CEDH, Cour (troisième section), SCHMITT c. la FRANCE, 19 juin 2001, 52118/99

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 19 juin 2001, n° 52118/99
Numéro(s) : 52118/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 28 septembre 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, § 35
Arrêt Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 324548/96, 33209/96, 33210/96, § 150, CEDH 2000-VII - (22.6.00)
Arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, p. 22, § 52
Arrêt Kopp c. Suisse du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 541, § 59
Arrêt Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A n° 140, p. 29, § 45
Arrêt Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97, 44801/98, § 50, CEDH 2001 - (22.3.01)
Arrêt Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A n° 316-B, pp. 71-72, § 37
Arrêt Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, série A n° 307-A, p. 13, § 27
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-32491
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0619DEC005211899
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIEME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 52118/99
présentée par Dominique SCHMITT
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 19 juin 2001 en une chambre composée de

MM.W. Fuhrmann, président,
J.-P. Costa,
P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
SirNicolas Bratza,
M.K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 28 septembre 1999 et enregistrée le 25 octobre 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, administrateur judiciaire, est un ressortissant français né en 1948 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me  Jean-Alain BLANC, avocat à Paris.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

La société Jules ZELL est une entreprise de plomberie, couverture et électricité. Suites à des difficultés financières, elle fut mise en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Bobigny le 7 mai 1991. Le tribunal désigna le requérant comme administrateur judiciaire.

Suite à de multiples opérations d’offres et de cessions croisées qui se sont déroulées entre le 8 juin et le 29 août 1991, l’assesseur du tribunal de commerce et plusieurs de ses membres furent mis en examen pour malversation et complicité de malversation, délit prévu par l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises (qui renvoit à l’article 408 du code pénal pour les peines ; voir droit interne ci-dessous).

Le requérant, mis en examen le 17 février 1993 pour complicité du délit de malversation, ainsi que les autres co-prévenus, furent renvoyés devant le tribunal correctionnel de Nanterre par un arrêt de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Versailles en date du 20 juillet 1994. L’arrêt de renvoi précisa que les chefs d’accusations étaient « prévus et punis par les articles 207 de la loi du 25 janvier 1985, 59, 60 du Code pénal, textes abrogés en vigueur au moment des faits, 121-6, 121-7 et 314-2 du Code pénal ».

Par jugement du 12 mars 1996, le tribunal correctionnel de Nanterre déclara le prévenu principal coupable du délit de malversation et le condamna à deux ans d’emprisonnement avec sursis et une amende d’un million de francs. Le requérant, quant à lui, fut reconnu coupable de complicité du délit de malversation et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et une amende de 300 000 francs.

Auparavant, avait été soulevée une exception d’illégalité des poursuites tirée de ce que le délit de malversation n’existait plus en droit français compte tenu de l’abrogation du texte qui prévoyait les sanctions qui lui étaient applicables. En effet, les prévenus faisaient valoir l’absence de sanction applicable au délit de malversation prévu par l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 entre le 1er mars 1994, date d’entrée en vigueur de la loi du 16 décembre 1992, ayant abrogé l’article 408 ancien du Code pénal, et le 23 octobre 1994, date d’entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994, ayant remplacé dans l’article 207 de la loi précitée la référence à l’article 408 ancien par celle à l’article 314-2 du Code pénal.

Le tribunal répondit à cette exception dans les termes suivants :

« (...) Sur l’élément légal du délit

(...) Selon le prévenu, celui-ci fait défaut en raison de l’abrogation du texte répressif visé par l’article 207, en l’occurrence l’article 408 du code pénal.

Il fait valoir en effet que ledit article a été abrogé en vertu des dispositions de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992 et ce à compter du 1er mars 1994, date d’entrée en vigueur du nouveau code pénal.

Il a fallu attendre la loi du 10 juin 1994 qui, en son article 88, remplace l’article 408 visé dans le 1er alinéa de l’article 207 par l’article 314-2 du code pénal, pour que le législateur répare l’omission de la loi d’adaptation.

[les co-prévenus considèrent que] du fait de l’abrogation de l’article 408 du code pénal, l’élément légal de l’infraction fait défaut (...).

(....) la loi de 1992 n’a, à l’évidence, pas eu pour objet d’abroger spécialement l’article 408 du Code pénal, mais a disposé, en prévision de l’entrée en application du nouveau Code pénal, que la totalité des articles de l’ancien Code était abrogée.

Il n’y a donc pas eu, en l’occurrence, abrogation, même par omission, du délit d’abus de confiance prévu et réprimé par l’article 408 ancien et à compter du 1er mars 1994 par l’article 314-2 du Nouveau Code pénal.

Une telle affirmation est contraire à la jurisprudence unanime qui, après le 1er mars 1994, a sanctionné les infractions commises sous l’empire de l’ancien Code pénal en appliquant les dispositions nouvelles, à la condition qu’elles soient plus douces ce qui est le cas en l’espèce, qu’il s’agisse du délit d’abus de confiance ou de l’ensemble des infractions, dès lors qu’elles subsistaient après cette date.

Le législateur n’ayant, à aucun moment, abrogé le délit de malversation prévu par l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985, il convient de substituer l’article 314-2 à l’article 408 comme texte répressif. C’est du reste la solution retenue par la loi du 10 juin 1994, laquelle, à l’occasion d’une réforme d’ensemble de la loi de 1985, a « toiletté » en ce sens l’article 207. »

Par un arrêt de du 24 septembre 1997, la Cour d’appel de Versailles confirma le jugement. Sur la légalité des poursuites, elle considéra que le défaut de coordination dans la mise en œuvre des textes était avéré mais ajouta ceci :

« Mais considérant que l’article 408 du code pénal abrogé le 1er mars 1994, et l’article 314-2 du code pénal en vigueur depuis cette date,  sanctionnent une infraction dont les éléments constitutifs sont en tous points identiques ; que le premier réprimait en effet l’abus de confiance « commis par une personne faisant appel au public afin d’obtenir, soit pour son propre compte, soit comme directeur, administrateur ou agent d’une société ou d’une entreprise commerciale ou industrielle, la remise de fonds ou de valeurs... 

que le second sanctionne l’abus de confiance réalisé « par une personne qui fait appel au public afin d’obtenir la remise de fonds ou de valeurs, soit pour son propre, soit comme dirigeant ou préposé de droit ou de fait d’une entreprise industrielle ou commerciale ;

que le délit d’abus de confiance par personne faisant appel au public n’a donc pas été abrogé par le législateur ;

qu’il n’apparaît pas dès lors, contrairement aux affirmations de la défense, et sauf à faire une interprétation abusive du principe de la légalité des délits et des peines, qu’il puisse résulter du défaut de coordination des textes susvisés, aucune conséquence, quant à l’applicabilité de l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 aux faits de la cause ;

que, comme le relève le ministère public, la référence dans cet article 207 aux peines de l’article 408 du code pénal puis de celles de l’article 314-2, traduit la volonté constante du législateur de réprimer le délit de malversation des mêmes peines que celles de l’abus de confiance aggravé ; que, dès lors que celui-ci se trouve repris dans des termes exactement identiques, la référence de l’article 207 aux deux textes successifs du code pénal, se trouve en substance inchangée ;

Considérant que le moyen tiré de l’abrogation de la loi pénale et de l’absence d’élément légal fondant les poursuites sera en conséquence rejeté ;

Considérant que par application du principe de la non rétroactivité des lois, il sera fait application en l’espèce des dispositions plus douces de l’article 314-2 1o du code pénal en vigueur depuis le 1er mars 1994 ; (...) »

Par arrêt du 30 juin 1999, la Cour de cassation rejeta le moyen en cassation tiré de la violation de l’article 7 de la Convention dans les termes suivants :

« (...) il se déduit de l’article 207 ancien de la loi du 25 janvier 1985, selon lequel les malversations incriminées par cet article sont punies "des peines prévues par le 2ème alinéa de l’article 408 du code pénal", que le législateur a, quant à la répression, entendu assimiler ces malversations aux faits d’abus de confiance définis par ce second texte ; qu’il s’en suit que les dispositions de l’article 408, alinéa 2, ayant été reprises, à compter du 1er mars 1994, à l’article 314-2 du code pénal, les peines prévues par ce texte ont, dès cette date, été applicables au délit prévu par l’article 207 ».

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

L’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises disposait :

« Est puni des peines prévues par le deuxième alinéa de l’article 408 du code pénal tout administrateur, représentant des créanciers, liquidateur ou commissaire à l’exécution du plan qui :

a porté volontairement atteinte aux intérêts des créanciers ou du débiteur, soit en utilisant à son profit des sommes perçues dans l’accomplissement de sa mission, soit en se faisant attribuer des avantages qu’il savait n’être pas dus,

a fait, dans son intérêt, des pouvoirs dont il disposait, un usage qu’il savait contraire aux intérêts des créanciers ou du débiteur.

Est puni des mêmes peines, tout administrateur, représentant des créanciers, liquidateur, commissaire à l’exécution du plan ou toute autre personne... qui, ayant participé à un titre quelconque à la procédure, se rend acquéreur pour son compte, directement ou indirectement, de biens du débiteur ou les utilise à son profit (...) ».

L’article 207 renvoyait pour les sanctions applicables à l’alinéa 2 de l’article 408 du Code pénal qui disposait :

« Si l’abus de confiance à été commis par une personne faisant appel au public afin d’obtenir, soit pour son propre compte, soit comme directeur, administrateur ou agent d’une société ou d’une entreprise commerciale ou industrielle, la remise de fonds ou valeurs à titre de dépôt, de mandat ou de nantissement, la durée de l’emprisonnement pourra être portée à dix ans et l’amende à cinq millions de francs ».

L’article 408 a été abrogé par l’article 372 de la loi du 16 décembre 1992, à compter de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, ultérieurement fixée au 1er mars 1994 par la loi du 19 juillet 1993, sans qu’ait été concomitamment modifié l’article 207 précité, la référence à l’article 408 demeurant inchangée. Or le délit d’abus de confiance aggravé est prévu dans le nouveau Code pénal par l’article 314-2 qui dispose :

« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et cinq millions de francs d’amende lorsque l’abus de confiance est réalisé,

par une personne qui fait appel au public afin d’obtenir la remise de fonds ou de valeurs soit pour son propre compte, soit comme dirigeant ou préposé de droit ou de fait d’une entreprise industrielle ou commerciale,

par toute autre personne qui, de manière habituelle, se livre ou prête son concours, même à titre accessoire, à des opérations portant sur les biens des tiers pour le compte desquels elle recouvre des fonds ou des valeurs ».

Ce n’est que plus tard par la loi du 10 juin 1994, entrée en vigueur le 23 octobre 1994, qu’on modifia l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 et référence fut expressément faite à l’article 314-2 du nouveau Code pénal. 

GRIEF

Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant estime que le fait qu’on lui ait appliqué une peine prévue par un texte (article 314-2 du Code pénal) auquel ne renvoyait pas le texte définissant l’infraction (article 207 de la loi de 1985) constitue une violation du principe de la légalité des délits et des peines. Il considère que les juridictions nationales se sont livrées à une interprétation déraisonnable des textes répressifs. Cette interprétation approximative et analogique serait fondée sur un amalgame qui aboutit à une reconstruction de la loi pénale. Il estime que ce n’est qu’après une période d’incertitude et de vide législatif que l’assimilation (entre le délit de malversation et celui de l’abus de confiance) a été à nouveau opérée et il n’était pas possible, avant la loi du 10 juin 1994, de prévoir que le législateur maintiendrait, d’ailleurs seulement pour l’avenir, cette assimilation, ni a fortiori de décider qu’il l’avait maintenue pendant la période du 1er mars au 22 octobre 1994 où le délit était réprimé par un texte (l’article 408 de l’ancien Code pénal) qu’il avait abrogé, ou par un texte (l’article 314-2 du nouveau Code pénal) auquel il ne s’était pas encore référé.

EN DROIT

Le requérant se plaint d’une violation de l’article 7 de la Convention qui stipule:

« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise (...) ».

La Cour rappelle tout d’abord les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’interprétation et l’application du droit interne. Si, aux termes de l’article 19 de la Convention, la Cour a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Etats contractants, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, § 45). De plus, il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kopp c. Suisse du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 541, § 59).

Elle rappelle ensuite les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 7 de la Convention repris récemment dans l’arrêt Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne ([GC] , nos 34044/96, 35532/97, 44801/98, § 50, CEDH 2001)

« La garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et sanctions arbitraires.

Comme la Cour l’a dit dans son arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993 (série A no 260-A, p. 22, § 52), l’article 7 ne se borne donc pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé : il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au désavantage de l’accusé, notamment par analogie. Il en résulte qu’une infraction doit être clairement définie par la loi. Dans son arrêt précité, la Cour a ajouté que cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale. La Cour a donc indiqué que la notion de "droit" ("law") utilisée à l’article 7 correspond à celle de "loi" qui figure dans d’autres articles de la Convention, notion qui englobe le droit écrit et non écrit et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité (voir l’arrêt Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A no 316-B, pp. 71-72, § 37).

Aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. D’ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique (...) des (...) Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible ».

En l’espèce, la Cour relève que l’article 207, dans sa rédaction issue de la loi du 25 janvier 1985, prévoyait que le délit de malversation était punissable de dix ans d’emprisonnement et cinq millions de francs d’amende conformément à l’article 408 du Code pénal auquel il renvoyait et qui sanctionnait le délit d’abus de confiance aggravé ; le législateur avait ainsi entendu sanctionner de la même peine ce dernier délit et celui de malversation.

La Cour relève qu’à partir du 1er mars 1994, l’article 314-2 du nouveau code pénal remplaça l’article 408 de l’ancien code pénal. A cette date cependant, l’article 207 de la loi précitée renvoyait toujours à l’article 408 du code pénal (abrogé) pour les peines applicables au délit de malversation. Ce n’est que par la loi du 10 juin 1994, entrée en vigueur le 23 octobre 1994, que le législateur français modifia l’article 207 en question et fit expressément référence à l’article 314-2 du nouveau code pénal. Le défaut de concordance des textes est manifeste, la Cour ne le conteste pas.

Toutefois, la Cour rappelle que la tâche qui lui incombe est « de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existe une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition. La notion de « peine » possédant une portée autonome, la Cour doit, pour rendre efficace la protection offerte par l’article 7, demeurer libre d’aller au-delà des apparences et apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (arrêt Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995, série A no 307-A, p.13, § 27).

En l’espèce, la Cour relève qu’au moment où ils furent commis, les faits étaient réprimés par l’article 207 de la loi du 25 janvier 1985 et les peines applicables étaient celles prévues par l’article 408 du code pénal ; que dès lors le requérant ne pouvait en ignorer le caractère délictuel et les sanctions qui s’y attachaient. Le texte d’incrimination ne manquait par ailleurs ni de clarté ni de précision, le simple renvoi d’un texte à un autre pour déterminer la pénalité n’apparaissant pas, en soi, contraire aux exigences de prévisibilité et d’accessibilité de la loi. La Cour rappelle en outre que la portée de la notion de prévisibilité de la loi dépend notamment de la qualité de ses destinataires (arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, § 35) et elle estime que le requérant, administrateur judiciaire, ne pouvait ignorer que les faits reprochés étaient susceptibles d’engager sa responsabilité pénale.

La Cour relève également que l’incrimination en cause, soit le délit de malversation, n’a jamais été supprimé.

En outre, l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation en date du 6 juillet 1994, acte de poursuite du juge national à l’encontre du requérant qui mentionne les faits prévus et réprimés par la loi pénale, ainsi libellé  - « faits prévus et punis par les articles 207 de la loi du 25 janvier 1985, 59, 60 du code pénal, textes abrogés en vigueur au moment des faits, 121-6, 121-7 et 314-2 du code pénal » - prenait parfaitement en compte les changements intervenus à la suite de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.

Enfin, la Cour constate qu’au moment du prononcé du jugement en première instance, la peine applicable aux faits était prévue par la nouvelle disposition, l’article 314-2 précité, et que ce texte prévoit des peines moins sévères que celles qui étaient prévues par l’ancien article 408. Le requérant a donc bénéficié de l’application de la loi nouvelle plus douce (voir, mutatis mutandis l’arrêt Coëme et autres c. Belgique du 22 juin 2000, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96 et 33210/96, §150, CEDH 2000-VII).

De tout ce qui précède, la Cour conclut que l’interprétation du principe de la légalité par le juge national français a revêtu un caractère raisonnable.

Partant, la condamnation du requérant n’est pas intervenue en méconnaissance de l’article 7 de la Convention. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 et 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. DolléW. Fuhrmann
              GreffièrePrésident

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