CEDH, Cour (première section), ZAVOLOKA c. la LETTONIE, 29 avril 2003, 58447/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 29 avr. 2003, n° 58447/00
Numéro(s) : 58447/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 30 mai 2000
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-44196
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0429DEC005844700
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIERE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 58447/00
présentée par Nadežda ZAVOLOKA
contre la Lettonie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 29 avril 2003 en une chambre composée de

M.C.L. Rozakis, président,
MmeF. Tulkens,

MM.G. Bonello,
E. Levits,
MmeS. Botoucharova,
M.A. Kovler,
MmeE. Steiner, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 30 mai 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante est une « non-citoyenne résidente permanente » de Lettonie, née en 1954 et résidant à Liepāja (Lettonie).

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A.  Circonstances particulières de l’affaire

Le 20 septembre 1996, la fille de la requérante, âgée de douze ans, fut renversée par une voiture conduite par A.A. Suite à ses blessures, elle décéda. Mis en examen des chefs de non-assistance à personne en danger et de coups et blessures causés par une violation des consignes de sécurité au volant d’un véhicule, A.A., de sa propre initiative, versa à la requérante une somme de 1 500 lats [environ 2 600 €] afin de payer l’enterrement de sa fille.

Par un jugement du 26 mars 1997, le tribunal de première instance de Liepāja reconnut A.A. coupable des chefs des délits incriminés, et le condamna à trois ans d’emprisonnement ferme.

En septembre 1997, la requérante saisit le tribunal de première instance de Liepāja d’une demande civile contre A.A., en réclamant la réparation pécuniaire du préjudice moral causé par le décès de sa fille. Dans son mémoire, elle évalua ce préjudice à 12 000 lats [environ 19 200 €], soutenant à cet égard qu’elle avait dépensé environ 1 000 lats par an pour l’éducation de sa fille, âgée de douze ans au moment de l’accident. En outre, elle fit valoir, plusieurs certificats médicaux à l’appui, que la perte de son enfant avait entraîné des répercussions néfastes et irréversibles sur sa propre santé, notamment une névrose incurable.

Par un jugement contradictoire du 5 janvier 1998, le tribunal de première instance débouta la requérante de sa demande, au motif qu’aucune disposition du code civil ne prévoyait la réparation du préjudice moral en cas de décès d’un proche parent.

Contre ce jugement, la requérante interjeta appel devant la cour régionale de Kurzeme, qui, par un arrêt du 2 mars 1998, fit droit à sa demande. En premier lieu, la cour régionale estima que le dommage moral subi par une mère à cause du décès de son enfant mineur, était établi et ne nécessitait aucune preuve. Ensuite, la cour reconnut que le code civil ne prévoyait pas expressément la réparation du préjudice moral dans le cas d’espèce, ni ne définissait la notion même de ce préjudice. Toutefois, la cour se référa au  principe constitutionnel garantissant à chacun le droit à la protection de sa vie, de sa sécurité et de ses droits, ainsi qu’à l’article 1635 du code civil, définissant l’obligation générale de réparer le préjudice causé à autrui, pour conclure que la requérante avait droit à un dédommagement complet de la part de A.A.

Contre cet arrêt, A.A. se pourvut en cassation devant le Sénat de la Cour suprême. Par une ordonnance du 13 mai 1998, le Sénat, considérant que l’affaire soulevait un problème sérieux d’interprétation du code civil, suspendit l’examen du pourvoi et ordonna la convocation d’une assemblée plénière de la Cour suprême (Augstākās tiesas plēnums).

Par un arrêté du 26 février 1999, l’assemblée plénière, statuant au titre du renvoi préjudiciel, donna l’interprétation suivante :

« 1.  (...) [L’]article 1635 du code civil ne prévoit que la réparation du dommage matériel subi par la victime (...). La réparation du dommage moral est prévue uniquement par la Section II du Chapitre I du Titre XIX du code civil, intitulée « Des droits au dédommagement des atteintes à la liberté personnelle, à l’honneur, à la réputation et à la pudeur des femmes. »

2.  Le ministère de la Justice devrait être invité à examiner la possibilité de soumettre au Parlement un projet de loi introduisant la notion de « dédommagement pour douleur » [sāpju nauda] dans la législation pénale et civile. »

Par un arrêt du 31 mars 1999, le Sénat annula l’arrêt de la cour régionale de Kurzeme du 2 mars 1998, et renvoya l’affaire devant le juge d’appel. Le Sénat releva notamment :

« (...) En faisant droit à la demande, la cour d’appel a indiqué (...) que la notion du « préjudice moral » n’était pas définie par le code civil. Une telle conclusion (...) n’est pas conforme aux dispositions de la Section II du Chapitre I du Titre XIX du code civil, intitulée « Des droits au dédommagement des atteintes à la liberté personnelle, à l’honneur, à la réputation et à la pudeur des femmes. » A cet égard, l’arrêté (...) de l’assemblée plénière de la Cour suprême du 26 février 1999 indique que la base légale de la réparation d’un préjudice moral est établie uniquement par la Section II du Chapitre I du Titre XIX du code civil. Dans les articles 2352 et 2353 du code civil, le législateur a défini les cas où la personne a droit à une réparation du préjudice moral ; le préjudice moral subi par la demanderesse, qui a perdu son enfant à cause du comportement illégal du défendeur, ne figure pas parmi ces cas. (...)

De même, la juridiction d’appel n’a pas pris en considération l’article 2350 du code civil, contenant des indications expresses sur le point de savoir à qui et quelles dépenses doit rembourser la personne coupable du décès d’une personne ; cette disposition ne prévoit pas non plus le droit des héritiers du défunt de réclamer, outre les sommes dépensées pour le traitement médical et l’enterrement, une réparation du préjudice moral.

Les arguments susmentionnés mènent à la conclusion que la cour [régionale] a interprété l’article 1635 du code civil d’une manière erronée (...) »

Par un arrêt du 31 août 1999, la cour régionale de Kurzeme débouta la requérante de sa demande, se ralliant en substance aux conclusions du Sénat. Le pourvoi en cassation de la requérante fut rejeté par le Sénat le 1er décembre 1999.

B.  Le droit interne pertinent

Aux termes de l’article 3 de la loi constitutionnelle sur les droits et les obligations de l’homme et du citoyen (Konstitucionālais likums « Cilvēka un pilsoņa tiesības un pienākumi ») en vigueur jusqu’au 6 novembre 1998, « [l]’Etat a l’obligation de protéger l’homme, sa vie, sa liberté, sa sécurité, son honneur, ses droits et sa propriété ». Conformément à l’article 93 de la Constitution lettonne (Latvijas Republikas Satversme), en vigueur à partir du 6 novembre 1998, « [l]e droit à la vie de chacun est protégé par la loi ».

Les dispositions pertinentes de la quatrième partie du code civil (Latvijas Republikas Civillikums), adopté en 1937, sont ainsi libellées :

Titre III – « Des obligations et des créances résultant des actes illicites »

Chapitre I – « Des actes illicites et des degrés de culpabilité »

Article 1635

« Toute atteinte aux droits, c’est-à-dire tout acte illicite par sa nature, confère à celui qui en a subi un préjudice, le droit de demander au défendeur une satisfaction, dans la mesure où ce dernier en est coupable.

Note : Un acte est compris ici au sens large du terme, englobant non seulement une action, mais également une omission, c’est-à-dire une inaction. »

Titre VIII – « Des dommages et de leur réparation »

Chapitre I – « Des types de dommages »

Article 1770

« Par un dommage, on entend toute perte évaluable en des termes matériels. »

Article 1772

« Un dommage déjà survenu peut se manifester soit comme une réduction de la propriété existante de la victime, soit comme un manque à gagner. »

Article 1775

« Tout dommage qui n’est pas imprévisible, doit être réparé. »

Chapitre III – « De l’obligation de réparer les dommages »

Article 1779

« Chacun a le devoir de réparer les dommages qu’il a causés par son action ou son omission. »

Article 1784

« Lorsqu’en dehors des relations contractuelles, quelqu’un subit un préjudice du fait d’un acte illicite d’autrui, l’auteur du préjudice est responsable de tous les dommages (...) »

Titre XIX – «  Des créances résultant de divers fondements »

Chapitre I – « Des créances résultant des atteintes à la personnalité »

I. De la réparation des dommages corporels

Article 2347

[Modifié par la loi du 22 décembre 1992]

« Lorsque quelqu’un, par l’acte illicite dont il est coupable, cause un dommage corporel à autrui, il doit lui rembourser les dépenses liées au traitement médical, ainsi que le manque éventuel à gagner, qui est à la discrétion du tribunal.

Celui dont les activités sont liées à un risque élevé pour son entourage (transport, industrie, construction, substances dangereuses etc.), doit réparer le dommage occasionné par [l’objet constituant] la source du danger élevé (...).(...) »

Article 2348

« Lorsqu’un tel dommage corporel rend la victime à jamais incapable de continuer son activité professionnelle et lui ôte toute possibilité de gagner sa vie d’une autre façon, la personne coupable doit également lui rembourser le manque à gagner pour l’avenir. Lorsque la victime a une autre personne à sa charge, les dispositions de l’article 2351 s’appliquent en outre à ce qui précède. »

Article 2349

« Lorsque le dommage corporel a entraîné une mutilation ou une défiguration, le dédommagement doit en être ordonné à la discrétion du tribunal. Lorsque la personne est nubile et de sexe féminin, il échet de considérer en particulier si ceci a porté atteinte à ses chances de se marier. »

Article 2350

« Celui qui se rend coupable de la mort d’une personne, doit rembourser aux héritiers du défunt les dépenses liées à son traitement médical et à son enterrement. »

Article 2351

« Lorsque le défunt avait quelqu’un à sa charge, cette obligation passe à celui qui est coupable de sa mort. Le montant d’un tel dédommagement est fixé par le tribunal, eu égard à l’âge du défunt, à sa capacité de gagner sa vie de son vivant, et, enfin, aux nécessités de la personne en faveur de laquelle le dédommagement est exigé (...) »

II. Des droits au dédommagement des atteintes à la liberté personnelle, à l’honneur, à la réputation et à la pudeur des femmes

Article 2352

[Modifié par la loi du 22 décembre 1992]

« Lorsque quelqu’un, d’une manière illicite, prive autrui de sa liberté personnelle, il doit la lui rendre et lui donner, à la discrétion du tribunal, un dédommagement complet, y compris pour le préjudice moral. »

Article 2352-a

[Ajouté par la loi du 22 décembre 1992]

« (...) Lorsque quelqu’un, par ses propos, ses écrits ou son comportement, porte une atteinte illicite à l’honneur et à la dignité d’autrui, il doit lui donner un dédommagement (une réparation pécuniaire). Le montant de la réparation est fixé par le tribunal. »

Article 2353

[Modifié par la loi du 22 décembre 1992]

« Celui qui a violé une femme ou a eu des rapports sexuels avec elle lorsqu’elle était inconsciente, doit lui donner un dédommagement complet, y compris pour le préjudice moral. »

L’article 101 pertinents du code de procédure pénale (Kriminālprocesa kodekss) est ainsi libellé :

« Une action civile au pénal peut être intentée par une personne (...) ayant subi un dommage matériel du fait de l’infraction pénale. Indépendamment du montant du dommage, l’action civile est examinée conjointement à l’affaire pénale par le tribunal compétent pour connaître de cette dernière. L’action civile est intentée contre l ‘accusé ou contre la personne matériellement responsable des actes de l’accusé.

L’action civile peut être intentée soit au moment de l’ouverture de l ‘affaire pénale, soit au cours de l’investigation, ainsi qu’au stade contradictoire devant les juridictions de jugement, jusqu’au début de l’instruction judiciaire.

Lorsque le tribunal ajourne l’audience, la victime conserve le droit de se constituer partie civile jusqu’au début de l’instruction judiciaire à l’audience prochaine.

L’action civile au pénal est exemptée de frais de justice.

Les preuves au regard d’une action civile au pénal sont administrées selon les modalités prévues par le présent code.

Une action civile au pénal ne peut pas être formée si la demande [respective] a déjà été rejetée à l’issue d’une procédure civile.

Une personne n’ayant pas intenté une action civile au pénal, ainsi qu’une personne dont  l’action civile n’a pas été examinée pour cause de non-lieu ou d’acquittement du prévenu, a le droit de l’intenter conformément aux dispositions de  procédure civile. »

C.  Les résolutions du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

La résolution no (75) 7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 14 mars 1975, relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès, vise à « réduire les divergences qui existent entre les Etats membres dans la législation et la jurisprudence en ce domaine ». Cette résolution comporte, en annexe, un exposé des principes régissant la réparation des dommages ; les parties pertinentes dudit annexe se lisent ainsi :

« I . Dispositions générales

1. Compte tenu des règles concernant la responsabilité, la personne qui a subi un préjudice a droit à la réparation de celui-ci, en ce sens qu’elle doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit.

(...)

3. Dans la mesure du possible, le jugement doit mentionner le détail des indemnités accordées au titre des différents chefs de préjudice subis par la victime.

(...)

III. Réparation en cas de décès

14. Les frais occasionnés par le décès de la victime, et notamment les frais funéraires, doivent être remboursés.

15. Le décès de la victime ouvre un droit à réparation du préjudice patrimonial :

a) aux personnes envers lesquelles la victime avait ou aurait eu une obligation alimentaire légale ;

b) aux personnes dont la victime assumait ou aurait assumé l’entretien, en tout ou en parties, même sans y être tenue par la loi (...)

(...)

19. Les systèmes juridiques qui, actuellement, n’accordent pas un droit à réparation pour souffrances psychiques subies par un tiers à la suite du décès de la victime ne devraient pas accorder une telle réparation à des personnes autres que les père et mère, le conjoint, le fiancé et les enfants de la victime ; même dans ces cas, la réparation devrait être soumise à la condition que ces personnes aient eu des liens d’affection étroits avec la victime au moment du décès.

Dans les systèmes juridiques qui, actuellement, accordent à certaines personnes un tel droit à réparation, celui-ci ne doit pas être élargi ni quant aux ayants droit, ni quant à l’étendue de l’indemnisation. »

Les parties pertinentes de la résolution no (75) 24 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 18 septembre 1975 sur la répression de l’homicide et des lésions par imprudence commis en matière de circulation routière sont ainsi libellées :

« Le Comité des Ministres,

Conscient que des différences sensibles, génératrices d’inégalités, existent entre les législations et les pratiques nationales dans la répression de l’homicide et lésions par imprudence commis en matière de circulation routière ;

(...)

I. Recommande aux gouvernements des Etats membres de s’inspirer, dans leurs législation et pratique internes, des principes suivants :

1. Des poursuites pénales ne devraient pas être entamées et, le cas échéant, des peines ne devraient pas être prononcées du chef d’homicide ou de lésions involontaires à raison d’une faute légère de circulation, c’est-à-dire une faute de conduite n’impliquant pas chez son auteur la conscience du danger auquel il s’est exposé ou a exposé autrui ;

2. Il devrait en être de même, sous réserve du caractère inexcusable de la faute commise, à l’égard de l’auteur de l’homicide et des lésions involontaires, atteint en sa personne ou dans celle de ses proches d’une façon telle qu’une peine apparaîtrait inutile, voire inhumaine ;

3. L’application des recommandations ci-dessus ne devrait en aucune manière préjudicier au droit des victimes à réparation (...) »

GRIEFS

La requérante se plaint qu’en interprétant les dispositions pertinentes du code civil d’une manière restrictive et en refusant de lui reconnaître le droit d’obtenir une réparation du préjudice moral causé par le décès de sa fille, les tribunaux lettons ont commis une violation de l’article 2 § 1 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 13 de la Convention. A cet égard, la requérante fait valoir que la condamnation pénale de l’auteur de l’accident et la compensation des dépenses liées à l’enterrement de sa fille sont insuffisantes pour remédier aux souffrances qu’elle a éprouvées suite à la perte de son enfant.

EN DROIT

La requérante se plaint que le refus des juridictions lettonnes de lui accorder une réparation du préjudice moral qu’elle a subi du fait du décès de sa fille, s’analyse en une violation de l’article 2 § 1 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 13 de la Convention. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 2 § 1

« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1.  Les arguments des parties

a)  Le Gouvernement

Le Gouvernement fait part de ses doutes quant à l’applicabilité de l’article 2 de la Convention dans la présente affaire. Il ne conteste pas que cette disposition fait naître, dans le chef de l’Etat, certaines obligations positives au regard d’une mort infligée par un particulier ; toutefois, il estime que ces obligations se limitent à deux charges principales. En premier lieu, l’Etat doit mettre en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations, ainsi que prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui. En deuxième lieu, l’article 2 implique et exige de mener une forme d’enquête efficace afin de déterminer les personnes coupables et les traduire devant les tribunaux ; d’où l’obligation d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu.

Par conséquent, le Gouvernement est convaincu que l’article 2 § 1 de la Convention ne peut pas être interprété comme exigeant de l’Etat quelque chose de plus que de mener une enquête effective, de déterminer la personne coupable et de lui faire engager sa responsabilité pénale dans le cadre d’une procédure pénale efficace. Une fois l’auteur de l’homicide tombé sous le coup de la loi pénale, les autorités nationales ne sauraient être tenues de lui appliquer parallèlement un autre type de responsabilité, par exemple, la responsabilité civile, administrative ou disciplinaire. Une telle approche résulterait en un élargissement injustifié du contenu de l’article 2 § 1 ; en outre, elle créerait un chevauchement entre les champs d’application de l’article 2 et ceux des articles 6 et 13 de la Convention.

De même, le Gouvernement se réfère à certains arrêts de la Cour où la question de responsabilité civile en cas d’homicide a été soulevée. En premier lieu, il se réfère aux arrêts McCann et autres c. Royaume-Uni (27 septembre 1995, série A no 324, p. 48, § 160) et Osman c. Royaume-Uni (28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, p. 3163, § 123), pour rappeler que la question de savoir si les intéressés ont le droit d’accès à un tribunal pour intenter une action civile relative à un décès se pose sous l’angle des articles 6 § 1 et 13 de la Convention plutôt que sous l’angle de l’article 2. En deuxième lieu, le Gouvernement cite l’arrêt McKerr c. Royaume-Uni (no 28883/95, CEDH 2001-III), où la Cour a déclaré que « la procédure civile (...) ne s’ouvre (...) qu’à l’initiative du requérant et non des autorités, et elle ne permet ni d’identifier ni de sanctionner l’auteur présumé d’une infraction [ ; a]ussi ne peut-elle être prise en compte dans l’appréciation du respect par l’Etat de ses obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention » (§ 156).

Le Gouvernement reconnaît que, dans l’affaire Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC], no 32967/96, §§ 49-50, à paraître dans le Recueil officiel de la Cour), la Cour a examiné une procédure civile engagée contre un médecin du fait d’une négligence médicale sous l’angle de l’article 2 de la Convention, et que, tant dans l’affaire précitée que dans la présente, il s’agissait d’un homicide involontaire. Toutefois, le Gouvernement rappelle que, dans l’affaire Calvelli et Ciglio, la responsabilité pénale du médecin mis en cause n’avait pas été engagée à cause de la prescription, alors que, dans la présente affaire, A.A. a été effectivement jugé et condamné. Par conséquent, le Gouvernement est d’avis que seuls l’absence, en droit pénal interne, de dispositions permettant de sanctionner la personne responsable, ou le défaut d’application effective de telles dispositions dans un cas concret, pourraient justifier l’examen de la procédure civile en cause sous l’angle de l’article 2.

En résumé, le Gouvernement conclut qu’en principe, seule la procédure pénale entre en ligne de compte quant aux « obligations positives » de l’article 2 § 1. La requérante n’ayant, à aucun moment, soulevé la question de l’effectivité de la procédure pénale engagée contre A.A., le Gouvernement estime que l’article 2 ne s’applique pas au cas d’espèce. Pour la même raison, l’article 13 est lui aussi inapplicable.

A supposer toutefois le contraire, le Gouvernement fait valoir que, même sur le plan civil, le droit letton offre des possibilités de redressement suffisamment effectives et efficaces dans le domaine de la responsabilité délictuelle. S’agissant en premier lieu des dispositions procédurales, le Gouvernement rappelle que l’article 101 du code de procédure pénale offrait à la requérante la possibilité de se constituer partie civile dans la procédure pénale contre A.A., ce qu’elle n’a pas fait, renonçant ainsi à une voie de droit efficace. A cet égard, le Gouvernement rappelle qu’une demande civile au pénal est une voie procédurale plus flexible et plus avantageuse qu’une simple action civile, puisqu’elle est examinée en même temps que l’accusation pénale et qu’elle est exemptée des frais de justice, quel que soit son montant.

Même si la requérante n’avait pas profité de cette possibilité, elle avait toujours le droit de saisir le juge compétent d’une demande civile séparée sur la base de l’article 2350 du code civil, obligeant l’auteur d’un homicide « de rembourser aux héritiers du défunt les dépenses liées à son traitement médical et à son enterrement. ». La requérante ayant, de son plein gré, accepté la somme volontairement offerte par A.A. à ce titre, elle a, de ce fait, perdu le statut de « victime », au sens de l’article 34 de la Convention ; à cet égard, le Gouvernement se réfère à l’affaire Powell c. Royaume-Uni (déc., no 45305/99, CEDH 2000-V).

Par ailleurs, le Gouvernement conteste la validité et la crédibilité des rapports médicaux transmis par la requérante au tribunal de première instance de Liepāja ; selon lui, rien n’étaye la conclusion du médecin selon laquelle celle-ci aurait été atteinte d’une « névrose incurable ». A supposer même que ce diagnostic fût correct, le Gouvernement estime que la requérante aurait pu solliciter le remboursement des frais de son traitement médical, au lieu de demander la réparation du dommage moral.

S’agissant de la question de savoir si l’article 2 de la Convention garantit le droit à la réparation du préjudice moral des parents de la victime, le Gouvernement reconnaît qu’en son état actuel, le système juridique letton ne contient aucun titre légal pour un tel dédommagement. Toutefois, il rappelle qu’une grande divergence règne parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe sur ce point, la législation de certains d’entre eux étant très restrictive quant à la réparation des dommages moraux causés par un homicide. Ainsi, les Etats dont le droit civil se fonde sur les traditions du code napoléonien, sont favorables à une réparation généreuse du préjudice moral dans une telle situation, alors que le reste des systèmes juridiques européens sont beaucoup plus réservés sur ce point. Par exemple, en Grèce, au Portugal, en Irlande et en Ecosse, une compensation est versée pour les souffrances des survivants, sans qu’il leur soit demandé de démontrer l’existence de troubles psychiques réels. De même, en Espagne, en Belgique et en France, une sensation de « vide douloureux » est suffisante pour obtenir une réparation du préjudice moral. En revanche, le droit allemand et le droit anglais sont beaucoup plus restrictifs sur ce point. En Allemagne, l’article 823 du code civil (BGB) suppose la capacité du demandeur de prouver l’existence d’un préjudice effectif à sa propre santé ; la plupart des survivants ne parviennent pas à le démontrer, sauf, évidemment, les cas où la mort d’un proche parent a causé une maladie psychiatrique dans leur chef. En droit anglais, les conditions d’obtention de réparation du dommage moral sont encore plus rigoureuses : les conditions posées à cet effet sont la proximité de relations du demandeur avec la victime, la proximité du lieu de l’homicide, ainsi que le fait, pour le survivant, de voir et d’entendre l’acte par ses propres sens (et non d’en avoir été informé par un tiers).

Selon le Gouvernement, cette diversité se reflète dans les termes très prudents de la Résolution no (75) 7, se limitant à demander le remboursement des frais funéraires (§ 14) et la réparation du préjudice patrimonial (§ 15) ; quant au préjudice moral, sa réparation n’est pas du tout exigée (§ 19) (cf. supra, les résolutions du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe). Par conséquent, en l’absence, au niveau européen, de règles ou de principes communs, le Gouvernement estime que les Etats doivent jouir d’une très large marge d’appréciation sur ce point.

Quant à l’article 13 de la Convention, le Gouvernement estime, pour les raisons exposées ci-dessus, que les dispositions du droit letton en matière de responsabilité délictuelle offrent une protection suffisante contre d’éventuelles violations de l’article 2, et que la requérante elle-même a omis de profiter pleinement de cette protection.

b)  La requérante

La requérante insiste sur la différence entre le dommage matériel, dont elle ne demande pas la réparation, et le préjudice moral. Elle souligne que, suite au décès de sa fille, elle a éprouvé des souffrances physiques et morales, et que la somme qu’elle souhaite recevoir à titre de dédommagement moral constituerait un remède adéquat à ces souffrances. Par conséquent, selon la requérante, la référence du Gouvernement à l’article 2350 du code civil, relatif au recouvrement des frais, c’est-à-dire aux dommages matériels, et à la possibilité de se constituer partie civile au pénal, est dénuée de fondement.

En outre, la requérante conteste la thèse du Gouvernement tendant à faire reconnaître l’invalidité des certificats médicaux qu’elle a fournis.

2.  L’appréciation de la Cour

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces griefs posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

Søren NielsenChristos Rozakis
Greffier adjointPrésident

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