CEDH, Cour (quatrième section), CAMPMANY Y DIEZ DE REVENGA et LOPEZ-GALIACHO PERONA c. l'ESPAGNE, 12 décembre 2000, 54224/00

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 12 déc. 2000, n° 54224/00
Numéro(s) : 54224/00
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2000-XII
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 14 janvier 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt De Haes et Gijsels c. Belgique du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-34, § 37
Arrêt Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 501, § 40
Arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 23, § 49
Arrêt Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A n° 298, p. 26, § 37
Arrêt Prager et Oberschlick c. Autriche du 26 avril 1995, série A n° 313, p. 19, § 38
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-31955
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2000:1212DEC005422400
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 54224/00
présentée par Jaime CAMPMANY y DIEZ de REVENGA et Juan Luís LOPEZ-GALIACHO PERONA
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 12 décembre 2000 en une chambre composée de

MM.G. Ress, président,
A. Pastor Ridruejo,
L. Caflisch,
J. Makarczyk,
I. Cabral Barreto,
MmeN. Vajić,
M.M. Pellonpää, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 14 janvier 2000 et enregistrée le 24 janvier 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Les requérants sont des ressortissants espagnols, nés respectivement en 1925 et 1961 et résidant à Madrid. Ils sont représentés devant la Cour par Me Guillermo Regalado Nores et Manuel Ollé Sese, avocats au barreau de Madrid.

A.  Les circonstances de l’espèce

Le premier requérant est directeur de la revue d’information générale Epoca et représentant légal de la société éditrice de la revue. Le deuxième requérant est journaliste.

Dans son édition du 4 mars 1991, la revue Tribuna se référa dans sa rubrique « L’œil indiscret » à ce qu’un journaliste de cette revue appela « une nouvelle affaire de jupons entre une attractive aristocrate et un banquier de ce pays », ainsi qu’à l’existence de séquences immortalisant la rencontre dans un hôtel madrilène. Plusieurs médias se firent l’écho de cette rumeur sans toutefois identifier les personnes impliquées dans l’information de Tribuna.

Le 12 mars 1991, la journaliste C.H., dans un programme de Radio 4 de Radio nacional de España intitulé « Carmen de nuit », se référant à la rumeur en question avec le directeur du programme, signala la duchesse de M. et E.B. comme étant les protagonistes de « la fameuse romance entre l’aristocrate et le banquier, tous deux mariés avec plein d’enfants » et précisa le nom des conjoints de ces derniers.

Dans son édition du 25 mars 1991, la revue Epoca, dirigée par le premier requérant, publia un article signé par le deuxième requérant concernant cette supposée liaison adultérine. Sur la couverture de la revue apparaissaient des photos des deux personnes mises en cause avec en sous-titre le texte suivant : « Supposée relation entre E.B. et la duchesse de M. ; un nouveau scandale éclate ». Dans le reportage de quatre pages, comprenant deux photos des personnes impliquées dans la supposée liaison ainsi que des photos de leur famille, le deuxième requérant se référa aux rumeurs propagées par les médias sur l’idylle et que les personnes impliquées avaient été identifiées par Radio nacional de España. Il était également fait référence à l’information apparue dans un autre média.

L’article décrivait l’époux de la duchesse de M. comme étant d’aspect débonnaire et bien potelé, connu de ses anciens camarades d’école comme el platillo (la soucoupe). Puis, après avoir nommé les enfants de la duchesse de M. et E.B. ainsi que leurs activités professionnelles, il ajoutait « les liens familiaux font que ce film ressemble aux séries de télévision américaines ». L’article reprenait des propos contenus dans une autre revue, selon lesquels « le nid d’amour élu par le couple mystérieux était un hôtel luxueux de Madrid où le photographe les avait surpris dans deux séquences compromettantes », la première à l’entrée de l’hôtel et la deuxième, lors d’une rencontre romantique dans les couloirs de l’hôtel. Dans le reportage, étaient transcrites certaines chansonnettes paillardes dans lesquelles apparaissaient des femmes, non seulement des courtisanes, mais aussi des duchesses qui finissaient par obtenir le Butin (botín, comme le nom de E.B.) et apprendre aux Philippines les techniques du plaisir, et qui couraient après les banquiers, qui s’en donnaient à cœur joie, leurs qualités leur important peu, l’argent seul les intéressant, c’est-à-dire le Butin (Botín).

Par ailleurs, dans un autre numéro de la revue du 1er avril 1991, un deuxième reportage du deuxième requérant était publié avec pour titre en couverture : « L’énigme du banquier et de l’aristocrate se poursuit ; E.B. et la duchesse de M. démentent toute relation ». Aux pages 12 et 17 apparaissaient deux grandes photographies du couple. Ensuite, l’historique de l’affaire était retracé et il était fait référence à la tentative de saisie de la revue Epoca de la part de E.B. et aux autres actions judiciaires introduites par ce dernier. En outre, la revue précisait qu’en fait, les photos compromettantes n’avaient toujours pas paru.

En raison de ces faits, la duchesse de M. et son époux présentèrent auprès du juge de première instance n° 11 de Madrid une action civile en justice contre les requérants ainsi que contre deux journalistes de Radio nacional de España sur le fondement de la loi organique 1/82 du 5 mai 1982 sur la protection du droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à son image.

Par un jugement contradictoire du 4 décembre 1992, le juge de première instance n° 11 de Madrid accueillit favorablement l’action civile présentée par les demandeurs et estima qu’ils avaient été victimes d’une ingérence illégitime dans le droit à l’honneur et au respect de leur vie privée.

Le juge de première instance motiva son jugement notamment comme suit :

« Trois : L’honneur en tant qu’authentique droit de la personnalité peut être  offensé par des actes ou ingérences (...) entraînant une perte d’estime de la personne par ses concitoyens (aspect objectif) ou bien de l’idée que l’on a de soi-même (aspect subjectif). L’actuelle Constitution lui confère le rang de droit fondamental dans son article 18 et même si l’article 20 de la Loi fondamentale reconnaît et protège la liberté d’expression, cette dernière trouve une limite, en particulier dans le droit à l’honneur, à l’intimité et à son image (...).

(...)

Cinq : l’information de Radio 4 et de la revue Epoca  constitue une intolérable ingérence dans l’honneur des demandeurs qu’il revient aux tribunaux de réparer (...). en fixant les limites des droits d’information et de la liberté d’expression, piliers de toute démocratie. Dans l’exercice de cette tâche délicate, à savoir celle de peser les différentes circonstances en lice ou selon le terme anglo-saxon du  balancing, selon  lequel les différentes circonstances susceptibles de qualification juridique doivent être contrebalancées pour déterminer lequel des  droits en litige doit prévaloir, le droit d’informer ou le droit au respect de l’honneur, de l’intimité ou de l’image d’un tiers (...) la jurisprudence a établi une série de principes devant guider la tâche du juge au moment de considérer comme illicite la conduite des défendeurs.

Six : (...) En ce qui concerne la publication écrite, la représentation des défendeurs liés à la revue  Epoca rétorque habilement que les reportages n’ont fait que transmettre « l’information journalistique » à ses lecteurs, en tant que simples « notaires de l’actualité » créée par d’autres. Cette affirmation, tout en étant vrai puisqu’en substance il n’y rien de leur propre cru dans la revue, ne peut néanmoins justifier la conduite de ces défendeurs car il leur revenait également de procéder de manière diligente à la recherche de la vérité (...) dès lors que les reportages ne se limitaient pas à refléter ce qui avait été propagé par d’autres mais furent publiés sous un aspect de scandale ou de sensationnel.  

Sept : Un détail important, et qui concerne tous les défendeurs, est le fait incontestable que les demandeurs ne sont pas des personnalités publiques qui, ainsi que l’a indiqué le Tribunal constitutionnel, bénéficient d’une protection constitutionnelle réduite par rapport à l’amplitude de la liberté d’informer sur leurs activités ayant un intérêt public ou une utilité sociale. (...) Les demandeurs n’ont pas librement choisi d’avoir la condition de personnalité publique et, s’ils ont une certaine importance sociale, c’est malgré eux, puisqu’il ne ressort pas ni n’a été prouvé qu’ils aient été favorables à une projection publique de leurs vies (...). »

Après avoir examiné dans un autre considérant le contenu des reportages, le juge conclut que « l’usage intentionnellement disproportionné de termes de type scandaleux ou dédaigneux ou encore les insinuations voilées de faits sur lesquels il n’existe pas le moindre indice constituent des pratiques illicites perpétrées clairement par la revue Epoca ».

En conséquence, le juge condamna les requérants à insérer dans la revue  Epoca le texte intégral du jugement prononcé avec les mêmes caractères typographiques que ceux utilisés pour le reportage, dans la même rubrique de la revue avec l’annonce du jugement sur la couverture de la revue. Quant à Radio nacional de España, elle fut condamnée à diffuser le texte du jugement sur ses ondes dans le cadre du même programme. Les requérants ainsi que Radio nacional de España furent également condamnés à réparer le dommage subi par les victimes, selon un montant à déterminer dans la phase d’exécution du jugement, d’après les bases qui s’en dégageaient.

Contre ce jugement, les requérants interjetèrent appel devant l’Audiencia provincial de Madrid qui, par un arrêt du 26 janvier 1996, le rejeta et confirma la décision entreprise.

Le pourvoi en cassation fut rejeté par un arrêt du Tribunal suprême du 24 septembre 1998. Le Tribunal suprême estima que les juges du fond avaient correctement apprécié les faits en litige et n’avaient aucunement enfreint le droit constitutionnel des requérants à communiquer ou donner des informations véridiques. Il ajouta que la liberté d’expression avait pour limite l’obligation d’omettre tout ce qui pouvait être injurieux ou offensant et inutile pour l’exposition des idées, opinions ou jugements de valeur. Or le reportage en question avait recherché le scandale, le sensationnel, sans nulle intention de former une saine opinion publique.

Invoquant les articles 24 (droit à un procès équitable) et 20 (droit à la liberté d’expression et d’information) de la Constitution, les requérants présentèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision du 14 juillet 1999, notifiée aux requérants le 23 juillet 1999, la haute juridiction rejeta le recours pour défaut de fondement. S’agissant du grief tiré de l’article 20 de la Constitution, elle se prononça ainsi :

« (...) Concrètement, en ce qui concerne le dénommé « reportage neutre », ce Tribunal a affirmé dans son arrêt 232/1993, cité par les requérants en amparo que « lorsqu’un moyen de communication divulgue des déclarations d’un tiers supposant une ingérence dans les droits reconnus à l’article 18.1 de la Constitution espagnole, une telle divulgation ne peut bénéficier de la protection découlant de l’article 20.1 de la Constitution espagnole que si, d’une part, la vérité des déclarations attribuées aux tiers sont prouvées et, d’autre part, ces déclarations (...) ont trait à des faits ou circonstances d’importance publique ». En outre, dans l’arrêt 41/1994 (...), il est ajouté expressément qu’« un reportage de type ou  contenu neutre peut cesser de l’être si lui sont attribuées des dimensions informatives contredisant en fait la fonction de simple transmetteur du message » (attendu 4 de l’arrêt). Ainsi donc, l’appréciation des droits constitutionnels en conflit, effectuée dans le présent cas par l’arrêt du Tribunal suprême pour confirmer les jugements rendus par le juge de première instance et l’Audiencia provincial, est conforme à la jurisprudence citée ci-dessus. En effet, ledit arrêt (...) ne nie pas que l’information de la revue Epoca, en tant que transcription de l’information diffusée par Radio nacional, fût formellement protégée par l’exigence de la véracité dans le sens indiqué dans l’arrêt 232/1993. Ce que l’arrêt en question écarte cependant, au moyen d’une appréciation des circonstances de l’affaire absolument raisonnable, est le fait que ladite information possédait également la composante indispensable de l’importance publique la légitimant, en portant sur un aspect aussi intime qu’une supposée relation amoureuse entre deux personnes dont la projection publique, à supposer que celle-ci puisse être considérée comme existante, n’avait jamais porté sur leur vie sentimentale. Cela rend injustifiable (...) la diffusion de certains faits appartenant de la manière la plus stricte à la vie privée des intéressés, le tout illustré par des photographies de ces derniers et leurs parents et décrit à certains moments dans des termes indiscutablement injurieux ou offensants. C’est précisément cette dernière précision effectuée par l’arrêt du Tribunal suprême au sujet de la liberté d’information qui induit également l’organe judiciaire à estimer que le reportage en question avait transgressé les limites de l’exercice légitime de la liberté d’expression (...). Cette appréciation est pleinement conforme à la jurisprudence constitutionnelle applicable en la matière (...). »      

B.  Le droit interne pertinent

Constitution

Article 20

« 1. les droits suivants sont reconnus et protégés :

a) droit d’exprimer et diffuser librement des pensées, idées et opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction ;

(...)

d) droit de communiquer et recevoir librement des informations vraies par tous les moyens de diffusion. (...).

2. L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable.

(...)

4. Ces libertés ont leur limite dans le respect des droits reconnus dans ce Titre, dans les dispositions des lois d’application et particulièrement dans le droit à l’honneur, à la vie privée, à son image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance. »

GRIEF

Invoquant l’article 10 de la Convention, les requérants se plaignent de la violation de leur droit à la liberté d’expression en ce que la condamnation prononcée par les tribunaux espagnols était injustifiée et disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi.

EN DROIT

Les requérants se plaignent de ce que les décisions des juridictions espagnoles ont porté atteinte à leur droit à la liberté d’expression en ce que la condamnation prononcée était injustifiée et disproportionnée par rapport au but poursuivi. Ils invoquent l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

La Cour estime que la condamnation litigieuse s’analyse en une « ingérence» dans l’exercice par les intéressés de leur liberté d’expression. Pareille immixtion enfreint l’article 10, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire », dans une société démocratique, pour atteindre ceux-ci. Les requérants ne contestent pas que cette ingérence était prévue par la loi et visait un but légitime. Reste donc la question de savoir si l’ingérence dénoncée constituait une mesure nécessaire dans une société démocratique.

La Cour rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » (arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 23, § 49, et Jersild c. Danemark du 23 septembre 1994, série A n° 298, p. 26, § 37).

A cet égard, la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, notamment quant à la protection de la réputation et aux droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général (arrêt De Haes et Gijsels c. Belgique du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37). La liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation (arrêt Prager et Oberschlick c. Autriche du 26 avril 1995, série A n° 313, p. 19, § 38).

Par ailleurs, la Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce ce contrôle, de se substituer aux juridictions nationales, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Pour cela, la Cour doit considérer l’« ingérence » litigieuse, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, parmi de nombreux précédents, l’arrêt Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 501, § 40).

Les requérants estiment que la condamnation prononcée par les tribunaux espagnols était injustifiée et disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi et, partant, injustifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 10.

La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tache de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais d’apprécier au regard de l’article 10 de la Convention, les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation.

En l’espèce, la Cour constate que dans son jugement du 4 décembre 1992, le juge de première instance n° 11 de Madrid examina en détail les intérêts en présence en se fondant sur la jurisprudence établie par le Tribunal constitutionnel pour conclure que les reportages litigieux avaient fait un usage intentionnellement disproportionné de termes de type scandaleux ou dédaigneux à l’égard de personnes ne pouvant être taxées d’avoir fait preuve d’une quelconque complaisance quant à la divulgation par la presse d’informations concernant leur vie privée.

La Cour relève également que dans sa décision du 14 juillet 1999, le Tribunal constitutionnel prit soin d’examiner dans le détail les critères à prendre en compte en vue d’une juste appréciation des droits en litige. A cet égard, le Tribunal constitutionnel, se référant à sa jurisprudence, rappela que les informations constituant une ingérence dans les droits d’autrui ne pouvaient bénéficier de la protection découlant de l’article 20 de la Constitution (droit à la liberté d’expression) que si, d’une part, la vérité des déclarations litigieuses était prouvée et si, d’autre part, ces déclarations avaient trait à des faits ou circonstances d’intérêt public. Dans le cas d’espèce, le Tribunal constitutionnel estima que l’information publiée par les requérants ne possédait pas la composante essentielle de l’intérêt public pouvant légitimer sa diffusion dès lors qu’elle se référait à une supposée relation amoureuse entre deux personnes, dont la projection publique, à supposer même que celle-ci puisse être considérée comme existante, n’avait jamais portée sur leur vie sentimentale. En outre, il mit l’accent sur la caractère indiscutablement injurieux ou offensant de termes utilisés dans la description faite par les requérants de certains faits appartenant de manière stricte à la vie privée des personnes mises en cause.

A l’instar des juridictions espagnoles, la Cour estime que les reportages objet du litige, en centrant leur contenu sur des aspects purement privés de la vie des personnes mises en cause, ne sauraient être considérés comme ayant contribué à un quelconque débat d’intérêt général pour la société, malgré la notoriété sociale de ces personnes.  

La Cour considère, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en la matière, que les juridictions espagnoles ont évalué les droits en cause, à savoir le droit à la liberté de communiquer des informations ainsi que la protection de la réputation d'autrui, sur la base de décisions amplement motivées.

La Cour conclut en l'espèce qu'un juste équilibre a été ménagé entre les différents intérêts en présence et que, dès lors, la mesure litigieuse est justifiée comme ayant été nécessaire dans une société démocratique à la protection des droits d'autrui. Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent BergerGeorg Ress
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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