CEDH, Cour (troisième section), EZZOUHDI c. la FRANCE, 12 septembre 2000, 47160/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 12 sept. 2000, n° 47160/99
Numéro(s) : 47160/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 30 mars 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], n° 24645/94, §§ 26, 27, CEDH 1999-I - (18.2.99)
Arrêt Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], n° 24645/94, §§ 26, 27, CEDH 1999-I - (18.2.99)
Arrêt Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87, 88, par. 38
Wloch c. Pologne (déc.), n° 27785/95, (sect. 4), 30.3.2000, non publiée Comm. Eur. D.H. No 12609/86, déc. 8.3.90, D.R. 64, p. 84
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-31399
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2000:0912DEC004716099
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 47160/99
présentée par Saïd EZZOUHDI
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 12 septembre 2000 en une chambre composée de

M.W. Fuhrmann, président,
M.J.-P. Costa,
M.P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
SirNicolas Bratza,
M.K. Traja, juges,

et deMmeS. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 30 mars 1999 et enregistrée le 30 mars 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant est un ressortissant marocain, né en 1970 et résidant à Bourg-en-Bresse.

Il est représenté devant la Cour par Me Marie-Noëlle Frery, avocate au barreau de Lyon.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant vit en France depuis l’âge de cinq ans. Il y a effectué toute sa scolarité (école maternelle de 1975 à 1976 ; école primaire de 1976 à 1981 ; collège de 1982 à 1986). Il a en France toute sa famille (deux frères, deux sœurs et sa mère). Il a depuis 1989 des activités professionnelles régulières en France.

Par jugement du 3 mars 1993, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a condamné le requérant à 2 000 FRF d’amende pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Par arrêt du 25 mai 1995, la cour d’appel de Lyon a condamné le requérant à cinq mois d’emprisonnement pour les infractions de violences et d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique. Par jugements du 28 mars 1997, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a condamné le requérant à des peines de jours-amende pour des faits de dégradations et d’outrage.

Par jugement du 19 septembre 1997, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse l’a condamné à dix-huit mois d’emprisonnement et à l’interdiction définitive du territoire national pour trafic de stupéfiants en état de récidive légale.

Par arrêt du 24 février1998, la cour d’appel de Lyon a condamné le requérant à deux ans d’emprisonnement et a confirmé l’interdiction définitive de territoire national par les motifs que voici :

« Attendu que Saïd EZZOUHDI étant de nationalité marocaine, il y a lieu de prononcer à son égard l’interdiction du territoire national à titre définitif ; qu’il est, en effet, pour les motifs déjà exposés, indispensable de prendre une mesure d’éloignement à l’encontre d’un trafiquant d’héroïne, de cocaïne et de haschich, de nationalité étrangère, dont la présence sur le territoire national constitue une menace grave pour la santé et la sécurité publiques dont chaque Etat se doit d’assurer la sauvegarde lorsque de plus, le comportement de celui-ci démontre un mépris total à l’égard de la législation française et des décisions de justice l’ayant déjà condamné notamment pour les faits de même nature (...) ;

Attendu que si chacun a droit au respect des droits tirés de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales, il appartient aux juridictions, dans les cas prévus par la loi, d’interdire l’accès du territoire français, lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la prévention des infractions pénales et à la santé publique, spécialement celle de la jeunesse menacée par l’héroïne écoulée avec la participation du prévenu ; que dans ces conditions, l’interdiction définitive de territoire français prononcée à son encontre n’apporte pas une atteinte disproportionnée aux droits qu’il tient de l’article 8 de la Convention susvisée ; (...) »

Un pourvoi en cassation a été interjeté le 25 février 1998.

Le 4 mars 1998, le requérant a demandé, par lettre recommandée avec avis de réception, l’aide juridictionnelle au bureau d’aide juridictionnelle de la Cour de cassation, exposant que la mesure d’interdiction définitive de territoire portait atteinte à sa vie familiale. Il n’a pas été informé de la suite réservée à cette demande.

Par arrêt du 24 septembre 1998, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, en l’absence de moyens présentés à son soutien.

Entre-temps, par jugement du 25 février 1998, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a condamné le requérant à trois mois d’emprisonnement pour l’infraction de violation de domicile.

Le 21 décembre 1998, le requérant demanda une assignation à résidence afin de permettre l’examen d’une demande de relèvement de l’interdiction définitive du territoire national. En l’absence de réponse dans les quatre mois, le requérant a introduit un recours en annulation de la décision de rejet implicite devant le tribunal administratif de Lyon. Ce recours est actuellement pendant.

Libéré le 29 mars 1999, le requérant est placé en rétention administrative. A cette même date, le préfet du Rhône a notifié sa décision de renvoi en fixant le Maroc comme pays de destination. Le 30 mars 1999, le requérant aurait refusé d’embarquer dans un avion à destination de son pays d’origine.

Depuis le 30 mars 1999, le requérant réside chez sa mère à Bourg-en-Bresse.

GRIEFS

1.Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de ce que l’interdiction définitive de territoire national prononcée à son encontre a porté atteinte à son droit à la vie privée et à son droit à la vie familiale. Il estime en effet qu’étant donné que cela fait plus de vingt ans qu’il habite en France, que toute sa famille réside sur le territoire français, que la mesure prise à son encontre emporte sa séparation d’avec sa famille. Il a de plus travaillé régulièrement en France jusqu’au jour de sa mise en rétention.

2.Il expose également que la mesure d’interdiction du territoire a porté atteinte à ses droits résultant de l’article 3 de la Convention, sans toutefois faire valoir d’arguments spécifiques à cet égard.

PROCEDURE

La requête a été introduite le 30 mars 1999 et enregistrée le même jour.

Dans sa requête, le requérant invitait la Cour à prendre des mesures provisoires prévues à l’article 39 du règlement de la Cour, afin d’empêcher son renvoi au Maroc.


Le 30 mars 1999, la Cour a décidé de ne pas appliquer l’article 39 de la Convention concernant les mesures provisoires et de porter la requête à la connaissance du Gouvernement. Elle a en outre décidé de traiter l’affaire en priorité, conformément à l’article 41 de son règlement.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 27 juillet 1999 et le requérant y a répondu le 23 septembre 1999.

EN DROIT

1.Le requérant fait valoir que la mesure d’interdiction définitive du territoire national prise à son encontre rend impossible la poursuite de sa vie privée et de sa vie familiale. Il expose que tous ses liens familiaux se trouvent en France et qu’il n’a pas d’attache avec son pays d’origine, dont il ne parle même pas la langue. Il se plaint d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Le Gouvernement soulève d’abord une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il a fait valoir, d’une part, que le requérant bien qu’ayant formé un pourvoi en cassation, celui-ci n’était assorti d’aucun moyen de cassation tiré notamment de la violation de l’article 8 de la Convention et, d’autre part, que le requérant n’a pas formulé de requête en relèvement de l’interdiction du territoire national.

Le requérant a, pour sa part, exposé qu’il ne s’est jamais vu notifier le bénéfice d’une décision d’aide juridictionnelle et la désignation d’un avocat auprès de la Cour de cassation pour l’assister dans son pourvoi.

Concernant la demande en relèvement de l’interdiction définitive du territoire français, le requérant expose que cette demande est soumise à des conditions qui rendent impossible pour son cas l’examen d’une telle demande. Il faut, en effet, une demande d’assignation à résidence, qui lui a été refusée implicitement. Il en conclut que les demandes de relèvement d’interdiction sont très difficiles d’accès et demande d’écarter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

La Cour constate qu’il n’apparaît pas que le bureau d’aide juridictionnelle de la Cour de cassation ait donné suite à la demande faite par le requérant, qui se fondait sur l’atteinte à l’article 8 de la Convention portée par l’interdiction définitive de territoire pour le pourvoi en cassation contre le jugement du 19 septembre 1997. Dans ces conditions, elle considère que l’on ne saurait reprocher au requérant, qui a tenté de saisir la Cour de cassation de la question du respect de la Convention, de ne pas avoir présenté de moyen au soutien de son pourvoi.

Quant à l’introduction d’une demande en relèvement, la Cour rappelle que la condition de l’épuisement des voies de recours internes impose à un requérant de faire un usage normal des recours « vraisemblablement efficaces et suffisants » pour porter remède à ses griefs (voir, entre autres, requête no 27785/95, décision Włoch c. Pologne du 30 mars 2000 (quatrième section), non publiée, et Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], no 24645/94, §§ 26 et 27, à paraître dans CEDH 1999). Dans la mesure où il faut considérer que le requérant a satisfait à la condition de l’épuisement des voies de recours internes en recourant contre le jugement du 19 septembre 1997, on ne saurait exiger de sa part qu’il introduise une procédure en relèvement de la mesure d’interdiction prononcée par le jugement précité (voir mutatis mutandis, Comm. eur. DH, no 12609/86, déc. 8.3.90, DR 64, p. 84), sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de l’efficacité de cette dernière procédure (cf., arrêt Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, pp. 87, 88, § 38).

Dans ces conditions, l’objection du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenue.

Quant au bien-fondé de la requête, le Gouvernement reconnaît, qu’en l’espèce, l’interdiction définitive du territoire dont fait l’objet le requérant constitue une ingérence dans son droit au respect de la vie privée. Il estime toutefois que cette mesure répond aux exigences de l’article 8 § 2 de la Convention, c’est-à-dire que la mesure, prévue par la loi, et qui poursuit un but légitime, est « nécessaire dans une société démocratique ». Le but légitime poursuivi est celui de la défense de l’ordre public, de la prévention des infractions pénales et de la protection de la santé publique ; c’est pour éviter que le requérant ne commette en France d’autres infractions concernant les stupéfiants, pour lesquelles il est déjà en état de récidive légale. Le Gouvernement expose que le requérant a été impliqué dans un trafic de stupéfiants s’étalant sur plusieurs années et il a joué un rôle actif au sein du réseau de trafiquants auquel il appartenait. De plus, le requérant a introduit en France des drogues classées parmi les plus dangereuses. Le Gouvernement estime de plus, que le requérant ne peut se prévaloir d’une vie familiale en France au sens de l’article 8 de la Convention étant donné qu’il est célibataire et sans enfants et que les liens avec ses frères et sœurs et sa mère ne témoignent par eux-mêmes d’aucun rapport de dépendance.

Le requérant conteste l’appréciation du Gouvernement. Il explique d’abord qu’il a été scolarisé en France de 1975 à 1986, qu’il a travaillé en qualité d’ouvrier sur différents chantiers et que, depuis 1989, il a travaillé régulièrement en tant qu’intérimaire, ce qui ne correspond pas au train de vie d’un trafiquant de drogue notoire. Il relève ensuite que, bien qu’ayant été condamné dans le cadre de la récidive pour achat et détention de produits stupéfiants, il n’a fait que consommer lui-même les stupéfiants qu’il a achetés et qu’il n’apparaît pas qu’il ait jamais fait partie d’un trafic de stupéfiants important. Selon le requérant, il n’y a donc aucune atteinte à la sécurité et à la santé publique au sens où l’entend le Gouvernement.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de son examen, mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention concernant la violation de l’article 8 de la Convention.


2.De l’avis de la Cour, les faits de la cause ne permettent pas de conclure que la mesure d’interdiction, ou son éventuelle mise en œuvre, ferait subir au requérant des souffrances d’une intensité correspondant aux notions de traitement « inhumain » ou « dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention.

Il s’ensuit que cet aspect de la requête est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant tiré de la violation de l’article 8 de la Convention ;

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.

S. DolléW. Fuhrmann
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (troisième section), EZZOUHDI c. la FRANCE, 12 septembre 2000, 47160/99