptée par la décision du 29 juillet 1994, préfet de la Seine-Maritime, relative à l’article 9 de la CIDE, se situait selon lui dans le cadre de ce raisonnement, bien que cette décision utilise la formule selon laquelle la stipulation en cause « crée seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux particuliers », formule qui, selon le commissaire du gouvernement, « est ici moins bien adaptée » et qui « peut même prêter à confusion ».
Il ressort donc selon nous des conclusions de Ronny Abraham sous la décision GISTI du 23 avril 1997, que le raisonnement qui sous-tend la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 29 juillet 1994, préfet de la Seine-Maritime, s’inscrit, malgré la rédaction quelque peu ambigüe de la décision, dans le cadre de celui exposé par le commissaire du gouvernement, qui est apparemment le même que celui préconisé par la récente décision GISTI du 11 avril 2012.
L’intervention d’une décision plus de dix ans après le prononcé de ces dernières conclusions peut néanmoins faire douter du bien-fondé du maintien de la jurisprudence de 1994. Il s’agit de la décision du 27 juin 2008, Etarh, n° 291561, au Recueil, qui juge d’effet direct les dispositions de l’article 12 de la CIDE, en revenant par conséquent sur la décision du 3 juillet 1996, Paturel, n° 140872, au Recueil, qui avait jugé l’exact contraire.
Or, selon les dispositions de l’article 12 :
« 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »
Dans ses conclusions sous la décision Etarh, C D-E explique le revirement de jurisprudence essentiellement par la nécessité d’harmoniser la jurisprudence du Conseil d’Etat avec celle de la Cour de cassation, après avoir relevé que « à l’inverse de ce qui existe en procédure civile, il n’y a pas en procédure administrative non contentieuse ou dans le code de justice administrative de dispositions générales qui prévoient ou organisent l’audition des enfants ou le recueil de leur opinion dans les affaires qui les concernent au premier chef, il existe seulement, des textes ponctuels, comme en matière scolaire par exemple. »
Cette décision implique donc l’obligation pour l’administration d’auditionner des enfants lorsque cela est nécessaire, alors même qu’aucune procédure administrative n’a été mise en place pour ce faire, ce qui n’est peut-être pas évident dans la pratique.
La solution dégagée par la décision Etarh à propos de l’article 12 de la CIDE adopte ainsi une appréciation souple du critère posé par Ronny Abraham en 1997 et tenant à ce qu’une stipulation ne puisse pas être d’effet direct lorsqu’elle suppose « nécessairement l’intervention d’une législation nationale d’application sans laquelle elle est impuissante à produire des effets concrets. »
Dans ces conditions, nous ne voyons pas comment, aujourd’hui, les stipulations du paragraphe 1 de l’article 9 de la CIDE selon lesquelles « Les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (…) » ne pourraient pas être reconnues d’effet direct.
Il nous semble en effet que ces stipulations ne requièrent pas particulièrement l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers.
Nous vous proposons par conséquent de juger que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 9 ont un effet direct, mais d’écarter au fond le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations, de même que celui tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l’article 3 de cette même convention, également soulevé par M. X.
En effet, ainsi que nous vous l’avons indiqué, la décision portant OQTF n’avait pas pour effet de séparer durablement la famille puisque l’épouse de M. X se trouve également en situation irrégulière sur le territoire français, qu’elle est en outre sa compatriote, et que M. X ne soutient ni n’établit que des circonstances feraient obstacle à ce que son épouse et ses enfants s’installent en Turquie.
Par ailleurs, s’agissant de l’interruption de la scolarité en France des enfants, celle-ci ne peut pas selon nous être regardée comme leur étant gravement préjudiciable, dès lors que ceux-ci, âgé de 5 et 4 ans, étaient scolarisés en maternelle à la date de l’arrêté litigieux.
Nous vous proposons donc d’écarter ce dernier moyen. M. X n’est donc pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 10 avril 2012 du préfet de police l’obligeant à quitter le territoire français et le plaçant en rétention administrative.
Si vous nous suivez, vous rejetterez par voie de conséquence l’ensemble de ses conclusions.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Paris du 13 avril 2012 et au rejet de la demande de M. X.

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