CEDH, Cour (troisième section), N.M. c. la FRANCE, 14 novembre 2000, 48453/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 14 nov. 2000, n° 48453/99
Numéro(s) : 48453/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 28 mai 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, § 65
Arrêt Boujlifa c. France du 21 octobre 1997, Recueil 1997-VI, § 28
Arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, §§ 34, 36
Arrêt Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 34
Arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, § 48
Arrêt Miailhe c. France du 25 février 1993, série A n° 256-C, p. 87, § 27
Arrêt Vernillo c. France du 20 février 1991, série A n° 198, pp. 11-12, § 27
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-31685
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2000:1114DEC004845399
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 48453/99
présentée par N.M.
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 14 novembre 2000 en une chambre composée de

M.L. Loucaides, président,
M.J.-P. Costa,
M.P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
MmeH.S. Greve,
M.M. Ugrekhelidze, juges,

et deMmeS. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 28 mai 1999 et enregistrée le 31 mai 1999,

Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour et le fait que cette mesure provisoire a été adoptée,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant est un ressortissant algérien, né à Décines-Charpieu (Rhône) en 1960 et domicilié à Décines-Charpieu.

Il est représenté devant la Cour par Me Alain Couderc, avocat au barreau de Lyon.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est né en France et est l’aîné d’une famille de 10 enfants. Etant mineur au moment de l’indépendance de l’Algérie le 3 juillet 1962, il relevait, après celle-ci, de l’article 2 de l’ordonnance du 21 juillet 1962 qui soumettait à l’accomplissement, par son père, d’une formalité de déclaration recognitive de nationalité française, afin de conserver la nationalité de son pays natal. Cette formalité n’ayant pas été accomplie, le requérant perdit la nationalité française. Ses frères et sœurs ont tous la nationalité française, étant nés en France après 1963 de parents eux-mêmes nés en France, dans les départements français d’Algérie, en 1934 et 1943.

Le 28 août 1980, le requérant, qui accomplissait ses obligations militaires en Algérie (de juillet 1980 à août 1982), fit l’objet d’un premier arrêté d’expulsion sur base de procès-verbaux dressés pour extorsion de fonds, menaces sous conditions, vol à la roulotte (en 1977) et d’un avertissement du délégué de la police du fait de deux tentatives de vol (en 1980), faits qui n’ont cependant pas donné lieu à des condamnations. Cette mesure fut rapportée en juillet 1982.

Le requérant revint en France en décembre 1982.

Le 28 février 1984, le requérant fut condamné à six mois d’emprisonnement pour tentative de vol par effraction et, le 8 juillet 1986, à deux ans d’emprisonnement pour vol par effraction, tentative de vol aggravé et recel.

Remis en liberté le 1er avril 1987, le requérant fit, le 9 novembre 1987, l’objet d’un arrêté d’expulsion, malgré un avis défavorable de la commission d’expulsion du 15 septembre 1987. Le 26 mai 1989, l’arrêté d’expulsion du 9 novembre 1987 fut assorti d’une assignation à résidence, compte tenu de l’ancienneté de son séjour en France et de ses attaches familiales.

Le 20 novembre 1990, le tribunal correctionnel de Lyon condamna le requérant à six mois d’emprisonnement pour recel.

Le 29 octobre 1991, le tribunal de grande instance de Lyon condamna le requérant à trois ans d’emprisonnement et à l’interdiction définitive du territoire pour infraction à la législation sur les stupéfiants (héroïne et haschisch). Par arrêt du 7 avril 1992, la cour d’appel de Lyon confirma la peine d’emprisonnement, mais réforma la décision d’interdiction du territoire, au motif que le requérant résidait en France depuis sa naissance et n’était pas impliqué dans la fabrication et l’importation de drogue ou dans le blanchiment de l’argent provenant du trafic.

Le 28 juillet 1992, le requérant est devenu père d’une enfant, de nationalité française, née de son union avec sa concubine française.

Le 4 février 1993, le requérant fut mis en garde contre les conséquences d’éventuels nouveaux actes délictueux.

Le 4 février 1998, le requérant fut condamné à quatre ans de détention, dont un avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans, par le tribunal correctionnel de Lyon pour violences et agression sexuelle sur sa concubine.

A la suite de la condamnation intervenue le 4 février 1998, l’arrêté d’assignation à résidence fut abrogé par une décision du 15 février 1999, notifiée le 23 février 1999.

Le 31 mai 1999, le requérant fut informé que le préfet du Rhône envisageait de mettre en exécution l’arrêté d’expulsion du 9 novembre 1987 à destination du pays dont il avait la nationalité, l’Algérie. Il fut aussi mis en mesure de présenter des observations à cet égard, ce qu’il fit. Il souligna qu’il était né en France, le seul pays qu’il connaissait et où il avait toute sa famille, et qu’il était père d’une enfant de nationalité française.

Le 1er juin 1999, le requérant, qui avait purgé la condamnation prononcée le 4 février 1998, fut placé en rétention administrative en application de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, aux fins d’exécution de la décision d’expulsion. Le même jour, le préfet du Rhône prit un arrêté fixant l’Algérie comme pays de renvoi.

Le 3 juin 1999, le juge délégué du tribunal de grande instance de Lyon fut appelé à statuer sur le maintien de la rétention administrative, l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée prévoyant automatiquement sa saisine après l’échéance d’un délai de quarante-huit heures prenant cours au moment de la décision de placement en rétention. Par une ordonnance du même jour, le juge délégué refusa le maintien en rétention et ordonna la mise en liberté du requérant, ce qui fut fait.

Le 7 juin 1999, le premier président de la cour d’appel de Lyon, statuant en appel, réforma l’ordonnance et ordonna le placement en rétention administrative du requérant, en vue d’assurer l’exécution de la mesure d’expulsion. Selon les dernières information fournies en septembre 2000, le requérant est toujours en liberté sur le territoire français, où il circule sous couvert d’une simple convocation renouvelée de mois en mois.

Entre-temps, le requérant avait demandé le 26 mai 1998 au ministre de l’Intérieur de saisir pour avis la commission d’expulsion de sa demande d’abrogation de l’arrêté d’expulsion du 9 novembre 1987. En l’absence de réponse, il introduisit, le 23 octobre 1998, une demande d’annulation du refus implicite d’abrogation de l’arrêté d’expulsion devant le tribunal administratif de Lyon, en se fondant sur ses attaches sociales et familiales en France. Par arrêt du 7 juin 2000, le tribunal administratif a annulé le refus implicite d’abrogation de l’arrêté d’expulsion par le ministre de l’Intérieur. Il motiva cette décision en ces termes :

« Considérant que M. M., de nationalité algérienne, a toujours vécu en France depuis sa naissance en 1960 à DECINES (Rhône) ; que ses parents résident en France ainsi que ses neuf frères et soeurs nés en France et de nationalité française : que M. M. est père d’une enfant de nationalité française née le 28 juillet 1992 sur laquelle il exerce l’autorité parentale conjointe en application d’une ordonnance du tribunal de grande instance de LYON du 20 avril 1993 ; que, sur sa demande, il a bénéficié d’un suivi psychologique de plusieurs mois, en 1997, pour améliorer son comportement ; que M. M. n’a jamais eu de contact avec le pays dont il a la nationalité ; que, dans l’ensemble de ces conditions et nonobstant les faits délictueux dont il s’est rendu coupable, pour lesquels il a été condamné, le 7 avril 1992, à 3 ans de prison, et le 4 février 1998, à 4 ans de prison dont un an avec sursis, M. M. est fondé à soutenir, dans les circonstances de l’espèce, que la décision litigieuse a porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a, ainsi, méconnu les stipulations de l’article 8 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’en conséquence, le rejet implicite de la demande d’abrogation de l’arrêté d’expulsion du 9 novembre 1987 doit être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ; (...) »

Le ministre de l’Intérieur a interjeté appel de cette décision. L’appel est actuellement pendant.

GRIEFS

Invoquant les articles 2, 3, et 8 de la Convention, le requérant soutient que son expulsion vers l’Algérie, pays avec lequel il n’a aucune attache sociale et familiale et dont il ne parle pas la langue, violerait son droit à la vie privée et familiale, car elle le séparerait notamment de sa fille avec laquelle il entretient des relations très régulières et intenses. Il relève aussi les troubles psychiques qui résulteraient de son expulsion, rappelant qu’il a déjà effectué une grève de la faim du 12 janvier au 6 février 1998 et s’est coupé un doigt pour protester contre la mesure d’expulsion dont il fait l’objet. Il rappelle également qu’il circule actuellement en France sous le couvert d’une convocation, renouvelée de mois en mois et qui ne lui ouvre strictement aucuns droits sociaux ni aucune autorisation de travail. Il craint aussi pour sa vie en Algérie, où la terreur règne et où il sera assimilé à un Français par la population et les groupes terroristes.

EN DROIT

Le requérant allègue que son expulsion vers l’Algérie contreviendrait à l’article 8 de la Convention libellée comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de la vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Il estime aussi que l’expulsion en Algérie serait en outre contraire aux articles 2 et 3 de la Convention.

Le Gouvernement soulève tout d’abord une exception de non-épuisement des voies de recours internes qui porte sur un double aspect. Il estime d’abord que le requérant aurait dû contester la décision du 15 février 1999, qui abroge l’assignation à résidence dont il faisait l’objet, devant le tribunal administratif, en demandant une suspension d’exécution de l’arrêté. Il relève ensuite que le recours déposé le 23 octobre 1998 est toujours pendant devant les juridictions administratives. Or, cette voie de recours ne saurait être tenue pour inadéquate au sens de la jurisprudence de la Cour. En conséquence, le Gouvernement considère que toutes les voies de recours internes n’ont pas été épuisées.

Le requérant considère qu’étant donné qu’il avait déjà un recours pendant devant les juridictions internes contre la décision du refus d’abrogation de son arrêté d’expulsion, il n’était pas nécessaire d’intenter d’autres recours qui ne seraient que la répétition d’autres actions qui ont déjà été engagées. Aucun autre élément n’aurait pu être soulevé lors de cette action que ceux que le requérant a déjà soulevé lors de son action précédente. De plus, cette action n’aurait eu aucune efficacité, étant donné que même si il l’aurait accompagné d’une demande en suspension, cela n’aurait pas réparé son dommage en cause, qui concerne l’arrêté d’expulsion, et non l’assignation à résidence. Il estime par ailleurs que la procédure entamée le 23 octobre 1998 ne saurait pas non plus être considérée comme efficace, faute de pouvoir l’assortir d’une demande de suspension.

La Cour rappelle que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (voir notamment l’arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A no 200, § 36). Les Etats n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne, en application du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, § 48 et Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-IV, § 65).

Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir notamment les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A no 198, pp. 11–12, § 27 ; Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil, 1998-I, pp. 87-88, § 38). Dans son appréciation, la Cour doit tenir dûment compte du contexte et appliquer ces principes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (arrêt Cardot précité, p. 18, § 34).

En ce qui concerne l’abrogation de l’assignation à résidence, la Cour constate que, comme l’explique le requérant, les éléments qu’il aurait pu faire valoir dans le cadre d’un recours contre cette décision se confondent avec ceux présentés dans son recours en annulation du refus implicite d’abrogation de l’arrêté d’expulsion. On ne saurait donc lui reprocher de n’avoir pas utilisé une voie de droit qui aurait visé pour l’essentiel le même but et au demeurant n’aurait pas présenté de meilleures chances de succès (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Miailhe c. France du 25 février 1993, série A no 256-C, p. 87, § 27), si l’on excepte la possibilité d’assortir le recours en annulation d’une demande de suspension de la mesure attaquée.

La Cour relève en revanche que, statuant sur le recours en annulation du refus implicite d’abrogation de l’arrêté d’expulsion introduit par le requérant le 23 octobre 1998, le tribunal administratif de Lyon a constaté l’atteinte disproportionnée que cette décision portait au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale. Suite à l’appel du ministre de l’Intérieur, ce recours est toujours pendant. La jurisprudence des diverses juridictions administratives - tribunal administratif, cour administrative d’appel (voir à ce propos C. admin. app. Nancy 2 février 1997, El Rhmani ; C. admin. app. Paris 23 janvier 1997, ministre de l’Intérieur c. M. Hamlaoui) et Conseil d’Etat (voir quant à cette juridiction, arrêt Boujlifa c. France du 21 octobre 1997, Recueil, 1997-VI, § 28 ; CE 4 juillet 1997, époux Bourezak ; CE 17 décembre 1997, préfet de l’Isère c. Arfaoui ; Ce 27 janvier 1997, Majri ; CE 30 octobre 1996, Mme Protière ; CE 30 octobre 1996, Mohammedi) - en matière d’entrée de séjour, l’éloignement du territoire français en la matière démontre l’adéquation et l’effectivité de ce recours que le requérant a emprunté et qui n’a pas encore fait l’objet d’une décision interne définitive. Le seul fait que ce recours ne puisse pas, dans les circonstances de l’espèce, être assorti d’une demande de suspension de la mesure litigieuse dans l’attente de son issue n’est pas de nature à modifier ce constat.

Les griefs du requérant sont en conséquence prématurés et les voies de recours internes n’ont donc pas été épuisées à ce jour, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

S. DolléL. Loucaides
GreffièrePrésident

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