CEDH, Cour (troisième section), TUDOR (N° 1) c. ROUMANIE, 15 juin 2006, 6928/04

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 15 juin 2006, n° 6928/04
Numéro(s) : 6928/04
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 13 novembre 2003
Jurisprudence de Strasbourg : Abeberry c. France (déc.), no 58729/00, 21 septembre 2004
Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 59, CEDH 1999-III
Castells c. Espagne, arrêt du 23 avril 1992, série A no 236, pp. 22-23, §§ 42-43, 46, 48-49
De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37
Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil 1996 II, p. 500, § 39
Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, §§ 41, 46
Colombani et autres c. France, no 51279/99, § 55, CEDH 2002-V
Cumpana et Mazare c. Roumanie [GC], no 33348/96, §§ 89-90, 98-101, 17 décembre 2004
Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, §§ 49-50, CEDH 1999 VI
Ivanciuc c. Roumanie (déc.), no 18624/03, 8 septembre 2005
Metzger c. Allemagne (déc.), no 56720/00, 17 novembre 2005
Nikula c. Finlande, no 31611/96, §§ 51 52, CEDH 2002 II
Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V
Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 38, CEDH 2004 II
Stângu c. Roumanie (déc.), no 57551/00, 9 novembre 2004
Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, §§ 45, 62-64, CEDH 2001 III
Organisation mentionnée :
  • Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-76268
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0615DEC000692804
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 6928/04
présentée par Corneliu Vadim TUDOR
contre la Roumanie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 15 juin 2006 en une chambre composée de :

MM.B.M. Zupančič, président,
L. Caflisch,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
MmeI. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 novembre 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Corneliu Vadim Tudor, est un ressortissant roumain, né en 1949 et résidant à Bucarest.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est le rédacteur en chef de l’hebdomadaire România mare. Il était, à l’époque des faits, sénateur élu sur la liste du Parti România Mare (« PRM »), parti d’opposition et dont il était le président.

Le 16 mai 1997, il publia dans ledit hebdomadaire un article intitulé : « Arrêtez le corbillard, le diable veut prendre Ticu » (« Opriţi dricu’, dracu vrea să-l ia pe Ticu ») qu’il signa « Cornelui Vadim Tudor, sénateur PRM de Bucarest » et dans lequel il qualifia C.T.D., lui aussi parlementaire à l’époque, de « petit con », « idiot », « hystérique », « cinglé », « fou à lier », « vaurien », « avec le cerveau en huile de noix », « qui n’a rien à faire au Sénat, mais à l’hospice (...) dans une camisole de force » (« nătărau, Gâgă, isteric, apucat, bolnav primejdios, năpârstoc, cu capul năclăit in ulei de nucă, ce n’are nevoie de Senat, ci de Balamuc ... şi de o cămaşă de forţă »). L’article reproduisait aussi des informations publiées dans d’autres journaux concernant la collaboration alléguée de C.T.D. avec l’ancien service secret, la Securitate.

Le 6 juin 1997, le requérant reprit sous le titre « Nous avons la preuve officielle : [C.] T.D. mouchardait à la Securitate depuis 1949 et les agrariens et les légionnaires » (« Avem dovada oficială : [C.]T.D. îi turna la Securitate, incă din anul 1949, şi pe ţărănişti, şi pe legionari ! »), une note informative du 26 octobre 1949, provenant d’un colonel de la Securitate, qui disait :

« Prie de bien vouloir ordonner que A.C. et C.[T.]D., identifiés dans le groupe des légionnaires, ne soient pas arrêtés, car ils constituent un objectif dans l’action informative de PNŢ »

Le 25 juin 1997, C.T.D. déposa une plainte pénale pour insulte contre le requérant dont l’immunité parlementaire fut levée, par une décision du Sénat, le 23 mars 1999. La plainte fut ainsi jugée par la section pénale de la Cour suprême de justice qui rendit son arrêt le 22 février 2001. La Cour suprême retint :

« En l’espèce, l’inculpé a utilisé, en se référant à la partie lésée, des épithètes injurieuses, comme petit con, idiot, hystérique, cinglé, fou à lier, vaurien, vieux garçon débile [nătărău, Gâgă, isteric, apucat, bolnav primejdios, năpârstoc, flăcău bătran cu mintea vătămată], en lui attribuant, ainsi, des défauts et infirmités physiques et psychiques qui pourraient l’exposer à l’humiliation et au mépris et nuire, enfin, à son honneur et à sa réputation.

En outre, selon les affirmations faites par l’inculpé dans l’article [du 16 mai 1997] et le titre de [celui du 6 juin 1997] publiés dans l’hebdomadaire România mare, la partie lésée aurait été informateur de la Securitate, collaborateur de la police politique.

Compte tenu de l’opinion commune et du niveau des exigences morales et sociales actuelles, l’allégation selon laquelle une personne a collaboré avec la police politique représente sans aucun doute une atteinte à l’honneur et à la réputation de l’intéressé, et, par conséquent, une insulte. »

La Cour suprême constata ensuite que le requérant s’était défendu en invoquant l’intérêt légitime d’écrire sur C.T.D., dans la mesure où tous deux étaient des hommes politiques, ayant de visions divergentes, et que la victime représentait, à l’époque, la coalition au pouvoir. Cependant, la juridiction estima que ce fait ne justifiait pas les termes employés par le requérant et rappela que :

« (...) le débat politique, qui est un exercice normal dans une société démocratique, doit se borner à un langage civilisé, inoffensif, surtout quand il se produit en dehors de la tribune du Parlement.

Or, les épithètes employées par l’inculpé ne se justifient pas par un intérêt légitime, et exposent la partie lésée à la moquerie. L’intention de l’inculpé est claire (...)

En outre, il ressort des [articles incriminés] que l’inculpé a attribué à la partie lésée la qualité de « mouchard » [turnător] de la Securitate (...)

Or, il ressort de la lettre no 1206 du 14 décembre 2000 du Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate [« CNSAS »], institution créée en vertu de la loi no 187/1999 visant à démasquer le caractère de police politique de la Securitate, que la partie lésée n’a pas eu d’activités de police politique. »

La Cour suprême conclut, ainsi, que le requérant n’avait pu démontrer la véracité de ses propos. De plus, elle estima que les témoins entendus n’avaient pas non plus confirmé que la victime aurait été un informateur, leurs témoignages n’étant que de simples spéculations, infirmées par la lettre du CNSAS du 14 décembre 2000. Se référant à la Résolution no 1003/1993 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, la Cour suprême conclut que l’information publiée le 16 mai 1997 n’avait pas été prouvée et que les rumeurs selon lesquelles la victime aurait été informateur de la Securitate n’avaient pas été vérifiées par le requérant :

« Le témoin G.V. a déclaré devant la Cour que tant lui que le requérant avaient appris l’existence de la note du 26 octobre 1949 par l’intermédiaire de R.C. (...)

Pour ôter tout doute, le témoin a fait des démarches auprès du Service roumain de renseignements (...)

Or, si un particulier a pu faire de telles démarches, le rédacteur en chef d’un hebdomadaire décidé à éclaircir une question aussi sérieuse pour la réputation de la partie lésée, aurait dû d’autant plus faire les vérifications nécessaires, ce qu’il n’a pas fait. »

Dès lors, la Cour suprême reconnut le requérant coupable d’insulte, lui infligea une amende pénale de 15 000 000 lei roumains (ROL) et le condamna à verser à la victime une réparation de 75 000 000 ROL pour préjudice moral et à l’Etat 1 000 000 ROL pour frais de justice.

Le requérant introduisit un recours contre cet arrêt, en soutenant, notamment, que l’infraction d’insulte n’était pas constituée dans la mesure où il n’avait fait que reproduire des informations qui avaient déjà été publiées dans d’autres journaux. Il contestait aussi le rejet de la preuve de la vérité et estimait, enfin, que les articles satisfaisaient aux recommandations du Conseil de l’Europe en la matière.

La Cour suprême de justice, dans une formation de jugement de neuf juges, examina les motifs invoqués par le requérant et rendit son arrêt définitif le 9 juillet 2003. S’agissant de la publication antérieure des mêmes informations par d’autres journaux, la Cour suprême rappela que la responsabilité pénale ne disparaissait pas du simple fait que d’autres personnes avaient commis la même infraction auparavant. Elle retint ensuite que la lettre du CNSAS déjà versée au dossier était légale et suffisait pour prouver la qualité de la partie lésée par rapport à la Securitate, la preuve de la vérité ne pouvant plus être apportée. Elle estima, enfin, que les articles publiés ne satisfaisaient pas à la Résolution no 1003 ou à l’article 10 de la Convention, qui exigeaient, notamment, la bonne foi du journaliste, le respect des normes d’éthique, la publication d’informations présentant un intérêt pour le public et ayant été préalablement vérifiées. De plus, elle estima que les expressions employées par le requérant nuisaient à la dignité de la partie lésée, excédant, ainsi, un usage normal.

Cependant, la Cour suprême constata la prescription spéciale pour la responsabilité pénale du requérant (à savoir plus de quatre ans et six mois depuis les faits incriminés), conformément aux articles 122 et 124 du code pénal. Par conséquent, elle relaxa le requérant. La Cour suprême maintint les autres dispositions du jugement, notamment la condamnation au paiement de dommages-intérêts.

B.  Le droit interne pertinent

1.  Le code pénal

Les dispositions pertinentes du code pénal prévoient :

Article 205 - L’insulte

« L’atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne, par des mots, gestes ou tout autre moyen, ou par l’exposition de celle-ci à la moquerie est punie d’une peine d’emprisonnement d’un mois à deux ans ou d’une amende (...)

Le parquet peut être saisi par une plainte émanant de la victime (...) »

Cet article a été modifié par l’ordonnance d’urgence no 58/2002, en ce que l’insulte n’est plus punie que d’une amende.

Article 207 - La preuve de la vérité

« La preuve de la vérité des affirmations ou des imputations peut être accueillie si l’affirmation ou l’imputation ont été commises pour la défense d’un intérêt légitime. Les agissements au sujet desquels la preuve de la vérité a été faite ne constituent pas l’infraction d’insulte ou de diffamation. »

2.  Le code civil

Les articles pertinents du code civil sont libellés comme suit :

Article 998

« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Article 999

« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

GRIEF

Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant se plaint de l’illégalité de sa condamnation pour insulte au paiement de dommages et intérêts, en estimant, d’une part qu’il n’était pas l’auteur de l’information qu’il avait reprise d’autres journaux, et d’autre part qu’il existait un intérêt légitime à la publication des informations litigieuses.

EN DROIT

Le requérant s’estime victime d’une violation de l’article 10 de la Convention en raison des décisions rendues par la Cour suprême de justice à son encontre. L’article 10 prévoit :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

La Cour estime que la condamnation du requérant au paiement de dommages et intérêts en raison des articles publiés dans l’hebdomadaire România mare s’analyse en une ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Cette ingérence était sans aucun doute prévue par loi, à savoir les articles 998 et 999 du code civil, et poursuivait un but légitime, soit « la protection de la réputation ou des droits d’autrui ». Reste, donc, à établir si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

La condition de « nécessité dans une société démocratique » commande à la Cour de déterminer si l’ingérence litigieuse correspondait à un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen.

Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit examiner l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des propos reprochés au requérant et le contexte dans lequel celui-ci les a tenus. En particulier, il lui incombe de déterminer si la restriction apportée à la liberté d’expression du requérant était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par la Cour suprême de justice pour la justifier étaient « pertinents et suffisants » (voir, parmi beaucoup d’autres, Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V, et Cumpǎnǎ et Mazǎre c. Roumanie [GC], no 33348/96, §§ 89-90, 17 décembre 2004).

Elle rappelle enfin que la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, p. 26, § 41)

En l’espèce la Cour note d’abord que le requérant et la victime étaient tous deux parlementaires, et rappelle que le libre jeu du débat politique se trouve au cœur même de la notion de société démocratique et que, par conséquent, l’ingérence dans la liberté d’expression d’un parlementaire de l’opposition, comme c’était le cas du requérant, commande à la Cour de se livrer à un contrôle des plus stricts même si, comme c’est le cas en l’espèce, le requérant ne s’est pas prononcé à la tribune du Sénat, ainsi qu’il aurait pu le faire sans risque de sanctions, mais dans un hebdomadaire (Castells c. Espagne, arrêt du 23 avril 1992, série A no 236, pp. 22-23, §§ 42-43).

La Cour doit aussi tenir compte du rôle indispensable de « chien de garde » que joue la presse dans une société démocratique (Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, p. 500, § 39, et Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 59, CEDH 1999-III). Si la presse ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur les questions politiques ainsi que sur les autres thèmes d’intérêt général (voir, parmi beaucoup d’autres, De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37 ; Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 45, CEDH 2001‑III, et Colombani et autres c. France, no 51279/99, § 55, CEDH 2002-V). Toutefois, même la liberté de discussion politique ne revêt assurément pas un caractère absolu (Castells précité, § 46).

Certes, en l’espèce, les propos du requérant s’inscrivaient dans le cadre d’un débat politique d’intérêt général. La collaboration des hommes politiques avec la Securitate était, comme l’avaient souligné les tribunaux internes, une question sociale et morale très sensible dans le contexte historique spécifique de la Roumanie.

Il est vrai qu’afin d’apprécier l’existence d’un « besoin social impérieux » propre à justifier l’ingérence dans la liberté d’expression, il y a lieu de distinguer avec soin entre faits et jugements de valeur et que si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude (Ivanciuc c. Roumanie (déc.), no 18624/03, 8 septembre 2005 et Lingens, précité, § 46). Pourtant, il n’en demeure pas moins que le fait de mettre directement en cause des personnes déterminées implique l’obligation de fournir une base factuelle suffisante, et que même un jugement de valeur peut se révéler excessif s’il est totalement dépourvu de base factuelle (Ivanciuc précité et Cumpănă et Mazăre précité §§ 98‑101). Or, en l’espèce la Cour note que le requérant visait par les propos litigieux plutôt la personne de C.T.D. et non pas ses capacités professionnelles (voir a contrario et mutatis mutandis Nikula c. Finlande, no 31611/96, §§ 51‑52, CEDH 2002‑II).

De plus, à la différence de l’affaire Castells (§§ 48-49) où la Cour avait conclu à la violation de l’article 10 du fait que les tribunaux n’avaient pas permis au requérant de faire la preuve de la vérité de ses dires, la Cour note en l’espèce, avec les tribunaux internes, que le requérant n’a pu prouver les allégations concernant la collaboration de la victime avec la police politique et que, d’ailleurs, les documents officiels versés au dossier démentaient une telle collaboration. Enfin, le requérant n’a pas non plus fait état de démarches en vue d’interroger les protagonistes de l’affaire, ainsi que la Cour suprême de justice l’avait constaté dans son jugement du 22 février 2001 (voir, mutatis mutandis, Abeberry c. France (déc.), no 58729/00, 21 septembre 2004).

La Cour ne peut accepter la défense du requérant selon laquelle sa condamnation est illégale dans la mesure où il n’a fait que reprendre des informations sur la victime déjà publiées par d’autres journaux. Bien que l’on ne puisse exiger de manière générale que les journalistes se distancient systématiquement et formellement du contenu d’une citation qui pourrait insulter des tiers (Abeberry précité et Thoma précité §§ 62-64), lorsque le requérant a repris les déclarations attribuées à des tiers, il aurait dû faire preuve d’une plus grande rigueur et d’une particulière mesure (Stângu c. Roumanie (déc.), no 57551/00, 9 novembre 2004). En tout état de cause, la Cour note que les tribunaux internes ont jugé injurieux les termes employés par le requérant en dehors des citations, ce qui entraîne sans aucun doute sa responsabilité (voir, mutatis mutandis, Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 38).

En outre, la Cour estime que les termes employés par le requérant n’étaient pas indispensables pour la communication de son message. Elle se rallie aux conclusions des tribunaux internes selon lesquels ces termes révélaient l’intention du requérant d’offenser la victime. Or, en l’absence d’une base factuelle et de bonne foi du requérant, la Cour ne peut admettre que ses propos ne dépassaient pas la dose d’exagération et de provocation admise par l’article 10 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, §§ 49-50, CEDH 1999‑VI).

Dans ces conditions, la Cour juge « pertinents et suffisants » les motifs retenus par les juridictions internes pour conclure que le requérant a porté atteinte à la réputation de C.T.D.

S’agissant de la proportionnalité de l’atteinte au droit à la liberté d’expression, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération. Or, en l’espèce, le requérant a été condamné à verser 75 000 000 ROL de dommages et intérêts. Bien qu’une telle somme ne soit pas négligeable, surtout pour la Roumanie, la Cour doit prendre en considération les circonstances particulières de l’espèce, et notamment le sérieux des accusations contre le requérant (Metzger c. Allemagne (déc.), no 56720/00, 17 novembre 2005). Or, elle rappelle la gravité des termes utilisés et des faits imputés par le requérant à la victime et le fait qu’il n’a ni tenté de vérifier ni ensuite pu prouver la véracité de ses allégations. En outre, la Cour doit tenir compte du fait que la situation financière du requérant était bonne et qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’un simple journaliste, le requérant étant aussi un parlementaire, qui de plus a choisi de quitter le forum du Sénat pour émettre ses propos au sujet de C.T.D.

Dans ce contexte, la Cour estime que les mesures prises à l’encontre du requérant n’étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi.

Eu égard à ce qui précède, l’ingérence dans la liberté d’expression du requérant peut passer pour « nécessaire » dans une société démocratique.

Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident

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