CEDH, BARTESAGHI GALLO ET AUTRES c. ITALIE et 1 autre affaire, 10 novembre 2015, 12131/13;43390/13

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 10 nov. 2015, n° 12131/13;43390/13
Numéro(s) : 12131/13, 43390/13
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-159149
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Sur les parties

Texte intégral

Communiquée le 10 novembre 2015

PREMIÈRE SECTION

Requêtes nos 12131/13 et 43390/13
Sara BARTESAGHI GALLO et autres contre l’Italie
et Daniel Thomas ALBRECHT et autres contre l’Italie
(voir liste en annexe)

La liste des parties requérantes figure en annexe.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants et qu’ils ressortent des documents pertinents en l’espèce[1], peuvent se résumer comme suit.

1.  Le contexte général

Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de Gènes accueillit le vingt-septième sommet des huit pays les plus industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement italien. Nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblées sous la bannière du « Genoa Social
Forum – GSF » (groupe de coordination), organisèrent un sommet « altermondialiste » qui se déroula pendant les mêmes jours. Il a été estimé que participèrent à l’évènement entre deux-cent-mille (Ministère de l’Intérieur) et trois-cent-mille personnes (GSF).

Un important dispositif de sécurité fut mis en place par les autorités italiennes (voir Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH 2011 ; Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Elles répartirent la ville en trois zone concentriques : la « zone rouge », de surveillance maximale, où le sommet se déroula et les délégations étaient logées ; la « zone jaune », une zone tampon où les manifestations étaient en principe interdites, sauf autorisation du chef du bureau de la police (questore) ; et la « zone blanche ».

Les autorités déterminèrent également la dangerosité potentielle des manifestants, en attribuant à chaque groupe organisé de participants, à chaque association, syndicat et ONG, une couleur en fonction de sa dangerosité : le « bloc rose », non dangereux ; le « bloc jaune » et le « bloc bleu », considérés comme comprenant des auteurs potentiels d’actes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et également d’affrontements avec la police ; et, enfin, le « bloc noir » («black block »), dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus généralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systématiques.

La journée du 19 juillet se déroula dans une ambiance relativement calme, sans épisodes particulièrement significatifs. Au contraire, les journées du 20 et 21 juillet furent marquées par des accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir ». Au cours des incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces de l’ordre furent blessés ou intoxiqués par les gaz lacrymogènes. Des quartiers entiers de la ville de Gênes furent dévastés (pour une analyse plus détaillée, voir Giuliani et Gaggio, précité, §§ 12-30 ; Cestaro précité, §§ 9-17).

2.  Les faits précédant l’irruption dans l’école Diaz-Pertini

Le 21 juillet, le chef de la police ordonna au préfet A., chef adjoint de la police et chargé de l’ordre public pendant le sommet, de confier la responsabilité de la perquisition de l’école Paul Klee à F.G., chef du service centrale opérationnel de la police criminelle (« SCO ») (voir l’arrêt no 4252/08 du tribunal de Gênes, rendu le 13 novembre 2008 et déposé le 11 février 2009, p. 190). En conclusion de l’intervention, la police procéda à l’arrestation d’une vingtaine de personnes. Celles-ci furent aussitôt remises en liberté sur ordre du parquet ou du juge des investigations préliminaires.

Le même jour arriva à Gênes, toujours sur ordre du chef de la police, le préfet L.B., chargé de suivre les opérations de police. Selon les déclarations du préfet A., confirmées par le directeur centrale de la police criminelle A.M., les ordres du chef de la police s’expliquaient par la volonté de changer de stratégie et de passer à une approche plus « incisive », afin d’effacer l’image d’une police inerte face aux épisodes de pillage et de dévastation. En ce sens, le chef de police exprima le souhait de former des unités spéciales (« pattuglioni ») placées sous la direction du « SCO » et de fonctionnaires des unités mobiles et chargées d’arrêter les membres du « bloc noir ».

Le même jour, en début de soirée, une de ces unités transita dans la rue Cesare Battisti, devant les écoles Diaz-Pertini et Pascoli. Ces deux écoles avaient été mises à disposition du GSF par la municipalité de Gênes : la première était utilisée comme lieu d’hébergement et point d’accès internet, l’autre abritait la salle de presse et le bureau des avocats. Le passage de la patrouille provoqua une intense réaction verbale des personnes présentes à proximité des écoles. En outre, une bouteille vide fut lancée en direction des véhicules (voir le jugement du tribunal de Gênes, pp. 244-249, l’arrêt de la Cour de cassation, p.122).

Concernant ces faits, une réunion se déroula à la préfecture en présence des plus hauts-fonctionnaires présents à Gênes. Après avoir pris contact avec le responsable du GSF auquel l’école Diaz-Pertini avait été confiée, ils décidèrent de procéder à une perquisition pour recueillir des éléments de preuve et, le cas échéant, arrêter les membres du « bloc noir » responsables des dévastations et saccages. Il fut décidé de procéder à une première phase de « sécurisation » des lieux, avec une unité constituée majoritairement d’agents appartenant à une division spécialisée dans les opérations antiémeute et ayant suivi une formation ad hoc (le « VII Nucleo antisommossa », constitué au sein de l’unité mobile de Rome) ; la deuxième phase, correspondant à la perquisition proprement dite, fut attribuée à une autre unité de police. Enfin, une unité de carabinieri fut chargée d’encercler le bâtiment afin d’empêcher la fuite des suspects. Le chef de la police fut informé de l’opération (jugement de première instance, pp. 226 et 249-252, et Rapport final de l’enquête parlementaire, pp. 29-31). D’après l’arrêt de la Cour de cassation, environ cinq-cents agents furent mobilisés pour cette opération (arrêt de la Cour de cassation, p. 204).

3.  L’irruption dans l’école Diaz-Pertini

Vers minuit, les membres du VII Nucleo antisommossa, munis de casques, boucliers et matraques de type tonfa, ainsi que d’autres agents équipés à l’identique commencèrent à avancer au pas de course. Un journaliste britannique et un conseiller municipal, qui se trouvaient à l’extérieur des deux écoles, furent tabassés par les agents (jugement de première instance, pp. 253-261).

Certains des occupants de l’école Diaz-Pertini regagnèrent alors le bâtiment, en fermant la grille et les portes d’entrée, essayant de les bloquer avec des bancs et des planches de bois. La grille fut rapidement forcée à l’aide d’un engin blindé, puis les agents de police ouvrirent les portes d’entrée (ibidem).

Les agents se répartirent dans les étages du bâtiment, partiellement plongés dans le noir. La plupart d’entre eux avec le visage masqué par un foulard, ils commencèrent à frapper les occupants à coups de poing, de pied et de matraque, en criant et en menaçant les victimes. Des groupes d’agents s’acharnèrent même sur des occupants qui étaient assis ou allongés par terre. Certains des occupants, réveillés par le bruit de l’assaut, furent frappés alors qu’ils se trouvaient encore dans leur sac de couchage ; d’autres le furent alors qu’ils se tenaient les bras levés en signe de capitulation ou qu’ils montraient leurs papiers d’identité. Certains occupants essayèrent de s’enfuir et de se cacher dans les toilettes ou dans des débarras du bâtiment, mais ils furent rattrapés, battus, parfois tirés hors de leurs cachettes par les cheveux (jugement de première instance, pp. 263-280, et arrêt d’appel, pp. 205-212).

Les tribunaux internes ont établi avec exactitude, au-delà de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont firent l’objet les personnes présentes à l’intérieur de l’école Diaz-Pertini et Pascoli. Les témoignages des victimes ont été confirmés par les dépositions de membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, les admissions partielles des accusés, les enregistrements audiovisuels ainsi que par les documents à disposition des magistrats, notamment les rapports médicaux et les expertises judiciaires effectuées. De cette multitude d’informations, il est possible de définir les épisodes de violence dont les requérants firent l’objet :

a)  requête no 12131/13

La requérante, Mme S. Bartesaghi Gallo, fut tabassée avec une matraque à la tête, aux jambes, à l’épaule gauche et au bras gauche. Le rapport médical constate un traumatisme crânien avec lacération et une contusion à la jambe droite.

La requérante, Mme N.A. Doherty, fut rouée de coups de matraque. Le rapport médical indique un traumatisme crânien, la fracture distale du radius droit, un hématome dans la région fessière, contusions au visage et au bras droit. Le rapport détermine une incapacité totale de travail de quarante jours.

Le requérant, M. I.F.Galloway, fut tabassé avec une matraque. Le rapport médical constate un traumatisme crânien, contusions multiples, en particulier à l’hémothorax gauche, à la région rétro-auriculaire gauche, au dos et dans la région lombaire, et d’excoriations au genou gauche.

Le requérant, M. R.R. Moth, subit des blessures au cuir chevelu et à la jambe droite ainsi qu’un traumatisme crânien, en conséquence des coups de matraque et de pied reçus de la part d’agents des forces de l’ordre.

Le requérant, M. A. Nathrath, subit des contusions au bras droit et à la hanche droite.

La requérante, Mme A.K. Zeuner, fut tabassée avec une matraque et subit des excoriations aux lèvres et des contusions au bras droit.

La requérante, Mme T. Treiber, lors de l’irruption de la police, essaya sans succès de s’enfuir par une fenêtre du deuxième étage en montant sur un échafaudage. Rentrée dans l’école, elle fut obligée par des policiers à s’asseoir et fut tabassée. Amenée dans le gymnase de l’école, elle y trouva de nombreux blessés. Un policier lui ordonna de se mettre à genoux, tête pliée vers le bas et de se taire. En raison des séquelles de ces épisodes, elle allègue avoir dû entreprendre un suivi psychologique.

b)  requête no 43390/13

Le requérant, M. D.T.Albrecht, se trouvait au premier étage de l’école lorsque la police y fit irruption. Il fut tabassé avec une matraque de type « tonfa » et reçut des coups de poing et de pied. Le rapport médical constate un traumatisme crânien épidural et la formation d’un hématome, ainsi que de nombreuses blessures, notamment dans la région pariétale et occipitale gauche, dans la région coronarienne droite et à l’hémothorax. Amené à l’hôpital San Martino de Gênes, il fut opéré d’urgence pour l’aspiration de l’hématome intracrânien. Placé en réanimation le dimanche 22 juillet, le requérant fut surveillé par des agents de police. Le 1er août, il quitta l’hôpital.

La requérante, Mme F.R.Allueva, fut tabassée avec une matraque et du mobilier fut jeté contre elle. Ces violences lui provoquèrent un hématome à la cuisse gauche, une contusion à l’os pyramidal, des blessures à l’épaule gauche, au genou droit et au coude droit.

Le requérant, M. A.R. Balbas, fut tabassé avec une matraque et reçut des coups de pied et de poing. Il fut également touché par une chaise jetée contre lui. Plusieurs contusions furent constatées, notamment au bras, à l’épaule, à la cuisse gauche et à la cheville gauche, ainsi qu’à la région dorsale.

Le requérant, M. M. Bertola, fut tabassé avec une matraque et subit un traumatisme crânien, des blessures au cuir chevelu et au front. Le rapport médical établit aussi l’existence d’une dorsalgie.

La requérante, Mme V. Bruschi, fut tabassée dans le gymnase de l’école avec une matraque, ce qui lui provoqua des contusions sur tout le corps.

Le requérant, M M. Chmielewski, fut tabassé avec une matraque de type « tonfa » et reçut des coups de pied et de poing. Il fut blessé au pavillon auriculaire gauche et des contusions furent constatées sur tout le corps. Il fut également victime d’un traumatisme crânien.

Le requérant, M. B. Coelle, fut tabassé à l’aide d’une matraque sur tout le corps. Il subit une double fracture de la mandibule et du condyle gauche, une fracture du zygoma droit. Hospitalisé entre le 22 et le 30 juillet, le rapport médical établit une incapacité totale de travail de quarante jours et un affaiblissement permanent de l’organe de la mastication.

La requérante, Mme S. Digenti, fut tabassée avec une matraque à la tête et au dos. Le rapport médical constate des hématomes au cou, aux épaules, à la région dorsale, à la main droite, ainsi que des excoriations à l’arcade sourcilière gauche.

Le requérant, M. M. Gieser, fit l’objet de coups de pied et de matraque. Il subit un traumatisme crânien et des multiples contusions sur tout le corps, notamment à la région occipitale.

La requérante, Mme Y.S.Gol, fut rouée de coups de pied et de matraque à la tête, au dos et aux jambes. Le rapport médical constate un traumatisme crânien et des contusions le long du côté droit de son corps.

Le requérant, M. L. Guadagnucci Pancioli, fut tabassé à coups de matraque. Le rapport médical relève une fracture du scaphoïde ainsi que nombreuses contusions et blessures.

Le requérant, M. J. Herrmann, fut tabassé à coups de matraque et de pied. Il subit un traumatisme crânien et des blessures et hématomes le long du corps, en particulier dans la région frontale, aux épaules et au thorax. Il fut victime d’une diminution temporaire de l’ouïe.

La requérante, Mme L. Jaeger, fut tabassée avec une matraque. Obligée de s’accroupir au sol, un agent de police lui marcha sur les mains. Le rapport médical constate la présence de contusions au bras droit et à l’épaule droite.

Le requérant, M. H. Kress, fut tabassé à coups de matraque et de pied. Le rapport médical constate la présence d’un traumatisme crânien, deux blessures, au nez et à la lèvre supérieure, un deuxième traumatisme facial et des contusions sur tout le corps.

La requérante, Mme A.J. Kutschkau, fut violemment tabassée à l’aide d’une matraque et à coups de pied. Le rapport médical constate un traumatisme crânien, la fracture de l’os maxillaire, la perte de deux dents et la subluxation de deux autres. Il lui a été diagnostiqué un affaiblissement permanent de l’organe de la mastication.

Le requérant, M. F.J. Mandrazo Sanz, fut roué à coups de matraque, ce qui provoqua des contusions et une blessure aux jambes.

Le requérant, M. P.F. Marcuello, fut violemment tabassé avec une matraque, ce qui entraîna une blessure au vertex, un traumatisme avec commotion cérébrale ainsi que la fracture de deux côtes et d’un doigt.

Le requérant, M. N. Martens, fut tabassé avec une matraque. Un agent déversa le contenu d’un extincteur sur son corps. Le rapport médical constate la présence de contusions au visage, au menton, à l’épaule et à la jambe droite et un traumatisme crânien. Le rapport détermine également une incapacité totale de travail de quarante jours.

La requérante, Mme A.F. Martinez, fut rouée de coups de matraque et atteinte par un siège jeté volontairement par un agent. Le rapport médical certifie la fracture de la main gauche, de nombreuses contusions et lésions sérieuses, entraînant une incapacité totale de travail de quarante jours.

Le requérant, M. G.P. Masso’, fut tabassé par les agents avec une matraque, conduisant à un traumatisme crânien avec état de choc et une blessure au vertex.

Le requérant, M. C. Mirra, tabassé avec une matraque, fut victime de blessures et contusions, en particulier un traumatisme crânien, une blessure au cuir chevelu et de l’arcade sourcilière droite.

Le requérant, M. D.F. Moret, subit la fracture d’un doigt de la main gauche, du condyle du coude droit, un traumatisme crânien, plusieurs hématomes. Le rapport médical établit une incapacité totale de travail de quarante jours.

Le requérant, M. F.C. Nogueras, fut tabassé et atteint par le lancement d’une chaise et d’un banc en bois. Il fut victime d’un traumatisme crânien, de nombreuses contusions et hématomes et subit l’infraction du péroné droit. Le rapport médical fixa également une incapacité totale de travail de quarante jours.

La requérante, Mme K. Ottovay, fut tabassée avec une matraque, ce qui provoqua des contusions, une myalgie et la fracture du cubitus.

Le requérant, M. V. Perrone, fut victime d’un traumatisme crânien et des contusions à l’épaule gauche, au thorax et à la main droite.

Le requérant, M. R.J. Pollok, fut tabassé à coups de matraque, de poing et de pied, sur tout le corps. Le rapport médical constate la présence d’un traumatisme crânien, d’une fracture du cubitus droit, d’une contusion au thorax, de deux blessures au cuir chevelu et à la jambe droite.

Le requérant, M. F. Primosig, reçut plusieurs coups de matraque aux jambes et à la tête. Le rapport médical indique qu’il avait subi un traumatisme crânien, une fracture au doigt, des blessures au cuir chevelu. Il fut hospitalisé du 22 juillet au 1er août 2001.

Le requérant, M. F.J. Samperiz, reçut des coups de matraque qui lui provoquèrent des contusions et une blessure au genou gauche.

Le requérant, M. S. Sibler, fut tabassé avec une matraque et subit un traumatisme crânien, des blessures à la tête et au tibia droit.

Le requérant, M. J.L. Heras Sicilia, fut victime de coups de matraque et de pied qui lui provoquèrent un traumatisme crânien, un hématome sous cutané, plusieurs contusions et la fracture de deux côtes. Le rapport médical fixa également une incapacité totale de travail de quarante jours.

Le requérant, M. J. Szabo, à l’arrivée de la police s’échappa du périmètre de l’école pour se cacher dans un terrain à proximité. Découvert par des agents qui ratissaient les environs de l’école, il reçut des coups de matraque. Le rapport médical constate la présence de contusions à l’épaule gauche et au flanc droit, ainsi que des excoriations à la région frontale.

La requérante, Mme D.H. Villamor, reçut deux coups de matraque qui lui causèrent la fracture du cubitus droit. Le rapport médical constate également la présence d’un traumatisme crânien.

La requérante, Mme G.G. Zapatero, fut tabassée avec une matraque, ce qui lui provoqua une contusion à l’épaule droite.

Le requérant, M. S. Zehatschek, fut roué de coups de matraque. Le rapport médical relève un traumatisme crânien et des contusions multiples, notamment au thorax.

La requérante, Mme L. Zuhlke, subit plusieurs coups de matraque à la tête et aux épaules. Tombée à terre, elle fut rouée de coups au dos et à la poitrine. Tirée par les cheveux et soulevée, elle reçut encore des coups dans l’entrejambe. Poussée contre un mur, elle fut tabassée à la poitrine et au ventre, puis traînée dans les escaliers où elle reçut encore des coups. Le rapport médical constate un traumatisme au thorax et à l’abdomen, des fractures à l’arc costal avec pneumothorax et contusion pulmonaire, un traumatisme crânien et contusions multiples. Elle fut hospitalisée du 22 au 31 juillet 2001. Le rapport médical fixa un affaiblissement du mouvement du bras et du cou et de la fonction respiratoire d’environ 30%. Le rapport médical fixa également une incapacité totale de travail de quarante jours.

4.  L’irruption de la police dans l’école Pascoli

Quelque temps après l’irruption dans l’école Diaz-Pertini, une unité d’agents pénétra dans l’école Pascoli, où la salle de presse et le bureau des avocats se trouvaient. Depuis les fenêtres des étages supérieurs, des journalistes filmèrent les événements en train de se dérouler dans l’école Diaz-Pertini et, simultanément, une émission radio diffusa des informations sur l’irruption et la suite des incidents.

À l’arrivée des agents, les journalistes furent forcés de mettre fin aux prises de vue et l’émission radio fut interrompue. Les tribunaux internes ont établi que des cassettes vidéo, avec les reportages filmés pendant les trois jours du sommet, furent saisies pendant l’irruption et les disques durs des ordinateurs des avocats du GSF furent gravement endommagés (voir en particulier le jugement de première instance, pp. 300-310).

5.  Les événements qui suivirent l’irruption dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli

Une fois terminée la phase de perquisition de l’école Diaz-Pertini, les forces de l’ordre amassèrent les objets trouvés dans la salle du gymnase, sans chercher à en identifier les propriétaires ni informer les personnes présentes de la nature de l’opération (jugement de première instance, pp. 285-300). La police procéda à l’arrestation de tous les occupants de l’école, à savoir quatre-vingt-treize personnes, accusés d’association de malfaiteurs visant au saccage et à la dévastation, de résistance aggravée aux forces de l’ordre et de port abusif d’armes. Certains d’entre d’eux furent transférés immédiatement dans la caserne de Bolzaneto.

Dans la nuit du 21 au 22 juillet, le chef de l’unité de presse de la police italienne, questionné à proximité des écoles, déclara que la police venait de trouver des vêtements et cagoules noirs similaires à ceux utilisés par le « bloc noir ». Il ajouta que les nombreuses taches de sang dans le bâtiment s’expliquaient par les blessures que la plupart des occupants de l’école Diaz-Pertini se seraient faites au cours de la journée (jugement de première instance, pp. 170-172).

Le 22 juillet, à la préfecture de police de Gênes, la police montra à la presse les objets saisis lors de la perquisition, en particulier les deux cocktails Molotov et la tenue d’un agent qui présentait une déchirure nette pouvant être causée par un coup de couteau (ibidem).

Les poursuites engagées contre les occupants portant sur les chefs d’association de malfaiteurs visant au saccage et à la dévastation, de résistance aggravée aux forces de l’ordre et de port abusif d’armes ont abouti à l’acquittement des intéressés.

6.  La procédure pénale engagée contre des membres des forces de l’ordre pour l’irruption dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli

Le parquet de Gênes ouvrit une enquête en vue d’établir les éléments sur lesquels s’était fondée la décision de faire irruption dans l’école
Diaz-Pertini, et d’éclaircir les modalités d’exécution de l’opération, l’agression au couteau qui aurait été perpétrée contre l’un des agents et la découverte de deux cocktails molotov, ainsi que les événements qui avaient eu lieu dans l’école Pascoli.

En décembre 2004, après environ trois ans d’investigations, vingt-huit personnes parmi les fonctionnaires, cadres et agents des forces de l’ordre furent renvoyées en jugement. Par la suite, deux autres procédures, concernant trois autres agents, furent jointes à la première.

Les requérants se constituèrent parties civiles (au total le parties civiles furent cent dix-neuf). La procédure pénale, relative aux événements encourus dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli, requit l’examen d’un abondant matériel audio-visuel, deux expertises et l’audition de plus de trois cents personnes parmi les accusés et les témoins (dont beaucoup d’étrangers).

a)  Sur les événements de l’école Diaz-Pertini

Les chefs d’accusation retenus relativement aux événements de l’école Diaz-Pertini furent les suivants : faux intellectuel, calomnie simple et aggravée, abus d’autorité publique (notamment du fait de l’arrestation illégale des occupants), lésions corporelles simples et aggravées ainsi que port abusif d’armes de guerre.

i.  Le jugement de première instance

Par le jugement no 4252/08 du 13 novembre 2008, déposé le 11 février 2009, le tribunal de Gênes déclara douze des accusés coupables de délits de faux (un accusé), de calomnie simple (deux accusés) et de calomnie aggravée (un accusé), de lésions corporelles simples et aggravées (dix accusés) ainsi que de port abusif d’armes de guerre (deux accusés). Le tribunal les condamna à des peines comprises entre deux et quatre ans d’emprisonnement, à l’interdiction d’exercer des fonctions publiques pendant toute la durée de la peine principale ainsi que, solidairement avec le ministère de l’Intérieur, au paiement des frais et dépens et au versement de dommages-intérêts aux parties civiles, auxquelles le tribunal accorda une provision pouvant aller de 2 500 à 50 000 euros (EUR).

Lors de la détermination des peines principales, le tribunal prit en compte, en tant que circonstances atténuantes, le fait que les auteurs des délits avaient un casier judiciaire vierge et qu’ils avaient agi en état de stress et de fatigue. Un condamné bénéficia de la suspension conditionnelle de la peine et de la non-mention dans le casier judiciaire. Par ailleurs, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 établissant les conditions à remplir pour l’octroi d’une remise générale des peines (indulto), dix des condamnés bénéficièrent d’une remise totale de leur peine principale et l’un d’eux, condamné à quatre ans d’emprisonnement, bénéficia d’une remise de peine de trois ans.

Dans les motifs du jugement (373 pages sur 527 au total), le tribunal écarta, tout d’abord, la thèse selon laquelle l’opération aurait été organisée dès l’origine comme une expédition punitive contre les manifestants. Il releva que les forces de l’ordre pouvaient croire, compte tenu des événements qui avaient précédé l’irruption (en particulier, les indications des habitants du quartier et l’agression contre la patrouille dans l’après-midi du 21 juillet – paragraphes 26-27 ci-dessus), que l’école Diaz-Pertini hébergeait aussi des black blocks. Il estima cependant que les événements litigieux constituaient une violation claire à la fois de la loi, « de la dignité humaine et du respect de la personne » (di ogni principio di umanità e di rispetto delle persone). En effet, selon lui, même en présence de membres du bloc noir, les forces de l’ordre n’étaient autorisées à utiliser la force que dans la mesure où l’emploi de celle-ci aurait été nécessaire pour vaincre la résistance violente des occupants, et ce sous réserve de respecter un rapport de proportionnalité entre la résistance rencontrée et les moyens utilisés. Or, souligna le tribunal, les occupants n’ont accompli aucun acte de résistance justifiant la réaction et les violences des forces de l’ordre.

Le tribunal souligna également que le parquet n’avait pas demandé le renvoi en jugement des auteurs matériels des violences, compte tenu de la difficulté de procéder à leur identification, et que la police n’avait pas coopéré efficacement. Il nota à cet égard que des photos anciennes des fonctionnaires accusés avaient été fournies au parquet et que sept ans avaient été nécessaires pour identifier un agent particulièrement
violent – filmé au cours de l’irruption – alors que sa coiffure le rendait aisément reconnaissable.

Dans son appréciation de la responsabilité individuelle des accusés, le tribunal estima que, compte tenu des circonstances de l’affaire, les auteurs matériels avaient agi avec la conviction que leurs supérieurs toléraient les actes qui avaient été les leurs. Il précisa que le fait que certains fonctionnaires et cadres, présents sur les lieux dès le début de l’opération, n’avaient pas immédiatement empêché la poursuite des violences avait contribué aux agissements des agents du VII Nucleo antisommossa et des autres membres des forces de l’ordre. Dès lors, aux yeux du tribunal, seuls ces fonctionnaires et cadres pouvaient être jugés coupables de complicité de délit de lésions.

Le tribunal se pencha ensuite sur la thèse du parquet selon laquelle les forces de l’ordre avaient fabriqué de fausses preuves et relaté des événements fallacieux dans le but de justifier, a posteriori, à la fois la perquisition et les violences.

En ce qui concernait, notamment, le comportement des occupants avant l’irruption de la police, le tribunal observa que les enregistrements vidéo versés au dossier ne montraient pas de jets d’objets de grande dimension depuis le bâtiment mais que l’on pouvait considérer, d’après les déclarations d’un témoin et d’après l’attitude des agents, filmés avec leurs boucliers levés au-dessus de leur tête, que quelques petits objets (pièces de monnaie, boulons, etc.) avaient vraisemblablement été lancés sur les agents pendant qu’il essayaient d’enfoncer la porte d’entrée de l’école.

Quant à l’agression au couteau prétendument subie par un agent, le tribunal, au vu des résultats de l’expertise réalisée sur la tenue de cet agent et des éléments dont il disposait, exposa qu’il ne pouvait ni conclure que cette agression avait réellement eu lieu ni en exclure la possibilité.

En outre, le tribunal nota que les deux cocktails molotov montrés à la presse le 22 juillet avaient été trouvés par la police dans la ville au cours de l’après-midi du 21 juillet et apportés ensuite, à l’initiative du préfet de police adjoint de Gênes, dans la cour de l’école vers la fin de la perquisition, et qu’ils s’étaient pour finir retrouvés, dans des circonstances peu claires, parmi les objets collectés qui avaient été rassemblés dans le gymnase.

Enfin, le tribunal estima que le procès-verbal de l’opération contenait une description trompeuse des faits, car il faisait état d’une résistance violente de la part de l’ensemble des occupants et ne mentionnait guère que la plupart de ceux-ci avaient été blessés par les forces de l’ordre.

ii.  L’arrêt d’appel

Saisie par les accusés, par le parquet près le tribunal de Gênes, par le procureur général, par le ministère de l’Intérieur (responsable civil) et par la plupart des victimes, la cour d’appel de Gênes, par son arrêt no 1530/10 du 18 mai 2010, déposé le 31 juillet 2010, réforma partiellement le jugement entrepris.

Elle déclara les accusés coupables des délits de faux (dix-sept accusés), de lésions aggravées (neuf accusés) et de port abusif d’armes de guerre (un accusé). Elle les condamna à des peines comprises entre trois ans et huit mois et cinq ans d’emprisonnement, et à l’interdiction prononcée pour cinq ans d’exercer des fonctions publiques. En application de la loi no 241 du
29 juillet 2006, tous les condamnés bénéficièrent d’une remise de peine de trois ans.

La cour d’appel prononça un non-lieu en raison de l’application de la prescription aux délits de calomnie aggravée (quatorze accusés), d’abus d’autorité publique du fait de l’arrestation illégale des occupants de l’école Diaz-Pertini (douze accusés) et de lésions simples (neuf accusés). Un non-lieu fut également prononcé en raison de circonstances atténuantes en faveur du chef du VII Nucleo antisommossa, condamné en première instance pour lésions aggravées. Enfin, la cour d’appel acquitta une personne accusée des délits de calomnie simple et de port abusif d’arme de guerre, et une autre personne accusée du délit de calomnie simple.

Les condamnations au versement de dommages-intérêts ainsi qu’aux frais et dépens, rendues en première instance, furent essentiellement confirmées, avec extension aux condamnés en deuxième instance.

Dans les motifs de l’arrêt (120 pages sur 313 au total), la cour d’appel précisa tout d’abord que, même si les soupçons relatifs à la présence des armes utilisées par les black blocks lors de saccages pouvaient justifier, en principe, la perquisition des écoles, les indices permettant de conclure que tous les occupants des deux écoles étaient armés et pouvaient être considérés comme appartenant au bloc noir étaient néanmoins très faibles.

 La cour d’appel indiqua ensuite que plusieurs éléments démontraient que l’opération ne visait nullement à l’identification des membres du bloc noir et qu’elle était d’une tout autre nature.

En premier lieu, les plus hauts responsables de la police auraient, dès la planification de la « perquisition », prévu que les premières lignes des forces de l’ordre seraient constituées du VII Nucleo antisommossa et d’autres agents lourdement armés ; aucune consigne, notamment concernant l’utilisation de la force contre les occupants, n’aurait été donnée à ces unités, leur seule tâche étant de « sécuriser » (mettere in sicurezza) le bâtiment.

En deuxième lieu, même des personnes qui se trouvaient à l’extérieur de l’école Diaz-Pertini et qui n’avaient pas montré le moindre signe de résistance auraient été immédiatement attaquées par les forces de l’ordre.

En troisième lieu, les forces de l’ordre auraient donné l’assaut en défonçant les portes sans avoir essayé ni de parlementer avec les occupants en leur expliquant qu’une « perquisition inoffensive » devait avoir lieu, ni de se faire ouvrir pacifiquement la porte, légitimement fermée par ceux-ci selon la cour d’appel. Une fois dans le bâtiment, les agents auraient systématiquement frappé les occupants d’une façon cruelle et sadique, y compris au moyen de matraques non réglementaires. Selon la cour d’appel, les traces de sang visibles sur les photos prises au cours de l’inspection des lieux étaient fraîches et ne pouvaient être que le résultat de ces violences, contrairement à « la thèse honteuse » (« vergognosa tesi ») selon laquelle elles provenaient des blessures survenues lors des accrochages des jours précédents.

À la lumière de ces éléments, la cour d’appel estima que le but de toute l’opération était de procéder à de nombreuses arrestations, même en l’absence de finalité d’ordre judiciaire, l’essentiel étant que celles-ci parviennent à restaurer auprès des médias l’image d’une police perçue comme impuissante. Les plus hauts fonctionnaires des forces de l’ordre auraient donc rassemblé autour du VII Nucleo antisommossa une unité lourdement armée, équipée de matraques de type « tonfa » dont les coups pouvaient être mortels, et lui auraient donné pour unique consigne de neutraliser les occupants de l’école Diaz-Pertini, en stigmatisant ceux-ci comme étant de dangereux casseurs, auteurs des saccages des jours précédents. La conduite violente et coordonnée de tous les agents ayant participé à l’opération aurait été la conséquence naturelle de ces indications.

Ainsi, d’après la cour d’appel, au moins tous les fonctionnaires en chef et les cadres du VII Nucleo antisommossa étaient coupables des lésions infligées aux occupants. Quant aux responsables de la police de rang plus élevé, la cour d’appel précisa que la décision de ne pas demander leur renvoi en jugement empêchait d’apprécier leur responsabilité au pénal. De plus, selon la cour d’appel, une fois prise la décision d’investir l’établissement et de procéder aux arrestations, les forces de l’ordre avaient tenté de justifier leur intervention a posteriori.

À cet égard, la cour d’appel nota, d’une part, que, au cours de l’enquête, on avait attribué aux occupants des délits qu’ils n’avaient pas commis : en effet, selon elle, il ne ressortait aucunement de l’instruction ni que les occupants eussent résisté aux forces de l’ordre ni qu’ils eussent lancé des objets sur elles tandis qu’elles stationnaient dans la cour de l’école, les boucliers de quelques agents étant levés vraisemblablement par simple précaution ; et surtout, compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’agression au couteau prétendument subie par un agent au cours de l’irruption se serait révélée comme étant une « impudente mise en scène ».

La cour d’appel releva d’autre part que les plus hauts fonctionnaires des forces de l’ordre, présents sur les lieux, avaient convenu de placer les deux cocktails molotov, trouvés ailleurs au cours de l’après-midi, parmi les objets recueillis lors de la perquisition, et ce dans le but de justifier la décision d’effectuer la perquisition et d’arrêter les occupants de l’école. Pour la cour d’appel, cette arrestation, dépourvue de toute base factuelle et juridique, avait donc été illégale.

Dans la détermination des peines à infliger, la cour d’appel estima que, exception faite du chef du VII Nucleo antisommossa qui avait essayé de limiter les violences et avait, finalement, avoué les délits au cours des débats, aucune circonstance atténuante ne pouvait être retenue pour les autres accusés. S’appuyant notamment sur les déclarations du requérant, la cour d’appel souligna que les agents des forces de l’ordre s’étaient transformés en « matraqueurs violents », indifférents à toute vulnérabilité physique liée au sexe et à l’âge ainsi qu’à tout signe de capitulation, même de la part de personnes que le bruit de l’assaut venait de réveiller brusquement. Elle indiqua que, à cela, les agents avaient ajouté injures et menaces. Ce faisant, ils auraient jeté sur l’Italie le discrédit de l’opinion publique internationale. De surcroît, une fois les violences perpétrées, les forces de l’ordre auraient avancé toute une série de circonstances à la charge des occupants, inventées de toutes pièces.

Le caractère systématique et coordonné des violences de la part des policiers ainsi que lesdites tentatives de les justifier a posteriori dénotaient, aux yeux de la cour d’appel, un comportement conscient et concerté plutôt qu’un état de stress et de fatigue.

Cependant, tenant compte du fait que toute l’opération en cause avait pour origine la directive du chef de la police de procéder à des arrestations et que les accusés avaient dès lors clairement agi sous cette pression psychologique, la cour d’appel détermina les peines en prenant en compte le minimum prévu par la loi pénale pour chacun des délits en question.

iii.  L’arrêt de la Cour de cassation

Les accusés, le procureur général près la cour d’appel de Gênes, le ministère de l’Intérieur (responsable civil) et certaines des victimes se pourvurent en cassation contre l’arrêt d’appel ; le requérant et d’autres victimes se constituèrent parties dans la procédure.

Par l’arrêt no38085/12 du 5 juillet 2012, déposé le 2 octobre 2012, la Cour de cassation confirma pour l’essentiel l’arrêt entrepris, déclarant toutefois prescrit le délit de lésions aggravées pour lequel dix accusés et neuf accusés avaient été condamnés respectivement en première et en deuxième instance (paragraphe 49 et 60 ci-dessus).

Dans les motifs de son arrêt (71 pages sur 186 au total), la Cour de cassation se pencha tout d’abord sur l’exception de constitutionnalité de l’article 157 du code pénal, en matière de prescription des infractions pénales, soulevée par le procureur général sur le terrain de l’article 3 de la Convention et, par ricochet, de l’article 117, premier alinéa, de la Constitution. Elle observa que – comme les décisions de première et de deuxième instance l’auraient constaté et comme, d’ailleurs, cela n’aurait jamais été contesté – « les violences perpétrées par la police au cours de leur irruption dans l’école Diaz-Pertini [avaient] été d’une gravité inhabituelle ». La « gravité absolue » aurait tenu à ce que ces violences généralisées, commises dans tous les locaux de l’école, s’étaient déchaînées contre des personnes à l’évidence désarmées, endormies ou assises les mains en l’air ; il s’agissait donc de « violences injustifiées et, comme l’aurait souligné à juste titre par le procureur général, [exercées dans] un but punitif, un but de représailles, visant à provoquer l’humiliation et la souffrance physique et morale des victimes ». Ces violences, d’après la Cour de cassation, pouvaient relever de la « torture » aux termes de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou bien des « traitements inhumains ou dégradants » aux termes de l’article 3 de la Convention.

La Cour de cassation releva que, en l’absence d’une infraction pénale ad hoc dans l’ordre juridique italien, les violences en cause avaient été poursuivies au titre des délits de lésions corporelles simples ou aggravées, lesquels, en application de l’article 157 du code pénal, avaient fait l’objet d’un non-lieu pour cause de prescription au cours de la procédure. Elle nota que c’était la raison pour laquelle le procureur général avait dénoncé la contradiction entre la réglementation de la prescription des infractions pénales prévue par l’article 157 du code pénal – dans la mesure où cette disposition ne compterait pas les mauvais traitements aux termes de l’article 3 de la Convention parmi les délits imprescriptibles – et l’article 3 de la Convention qui, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, entraînerait l’obligation de sanctionner de façon adéquate les mauvais traitements et ferait dès lors obstacle à la prescription des délits ou de l’action pénale en la matière.

La Cour de cassation estima, cependant, qu’un changement des règles de la prescription, tel qu’envisagé par le procureur général, échappait aux pouvoirs de la Cour constitutionnelle, au motif que, selon l’article 25 de la Constitution italienne, seule la loi pouvait établir les infractions et les sanctions pénales.

S’agissant des condamnations pour délits de lésions corporelles, la Cour de cassation, après avoir rappelé les faits ayant précédé l’irruption litigieuse de la police (paragraphes 25-30 ci-dessus), estima logique la constatation de la cour d’appel selon laquelle la directive du chef de la police de procéder à des arrestations aurait entraîné, dès l’origine, la « militarisation » de l’opération de perquisition que la police était censée réaliser dans l’école. Pour la Cour de cassation, le nombre très élevé d’agents, le défaut d’instructions quant aux alternatives à un assaut au gaz lacrymogène contre l’école (paragraphe 29 ci-dessus) et l’absence de toute directive concernant l’utilisation de la force contre les occupants montraient, parmi d’autres éléments, que cette opération n’avait pas été conçue comme une perquisition inoffensive. Ces modalités opérationnelles auraient entraîné le passage à tabac de presque tous les occupants de l’école, d’où la confirmation de la responsabilité, entre autres, des fonctionnaires à la tête du VII Nucleo antisommossa. D’abord, ceux-ci n’auraient fourni aucune indication sur la manière de « sécuriser » le bâtiment et n’auraient jamais informé les agents de la possible présence de personnes inoffensives ; en outre, ils n’auraient pas empêché l’agression contre des personnes qui se trouvaient à l’extérieur du bâtiment, l’irruption violente dans l’école et l’assaut contre les occupants du lieu. En conclusion, comme la cour d’appel l’aurait jugé à raison, ces fonctionnaires auraient été conscients que la violence était concomitante de ce type d’opération.

La Cour de cassation nota que, cependant, même les délits de lésions corporelles aggravées avaient été prescrits le 3 août 2010 par le jeu des délais, des critères de calcul et des interruptions procédurales prévues par les articles 157 et suivants du code pénal, tels que modifiés par la loi no 251 du 5 décembre 2005.

La Cour de cassation confirma, en outre, les conclusions de l’arrêt d’appel quant aux délits de faux, de calomnie et de port abusif d’armes de guerre commis, dans le cadre d’une « opération scélérate de mystification », pour justifier a posteriori les violences perpétrées dans l’école et l’arrestation des occupants. Elle releva, d’une part, que les occupants de l’école n’avaient pas opposé de résistance, ni avant l’enfoncement de la porte d’entrée ni à l’intérieur des locaux, et, d’autre part, que les occupants n’étaient pas en possession de cocktails molotov, ceux-ci ayant été introduits dans l’école par la police depuis l’extérieur. Aussi la Cour de cassation conclut-elle au caractère fallacieux des rapports de police qui attestaient le contraire et au caractère calomnieux de l’accusation d’association de malfaiteurs formulée contre les occupants. Quant aux conclusions de l’arrêt d’appel concernant l’agression au couteau prétendument subie par un agent, la Cour de cassation se limita à préciser la peine prononcée contre deux agents condamnés de ce fait pour faux (trois ans et cinq mois, comme indiqué dans la motivation de l’arrêt d’appel, au lieu de trois ans et huit mois, comme indiqué dans le dispositif). Enfin, elle prononça une peine de trois ans et trois mois contre un condamné pour délit de faux, du fait de la prescription du délit de lésions corporelles aggravées et de l’inapplicabilité en découlant du critère de calcul prévu par l’article 81 du code pénal en raison du caractère continu des délits.

b)  Sur les événements de l’école Pascoli

En ce qui concerne l’école Pascoli, les chefs d’accusation retenus furent essentiellement les délits de perquisition arbitraire et de dommages matériels.

Par le jugement no 4252/08, le tribunal de Gênes considéra l’irruption des forces de l’ordre comme étant la conséquence d’une erreur dans l’identification du bâtiment à perquisitionner. Il établit en outre qu’il n’y avait pas de preuves certaines permettant de conclure que les accusés avaient effectivement commis dans l’école Pascoli les dégâts dénoncés.

Dans son arrêt no 1530/10, la cour d’appel de Gênes estima, au contraire, que l’irruption des forces de l’ordre avait été volontaire, visant à supprimer toute preuve filmée de l’irruption qui était en train de se dérouler dans l’école Diaz-Pertini. De dommages volontaires il s’agit également pour la destruction des ordinateurs des avocats. La cour d’appel prononça toutefois un non-lieu à l’égard du fonctionnaire de police accusé pour cause de prescription des délits litigieux.

Par arrêt no 38085/12, la Cour de cassation confirma cette décision. Elle releva que la cour d’appel avait pleinement motivé ses conclusions en relevant que la police avait accompli, dans l’école Pascoli, une perquisition arbitraire dont le but était la recherche et la destruction de tout document concernant les événements de l’école Diaz-Pertini.

7.  L’enquête parlementaire d’information

Le 2 août 2001, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat décidèrent qu’une enquête d’information (indagine conoscitiva) sur les faits survenus lors du G8 de Gênes serait menée par les commissions des Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs. Le 20 septembre 2001, la commission déposa un rapport contenant les conclusions de sa majorité, intitulé « Rapport final de l’enquête parlementaire sur les faits survenus lors du G8 de Gênes ». D’après ce rapport, la perquisition dans l’école Diaz-Pertini « appar[aissait] comme étant peut-être l’exemple le plus significatif de carences organisationnelles et de dysfonctionnements opérationnels ».

B.  Le droit international, le droit et la pratique internes pertinents

Le droit international, le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Cestaro c. Italie (no 6884/11, § 87-121, 7 avril 2015).

GRIEFS

Dans la requête no 12131/13, les requérants se plaignent :

a) sur le terrain de l’article 3 de la Convention, d’avoir été soumis à des actes de torture et à des traitements inhumains et dégradants pendant l’irruption menée par les forces de l’ordre à l’intérieur de l’école
Diaz-Pertini ;

b) sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention, conjointement ou séparément, de l’absence d’une enquête effective. En particulier, ils dénoncent le défaut, dans la législation pénale italienne, du délit punissant la torture et les traitements inhumains et dégradants, ainsi que l’application de la prescription et de la remise de peine, prévue par la loi no 241/2006, aux délits moins graves pour lesquels les responsables des mauvais traitements ont été poursuivis.

Dans la requête no 43390/13, les requérants se plaignent :

a)  sur le terrain de l’article 3 de la Convention, d’avoir été soumis à des actes de torture et à des traitements inhumains et dégradants pendant l’irruption menée par les forces de l’ordre à l’intérieur de l’école Diaz‑Pertini ;

b)  sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention, conjointement ou séparément, du défaut d’identification de la plupart des auteurs des vexations, conséquence de l’absence de coopération des forces de l’ordre au cours de la procédure ;

c)  sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention, conjointement ou séparément, de l’absence d’une enquête effective. Ceci en raison du manque de coopération des forces de l’ordre et de l’absence, dans la législation pénale italienne, d’un délit punissant la torture et les traitements inhumains et dégradants. En outre, les requérants dénoncent le fait que les responsables des mauvais traitements n’ont été poursuivis que pour des délits moins graves, dont la plupart prescrits au cours de la procédure pénale. Condamnés à des peines légères, ils ont en outre bénéficié de la remise de peine prévue par la loi no 241/2006. Les requérants allèguent que ces mêmes personnes n’ont fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire, certaines ayant même obtenu des promotions ;

d)  de l’absence d’un recours effectif susceptible de leur permettre de dénoncer les mauvais traitements auxquels ils ont été soumis.

e) sur le terrain de l’article 5 § 2 de la Convention, du défaut de communication dans le plus court délai et, le cas échéant, en présence d’un interprète, des raisons de leur arrestation et de toute accusation portée contre eux ;

f)  sur le terrain des articles 9, 10 et 11 de la Convention, de la violation de leurs libertés en réaction à leur participation aux manifestations du G8 ;

g)  invoquant l’article 14 combiné avec les articles 3, 9, 10 et 11 de la Convention, du fait que les vexations subies constitueraient une forme de représailles pour leur opinions politiques.


QUESTIONS GÉNÉRALES

1.  Les requérants ont-t-ils été soumis, en violation de l’article 3 de la Convention, à la torture et/ou à des traitements inhumains ou dégradants ? En particulier, les mauvais traitements allégués par les requérants et constatés par les juridictions internes, s’analysent-t-ils en torture ou en traitement inhumain et dégradant, aux termes de l’article 3 (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 91-105, CEDH 1999‑V ; Dedovski et autres c. Russie, no7178/03, §§ 81-85, CEDH 2008 (extraits) ; Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 87-93, CEDH 2010 ; Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 171‑190, 7 avril 2015) ?

2.  L’organisation et la détermination des modalités opérationnelles de la perquisition de l’école Diaz-Pertini étaient-elles conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention ?

3.  Compte tenu de la protection procédurale contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants et au droit à un recours effectif en la matière, l’enquête menée en l’espèce par les autorités internes a-t-elle satisfait aux exigences des articles 3 et 13 de la Convention (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 133-137, CEDH 2004‑IV (extraits), Gäfgen précité, §§ 115-130 ; Cestaro précité, § 236) ?

4.  La législation pénale italienne dans son ensemble, y compris la règlementation relative à la prescription, garantit-elle une sanction adéquate de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, aux termes de l’article 3 (Gäfgen précité, §§ 117) ?

QUESTION SPÉCIFIQUE

Quelles mesures disciplinaires ont été, le cas échéant, adoptées à l’égard des agents des forces de l’ordre accusés des délits commis pendant l’irruption dans l’école Diaz-Pertini ? Quelle a été l’évolution de leur carrière, pendant et après la conclusion de la procédure pénale à leur encontre ?


ANNEXE

No

No de requête

Date d’introduction

Nom du requérant

Date de naissance

Lieu de résidence

Représentant

Griefs soulevés

  1.  

12131/13

03/01/2013

Sara

BARTESAGHI GALLO

07/05/1980

Paris (France)

Nicola Anne

DOHERTY

24/07/1974

Londres (Royaume Uni)

Ian

GALLOWAY

21/03/1975

Philadelphie (États Unis)

Richard Robert

MOTH

09/11/1968

Londres (Royaume Uni)

Achim

NATHRATH

31/12/1969

Munich (Allemagne)

Theresa TREIBER

09/08/1967

Munich (Allemagne)

Anna Katharina

ZEUNER

04/09/1978

Berlin (Allemagne)

Avv. Nicolò PAOLETTI

Avv. Gilberto

PAGANI

Avv. Dario

ROSSI

Art. 3 - torture et traitements inhumains et dégradants ;

Arts 3 et 13 - absence d’une enquête effective.

  1.  

43390/13

30/03/2013

Daniel Thomas ALBRECHT

09/11/1979

Berlin (Allemagne)

Laura

JAEGER

15/02/1981

Barcelona (Espagne)

Aitor

BALBAS RUIZ

09/10/1970

Pamplona (Espagne)

Matteo BERTOLA

04/07/1977

Lecco (Italie)

Valeria

BRUSCHI

26/02/1975

Berlin (Allemagne)

Michal

CHMIELEWSKI

25/10/1975

Dublin (Irlande)

Benjamin

COELLE

03/02/1980

Stuttgart (Allemagne)

Simona

DIGENTI

09/03/1980

Rumlang (Suisse)

Rosana

ALLUEVA FORTEA

16/09/1980

Monreal Del Campo

(Espagne)

Michael

GIESER

12/11/1965

Mondorf-Les-Bains

(Luxembourg)

Yasar Suna

GOL

16/05/1965

Hoelstein (Suisse)

Lorenzo

GUADAGNUCCI PANCIOLI

03/12/1963

Florence (Italie)

Jens

HERMANN

13/10/1972

Berlin (Allemagne)

Holger KRESS

25/07/1979

Teubingen (Allemagne)

Anna Julia

KUTSCHKAU

23/06/1980

Berlin (Allemagne)

Francisco Javier MADRAZO SANZ

03/12/1973

Saragosse (Espagne)

Felix Pablo MARQUELLO

05/11/1965

Saragosse (Espagne)

Niels

MARTENSEN

08/01/1977

Hambourg (Allemagne)

Ana

MARTINEZ FERRER

20/10/1975

Tarazona (Espagne)

Guillermo Paz

MASSO

28/09/1976

Saragosse (Espagne)

Christian MIRRA

14/06/1977

Santander (Espagne)

David

MORET FERNDANDEZ

07/11/1971

Lleida (Espagne)

Francho Chavier NOGUERAS CORRAL

14/02/1965

Saragosse (Espagne)

Kathrin

OTTOVAY

09/11/1978

Berlin (Allemagne)

Vito

PERRONE

20/12/1977

Foggia (Italie)

Rafael

POLLOK

03/01/1976

Bremenn (Allemagne)

Federico

PRIMOSIG

28/12/1978

Rome (Italie)

Benito Francisco Javier SAMPERIZ

14/05/1976

Saragosse (Espagne)

Steffen SIBLER

31/01/1978

Berlin (Allemagne)

Jose Luis

HERAS SICILIA

17/11/1959

Saragosse (Espagne)

Jonas SZABO

24/09/1980

Berlin (Allemagne)

Dolores

HERRERO VILLAMOR

31/01/1937

Bremen (Allemagne)

Guillermina

ZAPATERO GARCIA

09/03/1974

Madrid (Espagne)

Sebastian

ZEHATSCHEK

23/01/1981

Neu-Ulm (Allemagne)

Lena

ZUHLKE

14/02/1977

Hambourg (Allemagne)

Avv. Valerio ONIDA

Avv. Barbara

RANDAZZO

Avv. Laura

TARTARINI

Avv. Francesco

VIGANO’

Art. 3 - torture et traitements inhumains et dégradants ;

Art. 3 – défaut d’identification des auteurs des vexations ;

Arts 3 et 13 - absence d’une enquête effective ;

Art. 5 § 2 - absence d’informations sur les raisons de l’arrestation ;

Arts 9, 10 et 11 - violation de la liberté d’avoir des convictions, de la liberté d’expression et de la liberté de réunion ;

Article 14 combiné avec les articles 3, 9, 10, 11 - victimes de violences en raison de leurs opinions politiques.


[1] Arrêt Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, CEDH 2011 ; Arrêt Cestaro c. Italie,
no 6884/11, 7 avril 2015 ; Rapport final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes du 20 septembre 2001 ; jugement no 4252/08 du tribunal de Gênes, rendu le 13 novembre 2008 et déposé le 11 février 2009 ; arrêt no 1530/10 de la cour d’appel de Gênes, rendu le 18 mai 2010 et déposé le 31 juillet 2010 ; arrêt no 38085/12 de la Cour de cassation, rendu le 5 juillet 2012 et déposé le 2 octobre 2012.

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. CODE PENAL
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CEDH, BARTESAGHI GALLO ET AUTRES c. ITALIE et 1 autre affaire, 10 novembre 2015, 12131/13;43390/13