CEDH, Cour (troisième section), OUENDENO c. la FRANCE, 9 janvier 2001, 39996/98

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 9 janv. 2001, n° 39996/98
Numéro(s) : 39996/98
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 7 janvier 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A n° 58, pp. 14-16, §§ 25-29
Arrêt Campbell et Fell c. Royaume-Uni du 28 juin 1984, série A n° 80, pp. 39-40, § 78
Arrêt Delcourt c. Belgique du 12 janvier 1970, série A n° 11, p. 17, § 31
Arrêt Diennet c. France du 26 septembre 1995, série A n° 325-A, pp. 13, 16, 17, §§ 27, 38
Arrêt Imbrioscia c. Suisse du 24 novembre 1993, série A n° 275, pp. 6 et s. § 37
Arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A n° 43, pp. 22, 24, §§ 48, 55
Arrêt Piersack c. Belgique du 1er octobre 1982, série A n° 53, p. 13, § 27
Arrêt Ringeisen c. Autriche du 16 juillet 1971, série A n° 13, p. 40, § 97
Arrêt Sramek c. Autriche du 22 octobre 1984, série A n° 84, pp. 18-20, §§ 38-42
Arrêt Tejedor Garcia c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2796, § 31
Arrêt Van Orshoven c. Belgique du 25 juin 1997, Recueil 1997-III, p. 1051, §§ 40-41
Gautrin et autres c. France du 20 mai 1998, Recueil 1998-III, pp. 1009 et s., § 58 Comm. Eur. D.H. No 32916/96, déc. 2.7.97, D.R. 90-A, pp. 161, 169
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-31869
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0109DEC003999698
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Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 39996/98
présentée par Alexis OUENDENO
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 9 janvier 2001 en une chambre composée de

MM.W. Fuhrmann, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
P. Kūris,
K. Jungwiert
MmeH.S. Greve,
M.M. Ugrekhelidze, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 7 janvier 1998 et enregistrée le 24 février 1998,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant français, né en 1947 et résidant à Vitry‑sur-Seine.

Il a précédemment introduit devant la Commission une requête, sous le numéro 18441/91, relative à une procédure disciplinaire devant l’Ordre des médecins, qui a donné lieu à une résolution du Comité des Ministres (DH (97) 345) du 11 juillet 1997, constatant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence de publicité des débats.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A l’issue de la procédure disciplinaire visée ci-dessus, le requérant se vit infliger, par décision du conseil national de l’Ordre des médecins (ci‑après le conseil national) du 11 avril 1990, la sanction de l’interdiction temporaire de donner des soins aux assurés sociaux pendant une période d’un an.

Ayant continué à recevoir des patients, assurés sociaux, qui se firent rembourser ces prestations par diverses caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) d’Ile-de-France, le requérant fit à nouveau l’objet de poursuites devant la section des assurances sociales du conseil régional de l’Ordre des médecins d’Ile-de-France (ci-après le conseil régional).

Les plaintes des CPAM de l’Essonne (18 septembre 1991), des Hauts‑de‑Seine (19 mars 1992) et des Yvelines (17 décembre 1992) lui faisaient grief d’avoir continué à délivrer des soins à des assurés sociaux alors même qu’il était frappé d’une interdiction temporaire.

Une autre plainte déposée le 9 février 1990 par le médecin-chef de la CPAM de l’Essonne lui reprochait par ailleurs d’avoir prescrit à ses patients des traitements abusifs et dangereux (traitements amaigrissants).

Parallèlement, le tribunal correctionnel d’Evry, devant lequel il était poursuivi pour exercice illégal de la médecine, le relaxa des fins de la poursuite le 15 décembre 1992, au motif « que les faits visés à la procédure d’audience (n’étaient) pas établis à (son) encontre ».

Par décision du 22 novembre 1994, le conseil régional infligea au requérant la sanction de l’interdiction permanente de donner des soins aux assurés sociaux, au motif que les thérapeutiques amaigrissantes qu’il avait prescrites « présentaient dans la plupart des cas un caractère abusif et étaient susceptibles, dans certains cas, de faire courir un danger aux intéressés ». Le conseil régional rejeta, par la même décision, les demandes des CPAM en vue du remboursement par le requérant des sommes qu’elles avaient versées durant sa période d’interdiction temporaire.

Le conseil régional ne fit pas droit, par ailleurs, aux demandes du requérant tendant à l’audition des patients qui avaient continué à le consulter durant sa période d’interdiction temporaire, au motif que la section disposait au dossier « des éléments nécessaires pour statuer en toute connaissance de cause ».

Une lettre recommandée notifiant la décision du conseil régional fut présentée au domicile du requérant le 15 décembre 1994, en son absence. Aucun avis de passage ne fut alors déposé et l’enveloppe fut retournée au conseil régional, avec une mention du préposé des postes précisant que le destinataire n’habitait pas à l’adresse indiquée. Le 5 janvier 1995, une nouvelle notification effectuée à la même adresse fut reçue par le requérant, qui fit appel de la décision le 24 janvier 1995.

Les CPAM des Hauts-de-Seine et de l’Essonne firent également appel, les 10 et 11 janvier 1995.

La section des assurances sociales du conseil national, composée en la circonstance de Mlle le Docteur Cote et de MM. les Docteurs Colson, Guiheneuf, Rousseau, se réunit le 22 novembre 1995 sous la présidence de M. Gazier, conseiller d’Etat honoraire.

La section déclara l’appel du requérant tardif, au motif que « la notification qui lui a(vait) été faite (devait) être regardée comme ayant eu lieu régulièrement à la date à laquelle la lettre recommandée a été présentée, à savoir le 15 décembre 1994 » et que le requérant n’avait donc pas fait appel dans le délai réglementaire de trente jours. Le conseil national confirma la sanction d’interdiction permanente de donner des soins aux assurés sociaux.

Par ailleurs, sur l’appel des CPAM, il infirma la décision du conseil régional et condamna le requérant à rembourser les montants réclamés.

Le 22 mars 1996, le requérant  forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, assorti d’un sursis à exécution.

Le 5 février 1997, le Conseil d’Etat ordonna qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure d’interdiction.

Par arrêt du 12 novembre 1997, la haute juridiction annula la décision du conseil national, au motif que la section des assurances sociales du conseil national avait commis une erreur matérielle en rejetant comme tardif l’appel formé par le requérant, et renvoya l’affaire devant le conseil national pour être à nouveau jugée.

La section des assurances sociales du conseil national, composée en la circonstance de MM. les Docteurs Gay, Mire, Gastaud et Heres, se réunit le 25 novembre 1998 sous la présidence de M. Renauld, conseiller d’Etat honoraire.

Le conseil national confirma la sanction d’interdiction permanente du droit de donner des soins aux assurés sociaux, « eu égard au nombre et à la gravité des infractions commises ainsi qu’au danger des traitements prescrits par (le requérant) ». La date de prise d’effet de cette interdiction fut fixée au 1er janvier 1999.

Le conseil national fit par ailleurs droit aux conclusions des CPAM et mit à la charge du requérant le remboursement des prestations médicales payées aux assurés sociaux durant la période d'interdiction temporaire du requérant.

Ce dernier a formé un nouveau pourvoi en cassation contre cette décision, qui est actuellement pendant devant le Conseil d’Etat.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

Les articles L. 145-1 et suivants, et R 145-4 et suivants du Code de la Sécurité sociale concernent les sections des assurances sociales des conseils régionaux et du conseil national de l’Ordre des médecins.

L’article 145-1 prévoit que les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l’exercice de la profession relevés à l’encontre des médecins « à l’occasion des soins donnés aux assurés sociaux » sont de la compétence, en première instance, de la section des assurances sociales des conseils régionaux et, en appel, de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des médecins.

Ces sections sont distinctes des sections disciplinaires. Les sanctions qu’elles peuvent prononcer sont l’avertissement, le blâme et l’interdiction temporaire ou permanente de donner des soins aux assurés sociaux (article L. 145-2).

Le médecin qui contrevient à l’interdiction de donner des soins doit rembourser aux caisses de sécurité sociale les montants qu’elles auraient été amenées à verser aux patients (article L. 145-3).

Saisine

L’article R. 145-18 du Code de la Sécurité sociale prévoit que les sections des assurances sociales peuvent être saisies par les organismes de sécurité sociale, les syndicats de praticiens, les conseils départementaux de l’Ordre ou les médecins-conseils départementaux, régionaux ou nationaux.

Procédure

Pour ce qui est de la procédure devant les sections des assurances sociales, l’article L. 145-8  prévoit qu’elle est contradictoire.

Composition

La composition des sections des assurances sociales est fixée par les articles L. 145-6 et suivants et R. 145-4 et suivants du Code de la Sécurité sociale. Elle a été modifiée par une ordonnance du 24 avril 1996 et un décret du 6 décembre 1996, entré en vigueur le 1er mars 1997.

Sous l’empire de l’ancienne réglementation, la section des assurances sociales des conseils régionaux, présidée par le président du tribunal administratif ou un conseiller délégué par lui, comprenait en nombre égal des assesseurs membres de l’Ordre des médecins et des assesseurs représentants des organismes de sécurité sociale, dont un médecin-conseil nommé par le préfet de région. La section des assurances sociales du conseil national, présidée par le conseiller d’Etat siégeant à la section disciplinaire, comprenait deux médecins désignés par cette section en son sein, un représentant des caisses de sécurité sociale et un médecin désigné par le ministre chargé de la sécurité sociale sur proposition de la caisse nationale d’assurance maladie.

La nouvelle réglementation prévoit désormais que les sections des assurances sociales, présidées respectivement par un membre du corps des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel nommé par le vice‑président du Conseil d’Etat et par un conseiller d’Etat nommé par le ministre de la justice, comprennent quatre assesseurs, dont deux représentent l’Ordre des médecins et sont choisis en son sein et deux (nommés respectivement par le préfet de région et le ministre chargé de la sécurité sociale) représentent les organismes d’assurance maladie et sont des médecins-conseils. Au niveau régional, il s’agit de médecins-conseils titulaires chargés du contrôle médical dans la région et, au niveau national, de médecins-conseils chefs de service ou régionaux.

Les médecins-conseils relèvent d’un statut fixé par un décret du 24 mai 1969 modifié. Dans ses conclusions sous l’arrêt Trany (voir ci‑dessous), relatif à l’ancien état de la réglementation, le commissaire du Gouvernement,  M.  Schwartz, soulignait notamment :

« Le statut des médecins conseils leur garantit pour le déroulement de leur carrière une totale indépendance à l’égard des caisses. Et ces médecins-conseils constituent le service du contrôle médical (...) lui-même totalement indépendant par rapport aux caisses locales de sécurité sociale. En effet le service est placé sous l’autorité du directeur de la CNAM (caisse nationale d’assurance maladie), établissement public administratif de l’Etat, et du médecin-conseil national assisté de ses deux adjoints. Au niveau régional, le contrôle médical est sous l’autorité du médecin-conseil régional et au niveau local, c’est-à-dire dans la circonscription de la caisse primaire d’assurance maladie, il est dirigé par le praticien conseil, totalement autonome et indépendant par rapport à la caisse. Tant le service du contrôle médical que ses agents sont indépendants par rapport aux caisses de sécurité sociale.

Le service du contrôle médical, dans son fonctionnement, et par le statut de ses agents, est comme le service de l’inspection du travail, un corps autonome. Il intervient sous la responsabilité du ministre et du directeur de la CNAM sans le moindre lien de subordination objectif ou subjectif par rapport aux caisses. D’ailleurs vous l’avez implicitement mais nécessairement affirmé en reconnaissant au médecin‑conseil (...) qualité de partie à des litiges indépendamment des caisses locales requérantes ou défenderesses dans les mêmes instances.

Les médecins-conseils disposent ainsi des garanties juridiques pour exercer en totale indépendance leurs fonctions juridictionnelles au sein des sections d’assurances sociales régionales ou nationale, par rapport à leurs confrères du service local auteur des plaintes. Le seul lien corporatiste ne permet pas de douter de l’impartialité d’un médecin-conseil membre de la juridiction en l’absence de tout lien de subordination des uns vis-à-vis des autres, compte tenu des garanties qui sont statutairement organisées. »

Par ailleurs, les membres des sections des assurances sociales bénéficient d’une inamovibilité de fait pendant leur mandat, dont la durée n’est pas limitée dans le temps.

Jurisprudence du Conseil d’Etat

Dans l’arrêt Trany du 7 janvier 1998 (Gaz. Pal. 24-25 septembre 1999, p. 42), le Conseil d’Etat a retenu la compatibilité avec l’article 6 § 1 de la Convention de la composition de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des médecins (résultant de l’ancienne réglementation), dans les termes suivants :

« Considérant qu’eu égard à la nature des contestations portées devant la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des médecins, aux conditions de désignation des assesseurs ainsi qu’aux modalités d’exercice de leurs fonctions qui les soustraient à toute subordination hiérarchique, les membres de cette juridiction bénéficient de garanties leur permettant de porter, en toute indépendance, une appréciation personnelle sur le comportement professionnel des médecins poursuivis devant la section des assurances sociales ; qu’en outre, les règles générales de procédure s’opposent à ce qu’un membre d’une juridiction administrative puisse participer au jugement d’un recours relatif à une décision dont il est l’auteur et à ce que l’auteur d’une plainte puisse participer au jugement rendu à la suite du dépôt de celle-ci ; qu’il suit de là qu’alors même que les caisses de sécurité sociale et les médecins conseils ont la faculté de saisir, par la voie de l’appel, la section des assurances sociales du conseil national de l’ordre des médecins, M. Trany n’est pas fondé à soutenir que cette section ne satisfait pas à l’exigence d’indépendance et d’impartialité des juridictions rappelée par l’article 6 § 1 de la Convention (...) »

GRIEFS

1. Le requérant estime que sa cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il fait d’abord valoir qu’il été renvoyé devant le même tribunal statuant en appel. Il considère par ailleurs que la présence de médecins‑conseils et d’administrateurs membres de la caisse primaire d’assurance maladie constitue une atteinte à l’indépendance et à l’impartialité que l’on doit attendre d’une telle juridiction.

2. Il considère ensuite que la durée de la procédure dont il a été l’objet devant les juridictions ordinales et administratives a excédé le délai raisonnable prévu à l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Il se plaint également, en invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, de l’atteinte portée à la présomption d’innocence, en tant que la décision de première instance du conseil régional l’a sanctionné, sans que son recours ait un caractère suspensif.

4. Il estime, en outre, que le refus opposé par les instances ordinales à sa demande d’audition de témoins a violé l’article 6 § 3 de la Convention.

5. Il critique également la procédure dont il a été objet au regard de l’article 8 de la Convention, au motif qu’elle ne constituait pas une ingérence nécessaire de l’autorité publique dans sa vie privée.

6. Invoquant le nécessaire respect dû à ses biens, et le préjudice né de la sanction de l’interdiction d’exercer son art, il dénonce au surplus une violation de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.

7. Il soutient également que le renvoi de l’affaire devant le conseil national a violé l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention, dans la mesure où il a été jugé deux fois pour des faits qui ont donné lieu à sa relaxe par le tribunal correctionnel d’Evry.

8. Il allègue enfin diverses violations du droit interne.

EN DROIT

1. Le requérant estime que sa cause n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes sont ainsi rédigées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil  (...) »

Il n’est pas contesté entre les parties que l’article 6 § 1 précité est applicable à la procédure en cause, dont l’enjeu est de continuer à pratiquer la médecine à titre libéral (cf. arrêts Le Compte, Van Leuwen et De Meyere c. Belgique du 23 juin 1981, série A, n° 43, p. 22, § 48 ; Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A n° 58, pp. 14-16, §§ 25-29 ; Diennet c. France du 26 septembre 1995, série A n°  325-A, p. 13, § 27 et Van Orshoven c. Belgique du 25 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, p. 1051, § 40‑41).

a) Le requérant fait tout d’abord valoir qu’il été renvoyé devant le même tribunal statuant en appel.

Le Gouvernement précise que, compte tenu de sa nature et du fait qu’elle est l’unique juge d’appel en la matière, la section des assurances sociales du conseil national fait partie des juridictions devant lesquelles les affaires ayant fait l’objet d’une cassation sont nécessairement renvoyées ; toutefois il ne s’ensuit pas qu’elle comprend les mêmes personnes. En l’espèce, aucun des membres ayant siégé lors du premier appel ne faisait partie de la formation qui a statué après cassation. Rappelant la jurisprudence de la Cour en la matière (notamment les arrêts Ringeisen c. Autriche et Diennet c. France), le Gouvernement conclut que le grief est dénué de fondement.

Le requérant estime que le Conseil d’Etat aurait dû trancher l’affaire, au lieu de la renvoyer devant le même tribunal, qui avait de sérieuses raisons subjectives et objectives de lui en vouloir et ne pouvait de ce fait être impartial.

La Cour n’est pas certaine que le requérant ait épuisé les voies de recours internes sur ce point, puisque son recours est pendant devant le Conseil d’Etat.

En tout état de cause, la Cour rappelle que l’impartialité d’une juridiction s’apprécie suivant une double démarche. La première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde amène à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (arrêt Gautrin et autres c. France du 20 mai 1998, Recueil 1998-III pp. 1009 et s., § 58).

En l’espèce, l’impartialité subjective des membres de la section des assurances sociales du conseil national n’est pas en cause.

Quant à leur impartialité objective et organique, la Cour rappelle qu’« on ne saurait poser en principe général découlant du devoir d’impartialité qu’une juridiction de recours annulant une décision administrative ou judiciaire a l’obligation de renvoyer l’affaire à une autre autorité juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité » (arrêt Ringeisen c. Autriche du 16 juillet 1971, série A n° 13, p. 40, § 97).

Par ailleurs, l’article 11 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif prévoit expressément que, si le Conseil d’Etat renvoie une affaire devant la même juridiction, celle-ci doit statuer dans une autre formation, sauf impossibilité tenant à la nature même de celle-ci.

Dans la présente affaire, il ressort des décisions rendues par le conseil national le 22 novembre 1995 et, sur renvoi, le 25 novembre 1998, que la composition de la section des assurances sociales était entièrement différente lors du deuxième examen de l’affaire. Au surplus, la Cour observe que, lors de l’examen initial de l’appel formé par le requérant, l’affaire n’avait pas été envisagée au fond.

Dès lors, la Cour estime que des garanties objectives suffisantes ont été données au requérant pour exclure tout doute légitime relatif à l’impartialité de la juridiction ordinale et que ses appréhensions ne peuvent passer pour objectivement justifiées (cf. arrêt Diennet précité, pp. 16-17 , § 38).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

b) Le requérant considère par ailleurs que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Le Gouvernement, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour, précise tout d’abord qu’aucun des membres des instances ordinales n’a personnellement participé à la mise en œuvre des poursuites contre le requérant, ni à l’instruction du litige. S’agissant de la composition des sections des assurances sociales, le Gouvernement souligne leur composition paritaire, ainsi que le fait qu’elle sont présidées par un magistrat professionnel, qui rédige en pratique les décisions. En outre, les médecins-conseils et les autres représentants des caisses de sécurité sociale jouissent d’un réel statut d’indépendance et d’une inamovibilité de fait pendant leur mandat, dont la durée n’est pas limitée.

Le Gouvernement en conclut que ce grief est manifestement mal fondé.

Le requérant souligne que, quel que soit le plaignant (médecin-conseil ou administrateur), il s’agit d’un agent de la sécurité sociale, qui se trouve sous l’autorité du ministre chargé de la sécurité sociale. Or, en première instance, les juridictions ordinales comprennent deux représentants de la sécurité sociale et, en appel, un représentant des caisses et un médecin-conseil désigné par le ministre, qui sont tous, eux aussi, placés sous l’autorité de ce dernier. La composition de ces tribunaux les fait donc juges et parties. De ce fait, le requérant considère que l’on peut sérieusement mettre en doute leur impartialité, leur indépendance et leur transparence, qui sont loin de répondre aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour constate tout d’abord que, pour autant que le requérant se plaint de la composition de la juridiction ordinale qui a statué la première fois sur son appel, la décision litigieuse a été cassée par le Conseil d’Etat. Dès lors, dans la mesure où il a obtenu gain de cause, le requérant ne peut plus se prétendre victime, au sens de l’article 34 de la Convention.

Par ailleurs, la Cour observe que la composition des sections des assurances sociales des conseils régionaux et du conseil national de l’Ordre des médecins a été modifiée par le décret du 6 décembre 1996, entré en vigueur le 1er mars 1997. En conséquence, lorsque l’affaire, après cassation, a été jugée le 25 novembre 1998 par la section des assurances sociales, cette dernière ne comprenait, outre le président, que des médecins-conseils.

La Cour n’examinera donc le grief du requérant que pour autant qu’il porte sur la composition de la section des assurances sociales postérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 6 décembre 1996.

Elle rappelle à cet égard la jurisprudence selon laquelle, pour déterminer si un organe peut passer pour indépendant, il faut avoir égard au mode de désignation des membres, à l’existence de garanties contre les pressions extérieures et au point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (cf. notamment arrêt Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, série A n° 11, p. 17, § 31 ; arrêt Le Compte, Van Leuwen et de Meyere précité, p.24, § 55 ; arrêt Piersack c. Belgique du 1er octobre 1982, série A n° 53, p. 13, § 27 ; arrêt Campbell et Fell c. Royaume-Uni du 28 juin 1984, série A n° 80, pp. 39-40, § 78 ; arrêt Sramek c. Autriche du 22 octobre 1984, série A n° 84, pp. 18-20, §§ 38-42).

La Cour relève en premier lieu que la section des assurances sociales du conseil de l’Ordre est, aux termes de la réglementation, une juridiction, et qu’elle est présidée par un conseiller d’Etat nommé par le ministre de la justice. Sa composition est paritaire, puisqu’elle comprend, d’une part, deux médecins représentant l’Ordre des médecins, nommés par le conseil national de l’Ordre parmi ses membres ou anciens membres, et deux médecins‑conseils représentant les organismes d’assurance maladie nommés, par le ministre chargé de la sécurité sociale, parmi les médecins‑chefs de service ou régionaux du régime général et des autres régimes.

La Cour relève que les médecins-conseils bénéficient d’un statut qui fait d’eux un corps autonome, ne dépendant ni pour sa nomination, ni pour son avancement, des caisses de sécurité sociale, avec lesquelles ils n’ont aucun lien de subordination. Selon les conclusions du commissaire du Gouvernement sous l’arrêt Trany (cf. ci-dessus) : « les médecins-conseils disposent ainsi des garanties juridiques pour exercer en totale indépendance leurs fonctions juridictionnelles au sein des sections d’assurances sociales régionales ou nationale, par rapport à leurs confrères du service local auteur des plaintes. Le seul lien corporatiste ne permet pas de douter de l’impartialité d’un médecin-conseil membre de la juridiction en l’absence de tout lien de subordination des uns vis-à-vis des autres, compte tenu des garanties qui sont statutairement organisées ».

La Cour relève en outre que tous les membres de la section des assurances sociales sont inamovibles pendant toute la durée de leur mandat, qui n’est pas limité dans le temps.

Enfin, les décisions de la section des assurances sociales sont soumises au contrôle du Conseil d’Etat en tant que juge de cassation.

Dès lors, la Cour arrive à la conclusion que les doutes du requérant sur l’indépendance de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre des médecins ne sont pas objectivement justifiés (cf. Comm. eur. D.H., n° 32916/96, affaire Miliani c. France, D.R. 90-A, pp. 161, 169).

Ce grief est en conséquence manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

2. Le requérant considère ensuite que la durée de la procédure a excédé le délai raisonnable prévu à l’article 6 § 1 de la Convention.

Le Gouvernement considère que la durée s’explique par la complexité de l’affaire (elle-même due à la multiplicité des faits, des plaignants et au nombre de mémoires (vingt-deux) échangés par les parties) et par le comportement du requérant, qui a produit de nombreux mémoires. Selon lui, l’instruction de l’affaire a été menée par les juridictions aussi promptement que possible.

Le requérant estime, pour sa part, que la procédure a commencé le 5 janvier 1988, date de la première saisine de la juridiction ordinale (voir précédente requête) et souligne en particulier que le Conseil d’Etat aurait dû trancher le problème au lieu de le renvoyer devant le conseil national de l’Ordre. Il considère que l’affaire n’était pas complexe et que son comportement ne justifie pas la durée.

La Cour constate que la procédure a débuté le 9 février 1990 par le dépôt de la plainte du médecin-chef de la CPAM de l’Essonne, et qu’elle est actuellement pendante devant le Conseil d’Etat. Elle a donc duré dix ans et onze mois au jour de l’adoption de la présente décision.

La Cour estime qu’à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, ce grief doit faire l’objet d’un examen au fond.

3. Le requérant se plaint également, en invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, de l’atteinte portée à la présomption d’innocence, en raison de ce que la décision de première instance du conseil régional l’a sanctionné, sans que son recours ait un caractère suspensif.

L’article 6 § 2 de la Convention se lit ainsi :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

La Cour relève que le requérant, dans la procédure objet de la présente requête, n’était pas accusé d’une infraction pénale. Dès lors, il ne saurait utilement invoquer les dispositions de l’article 6 § 2 précité.

Cette partie de la requête est donc incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

4. Le requérant estime, en outre, que le refus opposé par le conseil régional à sa demande d’audition de témoins a violé l’article 6 § 3 de la Convention.

Les dispositions pertinentes de l’article 6 § 3 d) sont ainsi rédigées :

« Tout accusé a droit notamment à (…) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »

Ainsi que la Cour l’a relevé au point 3 ci-dessus, aucune accusation en matière pénale n’était dirigée contre le requérant dans la procédure en cause. Toutefois, dans la mesure où le droit énoncé au paragraphe 3 d) de l’article 6 constitue un élément, parmi d’autres, de la notion de procès équitable contenue au paragraphe 1 (arrêt Imbrioscia c. Suisse du 24 novembre 1993, série A n° 275, pp. 5 et s., § 37), la Cour examinera son grief sous l’angle de cette disposition.

La Cour relève que le manquement reproché au requérant consistait essentiellement dans le fait d’avoir, alors qu’il était frappé d’une interdiction temporaire, continué à donner des soins à des assurés sociaux.

En application de l’article L.145-3 du Code de la sécurité sociale, ce manquement était constitué par le seul fait d’avoir donné des soins à des assurés sociaux et était matérialisé par les demandes de remboursement adressées par ces patients aux caisses primaires d’assurance maladie dont ils relevaient.

Dans ces conditions, l’audition des patients du requérant n’était pas de nature à éclairer les juridictions ordinales. En conséquence, la Cour estime que le conseil régional a valablement motivé son refus de procéder aux auditions demandées, en concluant qu’une telle mesure d’instruction serait sans influence sur l’appréciation des faits reprochés au requérant.

Il en résulte que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

5. Le requérant critique également la sanction d’interdiction permanente de donner des soins aux assurés sociaux au regard de l’article 8 de la Convention, qui se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

 2. Il ne peut y avoir d’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure, qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La Cour estime toutefois que, si la sanction infligée au requérant a pu avoir des conséquences sur sa vie privée, elle ne constitue néanmoins pas une ingérence au sens de l’article 8 précité.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

6. Invoquant le nécessaire respect dû à ses biens, et le préjudice né de la sanction de l’interdiction d’exercer son art, le requérant dénonce au surplus une violation de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention, qui se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A supposer même que le requérant soit titulaire d’un bien au sens de l’article 1 du Protocole 1 précité, la Cour estime que la sanction en cause ne constitue pas une ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens garanti par cette disposition  (cf. point 5 ci-dessus).

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

7. Le requérant soutient également que le renvoi de l’affaire devant le conseil national viole l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention, dans la mesure où il aurait été jugé deux fois pour des faits qui ont donné lieu à sa relaxe par le tribunal correctionnel d’Evry.

L’article 4 § 1 du Protocole n° 7 dispose :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. »

Ces dispositions, qui interdisent le cumul de poursuites pénales diligentées pour les mêmes faits à l’encontre d’un même auteur, n’empêchent en aucun cas le fait, comme en l’espèce, que l’intéressé fasse simultanément l’objet d’une procédure pénale et d’une procédure devant la section des assurances sociales du conseil régional et du conseil national de l’Ordre des médecins, pour le non-respect de textes de nature différente.

Ce grief est donc manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

8.Le requérant allègue enfin diverses violations du droit interne.

La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes et que c’est au premier chef aux autorités nationales et, spécialement, aux cours et tribunaux qu’il incombe d’interpréter le droit interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (cf. arrêt Tejedor García c. Espagne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2796, § 31).

En l’espèce, au vu du dossier, la Cour ne décèle aucune apparence d’arbitraire dans les décisions rendues. Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant la durée de la procédure ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. DolléW. Fuhrmann [Note1]
GreffièrePrésident


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Textes cités dans la décision

  1. Code de la sécurité sociale.
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CEDH, Cour (troisième section), OUENDENO c. la FRANCE, 9 janvier 2001, 39996/98