CEDH, Cour (quatrième section), GOMES PIRES COELHO c. l'ESPAGNE, 4 novembre 2003, 15372/02

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 4 nov. 2003, n° 15372/02
Numéro(s) : 15372/02
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 1 avril 2002
Jurisprudence de Strasbourg : Bozano c. France, arrêt du 18 décembre 1986, série A no 111, pp. 23, 25, §§ 54, 58
Van der Leer c. Pays Bas, arrêt du 21 février 1990, série A no 170 A, p. 12, § 22
Winterwerp c. Pays Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, pp. 19, 20, §§ 45, 46
Minelli c. Suisse, arrêt du 25 mars 1983, série A no 62, p. 15, § 37
Wassink c. Pays Bas, arrêt du 27 septembre 1990, série A no 185-A, p. 11, § 24
Lavents c. Lettonie, no 58442/00, §§ 125-26, 28 novembre 2002
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-44564
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1104DEC001537202
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 15372/02
présentée par Jose GOMES PIRES COELHO
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 4 novembre 2003 en une chambre composée de

SirNicolas Bratza, président,
MM.M. Pellonpää,
M. Fischbach,
J. Casadevall,
S. Pavlovschi,
J. Borrego Borrego,
MmeE. Fura-Sandström, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 1er avril 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Jose Gomes Pires Coelho, est un ressortissant portugais, né en 1948 et résidant à Marbella. Actuellement il se trouve incarcéré au Portugal suite à son extradition. Il est représenté devant la Cour par Me Cobo Del Rosal, avocat au barreau de Madrid.


A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

1.  La procédure pénale devant les juridictions espagnoles

Dans le cadre de la procédure d’instruction pénale suivie à l’encontre du requérant pour un délit contre la santé publique (trafic de stupéfiants), par une décision du 24 avril 1999, le juge central d’instruction no 6 ordonna son placement en détention provisoire.

Le 5 avril 2001, soit avant l’expiration du délai de deux ans prévu par l’article 504 du code de procédure pénale, le juge central d’instruction no 6 ordonna la prorogation de la détention provisoire du requérant jusqu’à un maximum de 4 ans. Le juge justifia le maintien en raison de plusieurs motifs, à savoir la nature du délit, la gravité de la peine susceptible d’être appliquée, la nationalité non espagnole du requérant, l’absence de liens suffisamment solides en Espagne, et les contacts que le requérant maintenait avec l’étranger.

Le requérant présenta un recours en reforma devant le même juge qui, par une décision du 9 mai 2001, le rejeta.

Contre cette décision, le requérant fit appel devant l’Audiencia Nacional qui, par une décision du 18 juillet 2001, rejeta le recours et confirma la décision entreprise.

Invoquant l’article 17 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision du 14 janvier 2002, notifiée le 16 janvier 2002, la haute juridiction rejeta le recours comme étant dépourvu de fondement constitutionnel. La haute juridiction rappela qu’elle n’était pas compétente pour vérifier si les conditions pour proroger la détention provisoire étaient remplies, tâche légalement attribuée aux juridictions ordinaires, son contrôle se limitant à vérifier la légalité externe des décisions, à savoir si les intérêts en conflit (le droit à la liberté d’une part et la bonne administration de la justice pénale de l’autre) avaient été correctement pesés. A cet égard, la haute juridiction releva que la prorogation de la détention provisoire avait été décidée après une pondération motivée des intérêts en jeu, les juridictions a quo ayant pris en compte des preuves indiciaires de la participation du requérant aux faits litigieux, ainsi que la gravité du délit et le risque de fuite.

Par une décision du 16 avril 2003, l’Audiencia Nacional ordonna la mise en liberté provisoire du requérant, la durée maximale de la détention provisoire fixée à l’article 504 du code de procédure pénale étant proche.

Le jugement sur le fond de l’affaire en Espagne se trouve toujours pendant.

2.  La procédure d’extradition du requérant vers le Portugal

Parallèlement, et suite à une demande d’extradition des autorités portugaises, par une décision du 10 juin 1999 le juge central d’instruction no 1 près l’Audiencia Nacional, ordonna la détention du requérant sous écrou extraditionnel.

Par une décision du 1er octobre 2002, le juge central d’instruction no 1 ordonna la mise en liberté provisoire. Le requérant demeura toutefois en situation de détention provisoire aux fins de la procédure pénale entamée contre lui en Espagne.

3.  La remise du requérant aux autorités portugaises

Par une décision du 1er avril 2003, l’Audiencia Nacional ordonna la remise provisoire du requérant aux autorités portugaises, afin qu’il puisse être jugé dans ce pays pour, entre autres, un délit présumé de trafic de stupéfiants, sous condition d’être remis aux autorités espagnoles dès le début de la phase de jugement pour les faits pour lesquels il était poursuivi en Espagne. Contre cette décision, le requérant présenta un recours de súplica, qui fut rejeté par une décision du 11 avril 2003 de l’Audiencia Nacional, la décision d’extradition devenant ainsi définitive.

Par une décision du Tribunal de Vila Real de Santo Antonio, le requérant fut placé en détention provisoire au Portugal, accusé de trafic de stupéfiants dans ce pays. Le début de la phase de jugement à l’encontre du requérant au Portugal était prévu pour le 12 mai 2003.

B.  Le droit interne pertinent

1.  La Constitution

Article 17

« 1. Toute personne a droit à la liberté et la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est conformément aux dispositions du présent article et dans le cas et sous la forme prévus par la loi.

(...)

4. La loi établit une procédure d’habeas corpus pour mettre immédiatement à la disposition de l’autorité judiciaire toute personne arrêtée illégalement. De même, la loi fixera la durée maximale de la prison préventive. »


2.  Le code de procédure pénale

Article 504

« La détention provisoire ne pourra dépasser trois mois pour une infraction passible d’une peine d’arresto mayor (arrêt de sept à quinze fins de semaine), un an pour une peine de prisión menor (six mois à trois ans), et deux ans lorsque la peine encourue est plus lourde. Dans ces deux derniers cas, en présence de circonstances portant à croire que l’affaire ne pourra être jugée dans ces délais et que l’inculpé risque de se soustraire à la justice, la détention pourra être prolongée respectivement jusqu’à deux et quatre ans. La prolongation de la détention provisoire sera prononcée par ordonnance, après audition de l’inculpé et du représentant du parquet. »

GRIEFS

Invoquant l’article 5 §§ 1 (c) et 3 ainsi que l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant se plaint de la légalité et de la durée de sa détention provisoire, dont la prorogation ne serait pas justifiée à l’égard de la Convention. D’après lui, la décision de prorogation du 5 avril 2001 serait ainsi contraire à son droit à la présomption d’innocence.

Par ailleurs, le requérant se plaint de ce que la décision du 16 avril 2003 ordonnant sa mise en liberté provisoire n’a pas été mise en œuvre. A cet égard, il fait observer qu’il fut extradé au Portugal peu de jours après la décision de mise en liberté.

Finalement, le requérant se plaint des conditions de sa détention provisoire dans l’établissement dans lequel il a été placé au Portugal.

EN DROIT

1. Invoquant l’article 5 § 1 (c), le requérant estime que la décision du 5 avril 2001, prorogeant sa détention provisoire était fondée sur l’existence de simples indices révélant sa participation dans les faits litigieux ; ce qui, à ses yeux, ne justifierait pas la décision de maintien en détention provisoire. Les parties pertinentes des dispositions invoquées se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...) »

La Cour rappelle que l’article 5 § 1 de la Convention requiert d’abord la « régularité » de la détention, y compris l’observation des voies légales. En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale mais elle commande de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de la disposition précitée : protéger l’individu contre l’arbitraire (arrêts Winterwerp c. Pays-Bas du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 19, § 45, Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 12, § 22 et Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A no 185-A, p. 11, § 24). Par ailleurs, il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Winterwerp c. Pays-Bas précité, p. 20, § 46). En effet, la Cour doit notamment s’assurer que, compte tenu des faits de la cause, le droit interne n’a pas été interprété ou appliqué de manière arbitraire (Bozano c. France, arrêt du 18 décembre 1986, série A, no 111, pp. 23 et 25, §§ 54 et 58).

A cet égard, la Cour constate qu’en l’espèce, les tribunaux espagnols ont ordonné la prolongation de la privation de liberté du requérant en se fondant sur la législation en vigueur. Elle constate que le juge central d’instruction no 6 a ordonné la prolongation de sa détention le 5 avril 2001, soit avant l’expiration du délai de deux ans à partir de la décision du 24 avril 1999 ordonnant son placement en détention. La décision a été prise conformément aux exigences de l’article 504 du code de procédure pénale, elle a été rendue par un juge légalement établi, est motivée et dénuée d’arbitraire. En effet, elle a tenu compte de la situation de fait, à savoir la nature du délit, la gravité de la peine susceptible d’être appliquée, la nationalité non espagnole du requérant, l’absence de liens suffisamment solides en Espagne, et les contacts que le requérant maintient toujours à l’étranger, qui pourraient augmenter le risque de fuite.

La Cour relève que par ailleurs, contre la décision de maintien en détention le requérant présenta un recours d’appel, qui fut rejeté par une décision du 18 juillet 2001 de l’Audiencia Nacional. Finalement, il forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Dès lors, il disposa de tous les moyens pour faire valoir ses prétentions. La Cour estime que les décisions rendues en l’espèce ne sauraient être considérées comme entachées d’arbitraire et donc non compatibles avec les dispositions de l’article 5 § 1 de la Convention.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.

2. Le requérant estime que la durée de sa détention provisoire est déraisonnable. Il invoque l’article 5 § 3, dont le libellé est le suivant :

«3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience (...) »

La Cour relève que la période de détention provisoire aux fins de la procédure pénale entamée contre le requérant en Espagne a débuté le 24 avril 1999. Elle prit fin le 16 avril 2003, date de la décision de l’Audiencia Nacional accordant la liberté provisoire du requérant.

Dès lors, la durée totale de la détention provisoire du requérant fut de 3 ans, 11 mois et 22 jours.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 3 b) de son règlement.

3. Le requérant se plaint également d’une violation de l’article 6 § 2 de la Convention qui est ainsi libellé :

«2.  Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

Dans la mesure où ce grief ne se confond pas avec celui déduit de la violation de l’article 5 § 1, la Cour rappelle que la présomption d’innocence peut être violée même en l’absence de constat formel ; il suffit que la décision contienne une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable (Minelli c. Suisse, arrêt du 25 mars 1983, série A no 62, p. 15, § 37 et arrêt Lavents c. Letonie, no 58442/02, §§ 125-126, 28 novembre 2002).

Dès lors, le fait qu’en l’espèce le requérant se trouvait en situation de détention provisoire ne le soustrayait pas de l’emprise de l’article 6 § 2. Néanmoins, la Cour relève que la décision de maintien de la détention provisoire est motivée et dénuée d’arbitraire, qu’elle a été rendue par un juge compétent, et qu’en l’occurrence, il n’y a aucun élément au cours de la procédure d’instruction qui pourrait porter atteinte au principe de présomption d’innocence. Au demeurant, la Cour constate que le requérant n’a pas invoqué ce grief devant les juridictions ordinaires, ni, en dernière instance, dans son recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel.

A la lumière des arguments exposés, le grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.

4. Finalement, le requérant se plaint des conditions de sa détention provisoire au Portugal. Par une décision du Tribunal de Vila Real de Santo Antonio, le requérant a été placé en détention provisoire dans ce pays.

La Cour relève que ce grief est dirigé contre les autorités portugaises, l’Espagne n’étant pas compétente pour décider du sort du requérant après sa remise aux autorités portugaises. La Cour note que le requérant peut, s’il le souhaite, déposer une requête dirigée contre le Portugal. Dès lors, ce grief ne concerne pas une ingérence des autorités de l’Etat défendeur dans les droits du requérant garantis par la Convention et doit être rejeté comme étant incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief du requérant tiré de l’article 5 § 3 ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Michael O’BoyleNicolas Bratza
GreffierPrésident

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