CEDH, Cour (troisième section), LAPEYRE c. la FRANCE, 19 juin 2003, 54161/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 19 juin 2003, n° 54161/00
Numéro(s) : 54161/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 28 mai 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Buscarini et autres c. Saint-Marin [GC], no 24645/94, § 23, CEDH 1999-I
De Geouffre de la Pradelle c. France, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 253-B
Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 14, § 25
Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2956, § 37
Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33
Fayed c. Royaume-Uni, arrêt du 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 49-50, § 65
Melin c. France, arrêt du 22 juin 1993, série A no 261-A, p. 12, §§ 24-25
Levages Prestations Services c. France, arrêt du 23 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1543, §§ 40, 41
Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3255, § 43
Bellet c. France, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 333-B
Rutkowski c. Pologne (déc.), no 45995/99, CEDH 2000-XI
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-44307
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0619DEC005416100
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 54161/00
présentée par Claude LAPEYRE
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 19 juin 2003 en une chambre composée de :

MM.G. Ress, président,

J.-P. Costa,

L. Caflisch,

P. Kūris,

R. Türmen,

J. Hedigan,

MmeM. Tsatsa-Nikolovska, juges,

et deM. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 28 mai 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Claude Lapeyre, est un ressortissant français, né en 1947 et résidant à Conches.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 29 novembre 1995, les gendarmes d’Evreux constatèrent une infraction d’excès de vitesse imputable au requérant. Le requérant fut cité à comparaître à l’audience du tribunal de police d’Evreux en date du 19 novembre 1996. Le requérant, alors placé sous mandat de dépot criminel pour avoir tiré sur un cambrioleur, fut extrait de la maison d’arrêt mais refusa de comparaître devant le juge. 

Par un jugement du 19 novembre 1996, signifié à son domicile le 3 avril 1997, le tribunal de police d’Evreux condamna le requérant à une peine d’amende de 1 600 francs pour infraction au code de la route (excès de vitesse d’au moins 30 km/h : vitesse autorisée 110 km/h, vitesse retenue 148 km/h).  Le requérant interjeta appel de ce jugement.

L’audience devant la cour d’appel de Rouen se tint le 23 juin 1997 en présence de l’avocat du requérant, ce dernier ayant demandé à être jugé en son absence conformément à l’article 411 du code de procédure pénale (voir infra). A l’issue des débats, le président mit l’affaire en délibéré et déclara que l’arrêt serait rendu le 22 septembre1997.

Par un arrêt contradictoire du 22 septembre 1997, lu en l’absence du requérant et de son avocat, la cour d’appel confirma la déclaration de culpabilité mais infirma la peine en la portant à 3 000 francs d’amende. Elle prononça également la suspension du permis de conduire pour une durée de trois mois. 

Le 23 octobre 1997, le procureur général demanda au commandement de la brigade de gendarmerie compétente de bien vouloir mettre à exécution la peine complémentaire de suspension du permis de conduire.

Le 12 novembre 1997, le requérant forma un pourvoi en cassation. Selon le requérant, ce pourvoi fut notifié au procureur de la république d’Evreux par une lettre recommandée du 13 novembre 1997.

Le 5 décembre 1997, les gendarmes cherchèrent à mettre à exécution la mesure de suspension du permis de conduire. Le requérant remit son permis le 8 décembre 1997.

Selon le Gouvernement, par des courriers des 7 et 9 décembre 1997 adressés au procureur de la République d’Evreux et au procureur général près la cour d’appel de Rouen, le requérant aurait protesté contre cette mesure indiquant notamment qu’un pourvoi avait été déposé par lui devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Dans son mémoire en cassation du 12 décembre 1997, le requérant fit valoir que l’exécution précipitée de l’arrêt de la cour d’appel, alors que la Cour de cassation n’avait pas encore statué sur son pourvoi, était contraire à l’article 569 du code de procédure pénale qui pose le principe du caractère suspensif de celui-ci. Selon lui, il n’appartenait pas au ministère public de se faire juge de la recevabilité du pourvoi et de demander l’exécution d’une condamnation non définitive alors même que la cour d’appel n’avait pas assorti celle-ci de l’exécution provisoire. Il précisa enfin que le procureur de la République d’Evreux avait eu connaissance du pourvoi par une lettre recommandée du 14 novembre 1997 et que c’était donc sciemment qu’il avait violé l’article 569 précité. 

Le Gouvernement précise que, par un courrier daté du 18 décembre 1997, le procureur général près la cour d’appel de Rouen informa la gendarmerie de Conches du pourvoi en cassation formé par le requérant le 12 novembre 1997. Il précisa dans sa lettre que « le pourvoi en cassation a un effet suspensif et empêche la mise à exécution de la peine. Je vous prie en conséquence de bien vouloir restituer à l’intéressé son permis de conduire et de dresser un procès-verbal de cette restitution ».

Par un arrêt du 2 décembre 1998, notifié le 14 janvier 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dans les termes suivants :

« Attendu que Claude Lapeyre s’est pourvu le 12 novembre 1997 contre l’arrêt susvisé, rendu contradictoirement, par application de l’article 411, alinéa 2, du Code de procédure pénale le 22 septembre 1997 ;

Attendu que le demandeur ayant, à ses propres dires, adressé au président de la cour d’appel une lettre pour demander à être jugé en son absence, et son avocat ayant été entendu, le pourvoi, fait hors du délai de 5 jours francs à compter du prononcé de la décision prévu par l’article 568 du code de procédure pénale, n’est pas recevable ; (...) »

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  Code de procédure pénale (CPP)

Article 411 (tel qu’applicable à l’époque des faits) 

« Le prévenu cité pour une infraction passible d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à deux années peut, par lettre adressée au président et qui sera jointe au dossier de la procédure, demander à être jugé en son absence.

Dans ce cas, son défenseur est entendu.

Toutefois, si le tribunal estime nécessaire la comparution du prévenu en personne, il est procédé à la réassignation du prévenu, à la diligence du ministère public, pour une audience dont la date est fixée par le tribunal.

Le prévenu qui ne répondrait pas à cette invitation est jugé contradictoirement.

Il est également jugé contradictoirement dans le cas prévu par le premier alinéa du présent article. »

Article 462

« Le jugement est rendu soit à l’audience même à laquelle ont eu lieu les débats soit à une date ultérieure.

Dans ce dernier cas, le président informe les parties présentes du jour où le jugement sera prononcé. »

Article 568

« Le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée pour se pourvoir en cassation.

Toutefois, le délai de pourvoi ne court qu’à compter de la signification de l’arrêt, quel qu’en soit le mode :

1o Pour la partie, qui après débat contradictoire, n’était pas présente ou représentée à l’audience où l’arrêt a été prononcé, si elle n’avait pas été informée ainsi qu’il est dit à l’article 462, alinéa 2 ;

2o Pour le prévenu qui a demandé à être jugé en son absence dans les conditions prévues à l’article 411, alinéa 1er ;

(...) »

Article 569

« Pendant les délais du recours en cassation et, s’il y a eu recours, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation, il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel (...) »

2.  Code de la route

Article L 13

« La suspension et l’annulation du permis de conduire, ainsi que l’interdiction de délivrance d’un permis de conduire, peuvent constituer, sous réserve des mesures prévues à l’article L 18, des peines complémentaires qui pourront être prononcées par les cours et tribunaux statuant en matière correctionnelle ou de police.

Ces peines complémentaires pourront être déclarées exécutoires par provision, à titre de mesure de protection. »

Le dernier alinéa a été abrogé à compter du 1ermars 1994 par la loi no 94‑89 du 1er février 1994.

Article R 266

« Peuvent donner lieu à la suspension du permis de conduire les contraventions aux articles énumérés ci-après lorsqu’elles présentent les caractères indiqués dans l’analyse sommaire qui accompagne la désignation de chaque article :

(...)

3o Articles R 10 à R 10-4 et R 10-6 du Code de la route : dépassement de 40 km/h ou plus de la vitesse maximale autorisée ;

(...) ».

3.   Jurisprudence

Lorsque l’arrêt a été prononcé hors de la présence du condamné, il suffit que celui-ci ait été régulièrement mis en mesure d’assister au prononcé de l’arrêt pour que le jour où cette décision a été rendue soit le point de départ du délai du pourvoi en cassation (Cass. Crim. 19 nov. 1926). Le prévenu qui a été régulièrement représenté par son avocat et dont la défense a été assurée ne saurait se prévaloir de l’article 568 alinéa 2  (Cass. crim. 1er février 1968 Bull. crim no 33 ; 14 mai 1991, Bull. crim no 202 ; 29 mai 1996, Bull. crim. no 217). Dans ce dernier arrêt, la chambre criminelle s’est prononcée dans les termes suivants :

« Attendu que pour statuer contradictoirement à l’égard du prévenu, l’arrêt attaqué énonce que, régulièrement cité à sa personne, M.C. n’a pas comparu mais a été représenté par son avocat auquel il a donné mandat à cette fin ; qu’à la demande de celui-ci, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 13 décembre 1994 à laquelle ce défenseur a déposé des conclusions et que, conformément aux dispositions de l’article 462 du code de procédure pénale, le président a informé les parties que l’arrêt serait prononcé le 14 février 1995, date à laquelle la décision a été effectivement rendue ;

Attendu qu’en cet état, M. C. était tenu d’observer le délai de pourvoi prescrit par l’article 568 alinéa 1er, du code de procédure pénale, les dispositions de l’alinéa 2-2 o de cet article, qui ne font courir le délai qu’à compter de la signification de l’arrêt, ne s’appliquant qu’aux décisions rendues dans les conditions précisées par l’article 411, alinéa 1er, et non au cas prévu par l’alinéa 2 du même article, où le défenseur est entendu ;

Qu’il s’ensuit que le pourvoi (...) est tardif. »

GRIEFS

1.  Le requérant se plaint de la violation de son droit à un recours effectif devant la Cour de cassation qui, malgré l’absence de notification de l’arrêt d’appel, a déclaré irrecevable son pourvoi comme étant hors délai, en violation de l’article 568 du code de procédure pénale. Il ajoute que son droit à un recours effectif s’en est trouvé d’autant plus entravé que la peine de suspension du permis de conduire prononcée par la cour d’appel a été exécutée alors même que son pourvoi était pendant devant la Cour de cassation. Il invoque l’article 13 de la Convention.

2.  Le requérant se plaint également de l’illégalité de sa condamnation au motif que la peine de suspension du permis de conduire n’est pas prévu pour les infractions d’excès de vitesse de moins de 40 km/h. Il invoque l’article 7 de la Convention.

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint d’une entrave à son d’accès à un tribunal et invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

a) Sur l’exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement

Le Gouvernement plaide l’irrecevabilité de la requête pour non-respect de l’article 35 § 1 de la Convention. Il fait valoir que la requête a été introduite tardivement car la lettre du greffe de la Cour datée du 9 octobre 2001 indique que « en date du 7 octobre 1999, M. Lapeyre a introduit devant la Cour (...) la requête précitée, en application de l’article 34 de la Convention. Cette requête a été enregistrée le 20 janvier 2000 ». Or l’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 1998, notifié le 14 janvier 1999, a été rendu plus de six mois avant la date d’introduction de la requête - soit le 7 octobre 1999 - telle qu’indiquée dans la lettre du 9 octobre 2001.

Le requérant conteste l’objection soulevée par le Gouvernement et rappelle que c’est par une lettre recommandée du 28 mai 1999 qu’il a saisi la Cour.   

Afin de déterminer la date d’introduction de la requête, la Cour rappelle que le délai de six mois est interrompu par la première lettre du requérant (article 47 § 5 du règlement) exposant sommairement l’objet de la requête, à moins que cette lettre ne soit suivie d’une longue période avant que la requête soit complétée. L’important, c’est que le requérant soit clairement identifiable à l’expiration de ce délai et qu’il ait exposé au moins la substance de ses griefs (voir l’arrêt Buscarini et autres c. Saint Marin [GC], no 24645/94, 18.02.1999, § 23).

En l’espèce, la Cour relève que dans son premier courrier du 28 mai 1999, le requérant décrivit succinctement les faits objets de sa requête et formula en substance ses griefs. Il annexa en outre à cet envoi copie, entre autres, de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 1998. Une correspondance régulière s’ensuivit entre le requérant et le greffe - dont la lettre du 7 octobre 1999 - qui compléta la requête initiale mais qui ne peut être considérée comme la première communication du requérant indiquant l’objet de sa requête.

En conséquence, la requête a été régulièrement introduite par le requérant dans le délai fixé à l’article 35 § 1 de la Convention. Il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

b) Sur le grief relatif au défaut d’accès à la Cour de cassation

A titre liminaire, le Gouvernement rappelle que le droit d’accès à un tribunal ne revêt pas un caractère absolu et que les Etats disposent d’une certaine marge d’appréciation pour définir les conditions de recevabilité des recours (Ashingdane c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 93, pp. 24-25). En l’espèce, il considère que le rejet du pourvoi répond aux critères définis par la jurisprudence de la Cour.

La réglementation fixe un délai de recours bref et uniforme. La brièveté du délai est justifiée par le fait que l’efficacité de la répression postule la célérité de la procédure criminelle et l’application de la règle des cinq jours à l’ensemble des parties au procès pénal a pour objet de simplifier l’exercice des recours. Toutefois, la loi tient compte de la diversité des situations concrètes. Pour les personnes qui sont informées personnellement de la décision parce qu’elles assistaient à l’audience ou parce que l’avocat qui les représentait les a informées, le délai de cinq jours court à compter du prononcé de la décision. Pour les personnes qui n’assistaient pas à l’audience et qui n’étaient pas représentées, ce délai court à compter de la date de signification.

En l’espèce, le Gouvernement soutient que la situation du requérant ne relève pas de l’article 568, alinéa deuxième, mais correspond au cas général décrit par l’alinéa premier de cette disposition. Le requérant a été jugé par un arrêt contradictoire qui n’avait pas à être signifié. En effet, il était représenté à l’audience de la cour d’appel du 23 juin 1997, audience à l’issue de laquelle l’avocat a été informé que la cour rendrait sa décision le 22 septembre 1997.

Le fait que l’avocat n’a pas informé son client du renvoi du prononcé de l’affaire au 22 septembre, qu’il n’a pas souhaité assister à ce prononcé ou que le requérant n’a pas sollicité son extraction pour être présent lors de cette audience devant la cour d’appel n’est pas imputable aux autorités françaises. Le Gouvernement rappelle que lorsque le prévenu a été jugé, à sa demande, en son absence, mais a été représenté par un avocat, celui-ci a l’obligation d’informer son client du jugement prononcé (Cass crim. 23.3.1987 Bull. crim. no 132 ; Cass. crim. 14.15.1991, Bull crim. no 202 ; 29.5.1996 Bull crim. no 217). Il s’agit de l’application, mutatis mutandis, d’un principe posé au moins depuis 1926 selon lequel, lorsque l’arrêt a été prononcé hors de la présence du condamné, il suffit que celui-ci ait été régulièrement mis en mesure d’assister au prononcé de l’arrêt pour que le jour où cette décision a été rendue soit le point de départ du délai de pourvoi en cassation.

Par ailleurs, le Gouvernement considère qu’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé a été également respecté en l’espèce. Le requérant a délibérément refusé de comparaître tant en premier instance qu’en appel. Il a choisi d’être assisté d’un avocat qui l’a défendu. Mais tant le requérant que son conseil sont restés inertes ; ils ne se sont jamais préoccupés de la décision rendue par la cour d’appel et le conseil n’a, semble-t-il, pas appelé l’attention de son client sur le fait qu’un éventuel pourvoi en cassation était enserré dans des délais très stricts.

Selon le Gouvernement, le requérant avait également la possibilité de recourir aux services d’un avocat à la Cour de cassation. Si pour des raisons financières ce recours dépassait ses moyens, il pouvait déposer une demande d’aide juridictionnelle.

Le Gouvernement souligne encore que le requérant devait, pour valablement former un pourvoi en cassation, soit déposer au greffe de la cour d’appel de Rouen un mémoire personnel dans les dix jours de sa déclaration de pourvoi (article 584 CCP), soit avoir fait parvenir au greffe de la Cour de cassation son mémoire en défense (article 585-1 CPP). Or, il ne résulte pas des pièces du dossier que le requérant ait déposé un mémoire personnel auprès du greffe de la cour d’appel pour le 23 novembre 1997 au plus tard. En effet, alors que la déclaration de pourvoi est datée du 12 novembre 1997, le mémoire en défense est daté du 12 décembre 1997. Ainsi, le mémoire est en contradiction avec les prescriptions légales : ni adressé au greffe de la juridiction dont la décision était attaquée, ni déposé dans les dix jours. Le recours ne pouvait donc en aucun cas être examiné au fond par la chambre criminelle. 

Enfin, le Gouvernement affirme que la jurisprudence pertinente de la Cour de cassation ne pouvait passer pour imprévisible. Les formalités procédurales de l’article 568 sont entendues strictement par la chambre criminelle de la Cour de cassation ; elles étaient prévisibles pour le requérant d’autant plus que la Cour a jugé dans l’affaire Melin c. France que « les règles applicables présentaient une cohérence et une clarté suffisantes » (arrêt du 22 juin 1993, série A no 261-A, p.o12, § 24). Le requérant ne paraissait pas d’ailleurs exclure que son pourvoi soit irrégulier puisque dans ses courriers au procureur, il indiquait spontanément : « il importe d’ailleurs peu de s’interroger sur la recevabilité du pourvoi puisque, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, lorsque le pourvoi est légalement possible, il produit un effet suspensif « du seul fait de son existence » même s’il a été formé dans des conditions irrégulières. (...) En aucune manière, le ministère public ne peut se permettre d’agir comme si le pourvoi était non avenu ».

Le requérant rappelle qu’il a été jugé contradictoirement aux termes de l’article 411 CPP, ce qui impliquait que le jugement devait lui être signifié. Il soutient que ce n’est pas la présence d’un avocat à l’audience de prononcé de la décision qui confère à un jugement un caractère contradictoire, mais uniquement le texte de loi ; or l’article 411 n’impose à l’avocat aucune obligation de prévenir son client de la date du délibéré lorsque celui-ci a demandé à être jugé en son absence. Par ailleurs, il est clair qu’aux termes de l’article 568, le délai ne court qu’à compter de la signification de l’arrêt quel qu’en soit le mode « pour le prévenu qui a demandé à être jugé en son absence dans les conditions prévues à l’article 411 alinéa 1er ». Aucun des deux textes précités ne laisse penser que si le défenseur est entendu en l’absence régulière du prévenu, l’arrêt ne sera pas signifié. Si l’article 568, alinéa 2, devait être considéré comme ne s’appliquant pas à la partie absente dont l’avocat a été entendu et informé de la date du délibéré, il ferait double emploi avec l’article 568, alinéa 1er, ce qui est inconcevable. Le requérant affirme que l’interprétation par la Cour de cassation de ces textes clairs est une violation de la Convention. Il rappelle le principe selon lequel les lois pénales s’interprètent restrictivement et affirme que ce principe est appliqué avec moins de rigueur par la Cour de cassation en ce qui concerne les lois de procédure pénale.

En conclusion, le requérant estime qu’en présence de dispositions légales claires, sauf pour ceux qui visent à les dénaturer, son avocat n’avait aucune raison d’anticiper sur la signification de l’arrêt. Le justiciable ne peut comprendre à la seule lecture des articles 411 et 568 CPP que la décision dont il est l’objet ne lui sera jamais signifiée puisque la Cour de cassation le décide ainsi. Et la France ne peut l’ignorer puisqu’elle a été condamnée pour cette raison par la Cour dans ses arrêts De Geouffre de la Pradelle et Bellet des 16 décembre 1992 et 4 décembre 1995.

La Cour rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, notamment pour les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat qui jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Ashingdane précité, § 57). Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tel que son droit d’accès à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir notamment Fayed c. Royaume-Uni, arrêt du 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 49-50, § 65, et Levages Prestations Services c. France, arrêt du 23 septembre 1996 Recueil 1996-V, p. 1543, § 40).

La Cour rappelle également qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998–I, p. 290, § 33). Ceci est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux de règles de nature procédurale telles que les délais régissant l’introduction d’un recours (voir, mutatis mutandis, Perez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, p. 3255, § 43). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. 

En l’espèce, la Cour constate que le pourvoi du requérant a été déclaré irrecevable sur la base de l’article 568 CPP car formé hors du délai de cinq jours à compter du prononcé de la décision d’appel.

La Cour relève que, en droit français, le délai de pourvoi ne court qu’à compter de la signification de l’arrêt pour le prévenu qui a demandé à être jugé en son absence dans les conditions prévues à l’article 411, alinéa 1er. Le jugement est alors contradictoire, mais doit être signifié au prévenu pour qu’il en ait connaissance. Toutefois, selon la jurisprudence constante de la chambre criminelle, si le prévenu a un défenseur et que celui-ci est entendu à l’audience, cette audition étant prévue par l’alinéa 2 de l’article 411, la décision n’a pas à être signifiée, et le délai court du jour du prononcé.

La Cour considère tout d’abord que la réglementation relative aux délais à respecter pour introduire un recours vise à assurer une bonne administration de la justice. La brièveté du délai de recours en matière pénale s’explique par le fait que l’efficacité de la répression postule la célérité de la procédure criminelle. La Cour estime que ce but est légitime au sens de la jurisprudence précitée.

La Cour constate également que l’absence de signification de l’arrêt d’appel en cas de représentation du prévenu à l’audience des débats par son défenseur constitue une règle ancienne, interprétée par une jurisprudence claire et cohérente. Il apparaît donc que le conseil du requérant, en sa qualité de professionnel du droit, pouvait et devait lui faire connaître la date à laquelle l’appel serait prononcé afin de lui faire connaître précisément ses obligations en matière d’introduction d’un pourvoi en cassation (Melin précité, §§ 24-25, et Levage Prestations Services précité,  § 41).

Il reste à la Cour à examiner si, au vu des circonstances de l’espèce, l’irrecevabilité du pourvoi en cassation, tout en étant prévisible, n’a pas porté atteinte au droit d’accès du requérant à un tribunal.

La Cour réaffirme à cet égard que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les Etats contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (voir, parmi d’autres, Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 14, § 25). La manière dont l’article 6 § 1 s’y applique dépend des particularités de la procédure en cause. Pour en juger, il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction de cassation, les conditions de recevabilité d’un pourvoi pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (voir, parmi d’autres, Brualla Gomez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997–VIII, p. 2956, § 37 ).

En l’espèce, la Cour constate que le requérant a demandé expressément à être jugé en son absence par la cour d’appel et qu’il a été jugé contradictoirement conformément à l’article 411 CPP. Un avocat d’office, commis pour le représenter, fut entendu en ses observations le 23 juin 1997. A l’issue de cette plaidoirie, l’affaire fut mise en délibéré et le président de la cour d’appel déclara que l’arrêt serait rendu le 22 septembre 1997. Or, l’avocat du requérant n’informa celui-ci ni de la date du prononcé de l’arrêt d’appel ni de ce que ce dernier ne devrait pas lui être signifié en raison précisément de sa présence à l’audience des débats, et ne prit pas la peine d’assister à ce prononcé. La Cour ne peut dans ces conditions que constater les défaillances de l’avocat. Or, elle rappelle qu’un avocat même commis d’office pour représenter une personne accusée dans le cadre d’une procédure pénale, ne saurait être considéré comme un organe de l’Etat. De l’indépendance du barreau par rapport à l’Etat, il découle que la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client ; en tant que telle, elle ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, engager la responsabilité de l’Etat en application de la Convention (Rutkowski c. Pologne, no 45995/99, 19.10.2000). La Cour relève à cet égard que le requérant fut dûment représenté lors des débats devant la cour d’appel et que le président de cette cour informa les parties que l’arrêt serait prononcé le 22 septembre 1997, date à laquelle la décision a effectivement été rendue. Dans ces conditions, les autorités compétentes, assurées de la bonne conduite de la défense du requérant par son avocat, ont légitimement considéré que la décision de la cour d’appel n’avait pas à être notifiée au premier dans la mesure où la carence du second était, aux yeux de la Cour, imprévisible. La Cour observe encore qu’entre la date d’audience et le prononcé de l’arrêt se sont écoulés trois mois sans que le requérant, qui avait demandé à être jugé en son absence, ne s’inquiète du sort de son appel contre une décision de première instance qui avait été rendue en son absence ainsi que celle du défenseur et, pour cette raison, signifiée comme il se devait.

La Cour conclut que le requérant ou son avocat avaient la possibilité de s’assurer du respect des règles de la procédure devant la Cour de cassation, et que leurs négligences exonèrent les autorités compétentes de toute responsabilité quant à l’application de l’article 568 du code de procédure pénale en l’espèce. En conséquence, il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

c) Sur le grief tiré de l’exécution prématurée de la mesure de suspension du permis de conduire

Le Gouvernement considère que les droits du requérant n’ont pas été violés puisque l’exécution matérielle de la mesure de suspension était légitime, l’arrêt de la cour d’appel ayant acquis un caractère définitif et ne pouvant plus être contesté par la voie d’un pourvoi en cassation. Comme précédemment indiqué, le Gouvernement rappelle que le délai de cinq jours francs pour former un pourvoi en cassation n’a pas été respecté et que, dès lors, l’arrêt de la cour d’appel de Rouen devenait définitif le 28 septembre 1997. Le document intitulé « communication d’une décision judiciaire relative au permis de conduire » indique expressément que la décision de la cour d’appel a acquis un caractère définitif le 29 septembre 1997. Ce n’est que lorsque l’existence d’un pourvoi en cassation a été portée à la connaissance du parquet d’Evreux et du parquet général de Rouen que des instructions ont immédiatement été données aux fins de restitution à l’intéressé de son permis. Ainsi, dans une note signalée « urgent » du 18 décembre 1997, le procureur général informe la gendarmerie de l’existence du pourvoi. La mesure d’exécution, qui était donc légalement possible puisque le pourvoi était irrégulier, a néanmoins été anéantie dès que les autorités judiciaires ont appris l’existence du pourvoi, afin de préserver la situation du requérant. Il en résulte que la mise à exécution de la condamnation pénale définitive du requérant ne peut constituer une violation des articles 6 et 13 de la Convention.

Le requérant réaffirme avoir informé le procureur de la République de son pourvoi en cassation le 13 novembre 1997 et que ce magistrat a sciemment fait exécuter une décision régulièrement frappée d’un pourvoi avec effet suspensif.

La Cour relève qu’il n’est pas contesté par le requérant que la « communication d’une décision judiciaire relative au permis de conduire » envoyée par le procureur à la gendarmerie compétente est datée du 23 octobre 1997. Il n’est pas non plus contestable que dans cette communication, mention expresse est faite de ce que la décision de la cour d’appel du 22 septembre 1997 est devenue définitive le 29 septembre 1997 et que la mise à exécution de la suspension du permis de conduire du requérant débuterait le 8 décembre 1997. Cette mise en oeuvre de la peine complémentaire était jusque-là parfaitement conforme à la règle de droit. Par la suite, le procureur prit connaissance du pourvoi formé par le requérant et ordonna la restitution à celui-ci de son permis de conduire en vue de conférer au pourvoi en cassation l’effet suspensif qui lui est attaché.

La Cour ne décèle donc aucune application arbitraire de la règle de droit par les autorités compétentes, nonobstant le fait que le requérant a informé le 13 novembre 1997 le procureur de son pourvoi en cassation. Il n’apparaît pas anormal en effet qu’un délai se soit écoulé entre cette date et celle à laquelle le procureur donna des instructions aux fins de restitution au requérant de son permis, ce laps de temps pouvant raisonnablement être considéré comme nécessaire à la réception et à la diffusion des informations.

La Cour en conclut que la mise à exécution de la peine complémentaire n’a pas, en l’espèce, enfreint les articles 6 et 13 de la Convention. 

2.  Le requérant se plaint également de l’illégalité de sa condamnation au motif que la peine de suspension du permis de conduire n’est pas prévue pour les infractions d’excès de vitesse de moins de 40 km/h. Il invoque l’article 7 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

(...) »

La Cour n’est pas appelée à se prononcer sur le point de savoir si les faits présentés par le requérant révèlent l’apparence d’une violation de la Convention. En effet, aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Or, la Cour rappelle que le requérant n’a pas valablement formé son pourvoi en cassation dans les délais requis par le droit national et n’a pas, en conséquence, ménagé aux juridictions internes la possibilité, le cas échéant, de redresser le grief allégué, de sorte qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent BergerGeorg Ress
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (troisième section), LAPEYRE c. la FRANCE, 19 juin 2003, 54161/00