CEDH, Y c. FRANCE, 8 juillet 2020, 76888/17

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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www.revuedlf.com · 5 janvier 2021

Par Benjamin Moron-Puech, Enseignant-chercheur au laboratoire de sociologie juridique, Université Panthéon-Assas 0.1. Il n'est sans doute pas très commun pour une revue d'accepter la publication d'un amicus curiae,autrement dit d'une tierce intervention, tant ce type de document paraît éloigné de ceux qui mériteraient l'attention d'une communauté scientifique, prompte à valoriser les travaux de réflexion théorique[1]. Pourtant, à l'heure où se multiplient la publication de monographies ou d'articles universitaires réécrivant des jugements[2], est-il vraiment si incongru de considérer …

 

CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 76888/17, 33470/18, 43979/17, 30352/11, 74530/17, 59435/17, 9634/17, 45197/14, 34684/13, 39232/17, …

 

www.revuedlf.com

Par Benjamin Moron-Puech, Professeur à l'Université Lumière Lyon 2 0.1. Dans le prolongement d'un texte paru dans cette revue il y a plus d'un an, le lectorat trouvera ci-après les observations sur l'affaire M c. France (no 42821/18) que l'auteur a adressées à la Cour européenne des droits de l'homme le 26 février 2021, au nom de la Fédération Internationale des Droits Humains, de la Ligue des Droits de l'Homme et de l'association Alter Corpus.8 0.2. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l'homme va être amenée à se prononcer sur la pratique médicale dite de conformation …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 8 juill. 2020, n° 76888/17
Numéro(s) : 76888/17
Type de document : Affaire communiquée
Organisation mentionnée :
  • Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-204284
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Sur les parties

Texte intégral

Communiquée le 8 juillet 2020

Publié le 27 juillet 2020

CINQUIÈME SECTION

Requête no 76888/17
Y contre la France
introduite le 31 octobre 2017

EXPOSÉ DES FAITS

Le requérant est un ressortissant français né en 1951 et résidant à Strasbourg. Il est représenté devant la Cour par Me M. Petkova, avocate exerçant à Paris.

  1. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est intersexué. Il précise que l’intersexuation est l’état des personnes qui présentent une mixité de leurs caractères sexués primaires et secondaires et qui ne peuvent être classées ni dans la catégorie « masculin » ni dans la catégorie « féminin ».

Il expose qu’à l’instar des autres personnes intersexuées, le processus de différentiation sexuée ne s’est pas opéré in utero, et qu’il était impossible de déterminer à sa naissance s’il était garçon ou fille.

Il produit des certificats médicaux dont il ressort que sa situation biologique intersexuée était établie dès ses premiers jours et qu’elle n’avait pas évolué lorsque, alors qu’il avait 63 ans, il a initié la procédure interne décrite ci-dessous.

À sa naissance, devant être obligatoirement rattaché à un sexe administratif dans un délai de trois jours, ses parents l’ont déclaré comme étant un garçon. Son acte de naissance porte donc la mention « sexe masculin ».

Le requérant indique que, malgré son assignation administrative dans un sexe « masculin », il a gardé une identité de genre intersexuée, ni homme, ni femme. Il produit des attestations qui témoignent du fait qu’il est socialement reconnu comme tel.

Le requérant est marié. Son épouse et lui ont adopté un enfant.

  1. Le jugement du président du tribunal de grande instance de Tours du 20 août 2015

Par une requête du 12 janvier 2015, le requérant demanda au procureur de la République près de tribunal de grande instance de Tours de saisir le président du cette juridiction afin qu’il remplace sur son acte de naissance la mention « sexe masculin » par la mention « sexe neutre » ou, à défaut, « intersexe ».

Le président du tribunal de grande instance de Tour donna gain de cause au requérant par un jugement du 20 août 2015 ainsi rédigé :

« (...) En fait

(...) il résulte de l’ensemble des pièces versées aux débats que [le requérant] « a présenté une ambiguïté sexuelle à la naissance » selon les termes du certificat médical établi par le Dr [V.] le 22 avril 2014.

Ce certificat précise que [le requérant] présente un « hypogonadisme avec impubérisme », à savoir une perte des fonctions reproductives et plus particulièrement des testicules et des ovaires (absence de gonade) et une absence du développement sexuel : ses organes génitaux ont conservé à l’âge adulte tout à la fois des aspects féminins (mention d’un « vagin rudimentaire » par le Dr [R.]) et masculins (« micro-pénis » selon le Dr [V.]). Il n’a produit aucune hormone sexuelle, que ce soit de nature masculine (testostérone) ou féminine (œstrogène). Le Professeur [R.] évoque une « disposition intersexuée », et une « intersexualité manifeste au niveau des organes génitaux externes ».

Du point de vue psychique, [le requérant] exprime l’impossibilité avant laquelle il se trouve de se définir sexuellement et revendique une identité intersexuée. [Suit la description des témoignages du frère du requérant, d’un de ses amis, de son thérapeute et de son épouse.]

Aussi force est de constater que ni les médecins, ni l’entourage [du requérant], pas plus que lui-même, ne peuvent affirmer que le sexe masculin que l’officier d’état civil a mentionné à sa naissance corresponde à une réalité quelconque, pas plus d’ailleurs que ne l’aurait été le sexe féminin, ni que l’une ou l’autre ne correspondait à son identité profonde, qui doit primer sur toute autre définition, notamment chromosomique. Tout démontre en l’espèce (et sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une expertise tant il apparaît que la question relève aujourd’hui de la sphère du droit plutôt que de celle de la médecine qui a fait suffisamment part de son incertitude sur la situation [du requérant]) l’impossibilité de définir le sexe [du requérant] d’un point de vue génital, hormonal et surtout psychologique, alors que toute la jurisprudence, notamment en matière de transsexualisme, a fait primer cet aspect de l’identité sexuée sur tout autre.

En droit

L’article 57 du code civil (...) indique que « l’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de naissance, le sexe de l’enfant ».

Cette disposition n’a d’autre but que de faire recueillir, sur la foi d’une simple déclaration, par les officiers d’état civil, les renseignements nécessaires à l’accomplissement de leur mission, ces renseignements ne valant que jusqu’à preuve du contraire devant le président du tribunal de grande instance qui ordonne leur éventuelle rectification sur le fondement de l’article 99 du code civil. Ce dernier est notamment compétent en matière d’erreur sur le sexe de l’enfant.

S’agissant plus spécifiquement de la mention du sexe, la mise en œuvre par les officiers d’état civil de l’article 57 du code civil suppose nécessairement que le sexe de l’enfant puisse être déterminé, ce qui n’est pas toujours le cas comme le reconnaît expressément l’article 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil, reprenant les dispositions de l’instruction générale relative à l’état civil publiée au journal officiel du 28 juillet 1999, puisque ce texte autorise que ne soit indiquée dans l’acte de naissance aucune mention sur le sexe de l’enfant « si dans certains cas exceptionnels le médecin estime ne pouvoir immédiatement donner aucune indication sur le sexe probable d’un nouveau-né ». La circulaire subordonne également cette dérogation, et de manière étonnante, à l’hypothèse où « le sexe peut être déterminé définitivement dans le délai d’un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés », sans évoquer la possibilité où le sexe de l’intéressé ne pourrait jamais être déterminé, ce qui est précisément le cas où se place [le requérant]. On peut donc parler à cet égard de vide juridique et rien ne s’oppose en droit interne à ce que la demande de ce dernier soit accueillie favorablement.

En effet, le sexe qui a été assigné [au requérant] à sa naissance apparaît comme une pure fiction, qui lui aura été imposée pendant toute son existence sans que jamais il n’ait pu exprimer son sentiment profond, ce qui contrevient aux dispositions de l’article 8 alinéa 1er de la Convention (...), qui prime sur tout autre disposition du droit interne, et qui prévoit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée ». À cet égard, la Cour (...) a rappelé dans un arrêt récent du 10 mars 2015 «  avoir déjà souligné à de multiples reprises que la notion de vie privée est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Cette notion recouvre l’intégrité physique et morale de la personne, mais elle englobe parfois des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu. Des éléments tels que par exemple l’identité sexuelle (...) relèvent de la sphère personnelle protégée par l’article 8 de la Convention (...). La Cour considère que la notion d’autonomie personnel reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 » [arrêt Y.Y. c. Turquie, no 14793/08, §§ 56-57, CEDH 2015 (extraits)].

Par ailleurs, la demande [du requérant] ne se heurte à aucun obstacle juridique afférent à l’ordre public, dans la mesure où la rareté avérée de la situation dans laquelle il se trouve ne remet pas en cause la notion ancestrale de binaritré des sexes, ne s’agissant aucunement dans l’esprit du juge de voir reconnaître l’existence d’un quelconque « troisième sexe », ce qui dépasserait sa compétence, mais de prendre simplement acte de l’impossibilité de rattacher en l’espèce l’intéressé à tel ou tel sexe et de constater que la mention qui figure sur son acte de naissance est simplement erronée.

C’est pourquoi conviendra-t-il d’ordonner que soit substitué dans son acte de naissance à la mention «  de sexe masculin », la mention «  sexe : neutre », qui peut se définir comme n’appartenant à aucun des genres masculin ou féminin, préférable à « intersexe » qui conduit à une catégorisation qu’il convient d’éviter (ne s’agissant pas de reconnaître un nouveau genre) et qui apparaît plus stigmatisante (...) ».

  1. L’arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 22 mars 2016

Saisie par la procureure générale près le tribunal de grande instance de Tours, la cour d’appel d’Orléans infirma le jugement du 20 août 2015 par un arrêt du 22 mars 2016. L’arrêt souligne notamment ce qui suit :

 « (...) Attendu qu’aux termes de l’article 57 du code civil, l’acte de naissance énoncera (...) le sexe de l’enfant (...),

Attendu (...) [que le requérant] présente indiscutablement et aujourd’hui encore une ambiguïté sexuelle (...),

Attendu que [le requérant] a été déclaré à l’état civil comme appartenant au sexe masculin,

Attendu que, si le principe d’indisponibilité de l’état des personnes conduit à ce que les éléments de l’état civil soient imposés à la personne, le principe du respect de la vie privée conduit à admettre des exceptions,

Que tel doit être le cas lorsqu’une personne présente, comme [le requérant], une variation du développement sexuel,

Qu’en effet, dans une telle situation la composition génétique (génotype) ne correspond pas à l’apparence physique (phénotype), qui elle-même ne peut pas toujours être clairement associée au sexe féminin ou au sexe masculin,

Que dès lors, l’assignation de la personne, à sa naissance, à une des deux catégories sexuelles, en contradiction avec les constatations médicales qui ne permettent pas de déterminer le sexe de façon univoque, fait encourir le risque d’une contrariété entre cette assignation et l’identité sexuelle vécue à l’âge adulte,

Attendu qu’en considération de la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales dans la mise en œuvre des obligations qui leur incombent au titre de l’article 8 de la Convention (...), il doit être recherché un juste équilibre entre la protection de l’état des personnes qui est d’ordre public et le respect de la vie privée des personnes présentant une variation du développement sexuel,

Que ce juste équilibre conduit à leur permettre d’obtenir, soit que leur état civil ne mentionne aucune catégorie sexuelle, soit que soit modifié le sexe qui leur a été assigné, dès lors qu’il n’est pas en correspondance avec leur apparence physique et leur comportement social,

Attendu qu’en l’espèce [le requérant] présente une apparence physique masculine, qu’il s’est marié en 1993 et que son épouse et lui ont adopté un enfant,

Attendu qu’il demande la substitution de la mention « sexe neutre » ou « intersexe » à la mention « sexe masculin »,

Attendu que cette demande, en contradiction avec son apparence physique et son comportement social, ne peut être accueillie,

Attendu qu’au surplus, en l’état des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, il n’est pas envisagé la possibilité de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d’état civil une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin, même en cas d’ambiguïté sexuelle,

Qu’admettre la requête [du requérant] reviendrait à reconnaître, sous couvert d’une simple rectification d’état civil, l’existence d’une autre catégorie sexuelle, allant au-delà du pouvoir d’interprétation de la norme du juge judiciaire et dont la création relève de la seule appréciation du législateur,

Que cette reconnaissance pose en effet une question de société qui soulève des questions biologiques, morales ou éthiques délicates alors que les personnes présentant une variation du développement sexuel doivent être protégées pendant leur minorité de stigmatisations, y compris de celles que pourrait susciter leur assignation dans une nouvelle catégorie (...) ».

  1. L’arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2017

Le 4 mai 2017, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant par un arrêt ainsi motivé :

« (...) attendu que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ;

Et attendu que, si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention (...), la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ;

Que la cour d’appel, qui a constaté que [le requérant] avait, aux yeux des tiers, l’apparence et le comportement social d’une personne de sexe masculin, conformément à l’indication portée dans son acte de naissance, a pu en déduire, sans être tenue de le suivre dans le détail de son argumentation, que l’atteinte au droit au respect de sa vie privée n’était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi (...) ».

  1. Le droit et la pratique internes pertinents

L’article 57 du code civil est libellé comme il suit :

« L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille, suivi le cas échéant de la mention de la déclaration conjointe de ses parents quant au choix effectué, ainsi que les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. (...) »

À l’époque des faits de la cause, l’article 99 du code civil était ainsi rédigé :

« La rectification des actes de l’état civil est ordonnée par le président du tribunal.

La rectification des jugements déclaratifs ou supplétifs d’actes de l’état civil est ordonnée par le tribunal.

La requête en rectification peut être présentée par toute personne intéressée ou par le procureur de la République ; celui-ci est tenu d’agir d’office quand l’erreur ou l’omission porte sur une indication essentielle de l’acte ou de la décision qui en tient lieu.

Le procureur de la République territorialement compétent peut procéder à la rectification administrative des erreurs et omissions purement matérielles des actes de l’état civil ; à cet effet, il donne directement les instructions utiles aux dépositaires des registres ».

Le paragraphe 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 sur les règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation est ainsi formulé :

« 55. Sexe de l’enfant

Lorsque le sexe d’un nouveau-né est incertain, il convient d’éviter de porter l’indication de « sexe indéterminé » dans son acte de naissance. Il y a lieu de conseiller aux parents de se renseigner auprès de leur médecin pour savoir quel est le sexe qui apparaît le plus probable compte tenu, le cas échéant, des résultats prévisibles d’un traitement médical. Ce sexe sera indiqué dans l’acte, l’indication sera, le cas échéant, rectifiée judiciairement par la suite en cas d’erreur.

Si, dans certains cas exceptionnels, le médecin estime ne pouvoir immédiatement donner aucune indication sur le sexe probable d’un nouveau-né, mais si ce sexe peut être déterminé, définitivement, dans un délai d’un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés, il pourrait être admis, avec l’accord du procureur de la République, qu’aucune mention sur le sexe de l’enfant ne soit initialement inscrite dans l’acte de naissance. Dans une telle hypothèse, il convient de prendre toutes mesures utiles pour que, par la suite, l’acte de naissance puisse être effectivement complété par décision judiciaire.

Dans tous les cas d’ambiguïté sexuelle, il doit être conseillé aux parents de choisir pour l’enfant un prénom pouvant être porté par une fille ou par un garçon. »

  1. Documents internationaux pertinents
    1. Dans le cadre du Conseil de l’Europe

a)      Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

Dans un document thématique intitulé « droits de l’homme et personnes intersexes » (juin 2015), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a notamment souligné ce qui suit (les notes de bas de page ne sont pas incluses) :

« (...) Recommandations du Commissaire

(...) 4. Les États membres devraient faciliter la reconnaissance des personnes intersexes devant la loi en leur délivrant rapidement des actes de naissance, des documents d’état civil, des papiers d’identité, des passeports et autres documents personnels officiels tout en respectant le droit de ces personnes à l’autodétermination. L’assignation et le changement de sexe/genre dans les documents officiels devraient être effectués selon des procédures souples et offrir la possibilité de ne pas choisir un marqueur de genre spécifié, « masculin » ou « féminin ». Les États membres devraient examiner la nécessité d’indiquer le genre dans les documents officiels.

(...) 1.1. Qui sont les personnes intersexes ?

(...) Il importe de bien faire la différence entre personnes intersexes et personnes transgenres.

On qualifie d’intersexes les personnes qui, compte tenu de leur sexe chromosomique, gonadique ou anatomique, n’entrent pas dans la classification établie par les normes médicales des corps dits masculins et féminins. Ces spécificités se manifestent, par exemple, au niveau des caractéristiques sexuelles secondaires comme la masse musculaire, la pilosité et la stature, ou des caractéristiques sexuelles primaires telles que les organes génitaux internes et externes, et/ou la structure chromosomique et hormonale.

(...) Fondamentalement, en raison des opérations chirurgicales et autres interventions médicales de changement de sexe, les personnes intersexes sont privées de leur droit à l’intégrité physique, et, en décidant à leur place, on leur refuse la capacité à construire leur propre identité de genre (...).

Un autre problème grave concerne la non-visibilité des personnes intersexes dans la société. De fait, celles-ci vivent souvent dans le secret et la honte, fréquemment aussi parce qu’elles n’ont pas connaissance des opérations chirurgicales et des traitements auxquels elles ont été soumises pendant leur enfance. L’accès aux dossiers médicaux est généralement rendu très difficile, de même que l’accès à leur histoire personnelle, notamment aux photos de leur jeunesse et autres souvenirs. Il arrive en outre que les personnes intersexes diagnostiquées comme telles plus tard dans leur vie subissent les mêmes traitements invasifs – sans leur consentement libre et éclairé – que ceux administrés aux personnes intersexes identifiées au cours de leur enfance.

Une peur intense d’être stigmatisées et exclues socialement empêche la plupart des personnes intersexes de « sortir du placard », même lorsqu’elles prennent pleinement conscience de leur sexe. De plus, pour une large part, la société ignore encore leur existence car le public ne reçoit quasiment aucune information sur ce sujet. Ainsi, pendant des années, les problèmes de droits de l’homme relatifs au bien-être des personnes intersexes sont restés inconnus ou ont été délibérément ignorés. Mise en avant il y a peu de temps, seulement dans plusieurs enceintes de défense des droits fondamentaux, la souffrance de ces personnes doit encore être reconnue comme un problème urgent par la communauté des droits de l’homme dans son ensemble (...).

1.2. Diversité des personnes intersexes

Il est important de ne pas regrouper les personnes intersexes dans une nouvelle catégorie collective, « le troisième sexe » par exemple, qui existerait parallèlement aux hommes et aux femmes. En effet, compte tenu de la grande diversité des personnes intersexes et du fait que nombre d’entre elles s’identifient comme des femmes ou des hommes, tandis que d’autres considèrent qu’elles ne sont ni l’un ni l’autre ou encore qu’elles sont les deux à la fois, une telle classification serait incorrecte. En fait, le qualificatif « intersexe » n’est pas un type en soi, mais plutôt un terme générique qui regroupe l’ensemble des personnes présentant des « variations des caractéristiques sexuelles ». Cette diversité n’est pas spécifique aux personnes intersexes : on rencontre aussi – et cela n’a rien d’étonnant – tout un ensemble de variations de l’anatomie sexuelle chez des hommes et des femmes qui, par ailleurs, répondent aux normes médicales de leurs catégories respectives.

Le terme « hermaphrodite » était très utilisé par les médecins aux XVIIIe et XIXe siècles, avant que le terme « intersexe » ne soit inventé au début du XXe siècle à des fins scientifiques et médicales. Avant l’invention de la classification médicale actuelle appelée « troubles du développement sexuel » (DSD – disorders of sex development), les variations des caractéristiques sexuelles des personnes intersexes étaient classées en plusieurs catégories, les plus courantes étant l’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), le syndrome d’insensibilité aux androgènes (SIA), la dysgénésie gonadique, l’hypospadias et les schémas chromosomiques inhabituels comme XXY (syndrome de Klinefelter) ou XO (syndrome de Turner). Les « vrais hermaphrodites » désignaient les personnes possédant à la fois des ovaires et des testicules (...).

1.3. État des connaissances

La base de connaissances en matière de droits de l’homme sur les questions touchant les personnes intersexes présente encore des lacunes. À ce jour, on ne dispose que de peu d’informations sur la situation juridique et sociale de ces personnes dans de nombreux pays européens et dans le reste du monde. Il n’est donc pas surprenant que la première résolution intégrant la question de l’intersexuation, qui fut adoptée au sein du Conseil de l’Europe, invitait les États membres à « entreprendre des recherches complémentaires afin d’augmenter les connaissances de la situation spécifique des personnes intersexuées ».

(...) le genre d’une personne ne se constitue pas nécessairement de façon conforme au sexe qui lui a été assigné. Dans le cas des personnes intersexes, on estime que l’erreur d’assignation du sexe varie entre 8,5 et 40 %. Ces enfants finissent par rejeter le sexe qui leur a été assigné à la naissance, preuve d’une atteinte majeure à leur intégrité psychologique (...) ».

b)     Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

Le 12 octobre 2017, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une résolution intitulée « promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes » (2191 (2017)), dans laquelle elle souligne ce qui suit :

« 1. Les personnes intersexes naissent avec des caractéristiques sexuelles biologiques qui ne correspondent pas aux normes sociétales ou aux définitions médicales de ce qui fait qu’une personne est de sexe masculin ou féminin. Parfois, ces caractéristiques sont détectées à la naissance ; dans d’autres cas, elles ne deviennent apparentes que plus tard au cours de la vie, notamment au moment de la puberté. (...)

4. Bien que l’on assiste à une prise de conscience croissante de ces questions, des efforts concertés restent nécessaires pour sensibiliser le grand public à la situation et aux droits des personnes intersexes, afin qu’elles soient pleinement acceptées au sein de la société, sans stigmatisation ni discrimination.

5. L’Assemblée souligne l’importance de veiller à assurer que la loi ne crée ni ne perpétue des obstacles à l’égalité pour les personnes intersexes. Pour cela, il faut notamment faire en sorte que les personnes intersexes qui ne s’identifient pas en tant que personne de sexe masculin ou féminin bénéficient de la reconnaissance juridique de leur identité de genre, et que, dans les cas où leur genre n’a pas été correctement enregistré à la naissance, la procédure de rectification du genre soit simple et fondée uniquement sur le principe de l’autodétermination, comme le prévoit la Résolution 2048 (2015) de l’Assemblée sur la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe. Des modifications de la législation antidiscrimination pourraient également être nécessaires pour couvrir efficacement la situation des personnes intersexes.

(...) 7. (...) l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe :

(...) 7.3. en ce qui concerne l’état civil et la reconnaissance juridique du genre :

7.3.1. à garantir que les lois et les pratiques relatives à l’enregistrement des naissances, en particulier à l’enregistrement du sexe des nouveau-nés, respectent dûment le droit à la vie privée en laissant une latitude suffisante pour prendre en compte la situation des enfants intersexes sans contraindre les parents ni les professionnels de santé à révéler inutilement le statut intersexe d’un enfant ;

7.3.2. à simplifier les procédures de reconnaissance juridique du genre conformément aux recommandations adoptées par l’Assemblée dans sa Résolution 2048 (2015) et à veiller en particulier à ce que ces procédures soient rapides, transparentes et accessibles à tous sur la base du droit à l’autodétermination ;

7.3.3. lorsque les pouvoirs publics recourent à des classifications en matière de genre, à veiller à ce qu’il existe un ensemble d’options pour tous, y compris pour les personnes intersexes qui ne s’identifient ni comme homme ni comme femme ;

7.3.4. à envisager de rendre facultatif pour tous l’enregistrement du sexe sur les certificats de naissance et autres documents d’identité ;

7.3.5. à veiller, conformément au droit au respect de la vie privée, à ce que les personnes intersexes ne soient pas privées de la possibilité de conclure un partenariat civil ou un mariage, ou de rester dans une telle relation après la reconnaissance juridique de leur genre (...) ».

  1. Dans le cadre de l’Union Européenne

a)      Conseil de l’Union Européenne

Le 24 juin 2013, le Conseil de l’Union Européenne a adopté des « lignes directrices visant à promouvoir et garantir le respect de tous les droits fondamentaux des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) », qui soulignent notamment ceci :

« (...) 8. L’UE est parfaitement consciente du fait que la promotion des droits fondamentaux fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre est de nature à susciter des discussions sensibles dans de nombreuses régions du monde, y compris au sein de l’UE. Toutefois, en s’appuyant sur les dispositions internationales et sur son propre cadre législatif en la matière, l’UE est déterminée à faire progresser les droits fondamentaux des personnes LGBTI de façon significative et en œuvrant avec respect. Pour ce faire, elle tiendra compte des réalités locales dans lesquelles les défenseurs des droits de l’homme doivent mener leur combat (...).

Définitions pratiques

(...) Le terme intersexuation désigne des ambiguïtés anatomiques où les organes génitaux sont difficiles à définir comme mâles ou comme femelles selon les standards culturels habituels, et comprend des différences aux niveaux des chromosomes, gonades et organes génitaux (...)

20. Posséder des documents d’identité appropriés constitue une condition préalable nécessaire à l’exercice réel de nombreux droits fondamentaux. Les personnes transgenres qui ne possèdent pas de documents d’identité mentionnant leur sexe préféré risquent de ce fait d’être exposées à des traitements arbitraires et à des discriminations de la part d’individus ou d’institutions. Dans certains pays, aucune disposition n’est prévue en ce qui concerne la reconnaissance juridique du sexe préféré ; dans d’autres, les exigences en matière de reconnaissance juridique du sexe peuvent être excessives : il peut notamment être obligatoire de fournir une preuve de stérilité ou d’infertilité, de la chirurgie à l’origine du changement de sexe, du traitement hormonal ou un diagnostic de santé mentale ou d’attester d’avoir vécu pendant une période de temps déterminée dans le sexe préféré (ce que l’on appelle l’ « expérience vécue ») (...) ».

b)     Parlement européenne

Le 14 février 2019, le parlement européen a adopté une résolution sur les droits des personnes intersexuées (2018/2878(RSP)), dont les extraits pertinents sont les suivants :

«  (...) Le Parlement européen (...)

J. considérant que certaines personnes intersexuées ne s’identifieront pas au genre qui leur est attribué d’un point de vue médical à la naissance ; qu’une reconnaissance juridique du genre fondée sur l’autodétermination n’est possible que dans six États membres ; que de nombreux États membres exigent toujours la stérilisation lors de la procédure de reconnaissance juridique du genre ;

(...) Documents d’identité

9. souligne l’importance de procédures souples de déclaration à la naissance ; salue les lois adoptées dans certains États membres qui autorisent la reconnaissance juridique du genre sur la base de l’autodétermination ; encourage les autres États membres à adopter une législation similaire, comprenant des procédures souples pour changer les marqueurs de genre, pour autant qu’ils continuent d’être déclarés, et les noms sur les actes de naissance et les documents d’identité (y compris la possibilité de noms neutres du point de vue du genre) (...) ».

  1. Dans le cadre de l’Organisation des Nations unies

Le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a publié une note d’information intitulée « intersexe » qui indique notamment ce qui suit :

« Que signifie « intersexe »?

Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins.

Le terme intersexe s’emploie pour décrire une large gamme de variations naturelles du corps. Celles-ci peuvent être apparentes à la naissance ou seulement à la puberté. Certaines variations intersexes chromosomiques peuvent ne présenter aucun signe extérieur.

D’après les experts, entre 0,05 % et 1,7 % de la population mondiale naît avec des caractères intersexués, le haut de la fourchette étant comparable à la proportion de personnes aux cheveux roux.

Être intersexe concerne les caractères du sexe biologique et ne désigne ni l’orientation sexuelle ni l’identité de genre. Les personnes intersexes peuvent être hétérosexuelles, gays, lesbiennes, bisexuelles ou asexuées, et s’identifier comme femme, homme, les deux ou ni l’un ni l’autre.

Parce que leur corps est considéré comme différent, les enfants et adultes intersexes sont souvent stigmatisés et subissent de multiples violations de leurs droits humains, tels que les droits à la santé, à l’intégrité physique, à l’égalité et à la non-discrimination et le droit à ne pas être soumis à la torture ou à de mauvais traitements (...).

Discrimination

(...) Certaines personnes intersexes se heurtent aussi à des obstacles et à des pratiques discriminatoires lorsqu’elles souhaitent faire modifier la mention du sexe figurant sur leur acte de naissance ou d’autres documents officiels (...).

Mesures à prendre

États :

(...) Adopter des lois qui facilitent les procédures de modification de la mention du sexe sur l’acte de naissance et d’autres documents officiels des personnes intersexes (...) ».

Le 4 mai 2015, le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a publié un rapport intitulé « Discrimination et violence à l’encontre de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre » (A/HRC/29/23) dans lequel il recommande notamment que les États combattent la discrimination :

« (...) i) En établissant, sur demande, des documents d’identité officiels qui indiquent le genre que préfèrent les personnes sans plus exiger des conditions abusives telles que la stérilisation, le traitement forcé ou le divorce (...) ».

GRIEF

Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant, qui est une personne intersexuée, se plaint du rejet de sa demande tendant à ce que la mention « neutre » ou « intersexe » soit inscrite sur son acte de naissance à la place de sexe « masculin ».


QUESTIONS AUX PARTIES

1.  Le requérant est-il fondé à soutenir que le rejet de sa demande tendant à ce que la mention « neutre » soit inscrite sur son acte de naissance à la place de sexe « masculin » est constitutif d’une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de son droit au respect de la vie privée ?

2.  Dans l’affirmative, cette ingérence était-elle prévue par loi, poursuivait-elle un des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention et était-elle nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but ?

3.  Dans la négative, l’obligation positive de l’État défendeur de garantir aux personnes relevant de sa juridiction le droit au respect de leur vie privée comprend-elle celle de donner aux personnes intersexuées telles que le requérant la possibilité de ne pas voir inscrite sur leur acte de naissance la mention « sexe masculin » ou « sexe féminin » ?

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Textes cités dans la décision

  1. Code civil
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CEDH, Y c. FRANCE, 8 juillet 2020, 76888/17