CEDH, Cour (première section), KADIĶIS c. la LETTONIE (n° 2), 25 septembre 2003, 62393/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 25 sept. 2003, n° 62393/00
Numéro(s) : 62393/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 23 octobre 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Arslan c. Turquie (déc.), no 36747/02, CEDH 2002-X
Benham c. Royaume Uni, arrêt du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 755, § 50
Wynne c. Royaume Uni, arrêt du 18 juillet 1994, série A no 294 A, p. 15, § 36
Singh c. Royaume Uni, arrêt du 21 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, pp. 298-99, §§ 58-62
Wassink c. Pays Bas, arrêt du 27 septembre 1990, série A no 185 A, p. 14, § 38
Worm c. Autriche, arrêt du 29 août 1997, Recueil 1997-V, p. 1547, § 33
Haralambidis et autres c. Grèce, no 36706/97, § 38, 29 mars 2001
Jecius c. Lituanie, no 34578/97, § 44, CEDH 2000-IX
Kiiskinen c. Finlande (déc.), no 26323/95, CEDH 1999-V
Kucherenko c. Ukraine (déc.), n° 41974/98, 4 mai 1999
Moya Alvarez c. Espagne (déc.), no 44677/98, CEDH 1999-VIII
N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-IX
No 10416/83, déc. 17.5.84, D.R. 38, p. 158
No 23654/94, déc. 15.5.95, D.R. 81, p. 80
No 25681/94, déc. 9.4.96, D.R. 85, p. 134
Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 262, 3 juin 2003
Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30, CEDH 1999-II
Soto Sanchez c. Espagne (déc.), n° 66990/01, 20 mai 2003 Comm. Eur. D.H. No 9587/81, déc. 13.12.82, D.R. 29, p. 228
Tumilovich c. Russie (déc.), n° 47033/99, 22 juin 1999
V. c. Royaume Uni [GC], no 24888/94, §§ 104, 119, CEDH 1999-IX
Walker c. Royaume Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000-I
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-44449
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0925DEC006239300
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIERE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 62393/00
présentée par Arnis KADIĶIS
contre la Lettonie (no 2)

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 25 septembre 2003 en une chambre composée de

M.C.L. Rozakis, président,
MmesF. Tulkens,
N. Vajić,
M.E. Levits,
MmeS. Botoucharova,
MM.A. Kovler,
V. Zagrebelsky, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 23 octobre 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant letton né en 1953 et résidant à Liepāja (Lettonie).

Les faits de la cause, tels que présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit.


A. Circonstances particulières de l’affaire

Le 20 avril 2000, la juge M.J. du tribunal de première instance de Liepāja examina une affaire de contravention administrative (administratīvā pārkāpuma lieta), non qualifiée de pénale en droit interne, engagée par la police contre un tiers.

Au début de l’audience, le requérant se déclara représentant du prévenu, lui aussi présent à l’audience. Toutefois, le requérant n’étant pas avocat, la juge refusa de lui reconnaître la qualité de représentant et l’invita à regagner sa place parmi le public.

Au cours de l’audience, le requérant avança et tendit au prévenu un document. La juge interrompit aussitôt l’examen de l’affaire, réprimanda le requérant pour avoir troublé l’ordre de l’audience, et lui ordonna de quitter immédiatement la salle. Au lieu d’obtempérer, le requérant fit à la juge un geste obscène. Celle-ci lui ordonna alors de présenter une pièce d’identité, tout en envoyant un huissier appeler la police. Après quelques instants, le requérant sortit de la salle ; avant de franchir le seuil, il cria que « la juge [était] corrompue et [qu’il pouvait] le prouver ». Il ne retourna plus en salle et rentra chez lui.

Par une ordonnance définitive prise le même jour, la juge M.J. condamna le requérant à quinze jours de « détention administrative » (administratīvais arests) pour avoir commis un outrage au tribunal (necieņa pret tiesu), infraction réprimée par l’article 201-39 du code des contraventions administratives (Administratīvo pārkāpumu kodekss, ci-après l’« APK »). La partie pertinente de cette ordonnance était ainsi rédigée :

« (...) La juge [M.J.], après avoir examiné les pièces du dossier concernant Arnis Kadiķis, né le 20 avril 1953, (...) demeurant à Liepāja (...), a constaté [ce qui suit] :

Le 20 avril 2000, lors de l’examen, par la juge, d’une affaire administrative (...), Arnis Kadiķis refusa de quitter la salle d’audience ; il fit, en direction de la juge, un geste de main grossier à connotation sexuelle, tout en poussant des cris à haute voix ; [puis] il quitta la salle, bafouant les règles [de conduite devant un tribunal].

Eu égard à ce qui précède, et conformément aux articles 201-39 et 274 de l’APK, je décide de condamner Arnis Kadiķis (...) à 15 (quinze) jours de détention administrative ; le délai de la détention sera calculé à partir du moment de l’arrestation.

La [présente] ordonnance n’est pas susceptible de recours. »

Les circonstances dans lesquelles cette ordonnance fut prise, ainsi que les événements subséquents, font l’objet d’une controverse entre les parties. Il échet dès lors d’exposer séparément les versions des faits présentées par les parties, concernant tout d’abord l’exécution de l’ordonnance du 20 avril 2000 et les recours introduits par le requérant, et ensuite les conditions de sa détention dans les locaux de la direction locale de la police d’Etat.

1.  L’exécution de l’ordonnance du 20 avril 2000 et les recours introduits par le requérant

a)  Le Gouvernement

Selon le Gouvernement, immédiatement après le départ du requérant de la salle, la juge M.J. ordonna à l’huissier d’établir l’identité de celui-ci, sans pour autant interrompre l’audience. Ceci fait, la condamnation du requérant fut publiquement prononcée à la fin de l’audience. A l’appui de cette allégation, le Gouvernement fournit copie du procès-verbal de l’audience, portant, à la dernière page, juste avant la mention de clôture de l’audience et les signatures, le texte intégral de l’ordonnance précitée.

L’ordonnance du 20 avril 2000 fut transmise pour exécution à la police municipale (pašvaldības policija) de Liepāja. Le lendemain, le 21 avril, les agents de police se présentèrent au domicile du requérant, l’informèrent de sa condamnation et lui montrèrent copie de l’ordonnance. Cependant, le requérant refusa de se constituer prisonnier, au motif qu’il avait à sa charge un fils de sept ans qu’il élevait seul, et qu’il devait dès lors prendre des mesures nécessaires pour assurer le bien-être de l’enfant. Les agents de police l’invitèrent alors à se présenter au commissariat de police local le 25 avril 2000.

Le requérant ne comparut pas à la date indiquée. Le jour même, le 25 avril 2000, le chef de la police municipale en informa le tribunal de première instance de Liepāja. La juge M.J. décida alors de transmettre le dossier pour exécution à la direction locale de la police d’Etat (Valsts policija).

Entre-temps, le 24 avril 2000, le requérant saisit le parquet de Liepāja et le Parquet général d’un recours en tierce opposition contre l’ordonnance portant sa condamnation. Le 27 avril 2000, le Parquet général renvoya le recours devant le parquet de Liepāja, qui, par courrier du 5 mai 2000, le rejeta. Le parquet reconnut que l’ordonnance critiquée avait été prise et prononcée en l’absence du requérant, c’est-à-dire après son départ de la salle d’audience. Toutefois, selon le parquet, le procès-verbal de l’audience portait une mention attestant le prononcé public du dispositif de l’ordonnance, de sorte qu’aucune disposition de l’APK n’avait été enfreinte. Par ailleurs, le parquet fit remarquer que le requérant avait lui-même choisi de quitter la salle d’audience.

Trois fois au cours de la journée du 26 avril, et une fois le 28 avril 2000, les agents de la Police d’Etat se rendirent à deux adresses indiquées par le requérant pour l’arrêter ; toutefois, celui-ci était absent. Enfin, l’après-midi du 28 avril 2000, la police parvint à localiser le requérant et l’arrêta. Par conséquent, il fut placé dans le quartier  d’isolement provisoire (īslaicīgās aizturēšanas izolators) de la direction locale de la police d’Etat. Il y demeura jusqu’à sa libération, le 13 mai 2000.

Le 3 mai 2000, l’avocat du requérant présenta au parquet régional de Kurzeme un recours identique à celui du 25 avril. Par lettre du 11 mai 2000, le parquet régional lui répondit qu’au vu du contenu du procès-verbal de l’audience du 20 avril, il n’y avait aucun fondement légal pour former une tierce opposition contre l’ordonnance entreprise.

Le 3 mai 2000, l’avocat du requérant saisit le président de la cour régionale de Kurzeme d’un recours prévu à l’article 287, al. 1, de l’APK, en lui demandant d’annuler l’ordonnance du 20 avril. Par une lettre expédiée le même jour, le président rejeta ce recours pour des raisons de procédure.

b)  Le requérant

Le requérant conteste certains faits reproduits par le Gouvernement. Selon lui, le prononcé public de l’ordonnance du 20 avril 2000 n’eut jamais lieu. En effet, après la clôture de l’audience, la juge M.J. déclara aux représentants de la presse présents dans la salle qu’elle « n’avait pas encore décidé quoi faire au sujet de M. Kadiķis ». Appelée quelques heures plus tard par les mêmes journalistes, elle les informa qu’elle avait pris une ordonnance définitive condamnant le requérant à une peine de détention administrative. A l’appui de ses assertions, le requérant fournit copie de plusieurs articles rédigés et publiés par les journalistes présents dans la salle d’audience ; tous ces articles parlent de la clôture de l’audience sans mentionner le prononcé d’une ordonnance quelconque contre le requérant. Pour ce qui est du texte de l’ordonnance inséré dans le procès-verbal de l’audience, le requérant estime qu’il s’agit là d’un faux, produit par la juge afin de dissimuler sa faute professionnelle.

Pour le reste, le requérant ne met pas en cause l’exposé des faits du Gouvernement.

2.  Les conditions de détention du requérant dans le quartier d’isolement provisoire de la direction de la police d’Etat de Liepāja

a)  Le Gouvernement

Selon le Gouvernement, le quartier d’isolement provisoire se trouvait – et se trouve toujours – au rez-de-chaussée de l’aile gauche du bâtiment de la direction de Liepāja de la police d’Etat. Ce quartier comprenait quatre cellules, toutes identiques et toutes donnant sur un couloir long de 9 mètres et large de 2 mètres. Trois cellules étaient destinées à recevoir les personnes placées en garde à vue dans le cadre d’une enquête pénale ; quant à la quatrième, elle servait pour accueillir les personnes condamnées à une détention administrative. Cette cellule, où le requérant séjourna du 28 avril au 13 mai 2000, mesurait 6 m². Le nombre de personnes y variait en fonction du nombre de condamnations prononcées par le tribunal de première instance de Liepāja; en général, il s’agissait de quatre ou cinq personnes, mais pas davantage. Par manque de place, la cellule était dépourvue de tables et de chaises ; le seul meuble était une plate-forme en bois, mesurant 2,1 m sur 1,7 et servant de couchette commune aux détenus. Toutefois, même si la cellule rassemblait cinq détenus, la plate-forme offrait suffisamment de place pour eux tous. La lumière du jour ne pénétrait pas dans la cellule ; toutefois, l’éclairage artificiel était suffisant pour lire et écrire, et la lumière n’empêchait pas les détenus de dormir. Le système de ventilation était « médiocre » et était souvent arrêté pendant la nuit ; toutefois, ceci n’était jamais fait lorsqu’il faisait chaud. Contrairement à ce que soutient le requérant (cf. infra), il n’y avait ni humidité ni écoulements d’eau dans la cellule.

La cellule étant dépourvue d’installations sanitaires, les détenus devaient utiliser les toilettes et les lavabos communs, où l’on accédait depuis le couloir. Les détenus étaient autorisés à s’y rendre deux fois par jour, à 8 h 00 et à 18 h 00 respectivement ; toutefois, lorsqu’un détenu demandait de le conduire aux toilettes en dehors de ces horaires, sa demande était satisfaite.

Chaque jour à 13 h 00, les détenus recevaient un repas composé de deux plats et d’une tasse de thé sucré ; ils recevaient en outre une ration de pain pour toute la journée. La quantité de nourriture était conforme aux normes approuvées par le Conseil des ministres. En outre, deux fois par jour, lorsque les détenus étaient conduits hors de leurs cellules pour leur toilette du matin et du soir, ils avaient accès à l’eau potable d’une bouilloire électrique située dans le couloir.

Le 4 mai 2000, l’épouse du requérant fut autorisée à lui transmettre des vêtements (une chemise, un pull-over, une veste, un pantalon et des chaussettes) et des produits d’hygiène personnelle (du papier hygiénique, de la crème hygiénique, une brosse à dents et du dentifrice). A l’exception de ce cas isolé, aucune autre demande en ce sens ne fut soumise à la police par une personne quelconque de l’extérieur. Quant aux aliments, leur transmission de l’extérieur aux détenus était interdite.

Selon le Gouvernement, le jour même de son arrestation, le 28 avril 2000, le requérant fut autorisé à téléphoner à sa femme et à son avocat. Ce fait est mentionné dans le rapport adressé par un agent de police au chef de la direction de la police d’Etat de Liepāja, dont copie est fournie. En effet, conformément au règlement des quartiers d’isolement provisoire des établissements de la police d’Etat (cf. infra, le droit interne pertinent), le requérant avait le droit de communiquer avec son avocat, mais il n’a pas demandé à la police de lui accorder une entrevue avec celui-ci.

Le requérant avait également le droit à l’assistance médicale. Il ressort des pièces présentées par le Gouvernement que, le 2 mai 2000, le requérant déclara une grève de la faim en guise de protestation contre sa détention, et que le même jour, le chef de la direction de la police ordonna son placement sous suivi médical. A l’appui de cette affirmation, le Gouvernement fournit copie d’une note écrite adressée par le chef à l’un de ses subordonnés.

Contrairement à ce que soutient le requérant (cf. infra), il disposait d’un stylo et de papier, et il pouvait expédier des lettres à l’extérieur. A cet égard, le Gouvernement rappelle que sa déclaration de grève de la faim et sa lettre relative aux délais de sa détention étaient rédigées par écrit ; en outre, il put expédier une lettre à un journal local, qui la publia le 3 mai 2000. Dans ces circonstances, le Gouvernement estime que le requérant n’avait pas d’obstacles à la rédaction d’une plainte.

Enfin, le Gouvernement conteste l’assertion du requérant selon laquelle son avocat aurait adressé une requête au Bureau national des droits de l’homme (Valsts cilvēktiesību birojs) le 4 mai 2000 (cf. infra). En effet, ce Bureau ne reçut aucune lettre ni communication du requérant ou de son avocat à cette époque.

b)  Le requérant

Selon le requérant, la description des conditions de sa détention par le Gouvernement est partiellement correcte ; cependant, il estime que même les faits reconnus par le Gouvernement démontrent l’existence de traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

Ainsi, il est vrai que la cellule où il était placé pendant la période du 28 avril au 13 mai 2000, mesurait 6 m². Plus de la moitié de cette superficie, soit environ 3,5 m², était occupée par la plate-forme servant de couchage (s’élevant à une vingtaine de centimètres au-dessus du sol), de sorte que tout l’espace libre ne constituait que 2,5 m². Or, comme le reconnaît le Gouvernement, la cellule rassemblait régulièrement quatre ou cinq détenus. Cette cellule était mal aérée (le ventilateur était souvent éteint) et mal éclairée, le seul dispositif d’éclairage étant une lampe de nuit, placée dans une niche au-dessus de la porte et allumée jour et nuit. Les promenades étaient inexistantes, les locaux de la police étant dépourvus d’un préau ou d’une aire aménagés à cet effet. Par conséquent, pendant les quinze jours de sa détention, il ne put ni voir la lumière du jour ni respirer de l’air frais. Qui plus est, le requérant dit avoir souffert de chaleur et d’humidité, l’eau suintant des parois de la cellule.

En outre, la plate-forme à coucher étant dépourvue de toute pièce de literie, même de matelas et de couvertures, les détenus étaient obligés de dormir habillés. Pour ce qui est des lavabos et des toilettes, le requérant reconnaît qu’il était autorisé à y aller trois fois par jour (et non deux, comme soutient le Gouvernement). Toutefois, il conteste l’assertion du Gouvernement selon laquelle les gardiens l’autorisaient à s’y rendre en dehors des horaires fixés. Bien au contraire, en cas de nécessité, lui-même et ses codétenus n’avaient d’autre choix que d’utiliser une bouteille et une écuelle en plastique pour satisfaire leurs besoins naturels.

Selon le requérant, la vérité de la plupart de ses affirmations peut être prouvée par d’éventuels témoignages de ses compagnons de cellule. En outre, il fournit copie d’un article paru dans le journal local le 3 mai 2000 et reproduisant un extrait de la lettre qu’il avait adressée la veille à l’éditeur. Dans cette lettre, le requérant se plaignait des mauvaises conditions de sa détention, évoquant la plupart des faits exposés ci-dessus.

Le requérant reconnaît que, le 2 mai 2000, il entama une grève de la faim pour protester contre l’illégalité de sa détention. Toutefois, il nie vigoureusement l’assertion du Gouvernement selon laquelle il aurait été placé sous suivi médical. D’après le requérant, la note écrite du chef de la direction de la police d’Etat de Liepāja, dont copie est présentée par le Gouvernement (cf. supra) constitue un faux rédigé post factum. En tout état de cause, il fut finalement contraint d’interrompre sa grève de la faim le 6 mai 2000, en raison d’une grave détérioration de son état de santé.

Le requérant ne nie pas qu’immédiatement après son arrestation, il fut autorisé à téléphoner à sa femme et à son avocat. Cependant, selon lui, le 30 avril 2000, son avocat vint en personne à Liepāja pour avoir un rendez-vous avec lui. La police expliqua alors à l’avocat que les  entrevues entre une personne condamnée à une détention administrative et un avocat n’étaient pas autorisées, ce droit étant réservé aux personnes placées en garde à vue dans le cadre d’une enquête pénale, ainsi qu’aux personnes contre lesquelles une procédure de contravention administrative était encore en cours. Afin de prouver la tentative infructueuse de l’avocat de le rencontrer, le requérant fournit copie d’un article publié dans le journal local et mentionnant le refus en question.

D’après le requérant, les agents de police n’autorisèrent ses proches à lui transmettre des articles d’hygiène et des vêtements qu’une seule fois. Toutes les demandes ultérieures furent rejetées.

De même, le requérant soutient qu’en dépit de ses demandes répétées, les gardiens du quartier d’isolement refusèrent de lui prêter un stylo et du papier pour rédiger une plainte.

Selon le requérant, le 4 mai 2000, son avocat adressa une requête au Bureau national des droits de l’homme (Valsts cilvēktiesību birojs), se plaignant notamment des conditions dégradantes de la détention de son client. Il ne reçut aucune réponse.

B. Le droit interne pertinent

1. Dispositions relatives à la procédure pour contraventions administratives

A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code des contraventions administratives (APK) étaient ainsi libellées :

Article 201-39

« L’outrage au tribunal, se manifestant par le refus de (...) la personne d’obéir aux ordres du président de l’audience, ou par la non-observation de l’ordre lors de l’audience, ou par tout comportement de la personne attestant sa volonté de négliger, d’une manière flagrante, les règles relatives à l’audience (...), – est punie de deux-cent cinquante lats d’amende ou d’une détention  administrative pour une période allant jusqu’à quinze jours. »

Article 271-2

« La peine (...) pour la contravention administrative prévue à l’article 201-39 du présent code peut être appliquée par le président de l’audience par voie d’une ordonnance.

Mention de [cette] contravention administrative, lorsqu’elle a été commise dans la salle d’audience, doit être faite au procès-verbal de l’audience.

Après avoir donné lecture de cette mention, le président de l’audience détermine la personnalité du contrevenant, donne une qualification légale à son infraction, et, ensuite, prononce le contenu de l’ordonnance prise.

Le contenu de l’ordonnance doit être retranscrit au procès-verbal de l’audience ; cette partie du procès-verbal de l’audience est signée par le président de l’audience.

La personne condamnée pour une contravention [prévue à l’article 201-39] a le droit de recevoir, le jour même où la décision [de sa condamnation] a été prise, un extrait de la partie du procès-verbal de l’audience fixant la nature de la contravention (...) et la peine (...) appliquée.

Lorsqu’il est impossible de déterminer, à l’audience, la personnalité du contrevenant, ou lorsqu’il y a d’autres circonstances empêchant de prononcer la peine (...) sur-le-champ dans la salle d’audience, ainsi que dans les cas où l’outrage au tribunal a été commis en dehors de la salle d’audience, le juge ou le président de l’audience, après avoir examiné le dossier, l’envoie au chef de la direction de la police d’Etat dans le ressort de laquelle la contravention (...) a été commise.

Le procès-verbal est dressé par le juge chargé de l’affaire examinée [en cours d’audience]. L’affaire de la contravention administrative est examinée par le président du tribunal ou par un autre juge. » 

Article 279, al. 2

« L’ordonnance d’un juge du tribunal [de première instance] de district (ou de ville) appliquant une peine pour contravention administrative est définitive et n’est pas susceptible de recours (...), sauf dans les cas prévus par les actes législatifs. »

Article 282

« Le procureur peut former une tierce opposition [protests] contre une décision prise dans une affaire de contravention administrative. »

Article 285

« En examinant la (...) tierce opposition (...), l’autorité compétente vérifie la légalité et le bien-fondé de la décision prise. »

Article 286

« En examinant une (...) tierce opposition (...), l’autorité compétente peut prendre l’une des décisions suivantes :

1) laisser la décision [entreprise] sans modification et rejeter la (...) tierce opposition ;

2) annuler la décision [entreprise] et renvoyer l’affaire pour un nouvel examen ;

3) annuler la décision [entreprise] et classer l’affaire ;

4) modifier la peine dans les limites fixées dans l’acte normatif prévoyant la responsabilité pour la contravention administrative, sans toutefois aggraver la peine.

Lorsqu’il s’avère que la décision a été prise par une autorité qui n’était pas compétente pour examiner l’affaire, une telle décision est annulée et l’affaire est transmise pour examen à l’autorité compétente.

(...) Le procureur se voit notifier le résultat de l’examen de sa tierce opposition. »

Article 287, al. 1

« Une ordonnance prise par le juge dans une affaire (...) relevant de l’article (...) 201-39 (...) peut être annulée ou modifiée : par le juge lui-même suite à une tierce opposition du procureur, ou bien, indépendamment de toute tierce opposition (...), par le président de la juridiction supérieure. »

Article 291, al. 2

« Lorsqu’une (...) tierce opposition a été formée contre une décision portant condamnation à une peine pour contravention administrative, celle-ci doit être exécutée après le rejet de (...) la tierce opposition (...) »

2.  Dispositions relatives à l’application de la détention administrative et à l’exécution de cette peine

Les dispositions pertinentes de l’APK se lisent comme suit :

Article 31

« Une détention administrative ne peut être prononcée et appliquée que dans des cas exceptionnels relatifs aux types spécifiques de contraventions administratives, et pour une période allant d’un jour à quinze jours. La détention administrative est appliquée par un juge du tribunal [de première instance] de district (ou de ville). 

Une détention administrative ne peut pas être appliquée aux femmes enceintes, aux femmes ayant [à leur charge] des enfants de moins de douze ans et aux personnes n’ayant pas atteint l’âge de dix-huit ans, ainsi qu’aux invalides de la première et de la deuxième catégorie. »

Article 294, al. 1

« Lorsqu’il existe des circonstances empêchant une exécution immédiate d’une ordonnance portant [condamnation à] une détention administrative (...), l’autorité ayant pris cette ordonnance peut suspendre son exécution pour une durée n’excédant pas un mois. »

Article 297

« Les questions liées à l’exécution d’une décision portant [condamnation à] une peine administrative, sont résolues par l’autorité ayant pris cette décision.

Le contrôle d’une exécution correcte et prompte d’une décision portant [condamnation à] une peine administrative, incombe à l’autorité ayant pris cette décision. »

Article 317

« Une ordonnance portant [condamnation à] une détention administrative est exécutée immédiatement après son adoption. »

Article 318

« Les personnes condamnées à une détention administrative sont placées dans des établissements de détention désignés par les autorités de police. Lors de l’exécution d’une ordonnance portant [condamnation à] une détention administrative, une fouille corporelle du détenu est effectuée.

La durée de l’arrestation administrative s’impute sur la durée de la détention administrative.

La détention administrative se déroule selon les modalités définies par la législation. »

Aucun acte législatif ni réglementaire ne régit expressément les modalités de l’exécution de la peine de détention administrative. Le code de l’exécution des peines (Sodu izpildes kodekss) contient des dispositions détaillées relatives aux peines d’emprisonnement (brīvības atņemšana) et de détention de courte durée (arests), prévues par le code pénal (Krimināllikums). Cependant, ces dispositions sont inapplicables à la détention administrative, située en dehors du domaine « pénal » au sens du droit interne. Le seul acte régissant les conditions d’exécution de cette peine, ainsi que les droits et les obligations des détenus est le « Règlement des quartiers d’isolement provisoire des établissements de la police d’Etat » (Valsts policijas iestāžu īslaicīgās aizturēšanas izolatora nolikums), approuvé par un arrêté du ministre de l’Intérieur et non publié. Les dispositions pertinentes de ce règlement se lisent comme suit :

Article 1-3

Un quartier d’isolement provisoire (...) est un local spécialement équipé [situé] dans l’enceinte d’un établissement de police, où les personnes suivantes sont détenues :

(...)

1-3-5) (...) personnes condamnées à une détention administrative. »

Article 1-5

« Les personnes placées en détention administrative doivent être maintenues dans le quartier d’isolement provisoire pendant toute la durée de leur détention (...)

Article 3-7

« Des couchettes ou des lits séparés doivent être placés dans les cellules (...). Dans certaines cellules, des couchettes communes peuvent être installées. Chaque détenu doit recevoir un matelas et une couverture conformément au règlement intérieur de l’établissement. »

Article 4-1

« (...) Les membres du personnel des quartiers d’isolement provisoire doivent assurer aux détenus un traitement équitable et humain, sans permettre à un particulier quelconque d’effectuer des actes illégaux à leur encontre, les terroriser, les humilier ou accomplir un acte inhumain d’un autre genre. »

Article 6-5

« Un matelas et une couverture sont fournis [aux détenus] conformément au règlement intérieur de l’établissement. Ni pièces de literie ni jeux de table ne leur sont donnés. Les personnes placées en détention administrative (...) n’ont pas le droit de recevoir [de l’extérieur] des colis contenant des produits alimentaires, sauf de la nourriture diététique lorsqu’il y a une indication médicale ou une autorisation donnée par le chef de l’établissement de police (...) »

Article 6-6

« La nourriture est fournie aux détenus conformément aux normes approuvées par un arrêté du ministre de l’Intérieur. »

Article 6-8

« Les articles d’hygiène personnelle et les médicaments autorisés par le personnel médical sont donnés aux [détenus] pendant leur toilette du matin et du soir, ainsi qu’à d’autres occasions. »

Article 7-1

« Les personnes placées dans les quartiers d’isolement provisoire ont le droit :

(...)

7-1-6) de rencontrer un avocat sans que d’autres personnes soient présentes et sans limitation quant à la fréquence et la durée de tels rendez-vous, et ce, conformément à la procédure fixée par l’établissement de police ;

7-1-7) d’envoyer des requêtes et des plaintes écrites aux autorités de l’Etat, des collectivités locales et des institutions internationales ;

(...)

7-1-9) de porter des vêtements appropriés pour la saison, ainsi qu’utiliser les objets personnels autorisés en cellule (...) ;

7-1-10) de recevoir gratuitement de l’assistance médicale urgente ;

(...). »

Article 8-1

« Les personnes placées dans les quartiers d’isolement provisoire doivent soumettre leurs plaintes  écrites et leurs lettres aux membres du personnel du quartier (...) »

Article 8-2

« Le membre du personnel (...) transmet les plaintes et les requêtes reçues des détenus au chef de l’établissement [respectif] de police, qui prend la décision soit de les enregistrer au secrétariat de l’établissement (...) et de les examiner, soit de les transmettre au destinataire. »

Article 8-4

« Seules les requêtes et les plaintes relatives à l’instruction de l’affaire (...) [de contravention administrative] en question, ou visant à protéger les droits et les intérêts du détenu, sont envoyées à l’autorité compétente, au procureur ou au tribunal (...) »

Article 9-3

« Les [détenus] peuvent recevoir des (...) articles d’hygiène personnelle des membres de leurs familles. (...)

9-3-1) les articles d’hygiène personnelle des [détenus] (...) sont déposés à l’extérieur des cellules dans des placards ou sur des étagères spéciales, et leur sont donnés pendant leur toilette du matin et du soir ;

 (...). »

  1. Dispositions relatives au contrôle et aux voies de recours contre les actes de la police

Les dispositions pertinentes de la loi du 4 juin 1991 sur la police (Likums « Par policiju ») sont ainsi libellées :

Article 5, al. 4 et 5

« (...) Par son action, la police assure le respect des droits et des libertés des particuliers. Une restriction desdits droits et libertés n’est autorisée que sur la base d’une loi et selon les modalités définies par la loi. Chaque fois qu’un agent de police restreint les droits et les libertés des personnes, il leur explique les raisons pour chaque restriction concrète. (...)

La police donne aux personnes arrêtées et placées en détention provisoire la possibilité d’exercer leur droit à l’assistance judiciaire ; lorsque ces personnes le demandent, le lieu de leur détention est immédiatement communiqué à leur famille et à l’administration de leur employeur ou de leur établissement scolaire. La police assure la protection de la santé des personnes arrêtées et placées en détention provisoire, et prend des mesures d’urgence afin de leur fournir l’aide médicale (...) »

Article 27, al. 1, 2 et 6

«  Un agent de police est responsable pour son comportement illégal, conformément aux modalités prévues par la loi et le règlement de service. Si un agent de police a violé les droits des particuliers ou a porté atteinte à leurs intérêts légitimes, l’établissement de police [dont il relève] doit prendre des mesures afin de restaurer ces droits et de redresser le préjudice subi. (...)

Un agent de police n’a pas le droit de commettre ou de soutenir un acte quelconque lié à la torture ou à un autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants. Aucun agent de police ne peut se référer à un ordre donné par un supérieur (...) pour justifier la torture ou un autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants.

(...)

Les plaintes mettant en cause le comportement d’un agent de police sont examinées par le chef de la division (de la subdivision) auquel l’agent [en question] est directement subordonné. Lorsque le plaignant n’est pas satisfait de la décision prise, il peut, dans un délai d’un mois, l’attaquer par voie de recours devant l’organe supérieur de police, devant le parquet ou devant le tribunal. »

Article 39

« Le contrôle du respect des textes relatifs au fonctionnement de la police est effectué par le Procureur général de la République de Lettonie et les procureurs qui lui sont subordonnés. »

Les dispositions pertinentes de la loi du 19 mai 1994 sur le parquet (Prokuratūras likums) sont ainsi libellées :


Article 6 §§ 3 et 4

« (...) (3) Les actes du procureur peuvent faire l’objet d’un recours dans les cas et selon les modalités définis dans la présente loi et dans les lois procédurales. Dans les domaines relevant de la compétence exclusive du parquet, les recours doivent être adressés au procureur en chef [virsprokurors] du parquet du rang supérieur [à celui ayant rendu la décision entreprise] ; les actes d’un procureur du Parquet général peuvent faire l’objet d’un recours devant le Procureur général. Les décisions prises par ces [procureurs supérieurs] sont définitives.

(4) Un procureur d’un rang supérieur a le droit d’examiner toute affaire [relevant du procureur d’un rang inférieur], mais il n’a pas le droit d’enjoindre au procureur d’accomplir des actes à l’encontre de sa conscience (...) »

Article 9

« (1) Les ordres légitimes du procureur sont obligatoires à toutes les personnes sur le territoire de la République de Lettonie.

(2) Les personnes ne se pliant pas aux ordres légitimes du procureur encourent la responsabilité définie par la loi. »

Article 15

« (1) Conformément aux modalités définies par la loi, le procureur surveille l’exécution des peines privatives de liberté [brīvības atņemšanas sodi] appliquées par les tribunaux, et les lieux dans lesquels les personnes arrêtées, placées en garde à vue et en détention provisoire sont détenues (...).

(2) Le procureur a le droit et le devoir d’ordonner, par sa décision immédiate, la libération des lieux d’emprisonnement ou des [établissements à régime] de liberté restreinte des personnes qui y sont illégalement détenues.

(3) L’opposition [protests] du procureur relative à la peine illégalement appliquée à une personne détenue dans des lieux d’emprisonnement, entraîne la suspension de l’exécution [de la peine] jusqu’à l’examen de l’opposition. »

Article 16 §§ 1 et 3

« (1) Après avoir reçu l’information relative à une violation de la loi, le procureur effectue une enquête conformément aux modalités définies par la loi, lorsque : (...)

2) il a été porté atteinte aux droits et aux intérêts légitimes des personnes juridiquement incapables ou à capacité limitée, des invalides, des mineurs, des détenus ou d’autres personnes dont la faculté de protéger leurs droits est limitée.

(...)

(3) De même, le procureur effectue une enquête lorsqu’il reçoit une plainte d’une personne dénonçant une violation de ses droits ou ses intérêts légitimes, que cette plainte a déjà été examinée par l’autorité de l’Etat compétente et que [la personne concernée] a reçu le refus de remédier à la violation mentionnée dans la plainte, ou qu’aucune réponse ne lui a été donnée dans le délai fixé par la loi. Un telle plainte doit être soumise au parquet par écrit (...) »

Article 17

« (1) Lorsqu’il examine une plainte, le procureur a, conformément à la loi, le droit :

1) de demander et d’obtenir des actes normatifs, des documents et d’autres informations des autorités publiques (...), ainsi que d’entrer librement dans les locaux de ces autorités ;

2) d’enjoindre aux chefs des établissements (...) et aux autres responsables d’effectuer des vérifications, des audits et des expertises, de formuler des avis, ainsi que de fournir l’aide de spécialistes (...) ;

3) de convoquer une personne et de lui demander des explications sur la violation de la loi. (...)

(2) Lorsqu’il constate une violation de la loi, et en fonction du caractère de cette violation, le procureur a l’obligation :

1) de donner un avertissement de ne plus enfreindre la loi ;

2) de formuler une tierce opposition [protests] ou une déclaration sur la nécessité de mettre fin à la violation de la loi ;

3) de saisir le tribunal d’une demande ;

4) d’ouvrir une enquête pénale ;

5) de suggérer l’ouverture de poursuites administratives ou disciplinaires. »

Article 20

« (1) Lorsqu’il est nécessaire de mettre fin à une action illégale, d’éliminer les conséquences d’une telle action ou de ne pas permettre à une violation de la loi de se produire, le procureur saisit (...) l’autorité (...) respective d’une déclaration écrite.

(2) Le procureur fixe un délai pour exécuter les injonctions contenues dans la déclaration, en fonction du caractère de l’irrégularité [en cause] et du temps nécessaire pour y mettre fin.

(3) Lorsque les injonctions formulées dans la déclaration, ne sont pas exécutées ou ne font pas l’objet d’une réponse, le procureur a le droit de saisir le tribunal ou un autre organe compétent d’une demande visant à engager la responsabilité de la personne [concernée], conformément à la loi. »

L’APK et le code pénal pénalisent l’inaction abusive des autorités publiques et établissent des peines pour ce genre d’infractions (d’une gravité différente selon le cas).

En outre, la loi du 27 octobre 1994 relative à l’ordre de l’examen de requêtes, de plaintes et de suggestions par les autorités de l’Etat et des collectivités territoriales (Iesniegumu, sūdzību un priekšlikumu izskatīšanas kārtība valsts un pašvaldību institūcijās) garantit à chacun le droit de recevoir une réponse motivée de l’autorité saisie (article 1er). Elle fixe les modalités de traitement des communications adressées aux autorités publiques par les particuliers, et fixe les délais de réponse. Le délai normal est de quinze jours ; toutefois, si le problème soulevé nécessite une enquête ou une collecte d’informations supplémentaires, ce délai peut être prolongé jusqu’à trente jours ou même plus, à condition que l’intéressé en soit averti (article 8 § 1).

4.  Disposition relative à la réparation du préjudice causé par une détention illégale

L’article 2, sous 3), de la loi du 28 mai 1998 relative à la réparation des dommages causés par des actes illégaux ou mal fondés de l’autorité d’enquête, du parquet ou du tribunal (Likums « Par izziņas iestādes, prokuratūras vai tiesas nelikumīgas vai nepamatotas
rīcības rezultātā nodarīto zaudējumu atlīdzināšanu »), subordonne la réparation du préjudice subi du fait d’une détention administrative illégale à « la reconnaissance du caractère illégal d’une détention administrative et [à] la clôture de l’affaire de contravention administrative ».

GRIEFS

1.  Le requérant se plaint que la procédure ayant abouti à sa condamnation à quinze jours de « détention administrative » s’est déroulée en violation des principes fondamentaux de l’article 6 de la Convention. En premier lieu, il se plaint que sa cause n’a pas été entendue par un « tribunal impartial », puisqu’il a été jugé et condamné par le magistrat qu’il avait gravement offensé quelques heures plus tôt et qui était donc partie à l’affaire en question. En deuxième lieu, sous l’angle du droit à un procès équitable, le requérant soutient que la décision portant sa condamnation a été rendue en son absence, sans qu’il ait été entendu et sans respecter une procédure contradictoire. Enfin, le requérant se plaint que la procédure litigieuse n’a pas été publique et que la décision prise n’a pas été prononcée publiquement. Le requérant se réfère à la disposition générale de l’article 6 § 1 et aux garanties spécifiques de l’article 6 § 3 a), b) et c) de la Convention.

2.  Le requérant estime que l’absence d’un recours régulier contre l’ordonnance portant sa condamnation s’analyse en une violation de son droit à un double degré de juridiction en matière pénale, garanti par l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention.

3.  Le requérant se plaint également d’avoir été privé de sa liberté en violation de l’article 5 § 1  de la Convention.

4.  Invoquant l’article 5 § 4, le requérant se plaint de l’absence, en droit letton, d’un contrôle judiciaire efficace de la légalité de sa « détention administrative ».

5.  Sous l’angle de l’article 5 § 5, le requérant dénonce l’absence de toute possibilité d’obtenir une réparation du préjudice causé par sa détention qu’il estime illégale. A cet égard, il fait remarquer que la législation nationale limite une telle réparation aux seuls cas où l’ordonnance portant détention a été annulée.

6.  Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant critique les conditions de détention dans le quartier d’isolement provisoire de la direction de Liepāja de la police d’Etat. Selon lui, sa détention dans de telles conditions pendant quinze jours constitue un traitement inhumain et dégradant, voire un acte de torture, prohibé par cette disposition.

7.  Enfin, invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant dénonce l’absence, en droit letton, d’un recours effectif susceptible de remédier à son grief tiré de l’article 3 de la Convention.

EN DROIT

A.  Griefs tirés de l’article 6 de la Convention

Le requérant s’estime victime d’une violation de l’article 6 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [et] publiquement (...), par un tribunal (...) impartial, (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement (...)

(...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; (...)  »

1.  Les arguments des parties

a)  Le Gouvernement

Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-respect, par le requérant, du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention. Il rappelle qu’à l’époque des faits, une ordonnance d’un juge appliquant une peine pour contravention administrative était définitive, et que seule l’autorité ayant prononcé la condamnation pouvait suspendre ou interrompre son exécution (articles 279, 294 et 297 de l’APK). Pour ce qui est du recours en tierce opposition tenté par le requérant devant le parquet, il s’agit d’une voie de recours extraordinaire, dont l’exercice dépend de la volonté discrétionnaire du procureur. Il en est de même du recours en annulation devant le président de la cour régionale de Kurzeme, prévu à l’article 287, al. 1, de l’APK et introduit par l’avocat du requérant le 3 mai 2000. En conséquence, aucun de ces recours n’ayant abouti à la réouverture de la procédure, ils ne peuvent pas être pris en compte lors du calcul du délai de six mois.

A la lumière de ce qui précède, le Gouvernement conclut que la « décision interne définitive » est l’ordonnance du juge du tribunal de première instance de Liepāja du 20 avril 2000. Le Gouvernement rappelle que le délai de six mois commence normalement à courir à compter de la date suivant le jour du prononcé public de la décision en question, ou, si un tel prononcé n’a pas eu lieu, le lendemain de la date de sa notification au requérant. Dans le cas d’espèce, l’ordonnance portant condamnation du requérant a été lue à haute voix à l’audience du 20 avril 2000, ce qui est attesté par le procès-verbal de cette audience. Même à supposer que cette mention soit inexacte et qu’un tel prononcé oral n’ait jamais eu lieu, il ressort des pièces du dossier et des explications du requérant qu’il fut informé de l’existence de l’ordonnance le lendemain, le 21 avril, par les agents de police municipale. Or, dans ce dernier cas, le délai de six mois a commencé à couler le 22 avril 2000, et le dernier jour où le requérant pouvait envoyer sa requête à la Cour était donc le 21 octobre 2000. Son premier courrier ayant été expédié à Strasbourg le 23 octobre 2000, cette partie de la requête est tardive.

b)  Le requérant

Le requérant réitère tout d’abord sa version des faits selon laquelle l’ordonnance portant sa condamnation n’a jamais été prononcée oralement à l’audience du 20 avril 2000. Ensuite, tout en reconnaissant que le délai d’expiration du délai de six mois dans son affaire devait normalement être le 21 octobre 2000, il rappelle que cette date était un samedi. Or, aux termes de l’article 48 § 2 de la nouvelle loi lettonne sur la procédure civile (Civilprocesa likums), lorsque le dernier jour d’un délai procédural tombe sur un samedi, un dimanche ou un jour férié, le dies ad quem est automatiquement reporté au premier jour ouvrable qui suit. Selon le requérant, ce principe, affirmé par la jurisprudence du Sénat de la Cour suprême lettonne, correspond aux « principes généraux du droit, [aux] normes européennes [et aux] dispositions du droit des Etats démocratiques ». Dans le cas d’espèce, le requérant a expédié son premier courrier à la Cour le 23 octobre 2000, c’est-à-dire le lundi suivant la date formelle d’expiration du délai de six mois ; les conditions de l’article 35 § 1 de la Convention ont donc été remplies.

2.  L’appréciation de la Cour

La Cour constate d’emblée que le requérant a présenté ses griefs sur deux formulaires de requête séparés, dont chacun constituait en même temps la première lettre d’introduction de la requête au sujet des griefs respectifs. Le premier formulaire, traitant uniquement du caractère inéquitable de la procédure et exposant des doléances sur le terrain de l’article 6 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7, a été expédié à Strasbourg le 23 octobre 2000, comme l’indique le cachet de la poste de la ville de Saldus ; en revanche, le formulaire lui-même porte la mention d’une date antérieure, le 20 octobre 2000. Quant au deuxième formulaire, concernant la prétendue illégalité et les mauvaises conditions de sa détention, la Cour note qu’il porte la date du 27 octobre 2000 et a été expédié le 31 octobre 2000.

La Cour rappelle que, conformément à l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie d’une affaire que « dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive », c’est-à-dire de l’acte clôturant le processus d’« épuisement des voies de recours internes », au sens de la même disposition (voir McDaid et autres c. Royaume-Uni, no 25681/94, décision de la Commission du 9 avril 1996, Décisions et rapports (DR) 85, p. 134). Or, aux termes du deuxième alinéa de l’article 279 de l’APK, les ordonnances prises par le juge en matière de contraventions administratives sont en principe définitives. Pour ce qui est du recours en tierce opposition devant le parquet et du recours en annulation devant le président de la cour régionale de Kurzeme, la Cour constate que l’exercice de ces recours dépend du pouvoir discrétionnaire de l’autorité saisie. Il s’agit donc de voies procédurales extraordinaires, ne satisfaisant pas aux critères d’« accessibilité » et d’« efficacité » et n’entrant pas en ligne de compte aux fins du calcul du délai de six mois (voir, mutatis mutandis, Kucherenko c. Ukraine (déc.), no 41974/98, 4 mai 1999 ; Kiiskinen c. Finlande (déc.), no 26323/95, CEDH 1999-V ; Tumilovich c. Russie (déc.), no 47033/99, 22 juin 1999, et Moya Alvarez c. Espagne (déc.), no 44677/98, CEDH 1999-VIII). Cela étant, l’ordonnance de la juge du tribunal de première instance de Liepāja du 20 avril 2000 est la « décision interne définitive » au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, lorsque le requérant est en droit de se voir signifier d’office une copie de la décision définitive, il est plus conforme à l’objet et au but de l’article 35 § 1 de considérer que le délai de six mois commence à courir à compter de la date de cette signification (voir Worm c. Autriche, arrêt du 29 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-V, p. 1547, § 33). En revanche, lorsque la signification n’est pas prévue en droit interne, il convient de prendre en considération la date de la mise au net de la décision, c’est-à-dire la date à partir de laquelle les parties peuvent réellement prendre connaissance de son contenu (voir Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30, CEDH 1999-II, et Haralambidis et autres c. Grèce, no 36706/97, § 38, 29 mars 2001).

Dans la présente affaire, la Cour constate que le cinquième alinéa de l’article 271-2 de l’APK garantit à toute personne condamnée du chef d’outrage au tribunal « le droit  de recevoir, le jour même où la décision [de sa condamnation] a été prise, un extrait de la partie du procès-verbal de l’audience fixant la nature de la contravention (...) et la peine (...) appliquée ». Le quatrième alinéa du même article obligeant le juge à retranscrire le texte intégral de l’ordonnance dans le procès-verbal, la Cour conclut que le contenu de la « partie du procès-verbal » en question doit en principe être équivalent à celui de l’ordonnance elle-même. Le droit letton prévoit donc la signification de la décision interne définitive à la personne condamnée. Il est vrai que les exigences de l’article 271-2 précité semblent ne pas avoir été observées en l’espèce, le requérant n’ayant reçu la signification que le lendemain de sa condamnation. Toutefois, la Cour estime que ce fait est sans incidence sur l’issue de l’affaire, et que le dies a quo du délai de six mois doit être fixé au jour où le contenu de la décision a été réellement communiqué au requérant, à savoir au 21 avril 2000. Cela étant, le requérant aurait dû introduire sa requête dans le délai de six mois à partir de cette date, c’est-à-dire au plus tard le 21 octobre 2000.

A cet égard, la Cour constate que le requérant a daté son premier formulaire le 20 octobre, mais a déposé celui-ci à la poste de Saldus le 23 octobre 2000. En l’absence de circonstances particulières pouvant justifier une approche différente, la Cour estime que c’est la date du dépôt du courrier à la poste, figurant sur le cachet postal, qui doit être retenue comme date d’introduction de la requête (voir Arslan c. Turquie (déc.), no 36747/02, CEDH 2002-X). Le délai de six mois a donc été dépassé en l’espèce.

Enfin, et dans la mesure où le requérant se réfère à la législation procédurale lettonne accordant une prorogation automatique des délais lorsque leur échéance coïncide avec un jour non ouvrable, la Cour rappelle que le respect du délai de six mois s’opère selon les critères propres à la Convention, et non en fonction des modalités prévues en droit interne de chaque Etat défendeur. Au demeurant, rien ne montre en l’espèce que le requérant n’était pas en mesure de prévoir la coïncidence en cause et d’agir en conséquence.

En résumé, l’exception du Gouvernement se révèle fondée. Cette partie de la requête doit dès lors être rejetée pour non-respect du délai de six mois établi à l’article 35 § 1 de la Convention, et ce, en application de l’article 35 § 4.

B.  Grief tiré de l’article 2 du Protocole no 7

Le requérant critique l’absence, en droit letton, d’un double degré de juridiction en ce qui concerne les contraventions administratives passibles d’une peine de détention, et notamment la contravention pour laquelle il fut lui-même condamné. Il se réfère en substance aux droits garantis par l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2.  Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »

Le Gouvernement conteste le caractère « pénal » de la condamnation du requérant, et, par là même, l’applicabilité de l’article 2 du Protocole no 7 dans la présente affaire. Le requérant s’oppose à cette appréciation.

La Cour constate que le requérant fut condamné par une ordonnance définitive prise par la juge du tribunal de Liepāja le 20 avril 2000, et que le contenu de cette ordonnance lui fut notifié le 21 avril 2000. Tout comme pour l’article 6 de la Convention (cf. supra), la Cour estime que le 21 avril 2000 doit être considéré comme le dies a quo du  délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention. Or, la première communication du requérant exposant ses doléances sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7 a été expédiée à la Cour le 23 octobre 2000, soit deux jours après l’écoulement du délai susvisé.

Il est vrai que, dans ses observations, le Gouvernement n’a soumis aucune exception d’irrecevabilité de ce grief précis, se limitant à exciper du non-respect du délai de six mois au regard du grief tiré de l’article 6 de la Convention. Toutefois, l’absence d’observations du Gouvernement sur cette question n’est pas de nature à infléchir la position de la Cour. En effet, la règle des six mois, qui reflète le désir des Parties contractantes d’empêcher que des décisions anciennes ne soient remises en question après une période de temps indéfinie, sert les intérêts non seulement du gouvernement défendeur, mais aussi de la certitude du droit en tant que valeur intrinsèque (voir Laçin c. Turquie, no 23654/94, décision de la Commission du 15 mai 1995, DR 81, p. 80). Elle marque la limite temporelle de la surveillance exercée par les organes de la Convention, et signale à la fois, aux individus et aux autorités de l’Etat, la période au-delà de laquelle cette surveillance n’est plus possible (voir X. c. France, no 9587/81, décision de la Commission du 13 décembre 1982, DR 29, p. 228 ; K. c. Irlande, no 10416/83, décision de la Commission du 17 mai 1984, DR 38, p. 158, et Walker c. Royaume-Uni (déc), no 34979/97, CEDH 2000-I). Il s’agit donc d’une règle d’ordre public, et la Cour est compétente pour l’appliquer d’office (voir Soto Sanchez c. Espagne (déc.), no 66990/01, 20 mai 2003).

Il s’ensuit que ce grief est lui aussi tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

C.  Griefs tirés de l’article 5 de la Convention

Le requérant allègue une violation de plusieurs dispositions de l’article 5 de la Convention. Les parties pertinentes de cet article se lisent comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; (...).

(...)

4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5.  Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

1.  Sur l’exception du Gouvernement

De même que pour les griefs concernant l’article 6 de la Convention, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-respect du délai de six mois. Selon le Gouvernement, la question de légalité de la détention du requérant, au sens de l’article 5 de la Convention, doit être examinée à la lumière de la légalité de l’ordonnance portant sa condamnation. Quant au 13 mai 2000, date de la libération du requérant, elle ne constitue qu’une phase du processus normal d’exécution de la peine et non la date d’une décision quelconque ; dès lors, elle ne peut pas être retenue comme le dies a quo du délai de six mois. Le raisonnement doit dès lors être le même que pour l’article 6 : la « décision interne définitive » a été prise le 20 avril 2000 et notifiée au requérant le lendemain ; le dernier jour où le requérant pouvait envoyer sa requête à la Cour était le 21 octobre 2000 ; le délai de six mois a donc été dépassé.

Le requérant marque son désaccord pour les mêmes raisons qu’au regard de ses griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention (cf. supra).

La Cour rappelle que, s’agissant d’un grief relatif à une situation qui perdure et contre laquelle il n’existe aucun recours effectif, le délai de six mois évoqué à l’article 35 § 1 commence le jour où cette situation prend fin. Ainsi, lorsque le requérant se plaint d’une période de détention et de l’absence d’un contrôle judiciaire efficace de cette détention, le délai susvisé doit être calculé à partir de sa mise en liberté (voir, par exemple, Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 44, CEDH 2000-IX). Dans le cas d’espèce, le requérant a été libéré le 13 mai 2000 ; son deuxième formulaire, soulevant des griefs sur le terrain de l’article 5 de la Convention, a été expédié à la Cour le 31 octobre 2000, soit moins de six mois après sa libération.

L’exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement doit dès lors être rejetée.

2.  Sur le fond des griefs

a)  Article 5 § 1 de la Convention

Le Gouvernement fait valoir que, pendant la période allant du 28 avril au 13 mai 2000, le requérant était « détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent », comme le veut l’article 5 § 1 a) de la Convention.

Le requérant insiste sur l’illégalité de l’ordonnance de la juge du tribunal de première instance de Liepāja du 20 avril 2000, portant sa condamnation. A ses yeux, une décision qui n’est susceptible d’aucun recours ne peut pas être reconnue « régulière ». De même, le requérant rappelle que le deuxième alinéa de l’article 31 de l’APK interdit l’application de la détention administrative aux « femmes ayant [à leur charge] des enfants de moins de douze ans ». Il estime que cette disposition doit s’appliquer, par analogie, aux pères élevant seuls leurs enfants, et que sa détention était donc illégale.

La Cour constate que le requérant a été placé en détention après sa condamnation par un tribunal compétent ; en d’autres termes, sa détention relève de l’article 5 § 1 a) de la Convention. A cet égard, la Cour rappelle que l’article 5 § 1 a) ne distingue pas selon le caractère juridique de l’infraction dont une personne a été déclarée coupable. Il s’applique à toute « condamnation » privative de liberté prononcée par un « tribunal ». La peine de détention appliquée au requérant était sans nul doute régulière au regard du droit letton et avait été infligée selon les voies légales (voir V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 104, CEDH 1999-IX). Qui plus est, aucune disposition du droit interne ne s’opposait à l’exécution de cette peine au regard du requérant. Quant à l’article 31 de l’APK, il ne vise expressément que les « femmes » ; dès lors, le refus du juge national d’étendre son application par analogie au requérant ne suffit pas pour rendre la détention de celui-ci « irrégulière » au regard du droit interne.

Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme étant manifestement mal fondé conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b)  Article 5 § 4 de la Convention

Se référant à l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique (18 juin 1971, série A no 12, pp. 40-41, § 76), le Gouvernement rappelle qu’en cas de « condamnation par un tribunal compétent », au sens de l’article 5 § 1 a), le contrôle voulu par le quatrième paragraphe du même article se trouve incorporé à la décision portant condamnation. Aucune atteinte au droit garanti par l’article 5 § 4 de la Convention n’a donc eu lieu.

Le requérant rétorque que l’absence d’un recours lui permettant de contester la légalité de l’ordonnance du 20 avril 2000, et, par là même, la régularité de sa détention, n’était pas conforme aux exigences de l’article 5 § 4.

La Cour estime, avec le Gouvernement, que le contrôle exigé par l’article 5 § 4 était déjà incorporé dans l’ordonnance de la juge du tribunal de Liepāja du 20 avril 2000. En effet, la présente requête n’entre pas dans la catégorie particulière d’affaires où un contrôle judiciaire subséquent de la détention peut être exigé, même dans l’hypothèse d’une condamnation définitive (voir Wynne c. Royaume-Uni, arrêt du 18 juillet 1994, série A no 294-A, p. 15, § 36, Singh c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1996, Recueil 1996-I, p. 298-299, §§ 58-62, et V. c. Royaume-Uni [GC] précité, § 119).

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

c)  Article 5 § 5 de la Convention

Le Gouvernement fait valoir que même l’annulation d’une condamnation par une juridiction de recours ne rend pas automatiquement la détention du condamné irrégulière, au sens de l’article 5 de la Convention. N’ayant pas été détenu « dans des conditions contraires » à l’article 5, le requérant n’a aucun droit à une réparation. A titre subsidiaire, et pour les mêmes raisons, le Gouvernement estime que le requérant ne peut pas se prétendre « victime » de la violation alléguée, au sens de l’article 34 de la Convention.

Le requérant insiste sur le fait que la législation interne limite le droit à une réparation aux seuls cas où la décision portant détention a été annulée. Or, il n’existe aucun recours effectif contre les ordonnances condamnant à une peine de détention administrative ; par conséquent, le requérant se trouve privé de toute possibilité, même théorique, de réparer le préjudice subi du fait de sa privation illégale de liberté.

La Cour rappelle que l’article 5 § 5 de la Convention garantit un droit exécutoire à réparation aux seules victimes d’une arrestation ou d’une détention opérée dans des conditions contraires à l’article 5 (voir Wassink c. Pays-Bas, arrêt du 27 septembre 1990, série A no 185-A, p. 14, § 38, et Benham c. Royaume-Uni, arrêt du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 755, § 50). En d’autres termes, le droit à réparation énoncé à l’article 5 § 5 suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes (1, 2, 3 ou 4) du même article ait été établie par une autorité nationale ou par la Cour (voir, par exemple, N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X, et Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 262, à paraître dans CEDH 2003-...). Or, la Cour vient de constater que la détention du requérant a satisfait aux exigences de l’article 5 §§ 1 et 4. Il n’y a aucune apparence de violation du deuxième paragraphe du même article non plus, le requérant ayant été informé des raisons et de la base légale de sa privation de liberté plusieurs jours avant son arrestation. Dans ces circonstances, les garanties de l’article 5 § 5 de la Convention ne trouvent pas à s’appliquer.

Ce grief est donc lui aussi manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

D.  Grief tiré de l’article 3 de la Convention

Le requérant se plaint que les conditions de sa détention dans le quartier d’isolement provisoire de la direction de la police d’Etat de Liepāja, pendant la période allant du 28 avril au 13 mai 2000, ont constitué un traitement prohibé par l’article 3, dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

« Nul ne peut être soumis (...) à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1.  Sur l’exception du Gouvernement

a)  Les arguments des parties

i.  Le Gouvernement

Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement, par le requérant, des voies de recours s’ouvrant en droit interne. Selon le Gouvernement, s’il est vrai que le requérant a saisi les autorités nationales de plusieurs recours relatifs à la légalité de sa condamnation, il n’a introduit aucune requête ni plainte concernant les conditions de sa détention en général et l’impossibilité de contacter son avocat en particulier.

Le Gouvernement rappelle que, pour être effectif, un recours ne doit pas nécessairement être un recours judiciaire ; il ne doit pas non plus offrir des chances absolues de succès. Or, le droit letton offre effectivement plusieurs voies procédurales qui permettent de contester les conditions d’une détention administrative et qui n’ont pas été utilisées par le requérant. A cet égard, le Gouvernement rappelle que la loi relative à l’ordre de l’examen de requêtes, de plaintes et de suggestions par les autorités de l’Etat et des collectivités territoriales oblige toute autorité publique à examiner des requêtes et des plaintes émanant de particuliers, et d’y fournir une réponse motivée dans les délais fixés.

Par conséquent, si le requérant n’était pas satisfait des conditions de sa détention administrative, il pouvait adresser une plainte au chef de la direction de la police où il était détenu, celui-ci devant décider alors d’examiner la plainte lui-même ou la transmettre à une autre autorité (article 8-2 du règlement des quartiers d’isolement provisoire) selon cas. Le Gouvernement insiste notamment sur la célérité avec laquelle le chef de l’établissement a traité les communications du requérant. Ainsi, le 2 mai 2000, le requérant déclara une grève de la faim, et le jour même le chef ordonna son placement sous suivi médical. De même, le 3 mai 2000, le requérant demanda de préciser le dies a quo formel de sa détention, et le chef de la direction lui répondit par écrit le même jour. Il en aurait certainement été de même d’une éventuelle plainte concernant les conditions de la détention du requérant.

Si le requérant n’était pas satisfait de la réponse fournie ou des mesures prises par le chef d’établissement, il pourrait former un recours devant le parquet de Liepāja, chargé de superviser la légalité des actes de la police (article 39 de la loi sur la police) et de surveiller l’exécution des peines privatives de liberté (article 15 § 1 de la loi sur le parquet). En effet, la loi sur le parquet fournit aux procureurs un arsenal juridique suffisant pour pouvoir porter remède aux griefs du requérant : le procureur est compétent pour effectuer une enquête (articles 16 et 17 § 1), formuler des avertissements et des injonctions ayant force obligatoire, ouvrir une enquête pénale ou saisir le tribunal d’une demande (articles 17 § 2 et 20). Par ailleurs, le caractère obligatoire d’une injonction du procureur est renforcée par la menace de sanctions administratives et pénales qu’encourt toute personne (y compris les agents de police) qui n’y obéiraient pas.

Enfin, le Gouvernement insiste sur le fait que le requérant avait à sa disposition un stylo et du papier (cf. supra) ; il pouvait donc rédiger une plainte.

ii.  Le requérant

Selon le requérant, on ne peut pas lui reprocher le non-épuisement des voies de recours internes au regard de son grief tiré de l’article 3 de la Convention. En premier lieu, le requérant rappelle qu’en dépit des restrictions à sa liberté de correspondance, il trouva un moyen pour expédier à l’extérieur une lettre dénonçant les mauvaises conditions de sa détention, et que cette lettre fut publiée au journal local le 3 mai 2000. Les collaborateurs de ce journal contactèrent aussitôt le chef de la direction de la police d’Etat de Liepāja ; celui-ci leur accorda un entretien qui fut publié le 5 mai 2000. Selon le chef de la direction, il était conscient des problèmes occasionnés par l’exiguïté des locaux d’isolement provisoire, et il avait même adressé au président du tribunal de première instance de Liepāja un rapport en ce sens. Le requérant souligne donc que tout en connaissant l’état du quartier d’isolement provisoire de sa propre direction, le chef omit de prendre des mesures adéquates. Dans ces circonstances, une plainte séparée adressée  à ce responsable de la police serait sans effet.

En deuxième lieu, le requérant affirme que, pendant sa détention, il s’efforçait constamment de trouver des moyens susceptibles de remédier à sa situation, même par une voie détournée ; l’envoi de sa lettre pour publication en témoigne. Toutefois, son isolement du monde extérieur et l’absence d’informations rendaient cette tâche impossible. Par ailleurs, vu la réaction du chef de la direction de la police, le requérant doute fort qu’une éventuelle plainte adressée à une autre autorité aurait été couronnée de succès.

En troisième lieu, le requérant soutient que, contrairement aux dispositions du « Règlement des quartiers d’isolement provisoire des établissements de la police d’Etat », le texte de ce règlement ne lui fut jamais communiqué par les agents de police, de sorte qu’il ne pouvait pas connaître ses droits.

Pour ce qui est de son droit de rencontrer son avocat, le requérant rappelle que celui-ci ne fut pas admis à lui parler, et personne ne lui avait expliqué comment agir dans une telle situation. De même, les réponses écrites qu’il recevait du parquet ne lui étaient pas transmises, les agents de police ne faisant que l’informer oralement du contenu de chaque lettre. Dans ces circonstances, le requérant estime qu’on ne peut pas lui reprocher le non-respect des exigences de l’article 35 § 1 de la Convention.

b)  L’appréciation de la Cour

La Cour estime que l’argument de non-épuisement des voies de recours internes avancé par le Gouvernement est étroitement lié à la substance des griefs énoncés par le requérant sur le terrain des articles 3 et 13 de la Convention. Il y a donc lieu de joindre l’exception au fond.

2.  Sur le fond du grief

a)  Les arguments des parties

i.  Le Gouvernement

Tout en admettant que les conditions de la détention du requérant dans le quartier d’isolement provisoire de la direction de la police d’Etat de Liepāja « n’étaient pas idéales », le Gouvernement est convaincu qu’ils n’ont pas atteint le seuil minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. En particulier, et « dans la limite des ressources disponibles », la direction de la police d’Etat de Liepāja avait fait des efforts considérables pour améliorer la condition des détenus. Ainsi, les cellules étaient nettoyées ; des travaux de rénovation y étaient effectués ; les détenus recevaient chaque jour un repas composé de deux plats ; ils avaient accès à l’eau potable pendant la toilette du matin et du soir ; ils étaient autorisés à se rendre aux toilettes pendant la journée, en dehors des horaires fixés.

De même, la direction de la police de Liepāja assurait à chaque détenu la possibilité d’informer ses proches de sa détention, de rencontrer un avocat et de bénéficier d’une assistance médicale. Le requérant put exercer tous ces droits : il lui fut permis de téléphoner à sa femme et à son avocat immédiatement après son arrestation, et il fut placé sous suivi médical lors de sa grève de la faim. En outre, la femme du requérant put lui transmettre des vêtements et des articles d’hygiène corporelle.

Dans ces circonstances, le requérant a omis de prouver que ces conditions ont, d’une manière quelconque, porté atteinte à sa dignité ou qu’ils ont provoqué chez lui des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à l’humilier ou à le rabaisser.

Eu égard à ce qui précède, et compte tenu de la durée relativement courte de la détention en cause, le Gouvernement conclut que l’effet cumulatif des conditions litigieuses sur le requérant n’atteint pas le seuil minimum de gravité requis par la jurisprudence de la Cour pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention. En conséquence, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

ii.  Le requérant

Pour sa part, le requérant est convaincu que les conditions de sa détention constituaient un traitement inhumain et dégradant, voire même un acte de torture, au sens de l’article 3 de la Convention. De plus, ces conditions enfreignaient non seulement la Convention, mais également les dispositions du droit interne, et notamment les droits garantis aux détenus par le « Règlement des quartiers d’isolement provisoire des établissements de la police d’Etat ».

Par ailleurs, le requérant réitère sa thèse selon laquelle il n’a jamais été placé sous suivi médical quelconque, le document présenté à cet égard par le Gouvernement étant un faux. Le requérant suggère au Gouvernement de prouver son assertion en fournissant à la Cour copie des rapports médicaux rédigés dans le cadre du prétendu suivi.

b)  L’appréciation de la Cour

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

E.  Grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention

Le requérant se plaint de l’absence, en droit letton, d’un recours effectif devant une instance nationale compétente pour redresser son grief tiré de l’article 3 susvisé. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement renvoie à ses arguments à l’appui de son exception d’irrecevabilité du grief tiré de l’article 3 (cf. supra). Selon lui, le requérant disposait d’un système de recours effectif permettant de contester les conditions de sa détention, mais il ne les a pas utilisés.

Le requérant ne se prononce pas séparément sur ce point.

De même que pour le grief précédent, la Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

Par ces motifs, la Cour,

à l’unanimité, joint au fond l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement au regard de l’article 3 de la Convention ;

à l’unanimité, déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant tirés des articles 3 et 13 de la Convention ;

à la majorité, déclare irrecevables les griefs du requérant tirées de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention ;

à l’unanimité, déclare irrecevable le reste des griefs du requérant.

Erik FriberghChristos Rozakis
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (première section), KADIĶIS c. la LETTONIE (n° 2), 25 septembre 2003, 62393/00